Je connais Andrei Makhine depuis son Goncourt très réussi de 1995, Le testament français. De temps à autre, selon les circonstances, j’achète un de ses romans, que je dévore en général en quelques soirées. Celui-ci n’a pas fait exception à cette règle.
Makhine est un « vrai » romancier, au sens populaire : il sait inventer et raconter des histoires avec talent. Le point commun de toutes celles que j’ai lues est la Russie, sa terre natale. Sans doute est-ce une des raisons de l’intérêt que je lui porte, car je suis un russophile impénitent. Je rapprocherai assez volontiers Makhine de Henri Troyat, autre académicien d’origine russe ; tous deux ont ce talent de savoir captiver leurs lecteurs par des récits en apparence simples, mais en réalité très travaillés. Certes, je sais bien que cela n’est pas dans le sens de la critique présente et des modes intellectuelles françaises, mais il y a un très vaste public qui achète un roman d’abord pour lire une histoire bien narrée et non pour apprécier les procédés littéraires, les états d’âme personnels de l’auteur et ses essais techniques.
Dans ce livre, le récit est très ramassé dans le temps. Sans doute quelques semaines, peut-être quelques mois, mais pas plus. Il s’agit de la naissance et de la vie d’une amitié entre deux adolescents d’une ville de réclusion de l’URSS, à l’époque des camps et des jugements arbitraires (sans doute la fin des années 1950 ?). Le narrateur est un orphelin, sur la vie duquel nous ne saurons rien, sinon qu’il est habitué à la rudesse de la vie dans ce cadre peu amène pour les faibles et les rêveurs. Arrive dans le collège un jeune Arménien, fragile et étrange, que le narrateur va prendre sous sa protection et avec lequel il va nouer une amitié comme seuls les adolescents savent en créer. Ces Arméniens sont venus ici en groupe pour soutenir des leurs arrêtés et qui doivent être jugés dans cette ville. Ils se sont installés dans un faubourg mal famé au bout de la ville et apportent un rayon d’exotisme et de soleil à une ville froide de Sibérie. Le récit croise plusieurs fils dans sa trame. D’abord l’amitié proprement dite, entre les deux garçons, fortement improbable au départ, mais qui réussit sans doute à cause de cela. Ils partagent de longs moments de complicité, même lorsque Vardan, l’ami arménien souffre de la « maladie arménienne qui le ronge et finira par le tuer quelques mois plus tard. Mais cette amitié permet au narrateur de découvrir l’histoire de la nation arménienne et la mémoire douloureuse car toujours vive, du génocide de 1915-1916. Il approche ainsi un autre monde et s’ouvre à l’altérité, tout cela, sans aucun discours de morale, mais par le talent de l’écrivain, nous est accessible au fil de l’histoire. Enfin, autour de ce deux jeunes gens gravitent des adultes aux histoires lourdes : la mère de Vardan, Chamiram, Une jeune épouse d’un condamné, Gulizar, dont le jeune narrateur est visiblement amoureux platoniquement, Sarven, un vieil homme chaleureux et énigmatique et Ronine, un professeur de mathématiques, invalide de guerre. Toutes ces existences sont évoquées en miniatures, mais de manière très forte. L’écriture de Makhine est très cinématographique : on imagine sans cesse les plans et les images. Il ne me surprendrait pas que ce livre fasse l’objet d’une adaptation cinématographique, tant il semble en osmose avec cet art.
L’art du bon roman est aujourd’hui, très paradoxalement, devenu rare, tant les auteurs veulent faire preuve d’innovation et s’inscrire dans la modernité du moment. Ceux qui aiment la lecture jouissive d’une histoire captivante se régaleront et dévoreront ce petit volume. Il n’est, par ailleurs, pas interdit d’y chercher et d’y trouver des pensées profondes, mais jamais assénées, toujours en filigrane.
Pour que la lecture reste un plaisir simple, il faut des auteurs du calibre d’Andrei Makhine. Ce roman le confirme comme un écrivain au sommet de son art.
« 1 Or, toute la terre parlait un même langage avec les mêmes mots.
2 Partis de l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.
3 Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier.
Ils dirent (encore): Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet (touche) au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas disséminés à la surface de toute la terre. » (version La Colombe)
Le récit de la tour de Babel est assez bref (9 versets en tout) et, malgré cette brièveté, il est devenu un des plus grands mythes de l’humanité (avec le Déluge, la sortie d’Egypte ou la ligature d’Isaac) tirés de la Bible. Mon propos n’est pas aujourd’hui de discuter du caractère mythique ou historique de ce récit. Rien que chez les protestants, la divergence est irréductible : les libéraux considèrent cette histoire comme un fable à but explicatif de la diversité des langues et de l’hubris de l’humanité première ; les évangéliques en font, le plus souvent, une lecture historique et littérale. Entre les deux extrêmes, toute une frange de huguenots hésitent entre les deux positions. Je pense que le même débat court chez les catholiques ou les orthodoxes, mais en silence. Laissons cela de côté et faisons une lecture contemporaine de ce texte, par la démarche de l’analogie.
Situons d’abord ce texte dans le livre de la Genèse, car il y a un enseignement en cela
Si nous regardons où se situe cet épisode dans le livre des origines, nous voyons qu’il suit le grand récit de Déluge et de la sortie de l’Arche de Noé. Nous sommes bien, analogiquement, dans une situation comparable à la nôtre. Nous pouvons dire que le XXIème siècle a connu deux « déluges » qui ont ébranlé l’humanité : la crise financière mondiale de 2008, dite « crise des subprimes » et la crise en cours du Covid19. Dans les deux cas, le choc a été suffisamment fort pour que les hommes pensent un « monde d’après ». Nous savons que les années qui ont suivi la crise de 2008 ont ramené inexorablement à la vie d’avant, « business as usual », comme le disent les Anglo-saxons. Aucune leçon n’a été tirée de ce séisme.
Nous avons bien lu et entendu partout parler, surtout durant le premier confinement – mars à mai 2020), de l’urgence et de la nécessité de penser un monde d’après qui serait au bénéfice des leçons de la pandémie. Mais nous sentons bien, et nous entendons et nous voyons que les gens, dans leur immense majorité, veulent retrouver une « vie normale », c’est-à-dire leur vie d’avant. On peut donc, raisonnablement penser que, encore une fois, il n’y aura aucune bifurcation générale de notre société. Est-ce d’ailleurs souhaitable, possible, utile et bénéfique ? C’est à chacun de nous de répondre à cette question.
Les descendants de Noé, selon la Bible, ont engagé une démarche de civilisation. Voyons quelle est sa base.
Le projet de Babel
C’est d’abord un projet qui naît d’une humanité homogène, issue de l’après-déluge. Le verset 1 parle d’une seule langue ; il y a donc unité humaine. Cette unité fait l’union, et l’union fait la force.
Aujourd’hui il faut regarder derrière les apparences du monde que nous connaissons. La mondialisation impose, par sa pratique, la langue anglaise et ses termes au monde entier. Nous voyons, depuis la chut du bloc communiste soviétique, l’idée d’une gouvernance mondiale unique qui progresse. La crise du Covid19 est un formidable accélérateur de cette idée. Or, toute gouvernance mondiale est, par nature, porteuse du risque de totalitarisme, par l’absence de toute alternative et la concentration du pouvoir avec tous ses moyens de coercition et de contrôle.
Le projet de Babel fait la preuve du génie inventif des hommes : les versets 2 et 3 montrent à la fois l’invention de la brique, des techniques d’assemblage et la naissance de la ville, donc l’idée même d’urbanisation. Tout cela représente un progrès considérable, auquel il faut ajouter l’usage du bitume pour cimenter.
Si nous revenons à notre présent, nous ne pouvons que constater l’accélération technique absolument inédite des dernières décennies, notamment liée à l’essor de la science informatique. L’homme pense se sortir de toutes les impasses où il s’est enfermé par une réponse technique. Ainsi, face au réchauffement climatique, une nouvelle discipline est née, la géo-ingénierie, qui pense des remèdes planétaires à la montée du CO² ou à l’acidification des océans. Ce n’est pas le lieu ici de décrire ces projets. Il suffit de dire qu’ils sont prométhéens, totalement démesurés. De même, la crise du Covid19 doit se régler par la mise au point ultra-rapide de vaccins à ARN, technique directement liée aux manipulations génétiques, donc relevant du jeu de l’apprenti-sorcier dans de très nombreux cas. Nul ne songe, chez les divers puissants de ce monde, à interroger le mode de vie mondialiste, consumériste et destructeur de nos sociétés.
Le projet de Babel est à la fois transcendant et immanent. C’est donc un projet holistique, global et, aussi, à terme, totalitaire.
-transcendant, car la tour doit « toucher au ciel », et donc percer et détruire le mystère de la divinité.
-La tour sera dans une ville. Dans la Bible, la ville est une invention de Caïn, le meurtrier fratricide, pour aller se cacher de la face de Dieu. Genèse 4 : 17 :
« 17 Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. »
-Le but final est de se « faire un nom », c’es-à-dire de devenir Dieu, car en hébreu, le mot Nom est une des appellations de Yahvé. Par leur technique et leur labeur, les hommes veulent devenir Dieu.
-Le projet est de rester réuni sous cette gouvernance divine des hommes-bâtisseurs. Il y a bien un désir de contrôle absolu.
La signification pour notre temps est limpide
-Le projet mondialiste édifie des tours de plus en plus hautes, qui portent toutes un nom, dont celui de certains hommes, comme la Tour Trump ou la tour Rockfeller. C’est une transposition parfaite du désir de Babel.
-La ville, sous la forme idéale de la métropole mondiale (ou mégapole), est le seul modèle urbain promu, même chez les peuplades les plus rurales du monde (au Rwanda ou au Cambodge par exemple). Tout est pensé uniquement par et pour la ville et les urbains. Le modèle de la révolte contre Dieu est donc devenu exclusif (Je renvoie les sceptiques au splendide livre théologique de Jacques Ellul, Sans feu ni lieu).
-Tous les Etats luttent contre la dispersion la plus ancienne : les nomades sont partout persécutés et sédentarisés sous la contrainte, au nom du droit foncier, de la modernité, mais en réalité au nom du désir de contrôler des peuples libres. C’est uniquement pour pouvoir mieux « surveiller et punir », pour reprendre un titre du philosophe Michel Foucault, dans lequel il analyse cette tendance de nos sociétés modernes.
-La gouvernance mondiale avance inexorablement depuis 1945. Ne nous laissons pas abuser par les épisodes communistes ou le rôle actuel de la Chine. Peu à peu, les intérêts convergent et l’étau se resserre sur nos libertés, et nos vieilles nations luttent vainement pour ne pas être effacées. Le projet européen, derrière sa pseudo-origine démocrate-chrétienne (fausse mais promue, l’histoire récente l’a prouvé) participe à cette marche vers le gouvernement mondial. Ce qui est testé à 27 ou 28 pays est appelé à se généraliser.
Conclusion
Nous pourrions appeler ce que nous vivons « Le projet Babel II ». Ce projet est accompagné d’un travail de propagande jamais égalé dans l’histoire et se déployant à l’échelle mondiale. La phase la plus avancée est celle du gouvernement numérique du monde par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Microsoft), sociétés plus riches et plus puissantes que beaucoup d‘Etats. La résistance symbolique n’a aucune chance réelle d’aboutir, sauf si les terriens acceptent de se déconnecter et de changer leur habitudes.
Mais en parallèle avec les GAFAM, il existe toute une galaxie d’organisations connues (OMS, FAO, UNESCO, OMC…) ou très secrètes (comme els grandes fondations), qui posent, brique après brique pour construire Babel II.
Alors, tout est donc fichu ? Il n’y a plus qu’à se résigner ?
Si on s’arrête au verset 4, cela est le constat évident. Mais le récit comporte une deuxième partie, qui sera l’objet de la méditation suivante.
Jean-Michel Dauriac – Février 2021.
La logique de Babel (1)
Méditations de sortie de l’Arche n° 10
Lecture de base : Genèse 11 : 1 à 4
« 1 Or, toute la terre parlait un même langage avec les mêmes mots.
2 Partis de l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.
3 Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier.
Ils dirent (encore): Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet (touche) au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas disséminés à la surface de toute la terre. » (version La Colombe)
Le récit de la tour de Babel est assez bref (9 versets en tout) et, malgré cette brièveté, il est devenu un des plus grands mythes de l’humanité (avec le Déluge, la sortie d’Egypte ou la ligature d’Isaac) tirés de la Bible. Mon propos n’est pas aujourd’hui de discuter du caractère mythique ou historique de ce récit. Rien que chez les protestants, la divergence est irréductible : les libéraux considèrent cette histoire comme un fable à but explicatif de la diversité des langues et de l’hubris de l’humanité première ; les évangéliques en font, le plus souvent, une lecture historique et littérale. Entre les deux extrêmes, toute une frange de huguenots hésitent entre les deux positions. Je pense que le même débat court chez les catholiques ou les orthodoxes, mais en silence. Laissons cela de côté et faisons une lecture contemporaine de ce texte, par la démarche de l’analogie.
Situons d’abord ce texte dans le livre de la Genèse, car il y a un enseignement en cela
Si nous regardons où se situe cet épisode dans le livre des origines, nous voyons qu’il suit le grand récit de Déluge et de la sortie de l’Arche de Noé. Nous sommes bien, analogiquement, dans une situation comparable à la nôtre. Nous pouvons dire que le XXIème siècle a connu deux « déluges » qui ont ébranlé l’humanité : la crise financière mondiale de 2008, dite « crise des subprimes » et la crise en cours du Covid19. Dans les deux cas, le choc a été suffisamment fort pour que les hommes pensent un « monde d’après ». Nous savons que les années qui ont suivi la crise de 2008 ont ramené inexorablement à la vie d’avant, « business as usual », comme le disent les Anglo-saxons. Aucune leçon n’a été tirée de ce séisme.
Nous avons bien lu et entendu partout parler, surtout durant le premier confinement – mars à mai 2020), de l’urgence et de la nécessité de penser un monde d’après qui serait au bénéfice des leçons de la pandémie. Mais nous sentons bien, et nous entendons et nous voyons que les gens, dans leur immense majorité, veulent retrouver une « vie normale », c’est-à-dire leur vie d’avant. On peut donc, raisonnablement penser que, encore une fois, il n’y aura aucune bifurcation générale de notre société. Est-ce d’ailleurs souhaitable, possible, utile et bénéfique ? C’est à chacun de nous de répondre à cette question.
Les descendants de Noé, selon la Bible, ont engagé une démarche de civilisation. Voyons quelle est sa base.
Pieter Bruegle l’ancien – La Tour de Babel
Le projet de Babel
C’est d’abord un projet qui naît d’une humanité homogène, issue de l’après-déluge. Le verset 1 parle d’une seule langue ; il y a donc unité humaine. Cette unité fait l’union, et l’union fait la force.
Aujourd’hui il faut regarder derrière les apparences du monde que nous connaissons. La mondialisation impose, par sa pratique, la langue anglaise et ses termes au monde entier. Nous voyons, depuis la chut du bloc communiste soviétique, l’idée d’une gouvernance mondiale unique qui progresse. La crise du Covid19 est un formidable accélérateur de cette idée. Or, toute gouvernance mondiale est, par nature, porteuse du risque de totalitarisme, par l’absence de toute alternative et la concentration du pouvoir avec tous ses moyens de coercition et de contrôle.
Le projet de Babel fait la preuve du génie inventif des hommes : les versets 2 et 3 montrent à la fois l’invention de la brique, des techniques d’assemblage et la naissance de la ville, donc l’idée même d’urbanisation. Tout cela représente un progrès considérable, auquel il faut ajouter l’usage du bitume pour cimenter.
Si nous revenons à notre présent, nous ne pouvons que constater l’accélération technique absolument inédite des dernières décennies, notamment liée à l’essor de la science informatique. L’homme pense se sortir de toutes les impasses où il s’est enfermé par une réponse technique. Ainsi, face au réchauffement climatique, une nouvelle discipline est née, la géo-ingénierie, qui pense des remèdes planétaires à la montée du CO² ou à l’acidification des océans. Ce n’est pas le lieu ici de décrire ces projets. Il suffit de dire qu’ils sont prométhéens, totalement démesurés. De même, la crise du Covid19 doit se régler par la mise au point ultra-rapide de vaccins à ARN, technique directement liée aux manipulations génétiques, donc relevant du jeu de l’apprenti-sorcier dans de très nombreux cas. Nul ne songe, chez les divers puissants de ce monde, à interroger le mode de vie mondialiste, consumériste et destructeur de nos sociétés.
Le projet de Babel est à la fois transcendant et immanent. C’est donc un projet holistique, global et, aussi, à terme, totalitaire.
-transcendant, car la tour doit « toucher au ciel », et donc percer et détruire le mystère de la divinité.
-La tour sera dans une ville. Dans la Bible, la ville est une invention de Caïn, le meurtrier fratricide, pour aller se cacher de la face de Dieu. Genèse 4 : 17 :
« 17 Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. »
-Le but final est de se « faire un nom », c’es-à-dire de devenir Dieu, car en hébreu, le mot Nom est une des appellations de Yahvé. Par leur technique et leur labeur, les hommes veulent devenir Dieu.
-Le projet est de rester réuni sous cette gouvernance divine des hommes-bâtisseurs. Il y a bien un désir de contrôle absolu.
La signification pour notre temps est limpide
-Le projet mondialiste édifie des tours de plus en plus hautes, qui portent toutes un nom, dont celui de certains hommes, comme la Tour Trump ou la tour Rockfeller. C’est une transposition parfaite du désir de Babel.
-La ville, sous la forme idéale de la métropole mondiale (ou mégapole), est le seul modèle urbain promu, même chez les peuplades les plus rurales du monde (au Rwanda ou au Cambodge par exemple). Tout est pensé uniquement par et pour la ville et les urbains. Le modèle de la révolte contre Dieu est donc devenu exclusif (Je renvoie les sceptiques au splendide livre théologique de Jacques Ellul, Sans feu ni lieu).
-Tous les Etats luttent contre la dispersion la plus ancienne : les nomades sont partout persécutés et sédentarisés sous la contrainte, au nom du droit foncier, de la modernité, mais en réalité au nom du désir de contrôler des peuples libres. C’est uniquement pour pouvoir mieux « surveiller et punir », pour reprendre un titre du philosophe Michel Foucault, dans lequel il analyse cette tendance de nos sociétés modernes.
-La gouvernance mondiale avance inexorablement depuis 1945. Ne nous laissons pas abuser par les épisodes communistes ou le rôle actuel de la Chine. Peu à peu, les intérêts convergent et l’étau se resserre sur nos libertés, et nos vieilles nations luttent vainement pour ne pas être effacées. Le projet européen, derrière sa pseudo-origine démocrate-chrétienne (fausse mais promue, l’histoire récente l’a prouvé) participe à cette marche vers le gouvernement mondial. Ce qui est testé à 27 ou 28 pays est appelé à se généraliser.
Conclusion
Nous pourrions appeler ce que nous vivons « Le projet Babel II ». Ce projet est accompagné d’un travail de propagande jamais égalé dans l’histoire et se déployant à l’échelle mondiale. La phase la plus avancée est celle du gouvernement numérique du monde par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Microsoft), sociétés plus riches et plus puissantes que beaucoup d‘Etats. La résistance symbolique n’a aucune chance réelle d’aboutir, sauf si les terriens acceptent de se déconnecter et de changer leur habitudes.
Mais en parallèle avec les GAFAM, il existe toute une galaxie d’organisations connues (OMS, FAO, UNESCO, OMC…) ou très secrètes (comme els grandes fondations), qui posent, brique après brique pour construire Babel II.
Alors, tout est donc fichu ? Il n’y a plus qu’à se résigner ?
Si on s’arrête au verset 4, cela est le constat évident. Mais le récit comporte une deuxième partie, qui sera l’objet de la méditation suivante.
J’avoue que je ne connaissais pas du tout Dominique Bona, cette académicienne sexagénaire, dont la bibliographie annexée à la fin de ce volume atteste qu’elle s’est acquis une belle réputation de biographe, en sus des romans initiaux par elle publiés. Mais je l’ai entendu un jour, lors d’une émission télévisée, parler de sa vie et de son métier. Et elle m’a séduit par son apparente simplicité et sincérité. La lecture de ce livre a confirmé que ce n’était pas qu’une apparence ou une posture, comme trop souvent chez les artistes. Comme quoi, contrairement à ce que prétendent les intellectuels aigris, la télévision a une utilité culturelle, y compris pour eux-mêmes s’ils étaient moins imbus de leurs privilèges de caste de « sachant », selon l’immonde expression en cours. Je n’aurais jamais acheté ce livre dans ma petite maison de la presse d’Aigurande (36) si je n’avais vu madame Bona sur le petit écran. Il n’y pas que France culture et les pages du Monde !*
J’ai abordé ce livre avec un certain scepticisme, peut-être à cause de ma réserve sur le membres d’hier et d’aujourd’hui de l’Académie française, où le meilleur côtoie le médiocre (voir mon texte sur Emile Faguet : https://blogjeanmi.danslamarge.com/?p=626 ). Le début pouvait mal augurer de la suite :
« J’étais nue, complètement nue, au milieu de gens nus, sur le pont d’un bateau écrasé de soleil, au large de Majorque. » p.11.
Avouons que cet incipit peut présumer d’un livre de baba cool sur le retour. Mais dès la dernière phrase ce paragraphe, l’ambiguïté est levée :
« J’avais une excuse d’ordre professionnel : j’écrivais une biographie de Romain Gary. » ibid.
Quand on aura lu la suite du livre, il sera alors aisé de mesurer la prise de risque de l’auteure de commencer ainsi son livre, en donnant une vraie fausse piste et la possibilité d’une image tout à fait erronée. Car ce que je retiens en ayant lu cet ouvrage, c’est l’idée d’une femme responsable et tout sauf baba cool ou « évaporée », comme on disait autrefois. Tout ce que narre D. Bona est sérieux – mais pas du tout austère et « chiant » pour le dire comme les « djeun’ » que les vieux copient souvent – et de bon aloi.
Même s’il faut se méfier des apparences, lorsque je regarde cette magnifique tête de femme mûre, je ne peux m’empêcher d’être frappé par le regard franc et la retenue du léger sourire imprimée sur le visage. Je prends le risque de dire que ce visage reflète une vie empreinte de travail, de sérieux et de fidélité à une matrice sociale, ce qui n’exclut pas la possibilité de l’espièglerie. Au fil de la lecture du livre, nous découvrons, par toutes petites touches impressionnistes, des détails de sa propre vie. Mais Mes vies secrètes n’est pas comme le titre pourrait, de manière très subtile, le suggérer, une autobiographie, ou alors seulement en toile de fond.
J’ai lu ce livre comme un traité de l’art de la biographie qui a l’intelligence de ne pas le dire et de le montrer. D. Bona a choisi un plan thématique assez fin et des titres romanesques, qui brouillent les pistes si on ne fait que les survoler dans la table des matières. En réalité, on peut mettre en équivalence de chaque titre de chapitre un ou plusieurs noms de personnages dont elle a traité la biographie. Ainsi le chapitre 1 « Le soleil de Majorque » = Romain Gary, le chapitre 5 « Les dames galantes » = Les sœurs Hérédia, et ainsi de suite. Pour chaque personnage ou lot de personnages, D. Bona nous met en situation et nous explique comment elle en est venue à faire cette biographie et comment elle l’a approchée. C’est en cela qu’il s’agit vraiment d’un petit traité fort utile pour qui voudrait se lancer dans cet exercice. Mais ce livre a aussi un autre but, plus subliminal, bien que l’auteure se trahisse en quelque endroit. Il convient de réhabiliter le travail littéraire du biographe, qui apparaît comme le parent pauvre de la littérature, aux côté du roi Roman. Cet aspect me semble tout à fait important et judicieux. Une bonne biographie est le roman vrai d’une existence. Mais les lecteurs se précipitent sur les romans, dévorent les livres de témoignage (confer le succès planétaire, fort bien préparé, des mémoires de Barack Obama) et, finalement, boudent un peu les biographies, sauf si elles sont canoniquement historiques. Or, il faut de vrais qualités d’écrivain pour réussir une bonne biographie. Si le biographe est aussi romancier, c’est évidemment encore mieux. Pour moi, le modèle absolu reste Henry Troyat et sa biographie de Léon Tolstoï. Ce livre surpasse de loin tous les autres écrits de caractère plus ou moins biographiques de l’auteur russe. En effet, Troyat a su mêler une abondance de faits avérés et vérifiés (souvent pris directement dans les sources russe, car il était bilingue par sa naissance) avec un art de raconter assez indépassable, car il faut – et demeure – un des plus grands romanciers du XXème siècle. Sa biographie se lit comme un roman, mais ce n’en est pas un, car elle est très fidèle à la vérité de la vie de Tolstoï[1]. Le travail de Dominique Bona est donc très utile pour remettre l’art du biographe à sa juste place.
Mais son livre a une autre vertu : celle de montrer comment se tisse une toile de relations qui guide le travail. A mesure que nous avançons dans la lecture des chapitres, nous constatons que se dessine une sorte de toile d’araignée qui, partant d’un nœud, se déploie sur un autre, puis finit par revenir au premier. Cette structure réticulaire est confirmée lorsque, parvenue à la dernière ligne et au point final, nous parcourons la liste des œuvres de Dominique Bona, en fin de volume. Si le premier linéament se nomme « Romain Gary », il est vite doublé par la galaxie « Rouart – Hérédia – Morisot et consorts ». C’est une sorte de jeu de miroirs auquel nous convie l’auteur. Les premières explorations familiales et artistiques la mettent au contact de personnages qui l’intriguent ou la passionnent, et les biographies s’enchaînent. Mais il y a aussi des évitements ou des refus. La piste Gary est un cul de sac ; Elle n’y reviendra pas. On trouve également ce que j’appelle les « candidats recalés » de la biographie. D. Bona leur consacre un chapitre joliment titré « Les âmes errantes ». Elle nous dévoile là les noms de ceux qu’elle a croisés, suivis un moment, puis finalement laissés à leur oubli. Je crois que ce musée des recalés est le propre de tout écrivain. Chez le romancier, c’est la famille des personnages transparents, de passage ou avortés. Ils constituent l’arrière-plan de toute œuvre, mais sont toujours et à toujours oubliés. Ce thème des réseaux et des oublis me semble de toute première importance pour approcher une œuvre et en faire apprécier la cohérence. C’est l’approche contextuelle de la théologie : une des grandes clés de compréhension des textes. Mais, au-delà, je crois aussi que c’est une clé pour comprendre l’oeuvre d’un lecteur. Car je suis convaincu qu’un grand lecteur construit, pour lui-même – et parfois pour ses proches -, une œuvre par son cheminement dans la jungle de la littérature et de la pensée. Or, nous procédons exactement comme Dominique Bona le décrit dans son livre, par des rencontre d’abord hasardeuses, puis des recoupements accidentels et , à la longue, « avec le temps », par une recherche délibérée de liens entre nos lectures. Il y a un temps pour tout dans la vie du lecteur : L’adolescence et la jeunesse sont l’âge de l’exploration, des engouements et des dégoûts, des culs de sac et des grandes perspectives ; la maturité est celle de l’accumulation qualitative, où l’on explore encore, mais à moindres frais. On revient sur certains itinéraires, on cible ses voyages. Puis vient l’âge de la maturité, celui où l’on commence à savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas du tout, celui où l’on sait que le temps nous est compté. On se recentre sur les grands amours, sur les classiques, on découvre par la toile d’araignée qui s’est construite sans qu’on n’y prenne garde. Les rayons de la bibliothèque s’éclaircissent et s’homogénéisent : peut-être devient-on un peu sage. Il n’y a pas de vieillesse pour le lecteur, seulement la maturité.
Mes vies secrètes est bien l’exemple parfait qui contredit un peu ce que je viens de dire à l’instant ci-dessus. Je n’aurais jamais dû acheter et lire ce livre, si je m’en étais tenu à l’approche raisonnable décrite. Mais, heureusement, il y encore de l’imprévu et des rencontres. Bien entendu, je ne regrette nullement d’avoir fait ce détour. Et, en bonne logique de lecteur, je viens d’acheter son Romain Gary et son Berthe Morisot. Je vous reparlerai donc sans doute de Dominique Bona !
Beychac, le 16 avril 2021
[1] J’ai écrit une thèse de théologie sur Tolstoï et donc eu l’occasion des consulter toutes les biographies en langue française sur Tolstoï : celle de Troyat domine le lot de très loin.