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La logique de Babel (1)Méditations de sortie de l’Arche n° 10

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Lecture de base : Genèse 11 : 1 à 4

«  Or, toute la terre parlait un même langage avec les mêmes mots.

2  Partis de l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.

3  Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier.

  • Ils dirent (encore): Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet (touche) au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas disséminés à la surface de toute la terre. » (version La Colombe)

Le récit de la tour de Babel est assez bref (9 versets en tout) et, malgré cette brièveté, il est devenu un des plus grands mythes de l’humanité (avec le Déluge, la sortie d’Egypte ou la ligature d’Isaac) tirés de la Bible. Mon propos n’est pas aujourd’hui de discuter du caractère mythique ou historique de ce récit. Rien que chez les protestants, la divergence est irréductible : les libéraux considèrent cette histoire comme un fable à but explicatif de la diversité des langues et de l’hubris de l’humanité première ; les évangéliques en font, le plus souvent, une lecture historique et littérale. Entre les deux extrêmes, toute une frange de huguenots hésitent entre les deux positions. Je pense que le même débat court chez les catholiques ou les orthodoxes, mais en silence. Laissons cela de côté et faisons une lecture contemporaine de ce texte, par la démarche de l’analogie.

Situons d’abord ce texte dans le livre de la Genèse, car il y a un enseignement en cela

Si nous regardons où se situe cet épisode dans le livre des origines, nous voyons qu’il suit le grand récit de Déluge et de la sortie de l’Arche de Noé. Nous sommes bien, analogiquement, dans une situation comparable à la nôtre. Nous pouvons dire que le XXIème siècle a connu deux « déluges » qui ont ébranlé l’humanité : la crise financière mondiale de 2008, dite « crise des subprimes » et la crise en cours du Covid19. Dans les deux cas, le choc a été suffisamment fort pour que les hommes pensent un « monde d’après ». Nous savons que les années qui ont suivi la crise de 2008 ont ramené inexorablement à la vie d’avant, « business as usual », comme le disent les Anglo-saxons. Aucune leçon n’a été tirée de ce séisme.

Nous avons bien lu et entendu partout parler, surtout durant le premier confinement – mars à mai 2020), de l’urgence et de la nécessité de penser un monde d’après qui serait au bénéfice des leçons de la pandémie. Mais nous sentons bien, et nous entendons et nous voyons que les gens, dans leur immense majorité, veulent retrouver une « vie normale », c’est-à-dire leur vie d’avant. On peut donc, raisonnablement penser que, encore une fois, il n’y aura aucune bifurcation générale de notre société. Est-ce d’ailleurs souhaitable, possible, utile et bénéfique ? C’est à chacun de nous de répondre à cette question.

Les descendants de Noé, selon la Bible, ont engagé une démarche de civilisation. Voyons quelle est sa base.

Le projet de Babel

C’est d’abord un projet qui naît d’une humanité homogène, issue de l’après-déluge. Le verset 1 parle d’une seule langue ; il y a donc unité humaine. Cette unité fait l’union, et l’union fait la force.

Aujourd’hui il faut regarder derrière les apparences du monde que nous connaissons. La mondialisation impose, par sa pratique, la langue anglaise et ses termes au monde entier. Nous voyons, depuis la chut du bloc communiste soviétique, l’idée d’une gouvernance mondiale unique qui progresse. La crise du Covid19 est un formidable accélérateur de cette idée. Or, toute gouvernance mondiale est, par nature, porteuse du risque de totalitarisme, par l’absence de toute alternative et la concentration du pouvoir avec tous ses moyens de coercition et de contrôle.

Le projet de Babel fait la preuve du génie inventif des hommes : les versets 2 et 3 montrent à la fois l’invention de la brique, des techniques d’assemblage et la naissance de la ville, donc l’idée  même d’urbanisation. Tout cela représente un progrès considérable, auquel il faut ajouter l’usage du bitume pour cimenter.

Si nous revenons à notre présent, nous ne pouvons que constater l’accélération technique absolument inédite des dernières décennies, notamment liée à l’essor de la science informatique. L’homme pense se sortir de toutes les impasses où il s’est enfermé par une réponse technique. Ainsi, face au réchauffement climatique, une nouvelle discipline est née, la géo-ingénierie, qui pense des remèdes planétaires à la montée du CO² ou à l’acidification des océans. Ce n’est pas le lieu ici de décrire ces projets. Il suffit de dire qu’ils sont prométhéens, totalement démesurés. De même, la crise du Covid19 doit se régler par la mise au point ultra-rapide de vaccins à ARN, technique directement liée aux manipulations génétiques, donc relevant du jeu de l’apprenti-sorcier dans de très nombreux cas. Nul ne songe, chez les divers puissants de ce monde, à interroger le mode de vie mondialiste, consumériste et destructeur de nos sociétés.

Le projet de Babel est à la fois transcendant et immanent. C’est donc un projet holistique, global et, aussi, à terme, totalitaire.

  • -transcendant, car la tour doit « toucher au ciel », et donc percer et détruire le mystère de la divinité.
  • -La tour sera dans une ville. Dans la Bible, la ville est une invention de Caïn, le meurtrier fratricide, pour aller se cacher de la face de Dieu. Genèse 4 : 17 :

« 17  Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. »

  • -Le but final est de se « faire un nom », c’es-à-dire de devenir Dieu, car en hébreu, le mot Nom est une des appellations de Yahvé. Par leur technique et leur labeur, les hommes veulent devenir Dieu.
  • -Le projet est de rester réuni sous cette gouvernance divine des hommes-bâtisseurs. Il y a bien un désir de contrôle absolu.

La signification pour notre temps est limpide

  • -Le projet mondialiste édifie des tours de plus en plus hautes, qui portent toutes un nom, dont celui de certains hommes, comme la Tour Trump ou la tour  Rockfeller. C’est une transposition parfaite du désir de Babel.
  • -La ville, sous la forme idéale de la métropole mondiale (ou mégapole), est le seul modèle urbain promu, même chez les peuplades les plus rurales du monde (au Rwanda ou au Cambodge par exemple). Tout est pensé uniquement par et pour la ville et les urbains. Le modèle de la révolte contre Dieu est donc devenu exclusif (Je renvoie les sceptiques au splendide livre théologique de Jacques Ellul, Sans feu ni lieu).
  • -Tous les Etats luttent contre la dispersion la plus ancienne : les nomades sont partout persécutés et sédentarisés sous la contrainte, au nom du droit foncier, de la modernité, mais en réalité au nom du désir de contrôler des peuples libres. C’est uniquement pour pouvoir mieux « surveiller et punir », pour reprendre un titre du philosophe Michel Foucault, dans lequel il analyse cette tendance de nos sociétés modernes.
  • -La gouvernance mondiale avance inexorablement depuis 1945. Ne nous laissons pas abuser par les épisodes communistes ou le rôle actuel de la Chine. Peu à peu, les intérêts convergent et l’étau se resserre sur nos libertés, et nos vieilles nations luttent vainement pour ne pas être effacées. Le projet européen, derrière sa pseudo-origine démocrate-chrétienne (fausse mais promue, l’histoire récente l’a prouvé) participe à cette marche vers  le gouvernement mondial. Ce qui est testé à 27 ou 28 pays est appelé à se généraliser.

Conclusion

Nous pourrions appeler ce que nous vivons « Le projet Babel II ». Ce projet est accompagné d’un travail de propagande jamais égalé dans l’histoire et se déployant à l’échelle mondiale. La phase la plus avancée est celle du gouvernement numérique du monde par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Microsoft), sociétés plus riches et plus puissantes que beaucoup d‘Etats. La résistance symbolique n’a aucune chance réelle d’aboutir, sauf si les terriens acceptent de se déconnecter et de changer leur habitudes.

Mais en parallèle avec les GAFAM, il existe toute une galaxie d’organisations connues (OMS, FAO, UNESCO, OMC…) ou très secrètes (comme els grandes fondations), qui posent, brique après brique pour construire Babel II.

Alors, tout est donc fichu ? Il n’y a plus qu’à se résigner ?

Si on s’arrête au verset 4, cela est le constat évident. Mais le récit comporte une deuxième partie, qui sera l’objet de la méditation suivante.

Jean-Michel Dauriac – Février 2021.

La logique de Babel (1)

Méditations de sortie de l’Arche n° 10

Lecture de base : Genèse 11 : 1 à 4

«  Or, toute la terre parlait un même langage avec les mêmes mots.

2  Partis de l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Chinéar, et ils y habitèrent.

3  Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! faisons des briques et cuisons-les au feu. La brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier.

  • Ils dirent (encore): Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet (touche) au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas disséminés à la surface de toute la terre. » (version La Colombe)

Le récit de la tour de Babel est assez bref (9 versets en tout) et, malgré cette brièveté, il est devenu un des plus grands mythes de l’humanité (avec le Déluge, la sortie d’Egypte ou la ligature d’Isaac) tirés de la Bible. Mon propos n’est pas aujourd’hui de discuter du caractère mythique ou historique de ce récit. Rien que chez les protestants, la divergence est irréductible : les libéraux considèrent cette histoire comme un fable à but explicatif de la diversité des langues et de l’hubris de l’humanité première ; les évangéliques en font, le plus souvent, une lecture historique et littérale. Entre les deux extrêmes, toute une frange de huguenots hésitent entre les deux positions. Je pense que le même débat court chez les catholiques ou les orthodoxes, mais en silence. Laissons cela de côté et faisons une lecture contemporaine de ce texte, par la démarche de l’analogie.

Situons d’abord ce texte dans le livre de la Genèse, car il y a un enseignement en cela

Si nous regardons où se situe cet épisode dans le livre des origines, nous voyons qu’il suit le grand récit de Déluge et de la sortie de l’Arche de Noé. Nous sommes bien, analogiquement, dans une situation comparable à la nôtre. Nous pouvons dire que le XXIème siècle a connu deux « déluges » qui ont ébranlé l’humanité : la crise financière mondiale de 2008, dite « crise des subprimes » et la crise en cours du Covid19. Dans les deux cas, le choc a été suffisamment fort pour que les hommes pensent un « monde d’après ». Nous savons que les années qui ont suivi la crise de 2008 ont ramené inexorablement à la vie d’avant, « business as usual », comme le disent les Anglo-saxons. Aucune leçon n’a été tirée de ce séisme.

Nous avons bien lu et entendu partout parler, surtout durant le premier confinement – mars à mai 2020), de l’urgence et de la nécessité de penser un monde d’après qui serait au bénéfice des leçons de la pandémie. Mais nous sentons bien, et nous entendons et nous voyons que les gens, dans leur immense majorité, veulent retrouver une « vie normale », c’est-à-dire leur vie d’avant. On peut donc, raisonnablement penser que, encore une fois, il n’y aura aucune bifurcation générale de notre société. Est-ce d’ailleurs souhaitable, possible, utile et bénéfique ? C’est à chacun de nous de répondre à cette question.

Les descendants de Noé, selon la Bible, ont engagé une démarche de civilisation. Voyons quelle est sa base.

Pieter Bruegle l’ancien – La Tour de Babel

Le projet de Babel

C’est d’abord un projet qui naît d’une humanité homogène, issue de l’après-déluge. Le verset 1 parle d’une seule langue ; il y a donc unité humaine. Cette unité fait l’union, et l’union fait la force.

Aujourd’hui il faut regarder derrière les apparences du monde que nous connaissons. La mondialisation impose, par sa pratique, la langue anglaise et ses termes au monde entier. Nous voyons, depuis la chut du bloc communiste soviétique, l’idée d’une gouvernance mondiale unique qui progresse. La crise du Covid19 est un formidable accélérateur de cette idée. Or, toute gouvernance mondiale est, par nature, porteuse du risque de totalitarisme, par l’absence de toute alternative et la concentration du pouvoir avec tous ses moyens de coercition et de contrôle.

Le projet de Babel fait la preuve du génie inventif des hommes : les versets 2 et 3 montrent à la fois l’invention de la brique, des techniques d’assemblage et la naissance de la ville, donc l’idée  même d’urbanisation. Tout cela représente un progrès considérable, auquel il faut ajouter l’usage du bitume pour cimenter.

Si nous revenons à notre présent, nous ne pouvons que constater l’accélération technique absolument inédite des dernières décennies, notamment liée à l’essor de la science informatique. L’homme pense se sortir de toutes les impasses où il s’est enfermé par une réponse technique. Ainsi, face au réchauffement climatique, une nouvelle discipline est née, la géo-ingénierie, qui pense des remèdes planétaires à la montée du CO² ou à l’acidification des océans. Ce n’est pas le lieu ici de décrire ces projets. Il suffit de dire qu’ils sont prométhéens, totalement démesurés. De même, la crise du Covid19 doit se régler par la mise au point ultra-rapide de vaccins à ARN, technique directement liée aux manipulations génétiques, donc relevant du jeu de l’apprenti-sorcier dans de très nombreux cas. Nul ne songe, chez les divers puissants de ce monde, à interroger le mode de vie mondialiste, consumériste et destructeur de nos sociétés.

Le projet de Babel est à la fois transcendant et immanent. C’est donc un projet holistique, global et, aussi, à terme, totalitaire.

  • -transcendant, car la tour doit « toucher au ciel », et donc percer et détruire le mystère de la divinité.
  • -La tour sera dans une ville. Dans la Bible, la ville est une invention de Caïn, le meurtrier fratricide, pour aller se cacher de la face de Dieu. Genèse 4 : 17 :

« 17  Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc. Il bâtit ensuite une ville, et il donna à cette ville le nom de son fils Hénoc. »

  • -Le but final est de se « faire un nom », c’es-à-dire de devenir Dieu, car en hébreu, le mot Nom est une des appellations de Yahvé. Par leur technique et leur labeur, les hommes veulent devenir Dieu.
  • -Le projet est de rester réuni sous cette gouvernance divine des hommes-bâtisseurs. Il y a bien un désir de contrôle absolu.

La signification pour notre temps est limpide

  • -Le projet mondialiste édifie des tours de plus en plus hautes, qui portent toutes un nom, dont celui de certains hommes, comme la Tour Trump ou la tour  Rockfeller. C’est une transposition parfaite du désir de Babel.
  • -La ville, sous la forme idéale de la métropole mondiale (ou mégapole), est le seul modèle urbain promu, même chez les peuplades les plus rurales du monde (au Rwanda ou au Cambodge par exemple). Tout est pensé uniquement par et pour la ville et les urbains. Le modèle de la révolte contre Dieu est donc devenu exclusif (Je renvoie les sceptiques au splendide livre théologique de Jacques Ellul, Sans feu ni lieu).
  • -Tous les Etats luttent contre la dispersion la plus ancienne : les nomades sont partout persécutés et sédentarisés sous la contrainte, au nom du droit foncier, de la modernité, mais en réalité au nom du désir de contrôler des peuples libres. C’est uniquement pour pouvoir mieux « surveiller et punir », pour reprendre un titre du philosophe Michel Foucault, dans lequel il analyse cette tendance de nos sociétés modernes.
  • -La gouvernance mondiale avance inexorablement depuis 1945. Ne nous laissons pas abuser par les épisodes communistes ou le rôle actuel de la Chine. Peu à peu, les intérêts convergent et l’étau se resserre sur nos libertés, et nos vieilles nations luttent vainement pour ne pas être effacées. Le projet européen, derrière sa pseudo-origine démocrate-chrétienne (fausse mais promue, l’histoire récente l’a prouvé) participe à cette marche vers  le gouvernement mondial. Ce qui est testé à 27 ou 28 pays est appelé à se généraliser.

Conclusion

Nous pourrions appeler ce que nous vivons « Le projet Babel II ». Ce projet est accompagné d’un travail de propagande jamais égalé dans l’histoire et se déployant à l’échelle mondiale. La phase la plus avancée est celle du gouvernement numérique du monde par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Microsoft), sociétés plus riches et plus puissantes que beaucoup d‘Etats. La résistance symbolique n’a aucune chance réelle d’aboutir, sauf si les terriens acceptent de se déconnecter et de changer leur habitudes.

Mais en parallèle avec les GAFAM, il existe toute une galaxie d’organisations connues (OMS, FAO, UNESCO, OMC…) ou très secrètes (comme els grandes fondations), qui posent, brique après brique pour construire Babel II.

Alors, tout est donc fichu ? Il n’y a plus qu’à se résigner ?

Si on s’arrête au verset 4, cela est le constat évident. Mais le récit comporte une deuxième partie, qui sera l’objet de la méditation suivante.

Jean-Michel Dauriac – Février 2021.

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Petit traité littéraire de l’art de la biographie

A propos de Mes vies secrètes  Dominique Bona

Gallimard folio, 2020, 330 p.

J’avoue que je ne connaissais pas du tout Dominique Bona, cette académicienne sexagénaire, dont la bibliographie annexée à la fin de ce volume atteste qu’elle s’est acquis une belle réputation de biographe, en sus des romans initiaux par elle publiés. Mais je l’ai entendu un jour, lors d’une émission télévisée, parler de sa vie et de son métier. Et elle m’a séduit par son apparente simplicité et sincérité. La lecture de ce livre a confirmé que ce n’était pas qu’une apparence ou une posture, comme trop souvent chez les artistes. Comme quoi, contrairement à ce que prétendent les intellectuels aigris, la télévision a une utilité culturelle, y compris pour eux-mêmes s’ils étaient moins imbus de leurs privilèges de caste de « sachant », selon l’immonde expression en cours. Je n’aurais jamais acheté ce livre dans ma petite maison de la presse d’Aigurande (36) si je n’avais vu madame Bona sur le petit écran. Il n’y pas que France culture et les pages du Monde !*

J’ai abordé ce livre avec un certain scepticisme, peut-être à cause de ma réserve sur le membres d’hier et d’aujourd’hui de l’Académie française, où le meilleur côtoie le médiocre (voir mon texte sur Emile Faguet : https://blogjeanmi.danslamarge.com/?p=626 ). Le début pouvait mal augurer de la suite :

«  J’étais nue, complètement nue, au milieu de gens nus, sur le pont d’un bateau écrasé de soleil, au large de Majorque. » p.11.

Avouons que cet incipit peut présumer d’un livre de baba cool sur le retour. Mais dès la dernière phrase ce paragraphe, l’ambiguïté est levée :

« J’avais une excuse d’ordre professionnel : j’écrivais une biographie de Romain Gary. » ibid.

Quand on aura lu la suite du livre, il sera alors aisé de mesurer la prise de risque de l’auteure de commencer ainsi son livre, en donnant une vraie fausse piste et la possibilité d’une image tout à fait erronée. Car ce que je retiens en ayant lu cet ouvrage, c’est l’idée d’une femme responsable et tout sauf baba cool ou « évaporée », comme on disait autrefois. Tout ce que narre D. Bona est sérieux – mais pas du tout austère et « chiant » pour le dire comme les « djeun’ » que les vieux copient souvent – et de bon aloi.

Même s’il faut se méfier des apparences, lorsque je regarde cette magnifique tête de femme mûre, je ne peux m’empêcher d’être frappé par le regard franc et la retenue du léger sourire imprimée sur le visage. Je prends le risque de dire que ce visage reflète une vie empreinte de travail, de sérieux et de fidélité à une matrice sociale, ce qui n’exclut pas la possibilité de l’espièglerie. Au fil de la lecture du livre, nous découvrons, par toutes petites touches impressionnistes, des détails de sa propre vie. Mais Mes vies secrètes n’est pas comme le titre pourrait, de manière très subtile, le suggérer, une autobiographie, ou alors seulement en toile de fond.

J’ai lu ce livre comme un traité de l’art de la biographie qui a l’intelligence de ne pas le dire et de le montrer. D. Bona a choisi un plan thématique assez fin et des titres romanesques, qui brouillent les pistes si on ne fait que les survoler dans la table des matières. En réalité, on peut mettre en équivalence de chaque titre de chapitre un ou plusieurs noms de personnages dont elle a traité la biographie. Ainsi le chapitre 1 « Le soleil de Majorque » =  Romain Gary, le chapitre 5 « Les dames galantes » = Les sœurs Hérédia, et ainsi de suite. Pour chaque personnage ou lot de personnages, D. Bona nous met en situation et nous explique comment elle en est venue à faire cette biographie et comment elle l’a approchée. C’est en cela qu’il s’agit vraiment d’un petit traité fort utile pour qui voudrait se lancer dans cet exercice. Mais ce livre a aussi un autre but, plus subliminal, bien que l’auteure se trahisse en quelque endroit. Il convient de réhabiliter le travail littéraire du biographe, qui apparaît comme le parent pauvre de la littérature, aux côté du roi Roman. Cet aspect me semble tout à fait important et judicieux. Une bonne biographie est le roman vrai d’une existence. Mais les lecteurs se précipitent sur les romans, dévorent les livres de témoignage (confer le succès planétaire, fort bien préparé, des mémoires de Barack Obama) et, finalement, boudent un peu les biographies, sauf si elles sont canoniquement historiques. Or, il faut de vrais qualités d’écrivain pour réussir une bonne biographie. Si le biographe est aussi romancier, c’est évidemment encore mieux. Pour moi, le modèle absolu reste Henry Troyat et sa biographie de Léon Tolstoï. Ce livre surpasse de loin tous les autres écrits de caractère plus ou moins biographiques de l’auteur russe. En effet, Troyat a su mêler une abondance de faits avérés et vérifiés (souvent pris directement dans les sources russe, car il était bilingue par sa naissance)  avec un art de raconter assez indépassable, car il faut – et demeure – un des plus grands romanciers du XXème siècle. Sa biographie se lit comme un roman, mais ce n’en est pas un, car elle est très fidèle à la vérité de la vie de Tolstoï[1]. Le travail de Dominique Bona est donc très utile pour remettre l’art du biographe à sa juste place.

Mais son livre a une autre vertu : celle de montrer comment se tisse une toile de relations qui guide le travail. A mesure que nous avançons dans la lecture des chapitres, nous constatons que se dessine une sorte de toile d’araignée qui, partant d’un nœud, se déploie sur un autre, puis finit par revenir au premier. Cette structure réticulaire est confirmée lorsque, parvenue à la dernière ligne et au point final, nous parcourons la liste des œuvres de Dominique Bona, en fin de volume. Si le premier linéament se nomme « Romain Gary », il est vite doublé par la galaxie « Rouart – Hérédia – Morisot et consorts ». C’est une sorte de jeu de miroirs auquel nous convie l’auteur. Les premières explorations familiales et artistiques la mettent au contact de personnages qui l’intriguent ou la passionnent, et les biographies s’enchaînent. Mais il y a aussi des évitements ou des refus. La piste Gary est un cul de sac ; Elle n’y reviendra pas. On trouve également ce que j’appelle les « candidats recalés » de la biographie. D. Bona leur consacre un chapitre joliment titré « Les âmes errantes ». Elle nous dévoile là les noms de ceux qu’elle a croisés, suivis un moment, puis finalement laissés à leur oubli. Je crois que ce musée des recalés est le propre de tout écrivain. Chez le romancier, c’est la famille des personnages transparents, de passage ou avortés. Ils constituent l’arrière-plan de toute œuvre, mais sont toujours  et à toujours oubliés. Ce thème des réseaux et des oublis me semble de toute première importance pour approcher une œuvre et en faire apprécier la cohérence. C’est l’approche contextuelle de la théologie : une des grandes clés de compréhension des textes. Mais, au-delà, je crois aussi que c’est une clé pour comprendre l’oeuvre d’un lecteur. Car je suis convaincu qu’un grand lecteur construit, pour lui-même – et parfois pour ses proches -, une œuvre par son cheminement dans la jungle de la littérature et de la pensée. Or, nous procédons exactement comme Dominique Bona le décrit dans son livre, par des rencontre d’abord hasardeuses, puis des recoupements accidentels et , à la longue, « avec le temps », par une recherche délibérée de liens entre nos lectures. Il y a un temps pour tout dans la vie du lecteur : L’adolescence et la jeunesse sont l’âge de l’exploration, des engouements et des dégoûts, des culs de sac et des grandes perspectives ; la maturité est celle de l’accumulation qualitative, où l’on explore encore, mais à moindres frais. On revient sur certains itinéraires, on cible ses voyages. Puis vient l’âge de la maturité, celui où l’on commence à savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas du tout, celui où l’on sait que le temps nous est compté. On se recentre sur les grands amours, sur les classiques, on découvre par la toile d’araignée qui s’est construite sans  qu’on n’y prenne garde. Les rayons de la bibliothèque s’éclaircissent et s’homogénéisent : peut-être devient-on un peu sage. Il n’y a pas de vieillesse pour le lecteur, seulement la maturité.

Mes vies secrètes est bien l’exemple parfait qui contredit un  peu ce que je viens de dire à l’instant ci-dessus. Je n’aurais jamais dû acheter et lire ce livre, si je m’en étais tenu à l’approche raisonnable décrite. Mais, heureusement, il y encore de l’imprévu et des rencontres. Bien entendu, je ne regrette nullement d’avoir fait ce détour. Et, en bonne logique de lecteur, je viens d’acheter son Romain Gary et son Berthe Morisot. Je vous reparlerai donc sans doute de Dominique Bona !

Beychac, le 16 avril 2021


[1] J’ai écrit une thèse de théologie sur Tolstoï et donc eu l’occasion des consulter toutes les biographies en langue française sur Tolstoï : celle de Troyat domine le lot de très loin.

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Les chemins de conversion : le cas très particulier de Léon Tolstoï

La plupart des lecteurs – pour ne pas parler des autres – ignorent que Léon Tolstoï n’est pas que l’immense artiste auteur de « La guerre et la paix » ou « Anna Karénine », mais aussi un penseur social, philosophique et politique de premier ordre, pour ne pas dire un philosophe – ce que certains philosophes disent et écrivent de lui[1]. Un plus grand nombre encore ignore que Léon Tolstoï vécut un changement radical dans sa vie à l’âge de cinquante ans et que ce changement engagea tout le reste de sa vie dans un chemin prophétique où il devint un maître pour des milliers de gens par sa pensée sociale et religieuse. Mon propos n’est pas ici d’étudier ce contenu (ce sera fait pas ailleurs)., mais le moment de ce que j’appelle la conversion de Tolstoï. Nous possédons des écrits précis et clairs qui établissent ce fait[2]. En conclusion de cette étude sur les modalités de conversion, présenter le cas Tolstoï est, de mon point de vue, la meilleure manière de faire sentir au lecteur de ces lignes la complexité de ce moment.

Rappelons très brièvement la vie de Léon Tolstoï.

Né en 1828 à Iasnaïa Poliana, Russie, dans une famille aristocratique de vieille noblesse russe, il perd sa mère très jeune, puis quelques années plus tard son père. Il sera élevé, avec son frère, successivement par sa grand-mère et ses tantes. Il entame des études universitaires qu’il ne conclut pas, s’engage dans l’armée quelques années, participe à la guerre du Caucase et au siège de Sébastopol. Il démissionne de l’armée après cet épisode, écoeuré par la violence de la guerre. C’est à l’armée, durant les périodes d’inaction, qu’il a commencé à écrire des souvenirs qui seront publiés et connaîtront le succès (Enfance, Adolescence et Jeunesse). Ses « Récits de Sébastopol » contribuent aussi à le rendre célèbre : c’est décidé, il sera écrivain. Il fréquente un peu la société lettrée de Pétersbourg, où il mène la vie dissolue de jeune aristocrate. Puis il retourne vivre à ianaïa Poliana et gérer son domaine. Il se marie en 1862 avec Sofia Bers et commence alors une période féconde de mari, père de famille et romancier à succès. « La guerre et la paix » est un triomphe, il vit bien de sa plume, gère un domaine agricole important, a une femme intelligente qui le révère et le soutient dans son travail. Il décrit cette période comme la plus heureuse de sa vie. Pourtant cette béatitude prend fin brutalement, une nuit dans une auberge de la bourgade d’Arzamas. Cette nuit-là, Léon Tolstoï lutte littéralement avec la mort et sort de là effrayé et convaincu que la vie n’a pas de sens puisqu’elle ne conduit qu’au néant de la mort. Ila quarante et un ans, nous sommes en 1869. Il commence alors une quête de sens tous azimuth et lit beaucoup de philosophie (Schopenhauer notamment, qu’il apprécie beaucoup), mais aussi de science. Il ne trouve aucun sens à tout ce qu’il lit et apprend[3]. C’est l’époque de la rédaction d’ »Anna Karénine », roman qui porte les traces de la lutte intérieure de son auteur. Grand succès qui installe définitivement au sommet des lettres russes, et pas seulement elles. Il a tout pour être heureux : succès, amour, famille… et pourtant, il souffre terriblement. Si l’on en croit ses crits, cette lutte intérieure avec toutes ses facettes durera neuf longues années. A l’âge de cinquante ans, enfin, il trouve la réponse à sa quête de sens. Il ne la trouve nullement chez Kant ou Schopenhauer, mais dans le peuple russe, qui el guide à al foi en Christ. Nous sommes en 1879. Ainsi naît celui que j’appelle « le second Tolstoï », celui qui mourra en 1910 dans le bureau du chef de la petite gare d’Astopovo, alors qu’il s’enfuyait de chez lui pour vivre enfin selon ses désirs. Trente années de vie de converti qui vont produire un grand nombre de textes, tant littéraires[4] que politiques, sociaux ou religieux[5]. Tolstoï revendiquera alors constamment dans sa vie et son œuvre sa foi en Jésus et en Dieu. Nous devons donc le considérer comme un croyant converti[6]. Il entre pleinement dans cette étude.

Revenons maintenant brièvement sur la conversion elle-même, à partir de ce qu’en dit Tolstoï lui-même. Nous pouvons, dans son cas, poser une chronologie particulière que nous avons effleurée ci-dessus.

  • Dans son enfance et son adolescence, le jeune Léon est élevé dans la foi orthodoxe et il y adhère naturellement.

« Depuis ma première enfance, depuis que j’ai commencé à lire les Evangiles tout seul, j’ai été touché et attendri surtout par les passages où le Christ prêche l’amour, l’humilité, le sacrifice, el don de soi et la non-violence.[7] »

  • Puis il entre dans une vie sans foi, à partir de la fin de son adolescence[8], et mène une vie sans Dieu.

« Voici cinquante-cinq ans que ej suis venu au monde, et à l’exception des quatorze ou quinze années de mon enfance, j’ai vécu pendant plus de trente-cinq ans en nihiliste au sens premier de ce mot qui ne veut pas dire socialiste, ni révolutionnaire comme on le croit d’habitude : non, nihiliste je l’ai été en ce sens que toute foi me faisait défaut.[9] »

Ainsi commence le texte « Quelle est ma foi ? » (aussi traduit parfois par « ma religion »). Ce qui nous conduit à la cinquantaine et au moment du retournement complet de la conversion.

  • Celle-ci est décrite ainsi.

« Il y a cinq ans, j’ai cru à l’enseignement du Christ, et ma vie a soudainement changé.[10] »

Nous retrouvons ici deux éléments-clés du moment de conversion : la foi en christ et la soudaineté du changement. Il précise celui-ci un peu plus loin :

« L’orientation de ma vie, mes désirs ont changé : le bien et le mal ont interverti leurs places. [11]»

Encadré 5 : Conversion de Tolstoï : une critique sévère, celle d’Ellen Myers

« La Confession de Tolstoï démontre qu’il n’était en aucune manière converti de son propre ego, certainement pas au Créateur et Rédempteur souverain, transcendant (“autre-que-moi ”) de la Bible qu’il a rejeté tout son cœur, âme, esprit et force. Plutôt il a été “converti” d’une dévotion périodique, à une dévotion à temps plein et tenace à sa propre personne et à sa perfection morale par ses propres efforts. Et cette « bonté » humaine, sans la grâce de Dieu, il ne pouvait qu’échouer, ce qui n’a pas manqué. Si on devait paraphraser Romains 8:28 « Toutes choses concourent au mal de ceux qui détestent Dieu”, cela a été corroboré par la suite de la vie inconvertie de Tolstoï. » Ellen Myers , La conversion de Tolstoï – 2000

voici ce qu’écrit l’auteure américaine Ellen Myers à la fin d’un article discutant la conversion de Léon Tolstoï. Cet article est intéressant par son positionnement religieusement engagé. Ellen Myers réagit en chrétienne évangélique sans doute « born again » et dresse la liste de tout ce que le grand auteur russe ne peut accepter dans le christianisme. Mais elle pratique ainsi l’amalgame. Elle réfute le  droit de chrétien de Tolstoï – ce qui est parfaitement légitime – mais réfute en même temps ipso facto la réalité de sa conversion, au chef qu’elle ne produit pas un croyant orthodoxe. C’est compréhensible mais critiquable. Cette mise en cause apparaît dès le titre de l’article où le mot « conversion » est mis en italique.

Tolstoï précise d’ailleurs qu’il a cru à « l’enseignement du Christ » et qu’il en a été sauvé. Il est donc incontestable que Tolstoï a connu ce retournement et ses fruits que nous appelons « conversion ». En cela il rejoint Claudel, Péguy, Ellul, Augustin et des millions d’autres dans l’histoire. Mais si je m’arrêtais là, je en serais ni exhaustif ni honnête. En effet, la conversion de Tolstoï procède, nous l’avons dit plus haut, d’une longue crise antérieure. Nous retrouvons donc ici un des éléments de la conversion philosophique ou existentielle présentée plus haut. Or, pendant cette longue crise, Tolstoï a été extrêmement actif, cherchant à résoudre cette crise existentielle qui le rongeait. Ici le texte de référence est « Confession » qui constitue un des plus beaux textes d’introspection qui nous ait été donné[12]. L’auteur s’y applique la même rigueur analytique qu’il mettait dans ses romans. Grâce à cela nous connaissons par le détail tout le cheminement de la pensée de ce génie littéraire qui se dévoile ici comme un homme hypersensible et tourmenté. Car il cherche la réponse dans la raison et la philosophie. Il mène une étude des sciences de la vie très poussée et en conclut qu’il fait fausse route.

« Il se trouvait qu’une telle réponse n’était pas appropriée à ma question.[13] »

Il comprend que le but de la science « dure » n’est pas de donner le sens de la vie mais de résoudre des énigmes physiques, chimiques ou astronomiques. Il se tourne donc vers les sciences spéculatives qu’il appelle symptomatiquement « demi-sciences[14] » (ce que nous appelons aujourd’hui « sciences humaines »). Il découvre que seule la philosophie se préoccupe de sa question existentielle, sur le sens de cette existence. Mais elle y répond par des réponses qui ne le satisfont pas.

« C’est la réponse qui me fut donnée par Socrate, Schopenhauer, Salomon, le Bouddha.[15] »

Il connaît ces réponses, il les a lues et étudiées. De ce savoir, il conclut cependant.

« Rien ne servait de m’abuser. Tout était vanité. Heureux était celui qui n’était pas né, la mort valait mieux que la vie : il fallait se libérer de cette dernière.[16] »

Il donne d’ailleurs en citation dans son ouvrage la quasi-intégralité des deux premiers chapitre du livre du Qohélet[17]. Et conclut pareillement à la vanité de toutes choses. Il pense alors au suicide, ce que ne conclut absolument jamais l’auteur du livre biblique qui , lui, parvient à une conclusion positive malgré la lucidité de son constat.  Il sortira de cette impasse intellectuelle en observant la foi du peuple russe, qui lui donne la force de vivre et de se réjouir même dans ce monde absurde. Il fait là retour à la pratique populaire orthodoxe assidue, va à la messe quotidiennement et pratique tous les rituels. Il a trouvé le lieu de la vraie foi.

« Je me mis à regarder de plus près la vie et la croyance de ces gens, et plus je les sondais, plus je voyais qu’ils avaient la vraie foi, nécessaire pour eux, et qu’elle seule leur donnait le sens et la possibilité de la vie.[18] »

Mais identifier cette foi et vouloir la vivre va s’avérer difficile, puis impossible, malgré m’immense désir personnel de Léon Tolstoï de se conformer. Il l’exprime parfaitement, avec sa clarté habituelle et sa lucidité extrême.

«  De toutes les forces de mon âme, je désirais être capable de me fondre dans le peuple en suivant sa foi jusque dans le rituel ; or, j’en fus incapable. Je sentais qu’en le faisant, je me serais menti à moi-même, j’aurais moqué ce qui était sacré pour moi.[19] »

Que se passe-t-il donc qui l’empêche de vivre cette foi sincère et populaire ? S araison l’empêche de tout croire dans la religion orthodoxe. Il faut accepter la résurrection.

« Mais la fête principale était la commémoration de l’événement de la résurrection dont je ne pouvais imaginer ni accepter la réalité.[20] »

En effet, dans la confession orthodoxe, la plus grande fête est Pâques, durant laquelle les fidèles se saluent d’un échange rituel de phrases : « Christ est ressuscité ! – Il est vraiment ressuscité ! ». Phrase que l’on en peut raisonnablement pas prononcer si l’on ne croit pas à la résurrection ! Léon Tolstoï a aussi du mal avec le dogme de la trinité, il rejette les miracles…

Il finit par tirer la conséquence de ses positions doctrinales et renonce à l’orthodoxie. Car il a en plus perçu par sa recherche le caractère exclusif que défendent toutes els confessions chrétiennes[21]. Lui veut d’une foi tolérante et universelle comme l’enseignement du Christ dont il a enfin perçu le sens.

« Le mensonge, comme la vérité, était transmis par ce que l’on appelle l’Eglise.[22] »

Dès lors le converti Tolstoï chemine en marge des églises. Il croit à l’enseignement du Christ mais rejette tout ce qui choque sa raison. Il réécrira d’ailleurs les quatre évangiles commentés dans son optique personnelle. Il trouve la clé qui lui ouvre la compréhension globale des Evangiles dans le verset 39b du chapitre 5 de l’Evangile selon Saint Matthieu :

«  Mais moi, je vous dis ne pas résister au méchant. »

La non-résistance au mal et au méchant devient le fondement de sa foi, son paradigme de lecture évangélique. C’est d’ailleurs cet aspect qui touchera le jeune avocat indien Gandhi, qui échangera quelques lettres avec lui et lui empruntera le concept de non-résistance au mal, formulé par lui sous le nom d’ahimsa, notion commune aux spiritualités orientales (hindouisme, bouddhisme, jaïnisme ou sikhisme).

Encadré 6 : La conversion de Paul Claudel (1868-1955)

L’écrivain et diplomate Paul Claudel est un des convertis les plus célèbres du XIXème siècle. Il a couché par écrit le récit de sa conversion, qui est instantanée et donc parfaitement datable et située. Nous sommes le ,25 décembre 1886, lors des offices de Noël à Notre-Dame de Paris. Il assiste aux vêpres, debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur.

« En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, de l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. »

Nous avons là les éléments d’un retournement radical et subit. Certes Claudel n’était pas athée, mais il se désintéressait de la religion. Il est venu aux offices  pour observer le comportement des foules. Il décrit très précisément ce qui le remplit d’un seul coup, une conviction absolue qui ne le quittera plus jamais. Mais il raconte ensuite les quatre années de résistance que son esprit rationnel oppose à cette révélation. Il se met à lire une bible protestante, il doit ainsi se battre avec l’influence de Renan et de sa « Vie de Jésus », livre qui a eu une très forte résonnance chez les intellectuels et la jeunesse de cette époque. Sa lutte fut rude, mais c’est finalement, pour lui, la vie de l’Eglise Catholique Romaine et le spectacle de la messe qui ont remporté le combat. Il fit sa seconde communion le jour de Noël, quatre ans après la conversion, le 25 décembre 1890, à Notre-Dame. Il devint ensuite le grand écrivain catholique que l’on connaît.

Cette expérience est intéressante par le fait qu’elle nous donne à voie la lutte spirituelle qui a eu lieu après la conversion. Tout ne s’est pas éclairci d’une seul coup, il a dû mener un dur combat contre la raison raisonnante qui triomphait dans ce contexte positiviste. La conversion de Claudel est donc une combinaison de l’instant et du temps plus long, comme el cheminement de Péguy, ou celui d’Augustin, qui tous deux ont mené la lutte avant la révélation. De cette diversité, nous pouvons donc déduire qu’il n’y a pas de règle et de modèle de conversion ; chaque conversion est unique, comme chaque être humain.

De ce qui précède nous pouvons déduire l’originalité très puissante de la conversion de Tolstoï, qui ne saurait être comparée à celle de Claudel ou Péguy (voir encadré) lesquels ont intégré plus ou moins vite l’Eglise Catholique Romaine (avec moultes résistance pour Péguy) et y sont demeurés. La conversion de Tolstoï s’intègre dans son combat prométhéen de créateur hypersensible. Il ne peut pas se contenter d’adhérer sans réflexion, il est trop sincère et trop fier pour devenir un mouton du troupeau ou feindre. De mon point de vue, son cas est remarquable en ce qu’il associe en une seule personne des caractères des deux types de conversion présentées dans cette étude. Ses propos sans équivoque sur le Christ qui le sauve attestent d’une conversion chrétienne. Mais sa démarche d’analyse rationnelle, son implication postérieure au plan social en font aussi un converti philosophique et existentiel. Son rejet total de l’Etat, maintes fois formulé dans les textes politiques en fait incontestablement aussi un anarchiste. Son désir de revenir à la seule vie saine pour lui, celle des paysans, le situe dans une démarche plutôt philosophique, assez proche du stoïcisme. La complexité de cette conversion a double face en fait un cas unique. Cette conversion chrétienne est par ailleurs contestée, parfois violemment, comme j’en donne ci-dessous un exemple.

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Conclusion

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Nous avons voulu, dans cette étude, mener une comparaison thématique entre les deux chemins de conversion classiques, la conversion philosophique et la conversion religieuse, ici chrétienne. Notre point d’appui philosophique, l’oeuvre de Robert Misrahi, ne nous fait pas ignorer dans quelle généalogie millénaire elle s’inscrit, de la Grèce classique à nos jours. Le format de l’étude et le désir de s’inscrire dans notre temps m’ont amené à ce point d’appui. Misrahi n’est que le dernier penseur d’une lignée démarrant chez Socrate et cheminant ouvertement ou implicitement dans l’œuvre philosophique occidentale. Que nous apprend cette étude ?

En premier lieu, que les hommes cherchent avec assiduité et ténacité à vivre dans le bonheur. Cette recherche irrigue tout l’écrit occidental philosophique, poétique ou romanesque. Seule l’époque capitaliste contemporaine l’a reléguée au magasin des accessoires et a proposé des marchandiser des ersatz, sous le nom de « bien-être », « développement personnel », « croissance » ou « développement ». Le constat d’échec de ce modèle est patent, et le « désenchantement » weberien du monde n’est pas où il le croyait.

En deuxième lieu, nous apprenons que le bonheur (ou la justice, le bien, ou la liberté, autres termes de quête similaire) est objet de travail. D’abord sur soi. Si la crise en est un temps fort, elle est aussi le point d’éclairement à partir duquel tout peut se reconstruire (cf. plus haut). Mais ceci ne va pas sans effort et sans travail réflexif et/ou spirituel. Le bonheur existe mais il n’est pas aisé d’accès. Il ne saurait se confondre avec un achat quelconque, une médication-miracle. Que ce soit le philosophe ou le chrétien, tout commence de ce travail avec la conversion. Ce n’est pas un hasard si le terme « seconde naissance » – ou « nouvelle naissance » –  est usité dans les deux cas. L’enfant ne naît pas adulte, il doit grandir, se nourrir, apprendre, souffrir, pour devenir un homme accompli. Ceci contredit à tous égards un hédonisme mercantile, un coaching à la petite semaine.

En troisième lieu, nous pensons avoir bien montré que l’intelligence et l’esprit sont ici à l’œuvre totalement dans ce retournement. Que ce soit en chrétien ou en philosophe, le « miracle » n’existe pas – même si la révélation et la grâce sont réelles – et le changement est celui du regard, de l’état d’esprit, de la nature de l’entendement, pas celui de nos connaissances, nos pratiques, nos habitus divers. Notre responsabilité est de mettre en œuvre ce changement. Que ce soit le philosophe ou l’apôtre, la suite de la vie doit attester du travail personnel et public. L’œuvre doctrinale de Paul ou d’Augsutin, la réflexion de Tolstoï, la création de Claudel, tout nous parle d’un travail accru par la conscience de la responsabilité. La foi du charbonnier est une insulte pour les charbonniers. Nous pouvons lire ceci dans le second testament :

«  Bien aimés, comme je désirais vivement vous écrire au sujet de notre salut commun, je me suis senti obligé de le faire afin de vous exhorter à combattre pour la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. »

Cette transmission de la foi est tout autant la suffisance de la révélation christique et son caractère achevé tel que décrit dans la lettre aux Hébreux. Le converti est saisi par la foi. Jacques Ellul a cette formidable formule totalement vraie : « La foi m’a » et non le traditionnel « j’ai la foi[23] ». Il nous apparaît donc que ce que reçoit ou saisit le converti, c’est cette clé, ce collyre qui lui ouvre les yeux. Mais rien de plus. Tout est là déjà, mais tout est à faire. Commence alors la vie à reconstruire, soit philosophiquement, soit religieusement[24].

Enfin, il ressort aussi de la conversion qu’elle est un moment de liberté. Paul, sur la route de Damas, aurait pu regimber ;Augustin aurait pu quitter le jardin, Claudel tourner le dos et partir… Le choix demeure toujours l’ultime fait.

Jean-Michel Dauriac


[1] Cf « La philosophie de Tolstoï » d’Ossip Lourié ou « Tolstoï et Nietzsche » DE Léon Chestov, par exemple.

[2] Les deux textes de base sont « Confession » et « Quelle est ma foi ? ». voir bibliographie finale.

[3] Ceci constitue l’essentiel du texte de « Confession ».

[4] Les grandes nouvelles et son troisième grand roman, « Résurrection ».

[5] a liste en est fort longue. Il n’y a malheureusement aucune édition complète en français, à part celle de Stock en 1912. Ces textes sont donc très difficiles à trouver. Des petites maisons d’édition republient à l’unité certains de ces écrits.

[6] Savoir quel est le contenu de sa foi est un autre problème, auquel ma thèse sera consacrée.

[7] In « Confession »

[8] Nous renvoyons à une étude à venir sur le contenu religieux de la trilogie à caractère autobiographique.

[9] Op. cit. page 121

[10] idem

[11] Toutes les références qui suivent viennent de « Quelle est ma foi ? ». ici page 122.

[12] Je le range aux côtés des livres au même titre de saint-Augustin et J.Jacques Rousseau.

[13] Page 49.

[14] Cette période est celle de la naissance formelle de ces sciences nouvelles que sont la sociologie, l’anthropologie, la géographie humaine…

[15] page 51

[16] page 59

[17] Plutôt appelé « Ecclésiaste » dans les versions chrétiennes de la Bible

[18] page 52

[19] page 99

[20] page 103

[21] le fameux « Hors de l’Eglise point de salut » accommodé selon des variantes par les dénominations et églises.

[22] Page 114

[23] in « La foi au prix du doute »

[24] J’emploie ce terme faute de mieux, car la religion n’est pas ici concernée, mais la foi et la spiritualité chrétienne.

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