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Catégorie : la musique

Sacrée Fête de la musique 2025 !

S’il ne devait rester qu’une seule chose des années Mitterrand, ce serait la Fête de la musique. L’idée géniale de coupler ce grand moment populaire au solstice d’été est une façon de renouer avec les rites païens cosmiques. Bien qu’elle ait été largement récupérée par le monde du business, cette fête reste ce qu’elle était au départ : la célébration populaire de la musique, à laquelle tout le monde peut participer, quel que soit son niveau musical. De plus, ce moment de communion ne s’est pas cantonné au monde urbain, comme c’est souvent le cas des pratiques culturelles, mais il marque aussi profondément la France rurale, celle des territoires et des gens oubliés, ceux que le géographe Christophe Guilluy appelle « les oubliés ». J’ai longtemps pratiqué la Fête de la musique comme musicien de jazz, avec mon groupe Jazzpotes, puis Jazzéthic. Depuis le Covid, je me borne à la faire en auditeur-spectateur, en attendant de redevenir acteur. J’ai aussi choisi de la vivre dans ma patrie d’adoption, la Creuse et sud du Berry, autour de chez moi. J’ai déjà rendu compte dans une série d’articles de la vitalité de la vie culturelle en milieu rural profond (liens). Cette édition 2025 a été pour moi l’occasion de vérifier cette vitalité. C’est ce que je veux partager avec vous.

Cette année, la Fête de la musique tombait idéalement un week-end – c’est beaucoup moins pratique en semaine ! -, qui plus est avec un temps au beau (et très chaud !) fixe. C’est d’ailleurs sans doute cette chaleur étouffante qui m’a poussé à choisir deux concerts dans des églises du coin. Les architectes médiévaux savaient fort bien « climatiser » leurs constructions. Dans ma petite patrie, il existe un hebdomadaire plus que centenaire, L’écho du Berry, qui fait très bien son travail d’information locale, notamment au plan culturel. Il dresse une liste de toutes les manifestations proposées dans son périmètre. C’est par lui que j’ai pu choisir mes deux concerts du samedi et du dimanche. Il s’agissait donc de deux concerts dans des églises et avec des chorales, autour du répertoire de musique dite « sacrée[1] ». Il faut distinguer d’emblée cette musique de la musique ou du chant liturgique, qui sont des composants du culte. Les compositions peuvent être incorporées à certaines cérémonies, mais elles ne sont pas partie prenante de la liturgie ordinaire des cultes. Reconnaissons cependant que les compositeurs ont le plus souvent pris comme base textuelle des textes d’église, en latin dans la plus grande partie des cas. Mais ce choix a été rejeté par un compositeur comme J.S. Bach qui a composé sur des textes en allemand, ou Brahms avec son Requiem allemand. Le latin n’est pas la langue officielle de la musique sacrée, mais il y joue, historiquement, un rôle majeur.

Deux concerts, deux lieux différents, deux ambiances différentes et deux qualités musicales différentes, mais un même amour-passion de la musique chez les exécutants : on est donc bien dans l’esprit de la Fête de la musique.

Samedi soir 21 juin, 20 h 30, Basilique de Neuvy Saint Sépulchre (Indre), la maîtrise de la cathédrale d’Angers se produit gratuitement avec un répertoire historique allant du XIIe siècle à nos jours. Le décor est somptueux : la basilique est une des rares églises rondes de France, une belle copie de celle de Jérusalem, datant du XIIe siècle. Evidemment la rotonde n’est pas la forme qui facilite le plus la vision durant les concerts, comme le montre la photographie ci-dessus. Par contre, l’acoustique de cette salle, avec son étage et sa coupole très haute, est exceptionnelle, ce que les choristes et leur chef ont bien senti est exploité. Ainsi firent-ils une entrée scénarisée en tournant, en deux groupes de sens opposés, autour des douze énormes piliers. Le résultat sonore était extraordinaire, on eût dit une longue volée de cloches, durant le chant du motet inaugural. C’était gagné dès le départ : une telle entrée en matière sonore ne pouvait laisser personne indifférent. L’assistance était nombreuse et captivée. La Maîtrise de la cathédrale d’Angers est un des plus vieux chœurs de France, sa fondation remontant au XIVe siècle. Son but premier est l’accompagnement des offices dans la cathédrale. Mais son activité va bien au-delà. Elle se produit en concert, à domicile et à l’extérieur, dans un répertoire de musique sacrée. Son actuel chef de chœur est aussi maître de chapelle de la cathédrale, c’est Sylvain Rousseau. Le chœur dispose aussi d’une accompagnatrice au piano pour certaines pièces plutôt modernes, Camille Pineau.

La formation venue à Neuvy était composée d’un peu plus d’une vingtaine de chanteurs et chanteuses, réparties dans les quatre pupitres habituels. Si les chanteurs sont amateurs dans leur état social, ils sont bien du niveau professionnel dans leur exécution. Le répertoire leur a donné l’occasion de chanter un panorama du chant sacré du Moyen Âge au XXIe siècle, ce qui permettait à l’auditeur attentif de bien mesurer les changements, jamais brutaux, dans un genre très cadré par définition. C’est surtout le répertoire du XXe siècle qui acte l’évolution. Les six oeuvres interprétées (voir le programme ci-joint) rendaient compte d’un changement réel dans la continuité qu’impose la relative permanence des offices.

La direction du chœur autorise un très jeu de nuances, particulièrement mises en valeur dans l’écrin roman de la basilique : les fortissimo étaient vraiment impressionnants, enveloppant dans une pâte sonore tout le lieu, embarquant de ce fait les auditeurs, les détachant pour une heure des pesanteurs de la vie ordinaire, tant il est vrai que cette musique élève l’âme et allège le poids du corps quotidien. Le final fut étincelant, avec un phrasé staccato des hommes établissant une basse continue sous le drapage des voix féminines de l’Exultate de Carl Jeankins. L’exécution impeccable laissait passer toute la sensibilité spirituelle de ces morceaux. Le public l’a bien compris, qui a fait un triomphe aux chanteurs, lesquels ont promis de revenir, séduits par l’acoustique sublime du lieu.

Dimanche 22 juin, 17 h 00, Eglise Saint -Pierre-ès-liens de Châtelus-Malvaleix,  Creuse. Le décor est plus modeste, c’est une église de village assez ordinaire, mais que le public a rempli. Les chanteurs sont venus en voisin, de Guéret, la préfecture microscopique du département. Initialement le concert comportait deux parties : le Quatuor vocal Canthem ouvrait avec un répertoire éclectique allant de Palestrina à Poulenc. Mais avant le début du dit concert, les organisateurs annoncèrent que le quatuor en se produirait pas, la soprano étant en rupture de voix. Il ne restait donc que la deuxième partie, assurée par l’Ensemble vocal de Guéret, sous la direction de Marie-Christine Josset. Cet ensemble est soutenu par le Conservatoire de Guéret qui lui fournit chefs de chœurs et locaux de répétition. Il comprend une quarantaine de chanteurs répartis sur les quatre pupitres, avec une dizaine d’hommes, ce qui est assez remarquable pour être signalé, tant le déséquilibre est grand dans les chorales dont certaines se passent carrément de voix masculines, faute de recrues.

Compte tenu des circonstances, l’Ensemble n’avait prévu qu’une moitié de programmation, soit sept morceaux, donc une durée plutôt brève. La cheffe de chœur eut la présence d’esprit de présenter chaque morceau assez précisément, ce qui allongea un peu l’ensemble. Le répertoire était hétérogène, avec des pièces religieuses, mais aussi des chansons d’origines diverses, dont une version française de La Cumparsita, célébrissime tango, qui fut la tortue de certains jeunes accordéonistes de ma génération. Il serait malséant de comparer cet ensemble avec la Maîtrise de la Cathédrale d’Angers : comme le disait un grand philosophe du XXe siècle, Thierry Rolland, ils ne boxent pas dans la même catégorie. La Maîtrise sélectionne et exige un niveau de lecture et de chant de tous ses membres ; l’Ensemble vocal cherche avant tout à continuer de chanter et, pour cela, recrute avec beaucoup moins d’exigence. C’est le lot de la plupart des chorales. Ce qui ne veut pas dire que le résultat sera mauvais, car en chant choral la totalité vaut plus que la somme des parties. Autrement dit, on peut obtenir un résultat tout à fait honorable avec des chanteurs très moyens, ce qui compte alors étant l’unité de l’ensemble et le talent du chef de chœur pour faire monter la mayonnaise. De ce point de vue là, le concert de l’Ensemble vocal de Guéret est tout à fait correct. La masse collective existe et arrive à bien chanter ensemble. Les solos sont évités, remplacés par des solos de pupitre, plus sécurisant. En effet, l’âge moyen des choristes est assez élevé, comme dans la très grande majorité des chorales[2], et on sait que la voix ne s’améliore pas en vieillissant, son maintien étant déjà une belle chose. Les choristes s’en sortent bien, portés par leur désir de chanter et leur application. Le spectacle était donc tout à fait estimable et a fait la joie du public, qui en a redemandé, obtenant un bis de La Cumparsita.

Evidemment, si l’on mettait les deux ensembles côte à côte, il n’y aurait pas de doute : la Maîtrise d’Angers évolue à un niveau bien plus élevé, professionnel dans son exigence. C’est particulièrement sensible dans le jeu des nuances, beaucoup plus ouvert pour eux que pour l’ensemble de Guéret. Mais il faut aussi attribuer cela à l’âge des chanteurs, bien plus jeunes à Angers, donc plus puissants. Un autre facteur différentiel est sans nul doute également le niveau musical. Celui-ci permet à la Maîtrise d’aborder des pièces plus complexes que l’Ensemble vocal de Guéret. Mais je ne retiendrai pas ces différences de niveau, évidentes et incompressibles. Je ne veux garder que les deux moments de plaisir que j’ai vécus lors de ces deux concerts. Il y avait là la rencontre de deux mondes culturels : celui de la grande ville et de ses moyens et celui du monde rural, moins fourni. Mais la passion est la même et l’Ensemble vocal de Guéret apporte la preuve qu’on peut arriver à un résultat satisfaisant avec des gens ordinaires qui sont assidus et passionnés. C’est la définition de l’art populaire, celui que je défends dans ces colonnes.

Merci donc à ces deux ensembles de chanteurs pour la joie qu’ils ont donnée au public de la France périphérique venu les écouter et les apprécier de toute leur attention.

Pour en savoir plus sur la Maîtrise d’Angers : https://maitrisecathedrale-angers.fr/le-choeur.html

L’Ensemble vocal de Guéret est sur Facebook : https://www.facebook.com/ensemblevocaldegueret/?locale=fr_FR

Jean-Michel Dauriac – 23 juin 2025


[1] Je n’aime pas cette appellation qui laisse croire qu’il y aurait sur ces morceaux une inspiration particulière qui les distinguerait d’une musique triviale. Je préfère parler de musique d’inspiration religieuse, ce qui en qualifie le champ, mais ne discrimine pas la musique en elle-même.

[2] Le chant choral est la première activité des retraités, selon toutes les enquêtes.

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La fête au jardin à Fresselines (23) : joute oratoire du 26 juillet 2024, Jean-Michel Dauriac et Francis Duchiron

Culture populaire en milieu rural – épisode 3

Voici l’avant-dernier volet de cette petite série d’articles qui fait l’apologie et la défense de la culture populaire à la campagne. Le dernier exemple est celui du village de Fresselines, dans la vallée des peintres, en Creuse. Ce petit bourg d’à peine 800 âmes est le lieu d’une grande activité artistique tout au long de l’année, mais particulièrement en été, quand la Creuse est un peu plus peuplée et que le temps permet des manifestations extérieures. Je ne m’étendrai pas sur le lieu culturel voué au Blues qu’est la P’Artqueterie, je renvoie le lecteur à sa page Facebook (https://www.facebook.com/Lapartqueterie/?locale=fr_FR ) pour découvrir toutes leurs activités, qui drainent un public nombreux. Nous sommes là dans une structure de type salle permanente de spectacle, comme le montre leur site. Ils ont conquis un vaste public au fil du temps et c’est très positif. Je veux centrer cet article sur les initiatives associatives de bénévoles.

Depuis 2015, il existe une Université Libre de Creuse qui tient ses sessions chaque été lors de l’avant-dernier week-end de juillet, du vendredi au dimanche. Je lui consacrerai la dernière de ces chroniques. Il s’agit là d’une offre de réflexion intellectuelle sur notre société et ses problèmes, accompagnée d’une découverte de la Creuse et de moments artistiques conviviaux, le tout gratuitement offert, grâce au travail des bénévoles de l’association organisatrice et des intervenants.

Ce dont je veux vous parler aujourd’hui est une belle idée, liée au cadre naturel superbe de la Creuse. Il s’agit d’une utilisation publique, le temps d’une soirée, des jardins privés de la commune, dont les propriétaires acceptent d’ouvrir leurs portes. Cela se nomme La fête au jardin et se déroule sur environ trois semaines, entre fin juillet et mi-août.

Une belle équipe de bénévoles, comme à Mers sur Indre ou Nouzerines (voir les chroniques précédentes, épisode 1 et épisode 2) rend possible ce petit miracle. Les uns ou les unes préparent des tartes ou des quiches, d’autres installent les chaises et les tables (venues des foyers engagés), certains montent la sono et font la régie technique, d’autres encore accueillent. Tout cela est au service d’un programme mis sous le signe de l’éclectisme, où chacun peut trouver des centres d’intérêt qui lui sont chers ou découvrir de nouveaux chemins. Jetez un coup d’œil sur le programme ci-dessous, vous vous ferez une idée vous-mêmes. Ce mini-festival de l’hortus est la preuve concrète qu’il existe une richesse culturelle accessible, même dans ce que certains considèrent comme le trou le plus perdu de la France (en général on use d’une formule plus scatologique).

La chanson côtoie le cinéma, le théâtre ou le jazz. L’ambiance est au cabaret, avec de petites tables posées dans l’herbe, on sirote sa bière ou son jus de fruits. L’an passé, nous avions été assister à deux spectacles et en étions revenus ravis. J’ignorais alors que je me retrouverais dans la programmation de cette année. L’idée a germé dans un cerveau fresselinois (je ne dénoncerai personne, me réservant pour l’arrivée du fascisme au pouvoir en France !) de proposer une sorte de battle orale à Francis Duchiron et à moi-même. Deux profs bavards qui devraient être capables de parler de tout et n’importe quoi, ce qui est l’essence même du métier de prof, comme chacun le sait ! Et nous avons été assez vaniteux ou inconscients pour accepter !

Et nous voici donc, le vendredi 26 juillet, à 19 h 30, prêts à entrer en scène. Bien sûr, le fait que ce soir-là, à cette heure précise, se déroule la cérémonie inaugurale des JO de Paris, relève du pur hasard. Nous pensons donc que ce sera vite expédié, puisqu’il n’y aura personne. Eh bien, nos espoirs ont été déçus : il y a dans cette commune des gens qui n’aiment pas les JO ! Quelle attitude antipatriotique !

Une vue partielle du public, avant le début du spectacle

Quand nous les avons vus arriver , petit à petit, nous avons compris que nous allions être obligés de faire cette prestation. Il nous restait l’espoir qu’ils partent vite et que le combat cesse faute de combattants. Petit discours de présentation de l’originalité de cette soirée, salutations et remerciements et il faut y aller.

Nous avons voulu, Francis et moi, que ce soit une totale improvisation. Nous ignorons donc tout de ce qui va nous être demandé. La règle du jeu est énoncée : un sujet est tiré au sort par un spectateur (trice), nous avons dix minutes pour épuiser le sujet, puis on passe à un autre sujet. Les sujets ont été préparés par les organisateurs ; nous demandons que le public puisse en ajouter, mais il semble que nous n’ayons pas été très convaincants sur ce point. Nous avons bien prévenu que ce ne serait nullement un débat contradictoire, mais la juxtaposition de nos improvisations, sans nous interdire d’intervenir dans le discours de l’autre.

Les deux artistes au début du show (debouts)…

Puis, un peu après, les mêmes :

Dans cette position, nous pouvons tenir plus longtemps.

Le premier sujet est vertigineux : « Pommes frites ou pommes vapeur ? ». Pour s’échauffer, c’est très bien. Nous avons négocié avec la production le droit à un joker chacun.Juste au cas où nous aurions une panne d’inspiration. Les sujets s’enchaînent et nous sommes de plus en plus dans notre spectacle. «  La beauté de la Creuse », « Les fausses promesses du père Noël », « Sport et compétition », « Compétence et connaissance », « Confiance et croyance »… Nous tenons sans souci les dix minutes, il faut même que la maîtresse des horloges nous bipe parfois pour arrêter. A notre grande déception, les gens ne partent pas ! Au bout d’une heure et demie, nous baissons le rideau, sous un tonnerre d’applaudissements (enfin, c’est fini !). Félicitations polies de certains auditeurs et, plus drôle, demande de revenir l’année prochaine. Bref, les ruraux nous surprendront toujours par leur ouverture d’esprit.

Qui aurait l’idée de proposer, en ville, à deux braves retraités de l’Éducation Nationale, de monter sur scène pour élucubrer de concert. Même pas intermittents du spectacle ! Et ce qui est assez bluffant, c’est que le public suit. Il n’y a pas cette culture blasée de l’urbain gavé de distractions – au demeurant pas toujours de bonne qualité. Ici, on vient découvrir. L’entrée est gratuite, mais on peut participer aux frais. Le cadre des jardins est apaisant et amortit les sons ; pas de mauvaises résonnances ou d’échos trompeurs. La proximité avec le public crée une intimité, renforcée par le soir qui tombe doucement et les vestes légères que l’on jette sur les épaules.

Cet exemple de programme culturel montre qu’il faut savoir inventer des formes adaptées au cadre et mettre en avant l’humain. Chaque jardin qui reçoit raconte l’histoire de ses propriétaires, aucun ne ressemble à un autre. Pendant trois semaines, les mêmes bénévoles vont travailler dur, car les dates se suivent très proches. Des liens vont se tisser entre les spectateurs, les nouveaux seront accueillis… La culture populaire se joindra à l’humanité pour faire vivre une certaine fraternité. C’est donc possible. Bien sûr, tous les habitants ne participent pas, mais la possibilité leur est donnée.

Voici donc encore une pierre ajoutée à l’édifice de la culture populaire en milieu rural.

Jean-Michel Dauriac – Août 2024

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Swing à Nouzerines (23)

Culture populaire en milieu rural (épisode 2)

pour l’épisode 1 cliquer ici

Concert en duo à Mers-sur-Indre (36) – Culture pour tous en milieu rural. – Le Blog à Jean-Mi !?

Concert de Woody Wood Swing Gum

Dimanche 28 juillet 2024. Par la lecture de l’hebdomadaire local L’écho du Berry j’apprends qu’il y a un concert gratuit dans le village de Nouzerines, à l’extrême nord de la Creuse, pas très loin de chez moi. J’avoue avoir été séduit par le nom du groupe qui devait se produire, le Woody Wood Swing Gum. Je me suis dit qu’avec un nom pareil cela promettait un peu d‘humour et pas de prise de tête.

Aller à Nouzerines est déjà une petite aventure, qui nécessite de prendre des routes étroites et sinueuses et de ne pas rater les rares panneaux indicateurs. La population du village est aux environs de 250 habitants, avec une grande dispersion en hameaux, ce qui donne un bourg central de très petite taille, où le monument principal de la commune est l’église romane. Hormis cela, plus aucun commerce, comme dans beaucoup de villages creusois et une masse de résidences secondaires, qui font le plein en juillet-août et restent fermées la plupart du reste de l’année. Bref, la triste description d’un monde rural isolé, autrefois appelé « rural profond » et désormais, à l’époque de l’euphémisation « hyperrural ». La ville moyenne la plus proche est à plus de quarante kilomètres (Guéret ou Châteauroux). Ces données sont importantes pour bien apprécier ce qui va suivre.

En effet, ce microscopique village organise chaque année, depuis 2011, un festival de musique en juin-juillet, festival qui offre une grande variété de styles et répond bien à la belle qualification de « populaire », c’est-à-dire accessible à toute personne du peuple de France. Cette année 2024, ce sont six concerts qui ont été organisés, du 9 juin au 28 juillet (voir le programme ci-dessous).

Nous voici donc garés sur la place de l’Église. Le concert a lieu en face, il n’y a qu’à suivre les passants. Nous sommes juste à l’heure, mais quand nous arrivons dans la très vaste grange-salle de concert du jour, la surprise est de découvrir une centaine de personnes sagement installées sur des chaises disparates posées sur le sol en terre battue (un peu poussiéreuse) : un vrai public de concert, environ la moitié de la population du village, en masse. A la campagne, les gens se déplacent encore, car ils ne sont pas blasés et gavés, tel les publics urbains soumis à une offre surabondante, qui se paie par des publics parfois squelettiques.

Voici la photographie du dimanche 28, pour le concert de jazz ; au fond, on devine les musiciens assis derrière leurs instruments. Sur la photo promotionnelle ci-dessous, on voit mieux les composants du groupe.

Les cinq musiciens du groupe sont: Jean-Claude Guyonnet, Raoul Vaugelade, Patrick Savineau, Sylvain Bouard et Claude Laroudie (chemise rouge)

Vous constaterez qu’à l’exception du pianiste, reconnaissable à sa relative jeunesse (dernier à droite), tous les autres musiciens sont des retraités. Ce qui est conforme à la démographie creusoise, la plus âgée en moyenne de toute la France. Ce qui ne les empêche pas d’avoir la pêche et de faire bouger le public. Il faut dire que leur style, le New Orleans et le swing des années 1930, crée facilement des démangeaisons dans les pieds et les mains.

Le premier trait de ce sympathique groupe est la générosité. Une fois qu’ils sont partis, difficile de les arrêter. Pour un concert gratuit, le public en a pour son argent ! Le programme est bien construit, alternant morceaux très rythmés et dansants et ballades swingantes. On visite le répertoire du premier jazz, avec de grands classiques tels Saint-Louis Blues (le premier morceau jazz édité) ou Muskrat Ramble, on honore le souvenir du grand Sydney Bechet, avec une version de Petite Fleur, on imite en passant le ton du magnifique Yves Montand avec Roses de Picardie, on salue Louis Armstrong avec C’est si bon et Louis Prima avec plusieurs titres, sans oublier Fats Domino. Bref, un joli voyage au pays du jazz initial. Le tout est joué avec enthousiasme. Seul le pianiste improvise, mais on entend mal ses chorus, car le son est assez mal réglé. Les autres musiciens s’en tiennent à leur rôle, avec sérieux et drôlerie parfois. Le meneur de jeu, Claude Laroudie, multisoufflant, annonce les titres et fait parfois un petit commentaire. Le batteur et le banjoïste chantent, en alternance avec le soufflant. Ce jour-là, il manquait le contre-bassiniste, dont on m’a dit qu’il assurait bien le spectacle. On ne s’ennuie pas une minute, les morceaux s’enchaînent bien, c’est assez huilé, et le temps passe, dans une ambiance bon enfant très agréable.

La soirée se termine par le pot de clôture du festival 2024, tant il est vrai qu’en France rurale tout se termine autour d’un verre et des plats faits-maison. J’en profite pour échanger avec la présidente de Patrimoine Nouzerines 23, Stéphanie  Josset, qui me fait un petit historique de l’évènement.

Il faut, encore une fois souligner quelques traits remarquables qui permettent qu’existe une « véritable offre culturelle » comme disent les spécialistes :

  • Il existe tout un tas d’artistes de toutes les spécialités qui sont prêts à venir en pleine zone « hyper-rurale » ou qui en sont partie prenante (c’est le cas de nos jazzeux du jour, tous creusois). Leur but n’est pas de faire de l’argent (encore qu’il faut bien qu’ils touchent des cachets, surtout quand ils sont intermittents du spectacle !), mais de partager son art.
  • Il y a un vrai public populaire, c’est-à-dire représentatif de la population française. Dans le monde rural d’aujourd’hui, les agriculteurs sont extrêmement minoritaires, et je ne suis pas certain du tout (litote) qu’ils prennent le temps de venir au concert. Ce dimanche 24 juillet, les tracteurs et les énormes remorques tournaient un peu partout en Creuse pour rentrer les meules rondes de foin et de paille. Le public rural, ce sont des retraités, beaucoup de retraités, des étrangers résidents secondaires – des Anglais surtout en Creuse -, les rares touristes de passage, et les habitants ordinaires des villages, employés, ouvriers  ou artisans. Bien sûr, dans le lot vous rencontrerez des intellectuels pur jus, souvent parisiens, mais ils font plutôt profil bas, pas sûrs d’être appréciés s’ils font leur numéro de « cultureux ». Ce public  vient pour passer un bon moment, il est toujours dans de bonnes dispositions ; aux artistes d’en profiter. De toute manière, l’accueil est très souvent très chaleureux.
  • Et puis, il y a tous ceux qui permettent que les artistes rencontrent le public, les petites mains qui s’agitent avant et après les concerts ou les pièces, longtemps après que les poètes aient disparu du village. Ce sont ces bénévoles qui sont le vrai trésor de la campagne française. Ce sont eux qui devraient inspirer l’action et la réflexion de nos hommes et femmes politiques, et pas les écolos-bobos urbains qui les occultent complètement. On est souvent frappés de voir qu’il y a là pas mal de gens âgés, qui se bougent pour les autres au lieu de se plaindre de leur arthrose. Ces gens méritent un grand coup de chapeau : qu’il leur soit accordé ici.

J’ai récupéré sur le site Facebook la photographie de l’équipe organisatrice, en espérant qu’ils m’autorisent à l’utiliser!

  • Enfin, il y a les lieux. Bien sûr, point de Zénith ou d’Aréna en Creuse (qu’est-ce qu’on pourrait bien en faire ?), mais des endroits divers, souvent patrimoniaux, qui sont ainsi rendus à la vie collective le temps d’un  concert ou d’une pièce de théâtre. J’ai parlé de cette vaste grange qui nous a accueillis ce jour. Parfois c’est une église, parfois un café, parfois le plein air, en été. Je parlerai dans un prochain article, des jardins privés comme cadre de manifestations culturelles. Il n’y a pas le fétichisme de la salle réservée, dans les campagnes isolées. On fait avec ce que l’on a à proximité et c’est souvent très bien ainsi.

Vous avez bien compris qu’à travers cet article je fais œuvre de militant pour la culture populaire en milieu rural. Cet article est illustré des photographies des diverses manifestations du festival de Nouzerines 2024 (à vous de remettre les noms sous chaque photo). Je souhaite longue vie à ce festival, je salue tous les bénévoles qui le rendent possible et vivant, je remercie les artistes qui l’animent et le public qui lui donne chair. Alors, en juin-juillet 2025, si vous passez par la Creuse ou si vous y résidez, pensez à venir à Nouzerines. Le programme sera sans nul doute varié et alléchant. Je vous donne l’adresse internet pour vous en tenir au courant : Facebook.com/Patrimoine-Nouzerines23

Que vive et prospère la culture populaire et le peuple qui va avec !

Jean-Michel Dauriac – août 2024

PS : cet article est écrit en français grammatical classique et non selon les faux préceptes de l’inclusivité qui détruisent et enlaidissent inutilement notre langue. Par exemple, lorsque j’écris « ceux-ci » à propos des bénévoles, j’utilise ce pluriel au sens neutre de l’Académie Française et non le très lourd « celles et ceux ». C’est aussi un acte de résistance contre des attaques venues d’outre-atlantique (« wokisme ») qui n’ont pas de sens dans notre langue. Soyons fiers de notre belle langue qui « résonne » comme le chantait Philippe Duteil.

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