Albin Michel – 2024 –
Voici un roman que j’ai découvert grâce à l’interview de son auteur, lue dans un journal. J’ignorais qui était Frédéric Gros. J’ai ainsi appris qu’il était universitaire et plutôt du camp progressiste, avec une œuvre sociologique assez importante et deux romans à son actif, avant celui-ci. Le journaliste qui l’interrogeait avait l’air très surpris du sujet de son dernier livre, compte tenu de son parcours antérieur et il lui demandait s’il ne s’agissait pas de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler un « coming back ». A quoi il a répondu que c’était bien le cas.
Ceci m’a intrigué. Que révélait donc cet auteur qui pouvait surprendre son intervieweur ? Et, corollaire de la question précédente, en quoi le sujet du livre était-il aussi surprenant ? Et je l’ai acheté et lu, mû par cette curiosité.
Le coming back n’est pas de ceux que l’on entend ordinairement, mais il est tout aussi choquant dans ce cas que l’aveu d’une passion zoophile : Frédéric Gros a été touché par la grâce et est devenu chrétien ! Ce qui est une preuve évidente de faiblesse d’esprit chez les divers progressistes[1], lesquels sont prêts à croire aux lois du marché, à la main invisible, aux OVNI ou à la mémoire de l’eau, mais qui se gaussent de toute croyance religieuse si elle n’est pas islamique (de ceux-là ils ont peur).
Et ce christianisme a amené F. Gros à se pencher sur une histoire antique méconnue, sauf des spécialistes très pointus de littérature chrétienne des premiers siècles. Celle de l’apôtre Paul et de Théoklia, une jeune fille d’Asie Centrale. J’avoue que je ne connaissais pas cette histoire, qui appartient à l’univers des récits paratestamentaires des premiers siècles. En bon protestant, je me méfie de ces écrits qui n’ont pas retenu l’attention de nos frères de l’Eglise primitive et n’ont même pas été en discussion pour la construction du canon du Nouveau Testament. La plupart de ces écrits apocryphes sont légendaires et relèvent d’affabulations transmises par oral d’abord, puis couchées sur le papier. Le texte antique s’appelle Les actes de Paul et Thécle et a été rédigé par un prêtre qui l’aurait reçu de Paul lui-même en confidence orale. Dès cette affirmation il y a problème, puisque du temps de Paul il n’y a pas de prêtre dans les communautés, mais seulement des anciens ou presbytres (dont on fera plus tard dériver le mot prêtre). C’est donc une reconstruction cléricale. Ensuite, il faut bien signaler le silence total autour de ce récit dans les églises du 1er siècle et même du début du IIe. Mais l’histoire a visiblement passionné F. Gros car il a décidé de la raconter à sa manière sous forme de roman. Il affirme cependant, dans une annexe appelée postface avoir suivi fidèlement la trame d récit primitif. Il donne d’ailleurs ensuite un relevé de sources avec citations empruntées aux Actes de Paul et Thécle. Il a seulement rempli les blancs du récit et donné plus de substance aux personnages principaux qui sont Paul, Barnabé et Theokhlia, plus quelques seconds rôles romains ou asiates.
La trame est assez simple. Une jeune fille, habitant la ville de Konia (Iconium en latin), entend un soir, de son balcon, la prédication enflammée de Paul à un groupe de croyants et de curieux réunis dans un jardin. Elle est saisie par ce message et décide de s’engager auprès de Paul et de répandre l’évangile chez les femmes, car c’étaient surtout les hommes qui bénéficiaient des prédications des apôtres. Mais sa famille, en l’occurrence sa mère, a d’autres projets pour elle, notamment un mariage avec un riche citoyen de la ville. La jeune fille s’enfuit et commence alors une poursuite où sa mère et son fiancé la cherchent, la retrouvent dans une ville voisine, la font arrêter et juger, car elle refuse de revenir à la raison et confesse cette nouvelle foi. Deux fois condamnée à mort, elle sera sauvée successivement par deux interventions surnaturelles. Elle retrouvera Paul, sera baptisée et prêchera avec succès auprès des femmes, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée par son fiancé haineux veut sa mort. Il n’y aura pas de troisième miracle : elle mourra en martyre.
L’auteur raconte tout cela avec un certain talent de conteur. La lecture est aisée et palpitante. Il a su créer une tension entre les trois principaux protagonistes, sur laquelle il joue tout bau long du roman. Barnabé et Paul s’opposent au sujet de cette jeune fille, Théoklia est complètement fasciné par le message de Paul. Paul est bouleversé par cette jeune femme, avec une certaine ambiguïté de sentiments qui l’amènent à la fuir et à remettre son baptême. L’auteur suggère la crise de Paul, mais ne nous en dit rien de concret. Il est un fait qu’il est troublé, mais de quelle manière, l’auteur nous laisse imaginer.
Il faut apprécier le roman en lui-même, en essayant de faire abstraction du fait que les personnages sont réels. Tel quel, le récit fonctionne comme une sorte de western de Cilicie au 1er siècle. On prend bien conscience de la bombe que représente cette prédication du Ressuscité et des effets divers qui en sont le produit : les conversions, les persécutions, les déplacements apostoliques, l’atmosphère d’urgence, car les premiers chrétiens attendent le retour imminent du Christ.
La question qui reste en suspens est celle de la part de vérité dans cette histoire. Les deux miracles qui sauvent la vie de Theoklia appartiennent à ce que la foi chrétienne a pu vivre dans ses débuts. Promise aux lions dans une fosse, elle sera léchée par la lionne qui tuera pour la protéger deux mâles affamés. D’où le surnom de « sainte à la lionne » donné à Thécle, qui a été canonisée. En soi, ce miracle n’est pas plus invraisemblable que la multitude de ceux que Jacques de Voragine conte dans sa Légende dorée. Il faut pour cela franchir le pas de la foi. Selon ses opinions, le lecteur le fera ou pas. Mais qu’il rejette le miraculeux ne l’empêchera pas de lire ce livre avec plaisir, comme on se régale à lire Le Seigneur des anneaux. On lira avec profit tout ce qui concerne la mission de Paul et Barnabé, car cela est bien rendu et assez documenté.
Un livre de détente que je conseille pour un voyage ou un week-end de vacances. Agréable, palpitant et éclairant une période exotique pour nous, individus rationnels du XXIe siècle.
Jean-Michel Dauriac – Les Bordes, juin 2025.
[1] Un de ces jours il nous faudra bien parler de cette notion de « progressisme » , qui est un des plus beaux mythes de la modernité ;
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