Être chrétien, selon la définition la plus simple consiste à « être disciple du Christ » ou « professer sa foi en Jésus-Christ ». La notion de religion du Christ n’intervient qu’en second lieu, dans un second temps chronologique. Une précision complémentaire apparaît souvent : « qui est baptisé ». Si l’on synthétise tout cela, voici ce que l’on obtient :
« Chrétien : disciple du Christ, qui professe sa foi en Lui, qui est baptisé en son nom et appartient à la religion chrétienne ».
L’un ou l’autre terme peut être discuté, mais les éléments de base sont bien là. Gardons en mémoire ces traits de définition, pour bien saisir le sens profond de la méditation biblique qui suit.
Texte de base : Épitre aux Colossiens, chapitre 3 : 1-4
« 1 Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu.
2 Attachez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre.
3 Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.
4 Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire. » Version NEG (Nouvelle Édition de Genève)
La version de la TOB introduit une variante intéressante du début du premier verset :
« 1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; »…
De nos jours, les ministres du Culte, comme les prédicateurs occasionnels, prêchent peu sur ce passage. On le comprend facilement, quand on prend la peine de le lire très attentivement.
Voici un texte qui nous éloigne et nous sépare de la vie ordinaire de la race humaine. Comme tel, nous pourrions facilement le dire antihumaniste ou misanthrope. C’est du moins ce que suggère une lecture plate et rapide. Les mots « mort » et « résurrection » sont des termes très lourds à penser, même, ou peut-être surtout pour un chrétien. Pourtant, se pencher sur ces versets avec application vaut la peine que l’on y prendra.
Morts et ressuscités en Christ
Comme signalé plus haut, ces deux mots-concepts méritent tout notre intérêt. Ils sont à la fois scandaleux et centraux pour la foi chrétienne.
L’adjectif « scandaleux » découle directement d‘un mot grec, skandalon, que le meilleur dictionnaire grec-français définit ainsi : « piège placé sur le chemin, obstacle pour faire tomber ». Où est le scandale pour un chrétien, me direz-vous ? Je suis d’accord avec vous qu’il ne devrait pas y en avoir. Mais, aujourd’hui, au XXIe siècle, ces affirmations basiques de la foi chrétienne sont « occasion de chute » pour de nombreux croyants de toutes les Églises. Le travail de trois siècles d’athéisme a infusé dans toute la population française, même chez les chrétiens, catholiques comme protestants. Combien, aujourd’hui, dans une discussion avec des non-croyants oseront affirmer « Christ est ressuscité » ?
En allant plus loin, combien pourront dire : « Je crois que, par le baptême et la foi, je suis ressuscité aussi avec Jésus-Christ » ? Nous aurions trop peur d’être ridicules. Alors que l’occultisme fait des ravages, que les croyances les plus bizarres sont aujourd’hui sur le marché du « spirituel » (OVNI, néopaganisme, Terre-Mère qui écoute, arbres qui parlent, chamanismes multiples…), nous avons parfois peur de dire que nous croyons à la résurrection du Christ et, par Lui, à la nôtre.
Il y a là, incontestablement, une victoire de l’esprit du monde et de son inspirateur[1], celui que Jésus appelle le diable[2] ou Satan. Cette victoire est d‘ailleurs rendue d’autant plus facile du fait que nombre de chrétiens ne croient plus à l’existence du diable. Avec lui disparaissent aussi toutes les œuvres qui lui étaient attribuées. Tout devient équivalent, c’est ce que l’on nomme le relativisme, qui se pare d’une allure de tolérance et de respect pour détruire tous les cadres moraux hérités de nos cultures originelles.
Le cœur de la foi chrétienne réside pourtant dans ces deux mots. Ce point nodal est très simplement exprimé par Paul dans la première lettre aux Corinthiens, chapitre 15, versets 13-14 :
« 13 S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité.
14 Et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine. » Version La Colombe, Segond Édition Révisée)
Celui qui nie la résurrection du Christ et celle, consécutive, des morts en Christ, nie le christianisme. Il n’y a pas de foi chrétienne sans proclamation de cette folie : Christ est ressuscité !
Un chrétien qui refuse de croire (au nom du bon sens athée) à la résurrection n’est pas un chrétien, selon la définition donnée en ouverture, il peut être simplement un admirateur de Jésus de Nazareth, le sage philosophe palestinien, comme on peut admirer Nelson Mandela ou Jean Jaurès[3]. Ce n’est pas une affirmation personnelle, mais celle de Paul, l’apôtre le plus respecté, celui qui a établi véritablement la doctrine chrétienne.
Le second terme est « car vous êtes morts ». La citation de Paul qui nous sert de base inverse en effet la logique de la résurrection. Mais, pour pouvoir ressusciter, il faut d’abord être mort. Et là, on peut légitimement ne rien comprendre, car nous lisons en Jean 3 : 3 :
« Jésus lui répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu. » Version SER.
Nous pouvons y ajouter Jean 3 : 6 :
« Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. » Version SER
Jésus parle de naissance, pas de mort. S’il faut naître de nouveau, comment peut-on être mort en Christ ? Eh bien, forcément parce que ces deux moments n’en font qu’un : naître de nouveau, c’est mourir à la chair. Rappelons simplement que, dans le Nouveau Testament, la chair est la vie naturelle biologique de l’humain, avec ses pensées et ses comportements. C’est à cela que nous devons mourir, pour naître d’un nouvel esprit.
Les propos de Jésus sont clairs : sans cette nouvelle naissance spirituelle, pas de royaume de Dieu possible. Nous voyons donc que la mort à la chair et la résurrection en Christ, par le baptême, sont le cœur de la foi. Si un homme ou une femme ne saisissait que cela de l’Évangile, il serait sauvé à coup sûr !
Une vie cachée, avec Christ, en haut
Que peut bien signifier cette vie cachée ? ll faut passer par le verbe grec, krupto, pour en saisir le sens. Le sens premier est : couvrir pour protéger, cacher pour soustraire aux regards. Mais nous avons aussi un sens figuré : faire mystère de, garder secret, ne pas produire au dehors. Nous retiendrons deux idées, une au sens propre et une au sens figuré : 1 / notre vie est protégée en Christ ; 2/ le mystère du salut de notre vie n’est pas encore connu. Ce sens est d’ailleurs confirmé par le verset 4 de notre texte : Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire.
Il ne s’agit donc pas de se retirer du monde pour aller se cacher dans les jupes du Christ, mais d’être sous sa protection. Ce statut spirituel engage notre responsabilité.
Nos pensées doivent se réorienter « vers le haut », nous dit Paul. Je voudrais ici citer un court extrait d’un article d’Anselm Grün, moine bénédictin allemand, auteur de nombreux livres sur la vie chrétienne. Cet extrait est tiré de la revue Prier, revue catholique consacrée à la vie de prière. Dans un article qui reprend les métaphores sportives de Paul, il reformule notre verset 3 à sa façon :
« Cela veut dire qu’à travers tout ce que nous faisons et pensons, nous devons nous ouvrir à cette réalité plus grande que nous-mêmes et laisser derrière nous notre style de vie actuel. Si Jésus nous précède, c’est pour que nous puissions lui courir après ! Comme l’écrit Paul : « oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but, pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus Christ » (Philippiens 3 : 12-14).
« S’ouvrir à cette réalité plus grande que nous », c’est choisir la transcendance, c’en est même la définition. C’est exactement ce que Paul dit :
« Attachez-vous aux choses d’en haut, », c’est sortir du terrestre, du dépendant, du matériel du fragile, du contingent, donc de l’immanent, de ce qui est à ras de terre, à hauteur d’homme. Cela revient à changer « notre style de vie actuel », donc à ne pas s’attacher à tout ce que la vie charnelle nous propose.
Deux écueils à éviter
Comme souvent dans la vie chrétienne, il faut savoir déjouer les pièges et trouver la bonne lecture de la Parole. On peut facilement se tromper sur le sens pratique de cette injonction fraternelle de Paul. Il faut savoir se garder de deux attitudes opposées et un peu extrêmes, que je résume ici à deux versets de la Bible.
L’excès de justice et de sagesse : Ecclésiaste 7 : 16 : « Ne sois pas juste à l’excès, et ne te montre pas trop sage : pourquoi te détruirais-tu ? » version NEG. Voici la lecture fautive de ce verset, l’excès. Il est tentant de verser dans l’ascèse et le mépris total de ce monde et de ses habitants. C’est la tentation de l’ermite, du moine au mauvais sens du terme. Le monde est charnel, mauvais, perdu loin de Dieu : quittons-le, même de notre vivant, rompons totalement avec lui. C’est le risque sectaire assuré. Ce n’est pas du tout l’esprit des lettres de Paul.
L’excès de naïveté ou de laxisme : Tite 1 : 15 : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ; » version NEG. Cela représente l’autre position extrême. Je ne risque rien en ce monde, car je suis une nouvelle créature spirituelle. Rien ne peut me souiller. Les mêmes ajoutent souvent une lecture très libérale d’une autre phrase de Paul : 1 Corinthiens 10 : 23 « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. » Dans ce cas-là, on glisse sur le mot « utile », on insiste sur le « tout est permis ». La question est : quel est notre rôle dans ce jeu, à part d’y participer ? L’expérience prouve que ce n’est jamais le chrétien isolé qui gagne son entourage, mais que c’est toujours l’entourage qui finit par l’emporter.
Une sage lecture : vie cachée et vie visible
La bonne lecture de ce texte est dans la fermeté et l’équilibre de notre statut. Si nous savons que nous sommes morts et ressuscités avec le Christ, alors nous serons fermes dans notre foi. Dès lors, nous pouvons vivre de manière équilibrée, au milieu de notre famille, de notre voisinage, de nos collègues de travail, d’études… L’équilibre est trouvé dans la priorité que nous donnons aux choses d’en haut par rapport à celles qui sont sur la terre. C’est le contenu précis des « choses d’en haut » qui détermine cette priorité et qui la justifie.
C’est ce qui est dans la vie cachée, cette part de mystère à découvrir. Nous sommes là dans une vie de découverte et de progrès spirituels. C’est la vie de prière, sous tous ses aspects, dans laquelle la marge de progrès est toujours énorme. C’est la connaissance profonde de la Parole de Dieu, sous toutes les formes de la Révélation (Bible, prophéties et prédications), univers complet que nous n’aurons jamais fini d’explorer.
C’est la vie de communion fraternelle, dans le cadre de l’église locale, apprendre à voir tout ce qui est bon dans le frère et la sœur, aimer et aider, partager les expériences et les vivre ensemble. C’est la vie de témoignage dans la société où nous vivons. Si nous sommes remplis des choses d’en haut, nous ne manquerons pas d’occasions de témoigner, elles viendront toutes seules.
Alors nous pourrons vivre une vie visible (par opposition au « caché »précédent) normale, sans nous imposer des règles dures et absurdes. Aller assister à un match de foot avec des copains (mais pas casser les voitures ou le nez des supporters adverses), écouter un bon concert de rock ou de jazz (sans avoir besoin de substances euphorisantes plus ou moins illicites), aller à la pêche, jouer aux boules, lire des BD, des romans d’aventures, collectionner les timbres ou les capsules de bière, bref faire tout ce qui est banal aux yeux des humains. Nous ne nous attacherons pas du cœur à tout cela, car notre vie est ailleurs ; mais nous serons un joyeux compère ou une amie agréable, et soyons sûrs que l’occasion viendra de témoigner « des choses d’en haut » et d’en montrer le chemin à ceux qui s’interrogent, car beaucoup en ressentent l’absence sans pouvoir mettre un nom dessus.
Voila esquissée à très grands traits cette vie cachée avec Christ et la manière dont cela change tout sans que rien, en apparence, ne soit différent. Que Dieu et le Christ nous y aident chaque jour.
Jean-Michel Dauriac – Juillet 2024.
[1] Je ne veux pas ici parler du capitalisme et du matérialisme, qui ne sont que des instruments au service d’un projet spirituel ancien.
[2] Diabolos, en grec, signifie le diviseur. La question de fond n’est pas de savoir si l’on croit au diable, mais si l’on admet qu’il y a une lutte spirituelle dont le cosmos et l’humanité sont les enjeux. Si oui, le nom de la force antagoniste à Dieu (sous ses divers noms) est bien celui du diviseur.
[3] Nombre de protestants libéraux radicaux rejettent tout ce qui touche à la divinité du Christ, de sa conception à son ascension, sans parler de son retour attendu. Cela les a menés dans les bras de la Libre Pensée ; ils sont des protestants culturels, comme le sont Lionel Jospin ou feu Michel Rocard. Je parle ici de foi chrétienne, pas de culture chrétienne ou d’éthique, mots souvent utilisés pour contourner le réel.
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