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La gloire des bons à rien – Sylvain Detoc – Eloge de la faiblesse humaine en foi chrétienne

Lexio/spiritualité – Editions Le Cerf – 2024 (première édition 2022)

C’est le titre qui m’a attiré vers ce livre, tant il est oxymorique : quelle gloire peuvent bien mériter les bons à rien ? Dans nos sociétés obsédées par la performance, la réussite et la productivité, le bon à rien est un inutile, un déchet. Il est une honte pas une gloire.

Ce livre était signalé dans un dossier sur l’échec, dans un hebdomadaire bien connu La Vie. Effectivement le bon à rien est dans l’échec, sans doute même par essence. J’avoue avoir eu       envie de savoir comment l’auteur allait vendre son titre. Et j’ai commandé l’ouvrage, qui est un petit livre de poche, rapidement lu.

Dès la photo de couverture, une chose est évidente : l’auteur est un religieux, sans doute un moine, et sans doute un dominicain, compte tenu de l’habit. Vérification faite, c’est bien le cas. Un dominicain qui fait l’éloge de la médiocrité, c’est quand même assez rare, ils sont plutôt dans l’excellence. Bref, le titre m’avait mis l’eau à la bouche.

Le livre a un sous-titre intérieur : Petit guide à l’usage des cathos découragés. Il est dommage que le mot cathos ne soit pas remplacé par chrétiens, cela aurait été plus généreux et plus judicieux. Cependant, il est exact que le livre est d’abord adressé au public catholique, j’aurai l’occasion d’y revenir. Le livre est introduit par la préface d’un Monseigneur dont on se serait bien passé. J’en cherche encore le sens profond ; sans doute est-ce une façon pour l’auteur (ou son ordre, de se couvrir en cas de réactions du public visé. On sait en effet que l’humour n’est pas la vertu la plus partagée par les catholiques et ce livre n’en manque pas, et du corrosif parfois, surtout dans l’autodérision.

Le livre est organisé en trois parties (classique pour un universitaire comme l’auteur) qui établissent une progression dans la réflexion. La première partie s’intitule Le recrutement des bons à rien. Qui voudrait embaucher des bons à rien ? Apparemment pas quelqu’un de sensé… Et pourtant c’est ce que Dieu veut faire et a fait tout au long de l’histoire humaine. Cette partie est la plus drôle, avec un début tonitruant, qui pourrait faire un bon one man show ecclésial. Dans une série de courts sous-chapitres, il cite de nombreux exemples de personnes choisies ou appelées par Dieu qui n’étaient pas des lumières, mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des tocards. Le premier exemple est celui de la petite bergère inculte de Lourdes, Bernadette, qu’aucun recruteur n’aurait songé à engager comme ambassadrice de la Vierge. Elle ne cochait aucune des cases positives, et pourtant c’est à elle que la dame blanche de la grotte de Massabielle s’est montrée et a parlé. Après Bernadette, l’auteur dresse une liste de ceux qu’il appelle les « sous-doués au pays de Jésus » où l’on rencontre pêle-mêle Abraham et Sara, Pierre, Amos, Lévi, Ruth, Paul… Chacun à sa manière aurait dû être recalé. Mais ils ont tous été embauchés. Sylvain Detoc va alors développer un peu certaines de ses vies, comme celle de Moïse ou Pierre. Au bout du compte, on voit bien que les personnages (et le personnel) de la Bible ne sont pas des héros, au sens grec antique, mais des hommes et des femmes fragiles, faillibles, atteints de certains handicaps et craintifs. C’est avec ce matériau humain de second choix que Dieu va travailler.

La seconde partie présente donc, fort logiquement, La pâte des bons à rien, ou comment Dieu va pétrir, former et transformer ces humains peu doués en prophètes, messagers, acteurs, sauveurs et penseurs de la Bonne Nouvelle du salut. L’auteur va donc développer là aussi des exemples tirés du récit biblique. Ce sera d’abord Adam. Puis il va se lancer dans un long développement sur les corps de Jésus et Marie. Et là, je ne peux plus le suivre ; car il met sur un pied d’égalité ce qui ne peut l’être : la résurrection du Christ et l’Assomption de Marie. C’est pour le moins ce que l’on appelle d’ordinaire un amalgame. Car ces deux faits ne sont pas du tout comparables. La résurrection de Jésus est attestée par les Evangélistes et par les apôtres dans leurs épîtres. Paul parle de plus de cinq cents personnes qui ont vu le Christ entre sa mort et son ascension ! Or, l’assomption de Marie n’est absolument pas évoquée dans les textes du Nouveau Testament. Marie disparaît du récit biblique après la Pentecôte. Tout ce que l’on évoque à son propos est tiré de textes apocryphes pour le moins douteux. Textes qui n’ont pas été retenus pour le corpus canonique chrétien. En fait, ce sont des légendes, comparables aux évangiles refusés avec leurs récits incroyables. Tout le culte marial est fondé sur des sources non fiables. Et notre auteur met sur le même plan ce que l’on sait du Christ et ce que l’on veut nous faire croire sur Marie. Il y a là, de mon point de vue, une dérive aventureuse. Et cela nuit gravement à la crédibilité de ce livre.

La troisième partie, Le labeur des bons à rien, développe ce que Dieu peut accomplir au travers de ces bons à rien qu’il a rachetés. A nouveau sont convoquées des figures de la Bible, comme Moïse ou Abraham, voire des personnages de second rang, comme Jehpté ou Tamar. L’idée majeure de cette partie est de montrer que ce qui compte vraiment dans notre vie est la foi que nous mettons au service de Dieu et non nos qualités. Dieu a la capacité à faire parler les pierres, s’il le veut. Il peut donc faire ce qu’il veut avec nous, en nous « surclassant ». La gloire de Dieu est d’autant plus grande qu’il utilise des « bras cassés » pour faire des prodiges. Revenons à Pierre et faisons le bilan de sa vie après la Pentecôte : il est très positif malgré son passé de reniement et de compromission avec les juifs. Même chose pour Paul. Ce fut le même genre de bilan que l’on pouvait tirer de la vie et œuvre d’Abraham, pourtant pas toujours très « réglo », comme on dit, ou de Noé, de Lot et même du roi David.

Lisons la conclusion du livre :

« On les dit incapables, incompétents, amateurs dans l’art d’aimer Dieu et de la faire connaître ? Ils l’admettent sans peine. Sous l’un et l’autre rapport de leur vie chrétienne, ils savent qu’ils ne sont pas des champions. La vie, tôt ou tard, s’est chargée de dégonfler leurs illusions. Ils n’en souffrent pas : leur gloire, c’est Dieu. » (P.156).

Si nous sommes honnêtes, nous ne pouvons que faire nôtres ces lignes. Le christianisme n’est pas la religion des super-héros. Nietzsche, qui n’en est pas à une exagération près, disait que c’est une religion de sous-hommes ! En fait, il avait raison : c’est une religion de bons à rien capables de tout réussir par la grâce de Dieu. Leur gloire n’est donc que celle du Dieu qui agit à travers eux. Et là, on est bien dans le cœur de la parole évangélique !

Malgré mon désaccord marial, je recommande ce livre à tous les chrétiens, et pas seulement « aux cathos découragés » comme le sous-titrait Sylvain Detoc. Il est drôle et fondamentalement vrai (hormis la grosse réserve sur Marie, je le répète). Prenez donc un peu de temps pour le découvrir.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2025.

Published in les critiques religion et spiritualité

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