Skip to content →

Catégorie : coups de gueule

Le cloaque Depardieu

Le spectacle de la basse-cour médiatique et artistique se déchirant à plaisir autour du nom et de la personne de Gérard Depardieu est proprement insensé pour le commun des Français[1].

Voici notre plus grand acteur vivant – spécialiste des frasques de mauvais goût, genre uriner dans un avion hors de toilettes -, est accusé de violences à caractère sexuelles par plusieurs femmes actrices ou du monde du spectacle. En soi, une énième affaire à démêler pour les juges d’instruction. Mais hélas, l’accusé n’est pas Clampin-Dupont, mais Depardieu. Lequel, entre plusieurs énormes défauts, a celui d’être l’ami de Poutine, ce qui, depuis que nous sommes en guerre aux côtés de l’Ukraine[2], est un crime de haute-trahison. Ces affaires tombent donc au mieux pour le déboulonner définitivement (to cancel en anglais, « effacer », selon la liturgie woke).

Nous assistons donc depuis quelques semaines à d’interminables débats sur les chaînes télévisées, avec des (inter)minables protagonistes, venus se faire mousser à peu de frais. Là-dessus, une émission de grand reportage diffuse des images où notre Gégé national tient des propos orduriers sur les femmes cavalières, les selles et les chevaux. Et la Révolution est en marche !

Je suis tout à fait outré par ces propos, sans doute accompagnés d’un fort taux d’alcoolémie, ce qui ne les excuse nullement. Mais, quoiqu’en disent les procureurs improvisés du tribunal révolutionnaire médiatique, ces propos ne sont ni un délit, ni un crime, simplement une faute morale[3].

Le président Macron, venu faire son SAV sur une des chaînes publiques, a eu le tort de répondre à une  question sur ce sujet. Lui qui se croit si doué pour la parole a été pris au piège de l’amplificateur médiatique. Ce qu’il a dit est tout à fait vrai et inattaquable : il existe une présomption d’innocence qui ne saurait être retirée à Depardieu. Il faut donc laisser la justice faire sereinement son travail d’investigation. Aussitôt, il fut accusé de soutenir l’acteur et de mépriser la souffrance des victimes[4].

Quelques jours plus tard, une lettre ouverte signée par 50 personnalités du milieu du spectacle[5] dit exactement la même chose, et seulement cela. Par ricochet, le malheureux Pierre Richard, signataire de ce manifeste, jeune homme de 89 ans, est exclu de l’ONG de lutte contre les violences faites aux enfants, dont il était l’ambassadeur, car il a « soutenu un violeur ».

Nous assistons à un emballement de types woke, c’est-à-dire de négation de tout ce qui est la civilisation blanche occidentale, en l’occurrence ici, la justice et l’Etat de Droit. Il est à craindre que cette chasse aux fausses sorcières ne continue dans les semaines à venir, puisqu’une pétition signée cette fois par des centaines d’artistes (souvent sortis de nulle part et rabattus de toute l’Europe) soutient que les cinquante premiers sont des complices du violeur.

Cela me pose un réel problème de « civilisation ». En effet, ou bien tous ces chiens de garde haineux ne savent pas le sens des mots et sont donc incultes ou ignares, ou les deux à la fois ; ou bien ils ne lisent qu’avec leurs propres lunettes, dans un univers parallèle, celui qui dézingue les crèches, les statues des personnages historiques, qui interdit les conférences critiques, etc… Dans les deux cas, c’est grave.

Depardieu est un citoyen français (pour combien de temps encore, car on pourrait  l’en déchoir !) qui a droit de faire appel à une justice indépendante et le devoir d’en accepter le verdict. Pour l’heure, nous n’avons ni l’un ni l’autre. Il faut donc essayer de revenir à la raison. Laissons la machine judiciaire faire son travail. Respectons la procédure  et la présomption d’innocence et renvoyons les loups à leurs tanières en les méprisant, eux et leurs pratiques. Si Depardieu est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés, il sera alors temps de considérer la situation et de prendre des mesures éventuelles, au niveau moral national, et chacun pourra asseoir sa position sur des faits avérés.

J’aimerais rappeler que, dans un contexte assez semblable de furia médiatique et de trahisons honteuses de ses amis, un homme a vu son honneur bafoué et sa vie saccagé, il en est mort : il s’appelait Dominique Baudis. Memento Mori.

Jean-Michel Dauriac – 31 décembre 2023


[1] Il ne faudrait pas confondre le microcosme artistique de Paris avec la France réelle ; dans le cas qui nous intéresse, je suis certain que la photographie de l’opinion serait très différente.

[2] Cette phrase devrait faire bondir de fureur les gens de bon sens, car nous n’avons pas à mener une guerre qui ne nous concerne pas et qui va coûter une fortune aux contribuables français, n’en déplaise à l’acteur-manipulateur Zélenski.

[3] Comportement affreux qui est souvent l’apanage des puissants et de leurs féaux, y compris parmi ceux qui crient bien fort aujourd’hui « Au loup ! ».

[4] L’idéologie victimaire est devenue hégémonique : tout le monde doit pouvoir être victimisé, sauf le mâle blanc de moins de cinquante ans. C’est un des aspects du wokisme, qui rassemble pêle-mêle vraies victimes et victimes imaginaires qui relèvent de la psychiatrie.

[5] Publiée dans les pages Débats du Figaro.

Leave a Comment

Les Russes ont Poutine, nous avons Bernard-Henri Lévy

Arte diffusait ce soir du 28 juin 2022 le film documentaire de BHL intitulé Pourquoi l’Ukraine.  En préambule à cette projection immanquable, Le Figaro, dans son édition du lundi 27 juin, lui consacrait une pleine page d’interview. J’ai commencé par lire ce grand entretien, mais en fait, quand on vu le film, on se rend compte qu’il répète quasiment mot pour mot son contenu.

Regarder un film de Bernard-Henri Lévy est toujours une « expérience », comme le disent aujourd’hui les décérébrés que l’on appelle communicants. Passons sur l’usage de ce mot qui traduit l’ignorance des publicitaires et venons-en au film lui-même. Regarder un film de BHL c’est toujours regarder un film sur BHL Il est de quasiment tous les plans, on le voit apparaître partout, dans les tenues les plus diverses, en treillis, en uniforme, en costume (avec la légendaire chemise blanche ouverte – à son âge il devrait faire attention à la pneumonie !) ou en pardessus noir. Pas une séquence où il ne se montre, même furtivement. Un tel degré de narcissisme est déjà problématique pour un vieil adolescent comme lui. Mais en plus de cette omniprésence visuelle, il nous impose aussi une omniprésence sonore, car il est l’auteur et le diseur du commentaire. Et là, des sommets sont atteints ! Les mots nous trahissent souvent, et dans ce film, ils trahissent tout le temps le personnage et sa posture. Certes, le sujet est bien l’Ukraine, depuis la révolution de Maidan (2014) jusqu’à la capitulation du bataillon Azov en juin 2022, mais cela finit par devenir secondaire par rapport au culte de l’ego de l’auteur. Passe encore que sa voix soit difficilement supportable : elle marque un vieillissement très net et use d’un ton théâtral très décalé. Mais au-delà de cette gêne sonore, il y a le contenu. Il s’agit d’un mélange assez incongru de références littéraires et mythologiques, de formules créées pour passer à la postérité et de resucées journalistiques. Disons tout net : toutes les images montrées en ce film ont été diffusées à satiété depuis le début de la guerre, il n’y a rien d’original, si ce n’est les entretiens de notre héros avec les protagonistes du récit. La banalité des images amène donc à se concentrer sur les paroles et c’est là, malheureusement, que le film trahit son auteur.

Depuis près de cinquante ans, BHL joue au philosophe engagé avec persévérance ; il se veut le Jean-Paul Sartre de sa génération. Depuis ses prises de position en faveur des boat-people vietnamien, il a enfourché le canasson de toutes les oppressions et les guerres qu’il pouvait utiliser. Il serait d’ailleurs intéressant de lister celles dont il n’a jamais parlé, ce qui dessine, en creux, ses choix politiques. Ce n’est pas mon propos ce jour.  Depuis trente ans maintenant, BHL arpente les champs de bataille choisis, costume noir, chemise blanche et écharpe au cou, et nous fait la leçon sur notre aveuglement et nos lâchetés. Serbie, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Géorgie, Lybie, Arménie, et aujourd’hui Ukraine. Cet homme se trompe systématiquement dans toutes ses analyses politiques, alors même qu’il choisit des bonnes causes. Son niveau de compréhension politique est celui d’un élève de quatrième moyen d’un collège de banlieue. Et, avec ces inepties, il parcourt tous les plateaux tél et radio et délivre sa vérité, qui ne saurait être contestée. Il murmure ses âneries aux oreilles des présidents, avec plus ou moins de succès ; on lui doit la stupide intervention française en Lybie, dont on peut mesurer chaque jour le succès en lisant les nouvelles. Bref, il est admirable dans son genre, qui est celui de l’albatros baudelairien transposé à la politique.

Que nous dit-il sur l’Ukraine ? D’abord qu’il a tout compris depuis longtemps et qu’il est l’ami de tous les démocrates qui se sont succédé au pouvoir récemment dans ce pays. Je vous laisse juge de ce bilan, si vous suivez sérieusement la politique étrangère. Ensuite, que les Russes sont des soudards qui commettent des crimes contre l’humanité : nous avions effectivement besoin de lui pour le découvrir.  Que le peuple ukrainien est en tous points admirable, car il se bat pour défendre son pays. Du coup, on balaie très vite le passé antisémite et collaborateur des nazis, on oublie le passé du bataillon Azov et les russophones qui sont pro-russes dans tout l’est du pays. Pour BHL, les nuances n’existent pas. Il en vient enfin à répéter mot pour mot, comme un caniche, les éléments de langage de Zelenski sur le fait que cette guerre est notre guerre et que la défaite sera notre défaite. Il n’est pas ici le lieu de discuter ces affirmations, car elles sont discutables. Il est frappant de voir la banalité du propos, collection d’évidences journalistiques habillées ici de la culture normalienne ; mais cela ne suffit pas à transformer des truismes en pensées originales. BHL nous appelle, ni plus ni moins, à combattre avec les Ukrainiens, pour défendre la démocratie et la liberté. Pourquoi ? Parce que cet homme vit, depuis sa jeunesse, dans un pays mythologique dont il est le prophète et le héros. Il se moque absolument des conséquences de ses postures et de ses paroles. Est-il revenu voir le résultat de sa pression sur le président Sarkozy pour intervenir militairement en Lybie? A-t-il vu dans quelle misère vivent les populations du pays, en guerre civile depuis la mort de Khadafi ? A-t-il réfléchi un seul instant à ce qu’il adviendrait si les dirigeants européens, à commencer par la France, allaient faire la guerre en Ukraine ? Bien sûr, Poutine est sans nul doute malade et l’agresseur d’un peuple qui ne le menaçait nullement. Bien sûr que des crimes de guerre ont été commis – il faudrait aussi montrer ceux des Ukrainiens dans le Donbass, par exemple.  Mais BHL nous a-t-il engagé à aller combattre au Darfour, quand les chrétiens étaient massacrés par les musulmans du nord ? Sa rhétorique est celle d’un histrion qui vit dans le monde antique de la guerre de Troie.

Ce qui est grave est que la grande chaine culturelle Arte diffuse ce documentaire sans débat derrière, que ce grand quotidien qu’est Le Figaro lui donne une page entière avec des questions de complaisance et fasse en plus la publicité pour le film dan sa rubrique télévision. Nous sommes là dans le microcosme pervers qui manipule l’opinion sans cesse. Ce documentaire prête plus à rire qu’à réfléchir, tant le commentaire est boursouflé et bourré de clichés. La bonne conscience d’une gauche qui n’en a plus que le nom n’a plus de limite, elle ne perçoit plus aucun signal avertisseur. Ce genre de spectacle est ce qui pousse les Français à l’abstention électorale ou au vote Rassemblement National. Les justes causes ont besoin d’avocats lucides et humbles, pas de bateleurs germanopratins. Pourquoi l’Ukraine rejoindra donc la collection de navets signés par celui qui se prend aussi pour un cinéaste. Et pourtant cet homme avait du talent, avant qu’il ne devienne mégalomane.

Jean-Michel Dauriac

Leave a Comment

La mort de Jean-Pierre Pernaut : le symbole d’une rupture culturelle

Le 2 mars, le journaliste Jean-Pierre Pernaut est mort, à 71 ans d’un cancer du poumon, dont il avait fait l’annonce il y a quelques mois à son public du 13 heures, depuis sa retraite picarde. C’est, professionnellement parlant, la mort d’un géant de la télévision, qui va rejoindre les Léon Zitrone , Pierre Sabbagh ou Pierre Desgraupes. Les hommages nombreux et riches qui lui ont été rendus attestent de ce professionnalisme reconnu : ne jamais oublier qu’avant d’être le présentateur de Journal Télévisé (JT dans le langage actuel) à la plus grande longévité, il fut un journaliste exigeant et professionnel jusqu’au bout des ongles. L’image du présentateur franchouillard a caché celle du professionnel. Un grand homme de télévision nous a quittés.

Mais mon propos n’est pas d’ajouter un hommage anonyme de plus au concert de louanges funéraires, mais d’analyser ce qui vient de se passer. La profession unanime, comme la classe politique, pleure ce grand professionnel. C’est ici le premier point que je veux évoquer : c’est le grand bal des faux-culs. Ceux qui ont de la mémoire et qui s’intéressent à la chose publique se souviendront sans nul doute du mépris des intellectuels pour son JT. Il n’y avait pas assez de formules assassines pour le discréditer et se moquer de lui. Pernaut, c’était le type qui présentait  les jours une France qui n’existe plus, un pays de ploucs (« ceux qui roulent au Diesel et fument des clopes » dira l’inénarrable Bernard Griveaux, météore de la planète macronienne et parfait symbole d’une France sans racines), le gars qui va sur les marchés, sur les plages et dans les foires au cochon – on a un peu dit la même chose de Jacques Chirac ! -, le défenseur de l’artisan et du passéisme… Bref, c’était un « ringard » qui plaisait à des ringards et exploitait son filon. Pour plaire au peuple, il lui plaisait : revoyez les réactions à sa mort enregistrées un peu partout sur les marchés de France. Quel journaliste peut se vanter d’avoir une telle popularité ? On n’est pas chez le public de l’immonde Hanouna. Mais justement, c’est cette popularité qui déplaisait tant aux intellectuels et plumitifs de la bien-pensance parisianno-gauchiste, ceux qui détiennent la vérité et le droit de censurer à ce titre. Intellectuel de métier, j’ai subi ce mépris des gens de ce milieu, lorsqu’ils savaient que je regardais aussi souvent que possible son journal et que je l’appréciais en tant qu’homme et journaliste. Combien de petits sourires et de réflexions médiocres ai-je entendues ! Et puis, un jour, Michel Houellebecq, l’écrivain à scandale qui plaît tant à ceux qu’il ridiculise, a dit, dans un de ses romans, tout le bien qu’il pensait de Pernaut – ce devait être dans La carte et le territoire, si je me souviens bien. Et j’ai alors vu ces intellectuels tourner casques, pour certains, et venir me parler de Pernaut en répétant les formules de l’écrivain. Minables petits êtres sans colonne vertébrale ! Et avec le temps, sa popularité est devenue un atout : c’est à lui que Macron a confié le soin de l’interviewer dans une école normande en pleine crise des Gilets Jaunes car, s’il y en avait un qui comprenait ce qui se passait, c’était bien lui ! Et Pernaut est devenu « tendance », après avoir essuyé les ricanements de   volaille sans cervelle et sans cœur. J’espère qu’il a savouré  tous ces gens qui allèrent ensuite à Canossa, dans son journal ! Mais, cessons-là, je crois en avoir assez dit sur ce sujet ceux mis en cause se reconnaîtront, s’ils sont honnêtes.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est pernaut-sos-villages.jpg.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est celui de la rupture symbolique que représente sa mort, survenue juste un peu plus d’un an après son départ du JT, en décembre 2020. La crise des Gilets Jaunes et les manifestations anti-passe et anti-vaccins signalent une méfiance et un éloignement grandissant d’une partie du peuple, surtout rurale et périurbaine, envers les dirigeants et les structures du pouvoir. Ce malaise est analysé par des batteries de sociologues et de politologues qui n’y comprennent rien, tant ils vivent dans un entre-soi intellectuel et matériel purement urbain et même hyperurbain. La candidature ridicule d’Anne Hidalgo illustre fort bien ce décalage infranchissable. Or, Jean-Pierre Pernaut était un de ceux, rares, qui connaissaient la réalité de cette France des oubliés et des invisibles, d’abord, parce qu’il les aimait et, ensuite, parce qu’il allait vers eux et parlait d’eux. La France qu’il promouvait n’était pas morte, comme le disaient ses détracteurs aveugles, mais c’était au contraire celle qui ne veut pas mourir. Et toutes les initiatives que le JT de 13h mettait en lumière en sont la preuve concrète. De même que toutes les opérations qu’il montait étaient faites pour aider la France des « sans-dents ». Était-ce un combat perdu d’avance ? Peut-être, un peu comme la résistance des soldats et civils ukrainiens contre le rouleau compresseur russe. Mais faut-il pour cette raison ne pas se battre du tout ? Pernaut avait compris que des millions de Français ne rêvaient nullement de vie urbaine, de shopping, d’événements culturels haut de gamme ou de musées extraordinaires, mais voulaient simplement vivre où ils l’avaient décidé et y vivre décemment. C’est ce que tous les gouvernements depuis Nicolas Sarkozy  s’évertuent d’empêcher, au nom d’une logique comptable et d’un logiciel libéral.  Car cette prétention des simples est incompréhensible aux bobos nomades hyperconnectés. La mort de JPP est le symbole de ce combat difficile que des millions de gens continuent de mener, pour avoir simplement une perception, une école, des commerces ou une gendarmerie, sans parler d’un médecin et d’un hôpital proche. Pourtant la « pandémie » de Covid19 a mis en évidence de manière très cruelle les méfaits de la mondialisation et de la dépendance qu’elle a organisée. Mais tout laisse à penser que l’on reprendra très vite « business as usual » (« le boulot comme avant ») comme disent les anglophones. Et qui portera désormais la voix des sans-voix ? C’est bien la fin d’une époque, celle où on croyait la résistance et le retour à la raison possibles.

Le troisième point, sur lequel je voudrais conclure ce petit article est la réalité de la fragilité. Fragilité humaine d’abord : il y a quelques mois, quand Jean-Pierre a annoncé à ses téléspectateurs sa maladie il était en forme et décidé à se battre. En quelques semaines, le voici retranché du monde des vivants. Que nul ne s’y trompe, c’est l’illustration de notre propre fragilité et fugacité : aujourd’hui ici et vivant, demain, ce soir peut-être, disparu. La Bible ajoute en parlant du destin humain, comparé à de l’herbe : « … et le lieu où elle était ne se souvient pas d’elle ». Savoir et intégrer cette idée de notre finitude possible à tout instant devrait nous rendre humbles et sages. Or nous assistons à tout le contraire : les hommes importants (pour qui ?) se comportent comme s’il devaient vivre toujours, se rendant aveugles à leur propre nature. Voyez Vladimir Poutine, qui a assuré son pouvoir jusqu’en 2036 ! Malheureux, qui peut mourir demain et engage son pays dans une voie sans issue et sème le malheur pour des considérations sans valeur.

Mais aussi fragilité sociétale. Le monde stable (ou que nous voyions ainsi) bascule en peu d’années dans un chaos que nos grands esprits croient maîtriser parce qu’ils en parlent. Notre société vacille, c’est un fait que nul ne peut nier  ce jour. Ce qui faisait la vie belle et bonne en France se délite, d’abord imperceptiblement, puis s’effondre d’un seul coup. L’abstention électorale n’a cessé d’augmenter, mais elle n’était que le symptôme d’une maladie beaucoup plus grave : l’agonie de la démocratie parlementaire. Ce modèle est à bout, car il était adapté à un type de société et d’économie que les capitalistes de haut vol et les élus irresponsables ont sapé inlassablement. Destruction du tissu productif et du tissu social vont de pair. Et les idiots utiles de la pensée unique, surtout de gauche d’ailleurs, ont oeuvré avec zèle à cette double destruction. Je ne vais pas développer ici la démonstration de ce massacre organisé, mais j’y reviendrai dans des articles à venir. Une civilisation, une culture, un pays, une langue sont des objets fragiles et qui devraient évoluer dans le temps long. En posant l’immédiateté et l’instantanéité comme principes de nos vies connectées, nous allons à l’encontre de ce temps civilisationnel. Elle est bien loin la « politique de civilisation » que le vieillissant Edgar Morin croyait possible à mettre en place. Ce qui est à l’oeuvre actuellement est plutôt une « politique de décivilisation », devant laquelle nos vieux pays, pourtant si résilients, s’avèrent bien fragiles. Car ce qui fait la résistance, c’est l’adhésion commune, le cœur qui bat pour un même but. L’enfant du capitalisme ultralibéral est l’individualisme exacerbé que l’on nommait jadis égoïsme. On ne fait pas civilisation avec des monades égoïstes.

Des millions de Français modestes et simples ont, ces jours-ci, du chagrin, car ils ont perdu comme une sorte de membre de la famille, comme un ami lointain, mais fidèle. J’ai ce sentiment aussi. Mais au-delà de ce deuil marquant, nous enterrons sans doute encore un peu plus notre France périphérique et nos Français « moyens ». Constat peu réjouissant, mais lucide. Pourtant, il faut continuer de se battre pour nos campagnes, pour notre agriculture, nos commerces et services, nos écoles rurales, nos petits hôpitaux, nos petits tribunaux, notre langue et nos arts populaires, nous le devons bien à la mémoire de Jean-Pierre Pernaut.

Jean-Michel Dauriac – 5 mars 2022

Leave a Comment