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Catégorie : religion et spiritualité

recension et essais sur des livres portant sur toutes les question spirituelles, métaphysiques et religieuses

La gloire des bons à rien – Sylvain Detoc – Eloge de la faiblesse humaine en foi chrétienne

Lexio/spiritualité – Editions Le Cerf – 2024 (première édition 2022)

C’est le titre qui m’a attiré vers ce livre, tant il est oxymorique : quelle gloire peuvent bien mériter les bons à rien ? Dans nos sociétés obsédées par la performance, la réussite et la productivité, le bon à rien est un inutile, un déchet. Il est une honte pas une gloire.

Ce livre était signalé dans un dossier sur l’échec, dans un hebdomadaire bien connu La Vie. Effectivement le bon à rien est dans l’échec, sans doute même par essence. J’avoue avoir eu       envie de savoir comment l’auteur allait vendre son titre. Et j’ai commandé l’ouvrage, qui est un petit livre de poche, rapidement lu.

Dès la photo de couverture, une chose est évidente : l’auteur est un religieux, sans doute un moine, et sans doute un dominicain, compte tenu de l’habit. Vérification faite, c’est bien le cas. Un dominicain qui fait l’éloge de la médiocrité, c’est quand même assez rare, ils sont plutôt dans l’excellence. Bref, le titre m’avait mis l’eau à la bouche.

Le livre a un sous-titre intérieur : Petit guide à l’usage des cathos découragés. Il est dommage que le mot cathos ne soit pas remplacé par chrétiens, cela aurait été plus généreux et plus judicieux. Cependant, il est exact que le livre est d’abord adressé au public catholique, j’aurai l’occasion d’y revenir. Le livre est introduit par la préface d’un Monseigneur dont on se serait bien passé. J’en cherche encore le sens profond ; sans doute est-ce une façon pour l’auteur (ou son ordre, de se couvrir en cas de réactions du public visé. On sait en effet que l’humour n’est pas la vertu la plus partagée par les catholiques et ce livre n’en manque pas, et du corrosif parfois, surtout dans l’autodérision.

Le livre est organisé en trois parties (classique pour un universitaire comme l’auteur) qui établissent une progression dans la réflexion. La première partie s’intitule Le recrutement des bons à rien. Qui voudrait embaucher des bons à rien ? Apparemment pas quelqu’un de sensé… Et pourtant c’est ce que Dieu veut faire et a fait tout au long de l’histoire humaine. Cette partie est la plus drôle, avec un début tonitruant, qui pourrait faire un bon one man show ecclésial. Dans une série de courts sous-chapitres, il cite de nombreux exemples de personnes choisies ou appelées par Dieu qui n’étaient pas des lumières, mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des tocards. Le premier exemple est celui de la petite bergère inculte de Lourdes, Bernadette, qu’aucun recruteur n’aurait songé à engager comme ambassadrice de la Vierge. Elle ne cochait aucune des cases positives, et pourtant c’est à elle que la dame blanche de la grotte de Massabielle s’est montrée et a parlé. Après Bernadette, l’auteur dresse une liste de ceux qu’il appelle les « sous-doués au pays de Jésus » où l’on rencontre pêle-mêle Abraham et Sara, Pierre, Amos, Lévi, Ruth, Paul… Chacun à sa manière aurait dû être recalé. Mais ils ont tous été embauchés. Sylvain Detoc va alors développer un peu certaines de ses vies, comme celle de Moïse ou Pierre. Au bout du compte, on voit bien que les personnages (et le personnel) de la Bible ne sont pas des héros, au sens grec antique, mais des hommes et des femmes fragiles, faillibles, atteints de certains handicaps et craintifs. C’est avec ce matériau humain de second choix que Dieu va travailler.

La seconde partie présente donc, fort logiquement, La pâte des bons à rien, ou comment Dieu va pétrir, former et transformer ces humains peu doués en prophètes, messagers, acteurs, sauveurs et penseurs de la Bonne Nouvelle du salut. L’auteur va donc développer là aussi des exemples tirés du récit biblique. Ce sera d’abord Adam. Puis il va se lancer dans un long développement sur les corps de Jésus et Marie. Et là, je ne peux plus le suivre ; car il met sur un pied d’égalité ce qui ne peut l’être : la résurrection du Christ et l’Assomption de Marie. C’est pour le moins ce que l’on appelle d’ordinaire un amalgame. Car ces deux faits ne sont pas du tout comparables. La résurrection de Jésus est attestée par les Evangélistes et par les apôtres dans leurs épîtres. Paul parle de plus de cinq cents personnes qui ont vu le Christ entre sa mort et son ascension ! Or, l’assomption de Marie n’est absolument pas évoquée dans les textes du Nouveau Testament. Marie disparaît du récit biblique après la Pentecôte. Tout ce que l’on évoque à son propos est tiré de textes apocryphes pour le moins douteux. Textes qui n’ont pas été retenus pour le corpus canonique chrétien. En fait, ce sont des légendes, comparables aux évangiles refusés avec leurs récits incroyables. Tout le culte marial est fondé sur des sources non fiables. Et notre auteur met sur le même plan ce que l’on sait du Christ et ce que l’on veut nous faire croire sur Marie. Il y a là, de mon point de vue, une dérive aventureuse. Et cela nuit gravement à la crédibilité de ce livre.

La troisième partie, Le labeur des bons à rien, développe ce que Dieu peut accomplir au travers de ces bons à rien qu’il a rachetés. A nouveau sont convoquées des figures de la Bible, comme Moïse ou Abraham, voire des personnages de second rang, comme Jehpté ou Tamar. L’idée majeure de cette partie est de montrer que ce qui compte vraiment dans notre vie est la foi que nous mettons au service de Dieu et non nos qualités. Dieu a la capacité à faire parler les pierres, s’il le veut. Il peut donc faire ce qu’il veut avec nous, en nous « surclassant ». La gloire de Dieu est d’autant plus grande qu’il utilise des « bras cassés » pour faire des prodiges. Revenons à Pierre et faisons le bilan de sa vie après la Pentecôte : il est très positif malgré son passé de reniement et de compromission avec les juifs. Même chose pour Paul. Ce fut le même genre de bilan que l’on pouvait tirer de la vie et œuvre d’Abraham, pourtant pas toujours très « réglo », comme on dit, ou de Noé, de Lot et même du roi David.

Lisons la conclusion du livre :

« On les dit incapables, incompétents, amateurs dans l’art d’aimer Dieu et de la faire connaître ? Ils l’admettent sans peine. Sous l’un et l’autre rapport de leur vie chrétienne, ils savent qu’ils ne sont pas des champions. La vie, tôt ou tard, s’est chargée de dégonfler leurs illusions. Ils n’en souffrent pas : leur gloire, c’est Dieu. » (P.156).

Si nous sommes honnêtes, nous ne pouvons que faire nôtres ces lignes. Le christianisme n’est pas la religion des super-héros. Nietzsche, qui n’en est pas à une exagération près, disait que c’est une religion de sous-hommes ! En fait, il avait raison : c’est une religion de bons à rien capables de tout réussir par la grâce de Dieu. Leur gloire n’est donc que celle du Dieu qui agit à travers eux. Et là, on est bien dans le cœur de la parole évangélique !

Malgré mon désaccord marial, je recommande ce livre à tous les chrétiens, et pas seulement « aux cathos découragés » comme le sous-titrait Sylvain Detoc. Il est drôle et fondamentalement vrai (hormis la grosse réserve sur Marie, je le répète). Prenez donc un peu de temps pour le découvrir.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2025.

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La fin de la chrétienté – Chantal Delsol – Constat de décès

Lexio/débats – Le Cerf poche – 2023 (2021 pour la première édition)

Chantal Delsol est bien connue des lecteurs du Figaro, car elle y tient une chronique régulière. Elle est, par ailleurs, l’auteur d’un œuvre assez considérable, divisée en deux périodes. Durant sa vie active, elle fut professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris et écrivit nombre de livres qui étaient plutôt des manuels. Donc des ouvrages destinés surtout aux étudiants ou aux professeurs. Mais, depuis sa retraite, elle a réorienté son travail vers une réflexion de caractère plus philosophique et religieux, dans laquelle elle peut également réutiliser sa connaissance sociopolitique. Elle se définit elle-même comme une chrétienne catholique conservatrice – en lisez pas inconsciemment « traditionnaliste », comme le font beaucoup de gens, tant le biais idéologique est fort – et assume cette grille de lecture au fil de ses ouvrages. Ses livres, comme ses propos lors de sa participation à des émissions diverses, sont intelligents et nous questionnent, tout en restant lisible par le grand public.

Ce petit livre développe une thèse qu’elle soutient depuis longtemps : celle de la fin de l’âge chrétien. Ici, elle emploie le terme « chrétienté », qui a une charge historique évidente, en Europe. Pour elle, la chrétienté désigne une période qui court du IVe siècle eu XXe siècle, et dont nous vivons la fin.  Elle commence par évoquer le contexte du XXe siècle qui est, de son point de vue, celui où se livre le combat pour la survie de la chrétienté et où la défaite s’avère inévitable, plus on approche du début du troisième millénaire. Les moyens envisagés pour assurer le maintien du christianisme ont été variés et pas toujours très positifs. Ainsi signale-t-elle l’appui que de nombreux catholiques ont apporté aux régimes autoritaires, voire au nazisme ou au fascisme, en croyant ainsi rétablir l’ordre ancien. Ces choix n’ont fait que diviser le camp catholique et, d’une certaine manière, précipiter la chute.

La fin de la chrétienté est due à une inversion normative irrattrapable. Depuis une quarantaine d’années, pour s’en tenir à la seule Europe occidentale, on a assisté à des changements de mentalité collective qui atteste une prise de distance, ou même une ignorance totale des normes chrétiennes. Les populations ont rapidement cessé de croire à ce qui fait la foi chrétienne et, en même temps, ont perdu l’adhésion à ses principes moraux et sociétaux. On peut, en France dire que, symboliquement, la France du Général de Gaulle est le dernier temps chrétien. La présidence de Valéry Giscard d’Estaing s’est voulue radicalement moderne, très inspirée par l’épisode Kennedy aux Etats-Unis. L’ébranlement de mai 1968 a porté ses fruits des années plus tard, avec l’élection de François Mitterrand. Là commence le règne du sociétal-libéralisme et la mise en musique de l’inversion de norme. En quatre décennies, la messe est dite : la France a cessé d’être une nation chrétienne, suivie ou suivant les autres nations européennes catholiques, Espagne, Italie… Même la pieuse Pologne a fini par céder. L’inversion normative a bousé le droit, avec l’IVG, le PACS puis le mariage pour tous, la PMA et, très bientôt, la loi sur le suicide assisté. Chacune de ces avancées sociétales saluées par les progressistes est une pelle de terre de plus sur le cercueil de la chrétienté.

Mais il serait incomplet de réduire cette fin à une simple inversion de norme sociétale. Cette inversion normative s’appuie sur ce que Chantal Delsol appelle une « inversion ontologique ». C’est toute la conception de l’homme, du monde et de la pensée qui est remise en jeu. Ainsi faut-il interpréter le retour des formes multiples du paganisme, le panthéisme et le culte de Gaïa, à travers la religion écologiste. Tout se passe comme si l’Europe avait tourné la page du monothéisme chrétien. L’irruption du relativisme intellectuel et culturel nivelle toutes les opinions et pousse les gens à l’autocensure, particulièrement les catholiques, mis à mal par les divers scandales sexuels ou financiers. L’effacement rapide de la chrétienté a laissé le champ libre à toutes les traditions extérieures et à la remise en cause de la notion même de vérité. Chantal Delsol écrit d’ailleurs ceci à ce sujet :

« …il se peut bien que l’idée même de vérité ait été carrément dévoyée par la Chrétienté. Que la vérité ait été posée comme une proposition théorique, comme un dogme, si distant dès lors de la réalité qu’elle trahit et se perd elle-même. » (P. 131).

L’usage abusif fait par l’Eglise catholique romaine de la Vérité, avec une majuscule, se serait donc au fil du temps retourné contre elle. La nouvelle norme veut que chacun soit sa propre vérité à lui-même. Ce qui pose inévitablement un problème pratique que nous vivons à plein : comment faire société quand on n’a plus de croyances communes ? D’une vérité détenue par l’Eglise, qui la traduisait en règles morales et juridiques, nous sommes passés à l’exigence d’une morale d’Etat, incarnée par « le droit à… ». Dans son dernier chapitre, elle accuse l’Eglise et les chrétiens d’avoir honte de ce qu’ils sont et de vouloir ressembler à leurs vainqueurs, quitte à travestir ses positions.

« Réduits à la situation de témoins muets, les chrétiens sont aujourd’hui voués à devenir les soldats d’une guerre perdue. » (P.163).

C’est donc le silence assourdissant des croyants qui est une faute et l’aveu de la défaite des idées. Mais l’auteur ne semble pas, in fine, le regretter vraiment. Lisons les derniers mots de son livre :

« Renoncer à la Chrétienté n’est pas un sacrifice douloureux. L’expérience de nos pères nous apporte une certitude : notre affaire n’est pas de produire des sociétés où « l’Evangile gouverne les Etats », mais plutôt, pour reprendre le mot de Saint-Exupéry, de « marcher tout doucement vers une fontaine ».) ( 180.)

Ce qui me conduit à formuler quelques remarques critiques sur ce livre.

La première est de confondre Chrétienté et christianisme. La Chrétienté est ce que l’on a appelé le césaropapisme, soit la confusion du spirituel (l’Eglise) et du temporel (l’Etat). C’est effectivement une situation séculaire en Europe. Quant au christianisme, pour s’en tenir à une définition claire et simple, c’est « la religion de ceux qui croient au Christ ». C’est donc une affaire spirituelle exclusivement. Or, le Christ a prêché une vie de foi ; il a par contre mis en garde contre le césaropapisme de manière très claire par sa fameuse formule « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il n’y donc pas lieu de regretter la Chrétienté, et c’est ainsi que je comprends la dernière phrase de C. Delsol.

Ce qui me conduit à une deuxième remarque : la confusion entre Chrétienté et catholicisme, donc, sans le dire expressément à une équivalence entre catholicisme et christianisme. Or, ceci est tout sauf vrai. C’est ce que dit l’histoire officielle de l’Eglise, reprise sans recul critique par les historiens. Mais la vérité en la matière est que la foi chrétienne a toujours été plurielle, malgré les énormes efforts déployés par l’Eglise catholique pour éradiquer toutes les autres manières de croire. Ce fut un échec total en tous les temps : jamais ils n’ont pu supprimer les groupes indépendants se réclamant de la lecture évangélique. On a certes détruit l’essentiel de leurs traces, mais en vain et il existe des récits détaillés de la véritable histoire de la foi chrétienne qui rendent justice à tous ces croyants persécutés, mais persévérants. La Chrétienté dont parle Chantal Delsol est en fait le règne de l’Eglise catholique, associé aux pouvoirs politiques.

Et nous arrivons à la troisième erreur qui est, elle, chronologique, donc historique. La Chrétienté n’est pas en train de mourir en ce début de XXIe siècle. Elle est morte, en tant que régime totalitaire césaropapiste, au XVIe siècle, avec la Réforme protestante et les guerres de religion. Le XVIIIe siècle lui a porté coup fatal, avec ce que l’on nomme les Lumières. Les luttes du XIXe siècle et XXe siècle sont les luttes autour d’un cadavre, celui de feue la chrétienté catholique. L’âge d’or de la Chrétienté fut le Moyen Âge, entre l’an mil et le XIVe siècle. Ce qui disparaît aujourd’hui, ce sont les dernières traces de l’héritage judéo-chrétien de l’Europe. Et là, tous les chrétiens sont concernés, pas seulement les catholiques.

Une autre erreur est de dire que les protestants et les juifs ne sont pas universalistes. Si cela peut se démontrer assez facilement pour les Juifs, il faut bien comprendre que c’est au prix du non-respect de l’esprit de la Torah. Quand Dieu la donne à Moïse, il lui précise bien que c’est pour tous. Mais les Hébreux n’ont pas mis cela en pratique et ont gardé Leur Dieu et leur religion. Par contre affirmer cela pour les protestants est une grossière erreur que j’attribue à l’ignorance de détail de cette variante du christianisme. Appuyer cela sur l’individualisme protestant est une faute de raisonnement. L’individu que le protestantisme a en effet défendu et promu n’est pas une monade, il est tout homme du monde, et il suffit de se pencher sur les missions protestantes et leur histoire pour s’en rendre compte. De même qu’il n’y a pas de christianisme plus universaliste que celui des Evangéliques. Mais cet universalisme ne vise pas l’alliance avec les politiques, mais l’annonce du salut à toute créature. Et ce qui se passe aux Etats-Unis, avec les Evangéliques engagés à fond pour Trump est une véritable imposture et la honte de la foi protestante.

Mais, pour conclure, je voudrais dire que, malgré ces erreurs, ce livre est très intéressant et mérite d’être lu. D’abord parce qu’il ne jargonne pas et s’adresse à tous. Et ensuite parce que ce qu’il présente est tout à fait juste, aux réserves près que j’ai émises. Il donne de bonnes clés pour saisir ce qui se passe aujourd’hui en Europe et pour motiver les chrétiens à relever la tête et à parler, au nom de leur foi.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2025.

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Deux livres de Lucien Cerfaux sur l’Église primitive

La communauté apostolique – Éditions du Cerf – collection Témoins de Dieu n°2 , 1953 , 1e édition.

L’église des Corinthiens – Éditions du Cerf – collection Témoins de Dieu n°7, 1946, 1ere édition.

« Les éditions du Cerf sont fondées en 1929, à la demande du pape Pie XI, par le dominicain Marie-Vincent Bernadot (1883-1941), proche de la pensée du souverain pontife. Le Cerf fait référence au psaume 41, verset 2 : « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu. [1]». Voici en peu de mots l’origine de cette maison d’édition catholique et dominicaine. Elle a pris, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, soit en quatre-vingts ans, une place éminente dans le domaine des sciences humaines et des questions religieuses, rendant accessibles un grand nombre d’ouvrages théologiques capitaux, notamment de langue allemande. Elle est aussi le lieu de prédilection de la pensée dominicaine et des chercheurs et clercs catholiques universitaires, sans fermer ses portes aux orthodoxes ou protestants. Les deux petits livres que je vais présenter sont des publications des débuts, sortis juste après-guerre. Le Cerf avait alors créé une collection de petits formats et faible pagination, pour diffuser les connaissances de base sur le monde évangélique des débuts du christianisme. Cette collection, nommée Témoins de Dieu présentait à al fois les cadres historiques, que des protagonistes (apôtres, évangélistes) ou des auteurs bibliques de l’Ancien Testament. Des titres de cette collection ont, depuis, été repris dans des collections plus récentes de la maison. Les volumes originaux se trouvent en nombre chez les bouquinistes du net.

L’auteur, Lucien Cerfaux est un prêtre catholique, né en 1883 et mort en 1968, qui fut surtout connu comme théologien et professeur de théologie, spécialisé dans le Nouveau Testament, qu’il enseigna à l’université Catholique de Louvain (Belgique). Il est l’auteur de livres documentés et d’articles assez nombreux.

La communauté apostolique, le premier de ces deux ouvrages est le deuxième titre de la collection, qui a été inaugurée par un Paul, apôtre de Jésus-Christ de E-B Allo.  Le livre fait une centaine de pages et comporte 8 chapitres répartis en deux parties, La vie chrétienne et L’expansion. Disons de suite qu’au lecteur rompu à la lecture biblique du Nouveau Testament, il n’apprendra pas grand-chose sur les faits. L’auteur le dit d’ailleurs, il suit pas à pas Luc l’évangéliste, auteur des Actes des apôtres. Or, sur ces débuts de la religion nouvelle du Christ, il n’y a pas d’autres sources que ce texte, auquel on peut ajouter les détails glanés dans les épîtres de Paul, surtout dans les Galates. Tout ce qui a été écrit depuis des siècles sur ces premières décennies s’appuie sur ces seules sources, donc des témoignages que l’on qualifierait de pro domo. Cependant, le grand apport de Cerfaux est de ne pas se limiter à une paraphrase de talent, mais d’étoffer le récit, à partir des bases historiques du contexte et à donner des interprétations, catholiques bien sûr, ce qui peut être discuté donc.

Un des grands mérites de L. Cerfaux est d’avoir laissé à l’effusion de l’Esprit de la Pentecôte son caractère surnaturel et fondé initialement sur le parler en langues inconnues reçues par les bénéficiaires de cette visitation. On sait que l’Église romaine a été plus que réservée sur toutes les manifestations charismatiques durant sa longue histoire institutionnelle et qu’elle n’a pas hésité à punir sévèrement les « inspirés » qu’elle considérait comme dangereux pour elle. L’auteur reconnaît bien que les débuts furent placés sous une profusion de dons spirituels et un grand rôle de la prophétie, ce que les Actes établissent incontestablement. C’est la grande différence, alors, avec le judaïsme de ce temps, devenu une religion très ritualiste, dont la secte des pharisiens est un bel exemple. Il ne s’étend pas sur tous les faits rapportés, mais met en évidence les plus marquants : le discours et le martyre d’Étienne, les problèmes d’organisation pratique et cultuelle de la nouvelle communauté. Ilo montre bien que le cercle des apôtres (à nouveau douze après le tirage au sort initié par Pierre, pour remplacer Judas) est unique en son genre et un peu à part parmi les croyants. Non par une certaine suffisance, dont souffrira plus tard l’Église par la papauté et ses hiérarques,   mais par la crainte respectueuse qu’ont les nouveaux convertis envers ceux qui ont côtoyé le Christ durant son ministère. Bien sûr, ils n’étaient pas que douze et le récit de Luc le suggère bien, mais ceux-là avaient été appelés nommément et choisis par le Seigneur.

Par contre, il faut signaler l’interprétation particulière de certaines données des textes étudiés. Par exemple, lorsqu’il parle de l’église de Jérusalem, il écrit :

«  Un personnage que nous avons à peine nommé jusqu’ici devint le chef vénéré de la communauté de Jérusalem. C’était Jacques, le frère du Seigneur. D’être le proche parent de Jésus –son cousin germain – lui donnait aux yeux des premiers chrétiens, dignité et autorité. » (p. 91).

Tout lecteur normalement constitué sera choqué par cette citation qui dit deux choses contradictoires : Jacques est le frère du Seigneur et son cousin germain. De quelle branche collatérale ? Rien ne nous est dit sur ce sujet, par contre les Évangiles parlent des frères de Jésus et de leur mère. La dogmatique catholique a inventé un sens élargi du mot grec qui signifierait donc en même temps « cousin » et « frère ». Pourquoi cette contorsion textuelle ? Pour justifier le dogme marial qui affirme que Marie n’a pas eu d’autres enfants, comme il affirme qu’elle a été conçue sans péché, « Immaculée Conception ». Dogmes qui sont des créations pures de l’Église, sans aucun appui biblique, ni même des premiers Pères de l’Église. L’auteur agit de même avec le personnage de l’apôtre Pierre dont le portrait n’est fait que par rapport aux affirmations très postérieures sur la primauté de Pierre et la succession apostolique et la papauté. Du coup, L. Cerfaux est obligé de faire dire aux textes de Luc ce qu’ils ne disent pas. Exemple :

«  De plus en plus, Pierre, évêque universel de par les dispositions même de Jésus, oubliait la ville sainte et voyageait. » (p. 94).

Nous avons là la lecture très rétroactive des propos de Jésus à Pierre, propos interprétés dans le sens de la construction institutionnelle de l’Église catholique romaine, mais que la lecture attentive des textes originaux, dans leurs contextes, n’autorise pas. C’est ainsi toute la vie de Pierre qui a été réinventée ; jusqu’à en faire le créateur de l’Église d’Antioche, ce qui n’est dit absolument nulle part. Il en sera de même pour toute la tradition du martyre pétrinien.

Il faut donc lire ce livre avec ces réserves ; il ne s’agit pas d’un ouvrage historique, mais d’un travail d’édification catholique pour des fidèles de cette Église. On retrouve le même biais dans tous les écrits sur Pierre réalisés par des catholiques.

L’église des Corinthiens ne souffre pas de ce même défaut, car elle ne met pas en jeu la structure de l’institution. Le sujet de cet opuscule est donc la présentation de l’église chrétienne originelle de la ville grecque de Corinthe. Là encore, la seule source disponible est dans le Nouveau Testament, ce sont les Épitres de Paul aux Corinthiens. Mais c’est essentiellement la première qui sert de base à cette étude, car c’est là que se trouvent les renseignements exploitables.

La grande originalité du livre de Lucien Cerfaux est d’être très positif sur cette église. En effet, la plupart du temps la lettre de Paul sert à fustiger une communauté qui dévie, par ses comportements et ses propos du modèle apostolique. Paul est d’ailleurs obligé dans son écrit de rappeler les bonnes attitudes en plusieurs domaines. Les Corinthiens dévient beaucoup. Sur le repas du Seigneur, en particulier, ils sont sévèrement repris. C’est d’ailleurs à ce propos que Paul donne le texte d’introduction si souvent utilisé pour la Cène ou Eucharistie. Mais il apparaît aussi que la conduite dans les réunions laisse à désirer, notamment quand les femmes interpellent leurs maris durant les offices. Paul rappelle alors de manière stricte les limites posées aux femmes dans la tradition naissante. Ses consignes cultuelles sont très proches de celles du judaïsme. Il délivre aussi un enseignement sur les veuves et les vierges, pour remettre sans doute un peu d’ordre dans une vie d’église encore très marquée par les pratiques des cultes païens, très présent dans cette grande cité.

Cependant, et Cerfaux a raison de le dire, il faut d’abord reconnaître la grande richesse de cette communauté, née chez les païens. Ils ont reçu tous les charismes du Saint-Esprit et il y a un tel foisonnement de leurs manifestations que l’apôtre est amené à donner des règles d’usage. Dans aucun autre texte du Nouveau Testament, on ne peut rencontrer une telle richesse spirituelle. Mais cette communauté est jeune et elle a besoin d’être enseignée et cadrée. Paul donne d’ailleurs dans cette longue lettre un enseignement capital sur les dons de l’Esprit, sur l’amour (agapé) et aussi sur la mort et la résurrection.

Ce livre se lit avec un grand plaisir et éclaire la lettre aux Corinthiens et ses destinataires d’un jour nouveau, positif, mais sans cacher aussi ce que l’auteur considère comme des « péchés de jeunesse. Son livre contrebalance ainsi la littérature protestante qui est très sévère avec Corinthe.

Ces deux petits livres constituent une bonne base sur des moments importants de l’histoire de l’Église première. Ils ne s’adressent pas à des théologiens ou des ministres du culte, ils sont à destination du peuple chrétien curieux et constituent donc de bonnes introductions sur ces sujets. On peut regretter qu’ils ne soient pas disponibles dans une édition actuelle. Mais celui qui voudra se les procurer pourra le faire assez facilement sur les grands sites de livres d’occasion, à des prix modestes.

Jean-Michel Dauriac – Décembre 2024.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_du_Cerf#:~:text=Les%20%C3%A9ditions%20du%20Cerf%20sont%20fond%C3%A9es%20en%201929%2C%20%C3%A0%20la,cherche%20toi%2C%20mon%20Dieu.%20%C2%BB

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