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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Une grande dame du XIIe siècle: Hildegarde von Bingen

Hildegarde de Bingen –  Conscience inspirée du XIIe siècle

Régine Pernoud – Livre de poche

Hildegarde de Bingen serait restée parfaitement inconnue du grand public si la mode du bio et de l’alternatif ne s’était pas développée. En effet, ce sont ses écrits « médicaux » qui ont été portés à la connaissance du public et utilisés par des artisans du bricolage ésotérico-naturaliste. Or, ce serait une grave erreur de réduire cette femme à cette catégorie d’écrits et d’en faire une sorte de coach de bien-vivre médiéval. C’est pourtant ce qui lui est arrivé. Essayons de lui rendre justice, à partir du livre de Régine Pernoud, historienne  médiéviste reconnue.

Régine Pernoud (1909-1998), au soir de sa vie

Le XIIe siècle est celui d’une première Renaissance européenne, éclipsée par celle des XV et XVIe siècle. Des personnages de premier plan pour l’histoire spirituelle et culturelle de notre continent vivent à cette époque. Je donne ci-dessous une liste incomplète de quelques noms importants :

  • Pierre Abélard (1079-1142) – Philosophe, théologien et logicien, il est connu pour ses débats intellectuels avec Bernard de Clairvaux et pour sa relation avec Héloïse. Il est l’un des plus grands penseurs du Moyen Âge, ayant influencé la philosophie scolastique.
  • Bernard de Clairvaux (1090-1153) – Moine cistercien, mystique et réformateur, il est un acteur clé dans le renouveau monastique au XIIe siècle. Il est aussi un ardent défenseur de la deuxième croisade et joue un rôle important dans la propagation de l’ordre cistercien.
  • Hildegarde de Bingen (1098-1179) – Mystique, abbesse et érudite allemande, Hildegarde a influencé la pensée religieuse et scientifique du Moyen Âge. Ses œuvres théologiques et ses compositions musicales ont traversé les frontières et inspiré la France médiévale.
  • Héloïse (1100-1164) – Philosophe et abbesse, elle est surtout connue pour sa correspondance avec Pierre Abélard. Elle dirige l’abbaye du Paraclet et est une figure emblématique des intellectuelles du Moyen Âge, ayant laissé des écrits influents.
  • Jean de Salisbury (1115-1180) – Philosophe et évêque de Chartres, il est un écrivain influent du Moyen Âge et un ardent défenseur de la philosophie scolastique. Il est l’auteur de Policraticus, une des premières œuvres de philosophie politique.
  • Thomas Becket (1119-1170) – Archevêque de Canterbury, il est une figure religieuse marquante du Moyen Âge, bien qu’il soit anglais, ses relations avec la France sont importantes. Il s’oppose à Henri II d’Angleterre, ce qui entraîne son martyre et sa canonisation.

Source : https://www.histourismo.fr/grands-personnages/les-grands-personnages-du-moyen-age-en-france/

Nous notons que tous sont des religieux, car la vie culturelle se résume à l’œuvre des religieux, sauf en poésie. Hildegarde de Bingen est donc comptée parmi ces grands personnages, la seule femme de la liste (on pourrait lui adjoindre Aliénor d’Aquitaine). Elle est ici signalée pour ses œuvres théologiques et ses compositions musicales, elles aussi devenues fort à la mode.

Le sous-titre du livre de R. Pernoud est important : conscience inspirée du XIIe siècle. Cela laisse entendre que cette femme fut un grand témoin du siècle, que sa voix portait et qu’elle est reconnue pour être une des grandes « inspirées » du Moyen Âge. Le livre va développer ces trois aspects et tiendra donc toutes les promesses de son sous-titre.

Initialement pourtant, rien ne prédestinait cette fille de la petite noblesse du Palatinat à devenir ce qu’elle fut.

Le Palatinat est la région qui correspondrait actuellement à la Sarre et une partie de la Rhénanie. Trèves, Cologne et Aix-La -Chapelle seront les limites extrêmes des voyages d’Hildegarde. A la différence de Bernard de Clairvaux, elle ne parcourra pas l’Europe et quittera rarement le monastère qu’elle dirige, dans la petite ville de Bingen Am Rhein. Hildegarde est confiée à un monastère à 9 ans par sa famille, elle vivra en religieuse jusqu’à sa mort. Il est très clair qu’elle n’a pas choisi son destin, mais qu’elle a subi un sort très commun pour les filles de la noblesse au Moyen Âge. C’était le monastère ou le mariage forcé dès la sortie de l’enfance. Le choix de ses parents fut peut-être le meilleur pour leur fille, car les unions étaient souvent malheureuses et les femmes forcées et cloitrées au château. Cloitrée pour cloitrée, elle fut plus libre au monastère.

L’ouvrage ne vise pas à être une biographie exhaustive de la moniale du XIIe siècle. Tout d’abord, parce que nous ne sommes pas renseignés sur tous les détails de cette vie, qu’il y a de nombreuses lacunes. Nous connaissons surtout sa vie religieuse, par les récits de ses contemporains et les lettres qui nous sont parvenues. Sa vie personnelle semble d’ailleurs s’être confondue avec sa vie de moniale, ce qui se comprend aisément quand on sait que depuis l’âge de neuf ans elle a vécu en monastère. De même, nous ne savons rien de sérieux sur son apparence physique, mais il semble qu’elle ait été assez petite et de santé problématique – ce dont nous sommes certains par ses écrits -,  ce qui l’a conduite à s’intéresser à la manière de se soigner et lui fera développer toute sa connaissance de naturopathe avant l’heure. Elle a passé une bonne partie de sa vie alitée, entourée du soin de ses sœurs. Elle a donc, durant sa vie de moniale et de mère supérieure de ses monastères, mené une double existence dont les deux faces sont intimement imbriquées. Elle fut religieuse chrétienne, engagée totalement dans la voie du Christ et, en même temps, une grande créatrice dans plusieurs domaines.

Sa vie religieuse est éminente et a largement contribué à sa renommée dans la chrétienté médiévale. Ses seules sorties furent d’ailleurs pour se rendre à des conclaves ou des assemblées religieuses où elle intervenait à la demande des religieux, abbés ou évêques. Elle était en effet connue pour sa grande sagesse : les hommes et les femmes de son temps, y compris les plus puissants, la consultèrent pour avoir son conseil en des moments délicats. De plus, elle avait reçu des visions prophétiques qu’elle avait transcrites et dont elle a publié les textes. Ce sont ces textes qui ont inscrit Hildegarde dans le grand ordre des mystiques … R. Pernoud donne de larges extraits commentés de ces visions, souvent eschatologiques -c’est-à-dire en lien avec les temps de la fin de ce monde, selon la tradition judéo-chrétienne -, et bien situées dans la ligne des grands prophètes des derniers temps de la Bible juive (Ezéchiel et Daniel, surtout). Ces visions ont été reconnues authentiquement chrétiennes par les papes de son époque et lui ont donné une grande autorité spirituelle. Bernard de Clairvaux lui-même lui a écrit en reconnaissant la valeur de ses charismes. De plus, Hildegarde fut une abbesse particulièrement attentive à ses sœurs et très aimée d’elles. Elle a donc eu, au sens le plus large une sainte vie, ce qui n’est pas nécessairement une vie de sainte[1].

En parallèle, avec cette très riche vie de foi, elle a su développer une vie de culture personnelle très originale et profonde. La (re)découverte de ses compositions musicales, il y a une trentaine d’années, en a fait une compositrice d’avant-garde, dans une civilisation qui invisibilisait facilement les femmes. En réalité, ses compositions ne sont pas vraiment novatrices, mais s’inscrivent dans la tradition du chant liturgique, avec une grande fraîcheur. On en trouve maintenant pas mal d’enregistrements ( à titre d’exemple, la page de la FNAC correspondant à son nom : https://www.fnac.com/ia142803/Hildegard-Von-Bingen ) de ses compositions.

C’est sans doute dans le domaine de la santé qu’elle a connu le succès populaire el plus net. Là aussi, la mode des médecines douces et alternatives lui a rendu un grand service : ses écrits sur la santé, les plantes et leurs propriétés sont maintenant considérés comme les premiers écrits médicaux du Moyen Âge. Ils ont donc envahi les rayons de naturopathie et de développement personnel, la mettant en quelque sorte en position de coach de vie bonne et bio. Il faut raison garder : elle n’a pas inventé la phytothérapie ! elle a consigné des recettes de l’époque et a su observer et innover dans cette tradition.

Enfin, elle fut aussi poétesse : Pernoud achève son livre par trois poèmes de notre auteur. Sa poésie est entièrement chrétienne, baignant dans le climat de renaissance spirituelle du XIIe siècle dont elle fut une actrice majeure.

Le petit livre de Régine Pernoud est une excellente introduction à l’univers de l’abbesse allemande. Il permet d’aborder toutes les facettes de cette vie à la fois minuscule et gigantesque. Libre ensuite à chacun d’en rester là ou d’aller approfondir par des lectures directes de la sainte catholique. Je conseille donc vivement ce livre aux lecteurs curieux de mieux connaître la réalité intellectuelle et sensible du Moyen Âge, au-delà des clichés sur les châteaux forts, tournois et autres croisades.

Jean-Michel Dauriac – juin 2025 – Les Bordes.


[1] La théologie biblique ne connaît pas les saints au sens catholique des termes, avec un processus de béatification et de canonisation, des miracles et un culte qui en découle. Le « saint » du Nouveau Testament (au sens paulinien et pétrinien du terme) est un « mis à part » pour Dieu, ce qui est la condition commune du converti-baptisé qui marche selon la foi du Christ. Il n’est évidemment pas inutile de reconnaître les vies les plus édifiantes et justes et de les donner en exemple, mais en aucun cas un culte ne doit leur être rendu et ils ne jouent aucun rôle d’intermédiaire dans la prière : on prie seulement le Père, au nom du Fils dans une saine lecture des Ecritures. Tout le reste est tradition humaine surajoutée.

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Sacrée Fête de la musique 2025 !

S’il ne devait rester qu’une seule chose des années Mitterrand, ce serait la Fête de la musique. L’idée géniale de coupler ce grand moment populaire au solstice d’été est une façon de renouer avec les rites païens cosmiques. Bien qu’elle ait été largement récupérée par le monde du business, cette fête reste ce qu’elle était au départ : la célébration populaire de la musique, à laquelle tout le monde peut participer, quel que soit son niveau musical. De plus, ce moment de communion ne s’est pas cantonné au monde urbain, comme c’est souvent le cas des pratiques culturelles, mais il marque aussi profondément la France rurale, celle des territoires et des gens oubliés, ceux que le géographe Christophe Guilluy appelle « les oubliés ». J’ai longtemps pratiqué la Fête de la musique comme musicien de jazz, avec mon groupe Jazzpotes, puis Jazzéthic. Depuis le Covid, je me borne à la faire en auditeur-spectateur, en attendant de redevenir acteur. J’ai aussi choisi de la vivre dans ma patrie d’adoption, la Creuse et sud du Berry, autour de chez moi. J’ai déjà rendu compte dans une série d’articles de la vitalité de la vie culturelle en milieu rural profond (liens). Cette édition 2025 a été pour moi l’occasion de vérifier cette vitalité. C’est ce que je veux partager avec vous.

Cette année, la Fête de la musique tombait idéalement un week-end – c’est beaucoup moins pratique en semaine ! -, qui plus est avec un temps au beau (et très chaud !) fixe. C’est d’ailleurs sans doute cette chaleur étouffante qui m’a poussé à choisir deux concerts dans des églises du coin. Les architectes médiévaux savaient fort bien « climatiser » leurs constructions. Dans ma petite patrie, il existe un hebdomadaire plus que centenaire, L’écho du Berry, qui fait très bien son travail d’information locale, notamment au plan culturel. Il dresse une liste de toutes les manifestations proposées dans son périmètre. C’est par lui que j’ai pu choisir mes deux concerts du samedi et du dimanche. Il s’agissait donc de deux concerts dans des églises et avec des chorales, autour du répertoire de musique dite « sacrée[1] ». Il faut distinguer d’emblée cette musique de la musique ou du chant liturgique, qui sont des composants du culte. Les compositions peuvent être incorporées à certaines cérémonies, mais elles ne sont pas partie prenante de la liturgie ordinaire des cultes. Reconnaissons cependant que les compositeurs ont le plus souvent pris comme base textuelle des textes d’église, en latin dans la plus grande partie des cas. Mais ce choix a été rejeté par un compositeur comme J.S. Bach qui a composé sur des textes en allemand, ou Brahms avec son Requiem allemand. Le latin n’est pas la langue officielle de la musique sacrée, mais il y joue, historiquement, un rôle majeur.

Deux concerts, deux lieux différents, deux ambiances différentes et deux qualités musicales différentes, mais un même amour-passion de la musique chez les exécutants : on est donc bien dans l’esprit de la Fête de la musique.

Samedi soir 21 juin, 20 h 30, Basilique de Neuvy Saint Sépulchre (Indre), la maîtrise de la cathédrale d’Angers se produit gratuitement avec un répertoire historique allant du XIIe siècle à nos jours. Le décor est somptueux : la basilique est une des rares églises rondes de France, une belle copie de celle de Jérusalem, datant du XIIe siècle. Evidemment la rotonde n’est pas la forme qui facilite le plus la vision durant les concerts, comme le montre la photographie ci-dessus. Par contre, l’acoustique de cette salle, avec son étage et sa coupole très haute, est exceptionnelle, ce que les choristes et leur chef ont bien senti est exploité. Ainsi firent-ils une entrée scénarisée en tournant, en deux groupes de sens opposés, autour des douze énormes piliers. Le résultat sonore était extraordinaire, on eût dit une longue volée de cloches, durant le chant du motet inaugural. C’était gagné dès le départ : une telle entrée en matière sonore ne pouvait laisser personne indifférent. L’assistance était nombreuse et captivée. La Maîtrise de la cathédrale d’Angers est un des plus vieux chœurs de France, sa fondation remontant au XIVe siècle. Son but premier est l’accompagnement des offices dans la cathédrale. Mais son activité va bien au-delà. Elle se produit en concert, à domicile et à l’extérieur, dans un répertoire de musique sacrée. Son actuel chef de chœur est aussi maître de chapelle de la cathédrale, c’est Sylvain Rousseau. Le chœur dispose aussi d’une accompagnatrice au piano pour certaines pièces plutôt modernes, Camille Pineau.

La formation venue à Neuvy était composée d’un peu plus d’une vingtaine de chanteurs et chanteuses, réparties dans les quatre pupitres habituels. Si les chanteurs sont amateurs dans leur état social, ils sont bien du niveau professionnel dans leur exécution. Le répertoire leur a donné l’occasion de chanter un panorama du chant sacré du Moyen Âge au XXIe siècle, ce qui permettait à l’auditeur attentif de bien mesurer les changements, jamais brutaux, dans un genre très cadré par définition. C’est surtout le répertoire du XXe siècle qui acte l’évolution. Les six oeuvres interprétées (voir le programme ci-joint) rendaient compte d’un changement réel dans la continuité qu’impose la relative permanence des offices.

La direction du chœur autorise un très jeu de nuances, particulièrement mises en valeur dans l’écrin roman de la basilique : les fortissimo étaient vraiment impressionnants, enveloppant dans une pâte sonore tout le lieu, embarquant de ce fait les auditeurs, les détachant pour une heure des pesanteurs de la vie ordinaire, tant il est vrai que cette musique élève l’âme et allège le poids du corps quotidien. Le final fut étincelant, avec un phrasé staccato des hommes établissant une basse continue sous le drapage des voix féminines de l’Exultate de Carl Jeankins. L’exécution impeccable laissait passer toute la sensibilité spirituelle de ces morceaux. Le public l’a bien compris, qui a fait un triomphe aux chanteurs, lesquels ont promis de revenir, séduits par l’acoustique sublime du lieu.

Dimanche 22 juin, 17 h 00, Eglise Saint -Pierre-ès-liens de Châtelus-Malvaleix,  Creuse. Le décor est plus modeste, c’est une église de village assez ordinaire, mais que le public a rempli. Les chanteurs sont venus en voisin, de Guéret, la préfecture microscopique du département. Initialement le concert comportait deux parties : le Quatuor vocal Canthem ouvrait avec un répertoire éclectique allant de Palestrina à Poulenc. Mais avant le début du dit concert, les organisateurs annoncèrent que le quatuor en se produirait pas, la soprano étant en rupture de voix. Il ne restait donc que la deuxième partie, assurée par l’Ensemble vocal de Guéret, sous la direction de Marie-Christine Josset. Cet ensemble est soutenu par le Conservatoire de Guéret qui lui fournit chefs de chœurs et locaux de répétition. Il comprend une quarantaine de chanteurs répartis sur les quatre pupitres, avec une dizaine d’hommes, ce qui est assez remarquable pour être signalé, tant le déséquilibre est grand dans les chorales dont certaines se passent carrément de voix masculines, faute de recrues.

Compte tenu des circonstances, l’Ensemble n’avait prévu qu’une moitié de programmation, soit sept morceaux, donc une durée plutôt brève. La cheffe de chœur eut la présence d’esprit de présenter chaque morceau assez précisément, ce qui allongea un peu l’ensemble. Le répertoire était hétérogène, avec des pièces religieuses, mais aussi des chansons d’origines diverses, dont une version française de La Cumparsita, célébrissime tango, qui fut la tortue de certains jeunes accordéonistes de ma génération. Il serait malséant de comparer cet ensemble avec la Maîtrise de la Cathédrale d’Angers : comme le disait un grand philosophe du XXe siècle, Thierry Rolland, ils ne boxent pas dans la même catégorie. La Maîtrise sélectionne et exige un niveau de lecture et de chant de tous ses membres ; l’Ensemble vocal cherche avant tout à continuer de chanter et, pour cela, recrute avec beaucoup moins d’exigence. C’est le lot de la plupart des chorales. Ce qui ne veut pas dire que le résultat sera mauvais, car en chant choral la totalité vaut plus que la somme des parties. Autrement dit, on peut obtenir un résultat tout à fait honorable avec des chanteurs très moyens, ce qui compte alors étant l’unité de l’ensemble et le talent du chef de chœur pour faire monter la mayonnaise. De ce point de vue là, le concert de l’Ensemble vocal de Guéret est tout à fait correct. La masse collective existe et arrive à bien chanter ensemble. Les solos sont évités, remplacés par des solos de pupitre, plus sécurisant. En effet, l’âge moyen des choristes est assez élevé, comme dans la très grande majorité des chorales[2], et on sait que la voix ne s’améliore pas en vieillissant, son maintien étant déjà une belle chose. Les choristes s’en sortent bien, portés par leur désir de chanter et leur application. Le spectacle était donc tout à fait estimable et a fait la joie du public, qui en a redemandé, obtenant un bis de La Cumparsita.

Evidemment, si l’on mettait les deux ensembles côte à côte, il n’y aurait pas de doute : la Maîtrise d’Angers évolue à un niveau bien plus élevé, professionnel dans son exigence. C’est particulièrement sensible dans le jeu des nuances, beaucoup plus ouvert pour eux que pour l’ensemble de Guéret. Mais il faut aussi attribuer cela à l’âge des chanteurs, bien plus jeunes à Angers, donc plus puissants. Un autre facteur différentiel est sans nul doute également le niveau musical. Celui-ci permet à la Maîtrise d’aborder des pièces plus complexes que l’Ensemble vocal de Guéret. Mais je ne retiendrai pas ces différences de niveau, évidentes et incompressibles. Je ne veux garder que les deux moments de plaisir que j’ai vécus lors de ces deux concerts. Il y avait là la rencontre de deux mondes culturels : celui de la grande ville et de ses moyens et celui du monde rural, moins fourni. Mais la passion est la même et l’Ensemble vocal de Guéret apporte la preuve qu’on peut arriver à un résultat satisfaisant avec des gens ordinaires qui sont assidus et passionnés. C’est la définition de l’art populaire, celui que je défends dans ces colonnes.

Merci donc à ces deux ensembles de chanteurs pour la joie qu’ils ont donnée au public de la France périphérique venu les écouter et les apprécier de toute leur attention.

Pour en savoir plus sur la Maîtrise d’Angers : https://maitrisecathedrale-angers.fr/le-choeur.html

L’Ensemble vocal de Guéret est sur Facebook : https://www.facebook.com/ensemblevocaldegueret/?locale=fr_FR

Jean-Michel Dauriac – 23 juin 2025


[1] Je n’aime pas cette appellation qui laisse croire qu’il y aurait sur ces morceaux une inspiration particulière qui les distinguerait d’une musique triviale. Je préfère parler de musique d’inspiration religieuse, ce qui en qualifie le champ, mais ne discrimine pas la musique en elle-même.

[2] Le chant choral est la première activité des retraités, selon toutes les enquêtes.

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La première histoire – Frédéric Gros –

Albin Michel – 2024 –

Voici un roman que j’ai découvert grâce à l’interview de son auteur, lue dans un journal. J’ignorais qui était Frédéric Gros. J’ai ainsi appris qu’il était universitaire et plutôt du camp progressiste, avec une œuvre sociologique assez importante et deux romans à son actif, avant celui-ci. Le journaliste qui l’interrogeait avait l’air très surpris du sujet de son dernier livre, compte tenu de son parcours antérieur et il lui demandait s’il ne s’agissait pas de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler un « coming back ». A quoi il a répondu que c’était bien le cas.

Ceci m’a intrigué. Que révélait donc cet auteur qui pouvait surprendre son intervieweur ? Et, corollaire de la question précédente, en quoi le sujet du livre était-il aussi surprenant ? Et je l’ai acheté et lu, mû par cette curiosité.

Le coming back n’est pas de ceux que l’on entend ordinairement, mais il est tout aussi choquant dans ce cas que l’aveu d’une passion zoophile : Frédéric Gros a été touché par la grâce et est devenu chrétien ! Ce qui est une preuve évidente de faiblesse d’esprit chez les divers progressistes[1], lesquels sont prêts à croire aux lois du marché, à la main invisible, aux OVNI ou à la mémoire de l’eau, mais qui se gaussent de toute croyance religieuse si elle n’est pas islamique (de ceux-là ils ont peur).

Et ce christianisme a amené F. Gros à se pencher sur une histoire antique méconnue, sauf des spécialistes très pointus de littérature chrétienne des premiers siècles. Celle de l’apôtre Paul et de Théoklia, une jeune fille d’Asie Centrale. J’avoue que je ne connaissais pas cette histoire, qui appartient à l’univers des récits paratestamentaires des premiers siècles. En bon protestant, je me méfie de ces écrits qui n’ont pas retenu l’attention de nos frères de l’Eglise primitive et n’ont même pas été en discussion pour la construction du canon du Nouveau Testament. La plupart de ces écrits apocryphes sont légendaires et relèvent d’affabulations transmises par oral d’abord, puis couchées sur le papier. Le texte antique s’appelle Les actes de Paul et Thécle et a été rédigé par un prêtre qui l’aurait reçu de Paul lui-même en confidence orale. Dès cette affirmation il y a problème, puisque du temps de Paul il n’y a pas de prêtre dans les communautés, mais seulement des anciens ou presbytres (dont on fera plus tard dériver le mot prêtre). C’est donc une reconstruction cléricale. Ensuite, il faut bien signaler le silence total autour de ce récit dans les églises du 1er siècle et même du début du IIe. Mais l’histoire a visiblement passionné F. Gros car il a décidé de la raconter à sa manière sous forme de roman. Il affirme cependant, dans une annexe appelée postface avoir suivi fidèlement la trame d récit primitif. Il donne d’ailleurs ensuite un relevé de sources avec citations empruntées aux Actes de Paul et Thécle. Il a seulement rempli les blancs du récit et donné plus de substance aux personnages principaux qui sont Paul, Barnabé et Theokhlia, plus quelques seconds rôles romains ou asiates.

La trame est assez simple. Une jeune fille, habitant la ville de Konia (Iconium en latin), entend un soir, de son balcon, la prédication enflammée de Paul à un groupe de croyants et de curieux réunis dans un jardin. Elle est saisie par ce message et décide de s’engager auprès de Paul et de répandre l’évangile chez les femmes, car c’étaient surtout les hommes qui bénéficiaient des prédications des apôtres. Mais sa famille, en l’occurrence sa mère, a d’autres projets pour elle, notamment un mariage avec un riche citoyen de la ville. La jeune fille s’enfuit et commence alors une poursuite où sa mère et son fiancé la cherchent, la retrouvent dans une ville voisine, la font arrêter et juger, car elle refuse de revenir à la raison et confesse cette nouvelle foi. Deux fois condamnée à mort, elle sera sauvée successivement par deux interventions surnaturelles. Elle retrouvera Paul, sera baptisée et prêchera avec succès auprès des femmes, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée par son fiancé haineux veut sa mort. Il n’y aura pas de troisième miracle : elle mourra en martyre.

L’auteur raconte tout cela avec un certain talent de conteur. La lecture est aisée et palpitante. Il a su créer une tension entre les trois principaux protagonistes, sur laquelle il joue tout bau long du roman. Barnabé et Paul s’opposent au sujet de cette jeune fille, Théoklia est complètement fasciné par le message de Paul. Paul est bouleversé par cette jeune femme, avec une certaine ambiguïté de sentiments qui l’amènent à la fuir et à remettre son baptême. L’auteur suggère la crise de Paul, mais ne nous en dit rien de concret. Il est un fait qu’il est troublé, mais de quelle manière, l’auteur nous laisse imaginer.

Il faut apprécier le roman en lui-même, en essayant de faire abstraction du fait que les personnages sont réels. Tel quel, le récit fonctionne comme une sorte de western de Cilicie au 1er siècle. On prend bien conscience de la bombe que représente cette prédication du Ressuscité et des effets divers qui en sont le produit : les conversions, les persécutions, les déplacements apostoliques, l’atmosphère d’urgence, car les premiers chrétiens attendent le retour imminent du Christ.

La question qui reste en suspens est celle de la part de vérité dans cette histoire. Les deux miracles qui sauvent la vie de Theoklia appartiennent à ce que la foi chrétienne a pu vivre dans ses débuts. Promise aux lions dans une fosse, elle sera léchée par la lionne qui tuera pour la protéger deux mâles affamés. D’où le surnom de « sainte à la lionne » donné à Thécle, qui a été canonisée. En soi, ce miracle n’est pas plus invraisemblable que la multitude de ceux que Jacques de Voragine conte dans sa Légende dorée. Il faut pour cela franchir le pas de la foi. Selon ses opinions, le lecteur le fera ou pas. Mais qu’il rejette le miraculeux ne l’empêchera pas de lire ce livre avec plaisir, comme on se régale à lire Le Seigneur des anneaux.  On lira avec profit tout ce qui concerne la mission de Paul et Barnabé, car cela est bien rendu et assez documenté.

Un livre de  détente que je conseille pour un voyage ou un week-end de vacances. Agréable, palpitant et éclairant une période exotique pour nous, individus rationnels du XXIe siècle.

Jean-Michel Dauriac – Les Bordes, juin 2025.


[1] Un de ces jours il nous faudra bien parler de cette notion de « progressisme » , qui est un des plus beaux mythes de la modernité ;

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