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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

De Montaigne à Richemont, la voie de l’honneur – 14 juillet 1944

Annette Voineau

Comité de soutien du Mémorial de la Ferme de Richemont

 Voici un livre absolument nécessaire. Mais ce n’est pas la seule raison d’être de cet article. Il s’agit aussi d’un devoir d’amitié envers l’auteur.

Lorsque je suis arrivé au Lycée Michel Montaigne de Bordeaux, d’abord comme professeur stagiaire en 1983, puis comme titulaire en CPGE en 1996, j’ignorais tout de ce que représentait la Ferme de Richemont. Pour moi, c’était le nom d’une rue proche du Lycée, où le CRDP possédait des locaux où l’on se réunissait parfois pour des séances de travail. Il a fallu que je fasse la connaissance d’Annette Voineau, une de mes collègues, pour apprendre ce que ce terme recouvrait de dramatique pour notre lycée et ses étudiants. Annette m’a expliqué rapidement que cela était lié au maquis et à la Seconde Guerre mondiale, et que ce fut un moment tragique pour de jeunes hommes qui refusaient de capituler face à l’occupation allemande.

Nous sommes devenus des amis avec Annette, partageant des moments de discussion profonde, mais aussi des repas avec nos quelques collègues les plus proches. Quand elle est partie à la retraite, nous nous retrouvions de temps en temps (pas assez souvent, hélas !) pour le plaisir de passer un moment ensemble. Une de nos premières amies, Françoise Grasset, est partie la première, vaincue par le crabe. Puis j’ai appris avec un retard certain, la mort inattendue d’Annette, des suites du Covid, m’a-t-on dit. Les rangs de notre cercle s’éclaircissent, nos âges avancent.

Une photographie de 2009, dans la cour du Lycée : à gauche Isabelle Delorme, au centre votre serviteur, à droite Annette Voineau, tous trois alors professeurs au Lycée Michel Montaigne

Annette n’a jamais cessé de faire de l’histoire. Bien sûr en l’enseignant longtemps, mais aussi en se mobilisant autour de ce que nous étions d’accord d’appeler le « travail de mémoire » (et non l’imbécile devoir de mémoire promu partout). Oradour-sur-Glane était, chaque année, le but d’une sortie avec des élèves du lycée. En cela, elle avait formidablement raison : la visite des ruines du village provoque toujours sidération et interrogations chez les jeunes. Bien plus efficace qu’un cours magistral. Elle s’intéressait aussi beaucoup aux monuments aux morts, qui étaient pour elle des témoins capitaux de la Grande Boucherie de 1914-18. Je me souviens d’une fois où elle nous fit visite en Creuse et où elle voulait, avant de repartir, aller voir le monument aux morts de La forêt du Temple, très modeste village creusois, mais connu sous cet angle-là. Elle mena également un combat persévérant pour la mémoire des événements du 14 juillet 1994 à Saucats. Voici où ‘on en revient à ce livre, publié à titre posthume, mais dont le travail était quasiment achevé.

Je résume seulement les faits à leur plus simple expression. Dans les Classes Préparatoires de Montaigne, il existait une prépa à Saint-Cyr (interdite par les Allemands, mais aussitôt déguisée en prépa HEC) et une autre à la Colo (comprenez les métiers de la colonisation). Les élèves qui s’y trouvaient étaient souvent des fils de militaires ou d’anciens combattants, voire d’administrateurs coloniaux. Ils étaient ce qu’il convient d’appeler de jeunes patriotes. Beaucoup refusaient l’esprit de défaite et de collaboration de la France de Vichy. Peu à peu ces jeunes s’engagèrent dans des actions de résistance. Et naquit, début 1944, l’idée de créer un maquis pour chasser les Allemands, car on savait leur défaite inéluctable. Ce maquis choisit de s’installer dans une ferme abandonnée de la commune de Saucats, à 25 km au sud-est de Bordeaux, à l’entrée de la forêt landaise. C’est là que le 14 juillet 1944 la Milice arrivée la première, accompagnée du jeune réisistant qu’ils avaient contraint à révéler la cache du maquis, fait appel au soutien des Allemands: ils donnèrent l’assaut à cette ferme et tuèrent les jeunes du maquis, presque tous étudiants du lycée Michel Montaigne. Ce site devint, après 1945, un lieu de mémoire, avec un monument commémoratif et une cérémonie du souvenir chaque 14 juillet.

Mais le temps passe et les témoins et les rares rescapés disparaissent. Annette savait qu’il fallait agir pour que cet épisode, qui fut un peu la gloire du Lycée Montaigne (voir son titre) ne sombre pas dans l’oubli. C’est le but de ce livre que de réunir un dossier complet sur les protagonistes et de livrer un récit des événements. Annette y fait preuve d’une grande rigueur d’historienne. Elle traque les indices, multiplie les sources, ne brode pas quand elles sont floues ou vides. Le livre est construit en deux grandes sections : la première est le récit proprement dit, raconté en chapitres thématiques, fort plaisants à lire ; la seconde est appelée Annexe, mais elle est surtout importante pour les notices biographiques des personnes impliquées dans cette histoire tragique. Annette a su donner vie à ces noms que l’on peut lire sur la plaque commémorative dans le hall de l’entrée principale (aujourd’hui désaffectée, ce qui est un non-sens) du lycée. Le livre est aussi abondamment illustré de photos, dessins et fac-similé de documents. Le tout représente l’œuvre qu’il fallait faire pour que la mémoire du sacrifice de ces jeunes soit entretenue. Annette ne cache pas leur inexpérience et leur « romantisme », mais elle salue leur courage au service quelque chose de plus grand qu’eux, la France. On se prend à songer au contraste entre cette jeunesse du début des années 1940 et celle d’aujourd’hui, pour laquelle le RN est l’horizon indépassable du fascisme. Pour reprendre une expression des maoïstes soixante-huitards, ce sont des tigres de papier. C’était un temps où le mot patriote avait un sens existentiel et dangereux. Comment en sommes-nous venus à en faire une insulte de gauche ?

Ce livre n’est pas exempt de reproches formels. Il y a beaucoup de coquilles d’imprimerie et de fautes de ponctuation. Parfois des répétitions de certains passages. Mais ces petits défauts n’altèrent en rien la grandeur du projet et sa valeur. Il faut lire ce livre et le faire lire. C’est une façon de perpétuer le souvenir des martyrs de Saucats, mais aussi de faire vivre Annette dans son travail.

Il faut le commander sur le site du Comité de soutien du Mémorial de la ferme de Richemont, voici le lien direct pour obtenir le bon de commande (l’ouvrage coûte 19€ plus le port) : Comité du Mémorial.

Le bon de commande est aussi ci-dessous :

Même si cet ouvrage traite d’un épisode modeste de la Résistance, il a la vertu de bien faire saisir ce qui se jouait alors dans notre pays : la veulerie de l’abandon, avec son cortège d’ignominies, ou le courage de dire non, chacun avec ses moyens. Il serait faux de croire que c’est du passé. Il y a bien plus d’analogies avec notre époque que l’on ne le croit.

Merci Annette de ce beau cadeau aux générations futures.

Jean-Michel Dauriac – Août 2024

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Swing à Nouzerines (23)

Culture populaire en milieu rural (épisode 2)

pour l’épisode 1 cliquer ici

Concert en duo à Mers-sur-Indre (36) – Culture pour tous en milieu rural. – Le Blog à Jean-Mi !?

Concert de Woody Wood Swing Gum

Dimanche 28 juillet 2024. Par la lecture de l’hebdomadaire local L’écho du Berry j’apprends qu’il y a un concert gratuit dans le village de Nouzerines, à l’extrême nord de la Creuse, pas très loin de chez moi. J’avoue avoir été séduit par le nom du groupe qui devait se produire, le Woody Wood Swing Gum. Je me suis dit qu’avec un nom pareil cela promettait un peu d‘humour et pas de prise de tête.

Aller à Nouzerines est déjà une petite aventure, qui nécessite de prendre des routes étroites et sinueuses et de ne pas rater les rares panneaux indicateurs. La population du village est aux environs de 250 habitants, avec une grande dispersion en hameaux, ce qui donne un bourg central de très petite taille, où le monument principal de la commune est l’église romane. Hormis cela, plus aucun commerce, comme dans beaucoup de villages creusois et une masse de résidences secondaires, qui font le plein en juillet-août et restent fermées la plupart du reste de l’année. Bref, la triste description d’un monde rural isolé, autrefois appelé « rural profond » et désormais, à l’époque de l’euphémisation « hyperrural ». La ville moyenne la plus proche est à plus de quarante kilomètres (Guéret ou Châteauroux). Ces données sont importantes pour bien apprécier ce qui va suivre.

En effet, ce microscopique village organise chaque année, depuis 2011, un festival de musique en juin-juillet, festival qui offre une grande variété de styles et répond bien à la belle qualification de « populaire », c’est-à-dire accessible à toute personne du peuple de France. Cette année 2024, ce sont six concerts qui ont été organisés, du 9 juin au 28 juillet (voir le programme ci-dessous).

Nous voici donc garés sur la place de l’Église. Le concert a lieu en face, il n’y a qu’à suivre les passants. Nous sommes juste à l’heure, mais quand nous arrivons dans la très vaste grange-salle de concert du jour, la surprise est de découvrir une centaine de personnes sagement installées sur des chaises disparates posées sur le sol en terre battue (un peu poussiéreuse) : un vrai public de concert, environ la moitié de la population du village, en masse. A la campagne, les gens se déplacent encore, car ils ne sont pas blasés et gavés, tel les publics urbains soumis à une offre surabondante, qui se paie par des publics parfois squelettiques.

Voici la photographie du dimanche 28, pour le concert de jazz ; au fond, on devine les musiciens assis derrière leurs instruments. Sur la photo promotionnelle ci-dessous, on voit mieux les composants du groupe.

Les cinq musiciens du groupe sont: Jean-Claude Guyonnet, Raoul Vaugelade, Patrick Savineau, Sylvain Bouard et Claude Laroudie (chemise rouge)

Vous constaterez qu’à l’exception du pianiste, reconnaissable à sa relative jeunesse (dernier à droite), tous les autres musiciens sont des retraités. Ce qui est conforme à la démographie creusoise, la plus âgée en moyenne de toute la France. Ce qui ne les empêche pas d’avoir la pêche et de faire bouger le public. Il faut dire que leur style, le New Orleans et le swing des années 1930, crée facilement des démangeaisons dans les pieds et les mains.

Le premier trait de ce sympathique groupe est la générosité. Une fois qu’ils sont partis, difficile de les arrêter. Pour un concert gratuit, le public en a pour son argent ! Le programme est bien construit, alternant morceaux très rythmés et dansants et ballades swingantes. On visite le répertoire du premier jazz, avec de grands classiques tels Saint-Louis Blues (le premier morceau jazz édité) ou Muskrat Ramble, on honore le souvenir du grand Sydney Bechet, avec une version de Petite Fleur, on imite en passant le ton du magnifique Yves Montand avec Roses de Picardie, on salue Louis Armstrong avec C’est si bon et Louis Prima avec plusieurs titres, sans oublier Fats Domino. Bref, un joli voyage au pays du jazz initial. Le tout est joué avec enthousiasme. Seul le pianiste improvise, mais on entend mal ses chorus, car le son est assez mal réglé. Les autres musiciens s’en tiennent à leur rôle, avec sérieux et drôlerie parfois. Le meneur de jeu, Claude Laroudie, multisoufflant, annonce les titres et fait parfois un petit commentaire. Le batteur et le banjoïste chantent, en alternance avec le soufflant. Ce jour-là, il manquait le contre-bassiniste, dont on m’a dit qu’il assurait bien le spectacle. On ne s’ennuie pas une minute, les morceaux s’enchaînent bien, c’est assez huilé, et le temps passe, dans une ambiance bon enfant très agréable.

La soirée se termine par le pot de clôture du festival 2024, tant il est vrai qu’en France rurale tout se termine autour d’un verre et des plats faits-maison. J’en profite pour échanger avec la présidente de Patrimoine Nouzerines 23, Stéphanie  Josset, qui me fait un petit historique de l’évènement.

Il faut, encore une fois souligner quelques traits remarquables qui permettent qu’existe une « véritable offre culturelle » comme disent les spécialistes :

  • Il existe tout un tas d’artistes de toutes les spécialités qui sont prêts à venir en pleine zone « hyper-rurale » ou qui en sont partie prenante (c’est le cas de nos jazzeux du jour, tous creusois). Leur but n’est pas de faire de l’argent (encore qu’il faut bien qu’ils touchent des cachets, surtout quand ils sont intermittents du spectacle !), mais de partager son art.
  • Il y a un vrai public populaire, c’est-à-dire représentatif de la population française. Dans le monde rural d’aujourd’hui, les agriculteurs sont extrêmement minoritaires, et je ne suis pas certain du tout (litote) qu’ils prennent le temps de venir au concert. Ce dimanche 24 juillet, les tracteurs et les énormes remorques tournaient un peu partout en Creuse pour rentrer les meules rondes de foin et de paille. Le public rural, ce sont des retraités, beaucoup de retraités, des étrangers résidents secondaires – des Anglais surtout en Creuse -, les rares touristes de passage, et les habitants ordinaires des villages, employés, ouvriers  ou artisans. Bien sûr, dans le lot vous rencontrerez des intellectuels pur jus, souvent parisiens, mais ils font plutôt profil bas, pas sûrs d’être appréciés s’ils font leur numéro de « cultureux ». Ce public  vient pour passer un bon moment, il est toujours dans de bonnes dispositions ; aux artistes d’en profiter. De toute manière, l’accueil est très souvent très chaleureux.
  • Et puis, il y a tous ceux qui permettent que les artistes rencontrent le public, les petites mains qui s’agitent avant et après les concerts ou les pièces, longtemps après que les poètes aient disparu du village. Ce sont ces bénévoles qui sont le vrai trésor de la campagne française. Ce sont eux qui devraient inspirer l’action et la réflexion de nos hommes et femmes politiques, et pas les écolos-bobos urbains qui les occultent complètement. On est souvent frappés de voir qu’il y a là pas mal de gens âgés, qui se bougent pour les autres au lieu de se plaindre de leur arthrose. Ces gens méritent un grand coup de chapeau : qu’il leur soit accordé ici.

J’ai récupéré sur le site Facebook la photographie de l’équipe organisatrice, en espérant qu’ils m’autorisent à l’utiliser!

  • Enfin, il y a les lieux. Bien sûr, point de Zénith ou d’Aréna en Creuse (qu’est-ce qu’on pourrait bien en faire ?), mais des endroits divers, souvent patrimoniaux, qui sont ainsi rendus à la vie collective le temps d’un  concert ou d’une pièce de théâtre. J’ai parlé de cette vaste grange qui nous a accueillis ce jour. Parfois c’est une église, parfois un café, parfois le plein air, en été. Je parlerai dans un prochain article, des jardins privés comme cadre de manifestations culturelles. Il n’y a pas le fétichisme de la salle réservée, dans les campagnes isolées. On fait avec ce que l’on a à proximité et c’est souvent très bien ainsi.

Vous avez bien compris qu’à travers cet article je fais œuvre de militant pour la culture populaire en milieu rural. Cet article est illustré des photographies des diverses manifestations du festival de Nouzerines 2024 (à vous de remettre les noms sous chaque photo). Je souhaite longue vie à ce festival, je salue tous les bénévoles qui le rendent possible et vivant, je remercie les artistes qui l’animent et le public qui lui donne chair. Alors, en juin-juillet 2025, si vous passez par la Creuse ou si vous y résidez, pensez à venir à Nouzerines. Le programme sera sans nul doute varié et alléchant. Je vous donne l’adresse internet pour vous en tenir au courant : Facebook.com/Patrimoine-Nouzerines23

Que vive et prospère la culture populaire et le peuple qui va avec !

Jean-Michel Dauriac – août 2024

PS : cet article est écrit en français grammatical classique et non selon les faux préceptes de l’inclusivité qui détruisent et enlaidissent inutilement notre langue. Par exemple, lorsque j’écris « ceux-ci » à propos des bénévoles, j’utilise ce pluriel au sens neutre de l’Académie Française et non le très lourd « celles et ceux ». C’est aussi un acte de résistance contre des attaques venues d’outre-atlantique (« wokisme ») qui n’ont pas de sens dans notre langue. Soyons fiers de notre belle langue qui « résonne » comme le chantait Philippe Duteil.

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Chronique des temps spectaculaires

Serge Ayrinhac – The bookEdition.com. 15 €.

Depuis plus de 60 ans, les « situs » nous emmerdent ! Voilà, en clair, ce que la bonne gauche parlementaire et asservie hier en partie à Moscou pense de ce qu’il faut appeler les situationnistes. Pour ceux qui ignoreraient complètement ce mot et ce qu’il englobe, u tout petit rappel. Le mouvement situationniste se déploie du milieu des années 1950 au début des années 1970. Il est étroitement lié à une personnalité intellectuelle a une personnalité assez exceptionnelle appelée Guy Debord (1931-1994) et à son livre La société du spectacle[1]. Le situationnisme est un mouvement (qui n’a surtout jamais voulu de venir un parti politique) d’analyse politique critique qui se situe par rapport au marxisme alors dominant, dans un refus du marxisme-léninisme et du soviétisme, avec un recul certain face aux attitudes partisanes et une volonté de réagir en fonction de chaque situation précise et non selon la ligne d’un parti. Debord en est le théoricien et l’animateur. La structure créée s’appelle L’Internationale situationniste (elle fait suite à une Internationale lettriste déjà animée en partie par Debord). Elle sera un foyer bouillonnant des années dominées par la culture stalinienne et le PCF, auxquels elle s’opposera avec force arguments. Les « situs » comme on les appelait alors étaient les ennemis à la fois des communistes et des groupuscules gauchistes. Leurs analyses, d’une pertinence aigüe et d’une impertinence tout aussi acérée, rejoignaient souvent les positions de grands penseurs libres comme Castoriadis ou Ellul. Le situationnisme (terme totalement récusé par les situs qui refusaient un -isme de plus), disons donc l’approche situationniste, avait une incontestable démarche artistique et esthétique, surtout à ses débuts. Debord a réalisé plusieurs films expérimentaux  qui témoignent de cette esthétique. Bon, alors, me direz-vous, quel rapport avec le livre d’Ayrinhac ? Eh bien, dans ce cas-là relisez le titre : le mot « spectaculaires » renvoie directement au concept-livre de Debord. Serge Ayrinhac défend avec brio et mordant l’idée que nous sommes plus que jamais dans la société du spectacle et en apporte la preuve en une collection de chroniques écrites depuis la période du Covid.

La notion de « société du spectacle » a été théorisée par Debord ans son livre éponyme. L’idée centrale en est que nous vivons dans un monde où les cadres techniques et le jeu industriel, politique et culturel nous livrent des mises en scène et des discours théâtraux en guise de réalité. Et, il faut bien admettre que ce concept n’était pas du tout évident lors de la parution du livre de Debord, mais que cela est devenu la grille de lecture utile en nos temps. C’est le propre des grands livres et des grandes pensées d’avoir raison trop tôt. Debord, qui s’est suicidé en 1994, n’aura pas assisté au triomphe du Spectacle et donc, de ses idées.

Le Spectacle qui constitue la chair de ces chroniques est le monde au temps du Covid. Cet épisode unique dans l’histoire contemporaine est décrit et critiqué dans quarante chroniques et cinq pamphlets. J’avoue que la distinction entre les deux types de textes m’a paru un peu spécieuse, tant le ton pamphlétaire est commun à tous les écrits. Serge Ayrinhac mélange portraits au vitriol et critique factuelle, sans épargner qui que ce soit. Il pointe, avec un style extrêmement acéré, l’ensemble des absurdités que ces deux années hors normes nous ont donné de découvrir.

Evidemment, le lecteur ne sera pas surpris que la question des vaccins soit au tout premier plan. N’importe quel observateur un peu attentif rejoindra facilement les positions de l’auteur : ces vaccins ne pouvaient pas être efficaces, car trop vite livrés, et ce sont les milliards d’humains auxquels on les a imposés qui en furent les cobayes, grandeur nature. L’obligation vaccinale et ses conséquences sont dénoncées en des termes très directs. L’attitude des dirigeants divers est également fustigée, avec un amour particulier pour Bill Gates, bienfaiteur de l’humanité s’il en est. Tout ce que ces chroniques dénoncent au fil de la pandémie s’avère aujourd’hui être confirmé et les faits réels commencent à sortir dans la presse. Même l’Union européenne vient de mettre en cause sa présidente pour manque de transparence dans les marchés des vaccins. Le temps vient où nous saurons enfin vraiment quels effets mortels eurent ces vaccins sur certaines populations fragiles, ce n’est qu’une question de temps.

L’assignation à résidence est également très vertement remise en cause. Il faut ben reconnaître que nous fûmes très nombreux à accepter l’inacceptable ou, du moins, à faire semblant de jouer le jeu, quitte à tricher avec les fameuses attestations. Pour l’auteur, ces injonctions policières ne sont qu’une étape dans la prise de contrôle total de nos vies. Or, le contrôle total porte un nom, qu’Hannah Arendt a popularisé et étudié : le « totalitarisme ». Ce que Macron et ses séides ont fait à partir de mars 2020 relève d’une démarche totalitaire et dictatoriale. Mais le plus étrange est que la plus large majorité de la population a gobé cette propagande sur les masques, les vaccins, la distanciation sociale et autres billevesées macroniennes validées par le pseudo-Conseil Scientifique. Cela, Serge Ayrinhac l’a compris dès le début et n’a eu de cesse de le dénoncer, lors des envois de ces chroniques à ses amis. Quand on les trouve toutes rassemblées et que l’on en fait une lecture linéaire, l’absurdité de ce monde éclate à nos yeux et, en même temps, la facilité avec laquelle nous avons accepté la servitude volontaire.

Ayrinhac est un disciple de Debord, il le prouve avec ce livre. Bien sûr, l’occasion était trop belle de dénoncer ces manœuvres, de renverser l’accusation de complotisme et de ridiculiser les marionnettes du pouvoir. L’auteur le fait avec une écriture très personnelle, un vrai style de pamphlétaire. L’ironie est cinglante et moque autant les instigateurs que les victimes consentantes. Ayrinhac aime particulièrement les mots anciens, dont il parsème ses textes. Il s’inscrit ainsi dans une longue tradition d’irrespect des puissants qui démarre, en littérature française, avec Rabelais et n’a jamais cessé d’exister.

La seule question que je me pose à l’issue de cette lecture roborative est celle de sa pérennité. Qu’en sera-t-il de ces chroniques dans vingt ou trente ans ? Elles sont tellement liées à un contexte exceptionnel qu’elles risquent de mal vieillir. Mais c’est le propre de tous les pamphlets, qui sont des produits à consommer frais.

Il est cependant également possible que ces textes demeurent valides, à titre de témoignage, de documents à charge et de pièces du dossier de ce qui deviendra sans nul doute un épisode marquant du XXIe siècle. Cela, seul l’avenir nous le dira et, comme le disait l’Autre, ce grand auteur populaire : « L’avenir dure longtemps[2] ».

Jean-Michel Dauriac – Les Bordes – Juillet 2024.


[1] Pour une information détaillée et précise, je renvoie au long article de Wikipédia : https://we.tl/t-ZZAIaUtlcw

[2] En l’occurrence, ici, l’Autre s’appelle Louis Althusser et ce titre est celui de ses mémoires, rédigées en 1985.

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