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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

La fin de la chrétienté – Chantal Delsol – Constat de décès

Lexio/débats – Le Cerf poche – 2023 (2021 pour la première édition)

Chantal Delsol est bien connue des lecteurs du Figaro, car elle y tient une chronique régulière. Elle est, par ailleurs, l’auteur d’un œuvre assez considérable, divisée en deux périodes. Durant sa vie active, elle fut professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris et écrivit nombre de livres qui étaient plutôt des manuels. Donc des ouvrages destinés surtout aux étudiants ou aux professeurs. Mais, depuis sa retraite, elle a réorienté son travail vers une réflexion de caractère plus philosophique et religieux, dans laquelle elle peut également réutiliser sa connaissance sociopolitique. Elle se définit elle-même comme une chrétienne catholique conservatrice – en lisez pas inconsciemment « traditionnaliste », comme le font beaucoup de gens, tant le biais idéologique est fort – et assume cette grille de lecture au fil de ses ouvrages. Ses livres, comme ses propos lors de sa participation à des émissions diverses, sont intelligents et nous questionnent, tout en restant lisible par le grand public.

Ce petit livre développe une thèse qu’elle soutient depuis longtemps : celle de la fin de l’âge chrétien. Ici, elle emploie le terme « chrétienté », qui a une charge historique évidente, en Europe. Pour elle, la chrétienté désigne une période qui court du IVe siècle eu XXe siècle, et dont nous vivons la fin.  Elle commence par évoquer le contexte du XXe siècle qui est, de son point de vue, celui où se livre le combat pour la survie de la chrétienté et où la défaite s’avère inévitable, plus on approche du début du troisième millénaire. Les moyens envisagés pour assurer le maintien du christianisme ont été variés et pas toujours très positifs. Ainsi signale-t-elle l’appui que de nombreux catholiques ont apporté aux régimes autoritaires, voire au nazisme ou au fascisme, en croyant ainsi rétablir l’ordre ancien. Ces choix n’ont fait que diviser le camp catholique et, d’une certaine manière, précipiter la chute.

La fin de la chrétienté est due à une inversion normative irrattrapable. Depuis une quarantaine d’années, pour s’en tenir à la seule Europe occidentale, on a assisté à des changements de mentalité collective qui atteste une prise de distance, ou même une ignorance totale des normes chrétiennes. Les populations ont rapidement cessé de croire à ce qui fait la foi chrétienne et, en même temps, ont perdu l’adhésion à ses principes moraux et sociétaux. On peut, en France dire que, symboliquement, la France du Général de Gaulle est le dernier temps chrétien. La présidence de Valéry Giscard d’Estaing s’est voulue radicalement moderne, très inspirée par l’épisode Kennedy aux Etats-Unis. L’ébranlement de mai 1968 a porté ses fruits des années plus tard, avec l’élection de François Mitterrand. Là commence le règne du sociétal-libéralisme et la mise en musique de l’inversion de norme. En quatre décennies, la messe est dite : la France a cessé d’être une nation chrétienne, suivie ou suivant les autres nations européennes catholiques, Espagne, Italie… Même la pieuse Pologne a fini par céder. L’inversion normative a bousé le droit, avec l’IVG, le PACS puis le mariage pour tous, la PMA et, très bientôt, la loi sur le suicide assisté. Chacune de ces avancées sociétales saluées par les progressistes est une pelle de terre de plus sur le cercueil de la chrétienté.

Mais il serait incomplet de réduire cette fin à une simple inversion de norme sociétale. Cette inversion normative s’appuie sur ce que Chantal Delsol appelle une « inversion ontologique ». C’est toute la conception de l’homme, du monde et de la pensée qui est remise en jeu. Ainsi faut-il interpréter le retour des formes multiples du paganisme, le panthéisme et le culte de Gaïa, à travers la religion écologiste. Tout se passe comme si l’Europe avait tourné la page du monothéisme chrétien. L’irruption du relativisme intellectuel et culturel nivelle toutes les opinions et pousse les gens à l’autocensure, particulièrement les catholiques, mis à mal par les divers scandales sexuels ou financiers. L’effacement rapide de la chrétienté a laissé le champ libre à toutes les traditions extérieures et à la remise en cause de la notion même de vérité. Chantal Delsol écrit d’ailleurs ceci à ce sujet :

« …il se peut bien que l’idée même de vérité ait été carrément dévoyée par la Chrétienté. Que la vérité ait été posée comme une proposition théorique, comme un dogme, si distant dès lors de la réalité qu’elle trahit et se perd elle-même. » (P. 131).

L’usage abusif fait par l’Eglise catholique romaine de la Vérité, avec une majuscule, se serait donc au fil du temps retourné contre elle. La nouvelle norme veut que chacun soit sa propre vérité à lui-même. Ce qui pose inévitablement un problème pratique que nous vivons à plein : comment faire société quand on n’a plus de croyances communes ? D’une vérité détenue par l’Eglise, qui la traduisait en règles morales et juridiques, nous sommes passés à l’exigence d’une morale d’Etat, incarnée par « le droit à… ». Dans son dernier chapitre, elle accuse l’Eglise et les chrétiens d’avoir honte de ce qu’ils sont et de vouloir ressembler à leurs vainqueurs, quitte à travestir ses positions.

« Réduits à la situation de témoins muets, les chrétiens sont aujourd’hui voués à devenir les soldats d’une guerre perdue. » (P.163).

C’est donc le silence assourdissant des croyants qui est une faute et l’aveu de la défaite des idées. Mais l’auteur ne semble pas, in fine, le regretter vraiment. Lisons les derniers mots de son livre :

« Renoncer à la Chrétienté n’est pas un sacrifice douloureux. L’expérience de nos pères nous apporte une certitude : notre affaire n’est pas de produire des sociétés où « l’Evangile gouverne les Etats », mais plutôt, pour reprendre le mot de Saint-Exupéry, de « marcher tout doucement vers une fontaine ».) ( 180.)

Ce qui me conduit à formuler quelques remarques critiques sur ce livre.

La première est de confondre Chrétienté et christianisme. La Chrétienté est ce que l’on a appelé le césaropapisme, soit la confusion du spirituel (l’Eglise) et du temporel (l’Etat). C’est effectivement une situation séculaire en Europe. Quant au christianisme, pour s’en tenir à une définition claire et simple, c’est « la religion de ceux qui croient au Christ ». C’est donc une affaire spirituelle exclusivement. Or, le Christ a prêché une vie de foi ; il a par contre mis en garde contre le césaropapisme de manière très claire par sa fameuse formule « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il n’y donc pas lieu de regretter la Chrétienté, et c’est ainsi que je comprends la dernière phrase de C. Delsol.

Ce qui me conduit à une deuxième remarque : la confusion entre Chrétienté et catholicisme, donc, sans le dire expressément à une équivalence entre catholicisme et christianisme. Or, ceci est tout sauf vrai. C’est ce que dit l’histoire officielle de l’Eglise, reprise sans recul critique par les historiens. Mais la vérité en la matière est que la foi chrétienne a toujours été plurielle, malgré les énormes efforts déployés par l’Eglise catholique pour éradiquer toutes les autres manières de croire. Ce fut un échec total en tous les temps : jamais ils n’ont pu supprimer les groupes indépendants se réclamant de la lecture évangélique. On a certes détruit l’essentiel de leurs traces, mais en vain et il existe des récits détaillés de la véritable histoire de la foi chrétienne qui rendent justice à tous ces croyants persécutés, mais persévérants. La Chrétienté dont parle Chantal Delsol est en fait le règne de l’Eglise catholique, associé aux pouvoirs politiques.

Et nous arrivons à la troisième erreur qui est, elle, chronologique, donc historique. La Chrétienté n’est pas en train de mourir en ce début de XXIe siècle. Elle est morte, en tant que régime totalitaire césaropapiste, au XVIe siècle, avec la Réforme protestante et les guerres de religion. Le XVIIIe siècle lui a porté coup fatal, avec ce que l’on nomme les Lumières. Les luttes du XIXe siècle et XXe siècle sont les luttes autour d’un cadavre, celui de feue la chrétienté catholique. L’âge d’or de la Chrétienté fut le Moyen Âge, entre l’an mil et le XIVe siècle. Ce qui disparaît aujourd’hui, ce sont les dernières traces de l’héritage judéo-chrétien de l’Europe. Et là, tous les chrétiens sont concernés, pas seulement les catholiques.

Une autre erreur est de dire que les protestants et les juifs ne sont pas universalistes. Si cela peut se démontrer assez facilement pour les Juifs, il faut bien comprendre que c’est au prix du non-respect de l’esprit de la Torah. Quand Dieu la donne à Moïse, il lui précise bien que c’est pour tous. Mais les Hébreux n’ont pas mis cela en pratique et ont gardé Leur Dieu et leur religion. Par contre affirmer cela pour les protestants est une grossière erreur que j’attribue à l’ignorance de détail de cette variante du christianisme. Appuyer cela sur l’individualisme protestant est une faute de raisonnement. L’individu que le protestantisme a en effet défendu et promu n’est pas une monade, il est tout homme du monde, et il suffit de se pencher sur les missions protestantes et leur histoire pour s’en rendre compte. De même qu’il n’y a pas de christianisme plus universaliste que celui des Evangéliques. Mais cet universalisme ne vise pas l’alliance avec les politiques, mais l’annonce du salut à toute créature. Et ce qui se passe aux Etats-Unis, avec les Evangéliques engagés à fond pour Trump est une véritable imposture et la honte de la foi protestante.

Mais, pour conclure, je voudrais dire que, malgré ces erreurs, ce livre est très intéressant et mérite d’être lu. D’abord parce qu’il ne jargonne pas et s’adresse à tous. Et ensuite parce que ce qu’il présente est tout à fait juste, aux réserves près que j’ai émises. Il donne de bonnes clés pour saisir ce qui se passe aujourd’hui en Europe et pour motiver les chrétiens à relever la tête et à parler, au nom de leur foi.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2025.

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De la bêtise – Robert Musil – Un livre intelligent

Paris, Editions Allia, 2011.

Ecrire un livre intelligent sur la bêtise n’est pas donné à tout le monde. Ça tombe bien, Robert Musil n’est pas n’importe qui. Il est un des grands auteurs du XXe siècle en Europe mais, malheureusement très méconnu. Il mérite pourtant d’être aux côtés de Franz Kafka, Thomas Mann, Stefan Zweig, Joseph Roth  et Ernst Jünger comme très grand prosateur de langue allemande, bien qu’il soit, comme Zweig ou Roth, citoyen autrichien.

Ce petit livre reprend le texte d’une conférence donnée en 1937, à Vienne, à deux reprises. Musil lui-même   a déclaré avoir travaillé sur le sujet depuis des années, mais n’être pas arrivé à un résultat satisfaisant en suivant la voie choisie qui était celle de l’aphorisme. La demande de cette conférence lui a permis de donner un tour autre et plutôt définitif à sa réflexion. Il a choisi de traiter le plus sérieusement possible ce sujet très épineux, en l’abordant comme n’importe quel sujet philosophique. Il n’est pas inutile de rappeler que Musil est philosophe de formation, avant de devenir écrivain. Sa formation complète (il est docteur de l’Université de Berlin) en philosophie marquera toute sa production littéraire : il est un écrivain qui pense par la littérature.

Il aborde donc la bêtise comme un sujet de fond, à l’égal de la liberté ou de l’existence de Dieu. Et sa première découverte est de ne pas arriver à trouver chez d’autres penseurs une définition correcte de la bêtise, pas plus qu’il n’arrivera lui-même à le faire. La bêtise est indéfinissable, alors même que tout le monde sait bien ce que c’est.  En cela, c’est bien une question philosophique. Faute de définition, il faut trouver d’autres moyens de l’approcher. Et là commencent les difficultés.  La première est celle de l’intelligence. Pour disserter sur la bêtise, il faut ne pas être bête ; mais affirmer qu’on ne l’est pas (ou dire que l’on est intelligent) passe souvent aux yeux de certains comme une preuve de bêtise. Cette difficulté de se positionner objectivement explique que la plupart des textes qui abordent la bêtise sont des satires ou des pamphlets. Il est plus facile d’ironiser et de railler les manifestations de la bêtise que de les analyser. Cela, Musil le refuse. Son texte ne se moque jamais de la bêtise et de ceux qu’elle atteint. Il cherche au contraire à comprendre comment elle se manifeste et à en tirer un début d’explication.

La bêtise n’est pas un handicap mental et, d’ailleurs, nombre de déficients mentaux ne sont pas bêtes du tout. Mais elle ne se montre pas toujours de la même façon. C’est en étudiant les comportements que l’auteur va aboutir à une typologie binaire de la bêtise. Il part du principe que « chaque intelligence a sa bêtise ». Il existe donc un couple indissoluble intelligence-bêtise qui peut se déployer à divers niveaux. Pour simplifier la démarche, il va opposer e qu’il nomme « la bêtise honnête » à la « bêtise intelligente ».

« La bêtise honnête est un peu lente à comprendre, elle n’a pas « la comprenette facile », comme on dit. Pauvre en représentations et en vocabulaire, elle ne sait guère s’en servir. » (p.42)

Ceci définit assez bien ce que nous percevons comme la bêtise « ordinaire ». C’est une intelligence limitée, pauvres en moyens. On en a souvent fait l’apanage du petit peuple. Au moins depuis Molière, on sait que la bourgeoisie ou la noblesse n’en sont pas du tout exemptées. Musil cite des exemples pris dans le domaine de la psychiatrie et de la psychologie. C’est plutôt drôle ! Cette bêtise est, il le dit lui-même, assez touchante, et pas bien gênante. Elle donne d’ailleurs aux bourgeois le sentiment de leur supériorité.

Mais ce qui choque beaucoup plus Musil, c’est la « bêtise supérieure, la prétentieuse ». Elle sait user de toutes les ruses intellectuelles ; elle a les outils de compréhension de culture. Musil se cite lui-même, à ce propos :

« Il n’est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage ; elle peut se mouvoir dans toutes les directions et prendre tous les costumes de la vérité. La vérité, elle, n’a jamais qu’un seul vêtement, un seul chemin : elle est toujours handicapée[1]. » (P. 46).

 Ainsi donc, la bêtise peut s’immiscer partout où existe l’intelligence. Et c’est dans ce cadre qu’elle est la plus insupportable. Nous avons tous rencontré des individus « bêtes » de cette sorte. Ils peuvent être médecins, avocats, professeurs, généraux… cela ne change rien à l’affaire. Car, pour Musil, cette bêtise-là est une vraie pathologie, une maladie de la pensée, qu’il oppose d’ailleurs à l’esprit sain. IL attire l’attention de ses lecteurs-auditeurs sur la grande attention à soi-même qu’il faut avoir en ce domaine, car nul n’est immunisé contre cette pathologie.

« En revanche, la bêtise « intelligente » a moins pour adversaire l’entendement que l’esprit et – à condition de ne pas entendre par là une simple somme de sentiments- l’affectivité. » P. 49.

La bêtise est donc plutôt à opposer à l’esprit qu’à l’intelligence : on le voit bien quand on évolue dans un milieu intellectuel, où la bêtise est omniprésente chez des gens très instruits.

En arrivant à la conclusion de sa conférence, Musil dit :

« Nous sommes tous bêtes à l’occasion ; à l’occasion aussi, nous sommes contraints d’agir aveuglément ou à demi aveuglément, sans quoi le monde s’arrêterait… » (P. 51)

Nul n’échappe à la bêtise ; elle est là, tapie en nous, prête à surgir à tout moment. Elle surgira, elle a déjà surgi. Le plus important est d’être capable de savoir que l’on a succombé à son culte et quand.

Ce texte de Musil est un véritable petit bijou de rigueur intellectuelle, non dénué d’humour. Il fourmille de formules à conserver. Ajoutons une précision fort utile : le traducteur principal de Musil se nomme Phillipe Jaccottet (1925-2021), qui fut aussi un très estimable poète du siècle passé. La langue est belle et le traducteur connaît parfaitement la pensée et la langue de son auteur.  C’est un bel atout.

Il faut lire et faire lire – à ceux qui le méritent ! – cet opuscule (56 pages), essentiel sur ce vaste sujet, hélas inépuisable. C’est aussi un très bon moyen d’entrer en contact avec cet grand écrivain que fut et demeure Robert Musil.

Pour clore ce texte, je ne résiste pas au plaisir de vous donner un texte d’un autre grand poète du XXe siècle, Jacques Brel :



« L’air de la bêtise »

Extrait du célèbre opéra « La vie quotidienne »
Voici l’air fameux z-entre tous : L’air de la bêtise

Mère des gens sans inquiétude
Mère de ceux que l’on dit forts
Mère des saintes habitudes
Princesse des gens sans remords
Salut à toi, dame Bêtise
Toi dont le règne est méconnu
Salut à toi, Dame Bêtise
Mais dis-le moi, comment fais-tu
Pour avoir tant d’amants
Et tant de fiancés
Tant de représentants
Et tant de prisonniers
Pour tisser de tes mains
Tant de malentendus
Et faire croire aux crétins
Que nous sommes vaincus
Pour fleurir notre vie
De basses révérences
De mesquines envies
De noble intolérance
De mesquines envies
De noble intolérance
De mesquines envies
De noble intolérance

Mère de nos femmes fatales
Mère des mariages de raison
Mère des filles à succursales
Princesse pâle du vison
Salut à toi, Dame Bêtise
Toi dont le règne est méconnu
Salut à toi, Dame Bêtise
Mais dis moi, comment fais-tu
Pour que point l’on ne voie
Le sourire entendu
Qui fera de vous et moi
De très nobles cocus
Pour nous faire oublier
Que les putains, les vraies
Sont celles qui font payer
Pas avant, mais après
Pour qu’il puisse m’arriver
De croiser certains soirs
Ton regard familier
Au fond de mon miroir
Ton regard familier
Au fond de mon miroir
Ton regard familier
Au fond de mon miroir.

IL dit finalement à peu près la même chose que Musil, mais autrement. On peut écouter cette chanson ici : https://youtu.be/8_xtMXhagf4?t=74  

Jean-Michel Dauriac – avril 2025.


[1] Il cite ici un extrait son chef d’œuvre inachevé, L’homme sans qualités , dont nous reparlerons un de ces jours.

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Qu’arrive-t-il à mon pays ?

C’est vraiment la question que je me pose depuis quelques semaines. Je ne reconnais plus le peuple français. J’ai l’impression, brutalement, de vivre dans un pays étranger. Plus précisément depuis le mois de janvier 2025 et la prise de fonction de Donald Trump aux Etats-Unis. Comme si l’arrivée de cet histrion dément avait agi autant sur nous que sur ses malheureux concitoyens. Il n’est pourtant pas le chef de l’Etat français ! Mais on peut en douter, quand on voit l’information de masse et le comportement de nos dirigeants. Tout se passe comme si les délires quotidiens de ce Président calamiteux nous concernaient directement. Je passe sur ses déclarations toutes plus ineptes les unes que les autres et qui lui laissent croire que le Groënland, le Canada, le Panama, Gaza ou l’Ukraine lui appartenaient ou allaient sans coup férir être américain. J’ai noté dans un autre billet d’humeur ce que nous devions aux journalistes en ce domaine. Mon but, aujourd’hui, est de mesurer les impacts trumpiens sur nos dirigeants, l’appareil d’Etat et le peuple français.

Nous assistons, depuis quelques semaines, à une offensive de propagande tous azimuts de niveau exceptionnel, que l’on ne peut comparer qu’au décervelage massif de l’épisode du Covid19. La conjonction des grands médias avec l’appareil politique et les principaux dirigeants engendre une campagne à laquelle il est très difficile d’échapper. Les télévisions se sont mises à l’unisson pour répercuter le discours officiel, comme les grands journaux et magazines avec leurs unes, sans oublier les discours politiques et gouvernementaux. Quelle est la teneur de ce discours ? La guerre est à nos portes, la Russie nous menace, nous les Européens, et nous ne sommes pas prêts, car le grand frère américain (lisez OTAN) a décidé de ne plus nous défendre. Voici pour la charpente générale. A partir de ces prémisses, chaque acteur apporte sa petite musique, mais toutes sont harmonisées dans le même sens : instiller la peur chez nos concitoyens afin de pouvoir ensuite faire adopter les mesures de réarmement et leur budget. Du coup, tout ce qui n’est pas en phase avec cette peur primale entièrement suscitée par un discours catastrophiste et absolument mensonger, devient accessoire et même ridicule. Ainsi, oser vouloir parler des retraites sérieusement serait devenu obscène. Mais emprunter pour s’armer et pouvoir offrir des armes qui nous font défaut à Zélenski est tout à fait essentiel. Demander que la santé et l’éducation soient reprises en main et garantissent le bien-vivre de la population n’est plus du tout prioritaire. Même la lutte contre la violence et les trafics, comme l’immigration, subissent un net recul face à la nouvelle doxa : la guerre, la guerre, la guerre. Qu’il faut bien préparer pour en surtout pas la faire, nous dit-on. Mais rien n’est plus faux que ce stupide adage latin, Si vis pacem, para bellum, (Si tu veux la paix, prépare la guerre), que tout latiniste a appris dans son cursus. Si tu prépares la guerre, tu finiras par la faire, c’est ce que l’histoire démontre à tout coup.

Nos hommes politiques, qui ne brillent vraiment pas par la pensée et l’originalité, mais qui ont, pour la plupart, fait de longues études universitaires où l’histoire leur a été enseignée, ont subitement oublié ce qu’ils savaient sur les années 1911-1913, ce que l’on appelait dans les cours de Première de jadis, la « marche à la guerre ». On pourrait dupliquer les discours et les publier tels quels dans la presse, cela ne se verrait même pas !  C’est à qui va aller le plus loin dans l’appel au réarmement et au sursaut patriotique ! A quoi je ne peux que citer le Grand Jacques : Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

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Le président Macron prononçant son discours sur la base de Luxeuil-les -bains

Mais le responsable principal doit être nommé et identifié : il s’agit du président Macron. Le voici requinqué comme aux plus beaux jours de la « guerre » contre le Covid. Lui qui se trouvait, de facto, marginalisé par sa défaite politique et électorale, écarté du vrai pouvoir, a rapidement su trouver comment occuper le devant de la scène. Car cet adulescent inconsistant ne peut vivre qu’en représentation. Sans caméras et micros, il n’existe plus. Trump lui a fourni les moyens de sa sortie du purgatoire, et il a su très vite en faire usage. Depuis maintenant deux mois, il parcourt l’Europe pour rameuter des troupes autour de son grand projet de défense militaire. Le malheur de la nation veut que le Président, selon la constitution de la Ve République, soit le chef des armées. C’est donc sur cette prérogative qu’il est en train de bâtir son grand retour, en essayant de faire oublier qu’il est le responsable de la situation catastrophique de la France depuis 18 mois et son aventureuse dissolution, bien mal calculée. Et comme les Français sont, effectivement, des « veaux », selon la formule du Général, il est en passe de réussir son coup : une grande majorité des Français sondés lui emboîteraient le pas ! (On a le droit de mettre en doute la méthode de ces sondages !). Ce petit homme qui se ferait dessous s’il se trouvait vraiment sur une ligne de front comme en Ukraine, sous le feu roulant des Russes, adopte la posture martiale de César et va partout prêcher sa bonne parole. Hier, c’était sur la base aérienne de Luxeuil (Haute-Saône), où il a prononcé son discours, micro à la main, au milieu des militaires et a annoncé un effort sans précédent de remise à niveau des forces aériennes. Où va-t-on trouver les milliards d’euros, alors que notre endettement est déjà colossal, le plus important de la zone euro et que nos prélèvements obligatoires (lisez impôts et taxes) sont les plus élevés de l’Ouest ? Soit en empruntant plus – ce qui creusera encore le gouffre et hypothèquera l’avenir sur des générations -, soit en prenant l’argent sur d‘autres postes budgétaires, et de préférence dans les gros budgets des gros ministères. Ce qui augure de restrictions sur la santé, l’école, la justice, les transports, etc.  Et pour quelles raisons objectives ? La Russie a-t-elle envoyé un ultimatum à l’UE ou à la France ? Constate-t-on des mouvements de troupes blindées russes dans les Ardennes ? Non, tout cela à partir de la situation ukrainienne, dont Zelenski a su donner une version inquiétante aux dirigeants de l’UE, au premier chef Macron. Le conflit ukrainien serait l’avant-garde de celui que Poutine va enclencher avec l’UE, il faut donc sauver le soldat Zelenski pour sauver la liberté occidentale. Tout cela ne résiste évidemment pas à l’analyse et s‘avère être en grande partie une fiction, très bien vendue par l’ancien comique ukrainien.

Mais ce qui me déçoit le plus, ce n’est pas la vague éhontée de propagande qui s’abat sur notre pays, mais le fait que les Français se laissent aussi facilement manipuler.  Ainsi il faut bien admettre que tout le travail de l’école et des professeurs d’histoire qui ont enseigné les deux grandes guerres du XXe siècle est inutile. A la première étincelle de nationalisme et de militarisme, ils s’enflamment comme de l’étoupe et se comportent comme leurs aïeux allant « bouffer du boche » et conquérir Berlin en une semaine. « Quelle connerie la guerre », comme l’écrivait Prévert ! Ils ont donc oublié que dans une guerre il n’y a que du mal. Que des morts, des exactions, des mutilés, des blessés, des traumatisés, des destructions de villes et villages, des fusillades de civils… Qu’il n’y a jamais de vainqueur dans une guerre, seulement une illusion de victoire. Que seuls la haine et le malheur gagnent. Que ceux qui appellent à la faire sont justement ceux qui ne la font pas. Ils ont oublié Verdun et ses centaines de milliers de morts pour rien, et les cinquante millions de tués lors de la dernière conflagration mondiale. Non, rien ne peut justifier cette passion guerrière, et celui qui la sème devra un jour rendre des comptes, et pas seulement au tribunal de l’histoire.

France et Français, pouvez-vous vous ressaisir ou voulez-vous continuer à être des pantins que l’on téléguide par électronique interposée ? Il devrait y avoir des centaines de milliers de gens dans nos rues pour dire « non à l’esprit guerrier ». Au lieu de quoi, ils répètent en boucle les fake news officielles de l’Elysée. Il y a des jours où j’ai honte d’être Français !

Jean-Michel Dauriac – 20 mars 2025.

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