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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

De la bêtise journalistique à l’échelle mondiale

« Si l’on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l’on aurait honte de parler ou d’écouter, et l’on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s’accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit de fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l’intérêt des princes, le débit des beaux sentiments et qui reviennent toujours les mêmes… » La Bruyères, Les caractères De la société et de la conversation §4, p. 148-149, éditions La Pléiade.

Journalistes à la cafétaria

Nous assistons, médusés, à une démonstration d’ampleur mondiale de la bêtise journalistique dans toute sa splendeur. Quiconque observe les médias attentivement sur une période de plusieurs décennies, comme c’est mon cas, en simple lecteur, auditeur et téléspectateur, ne peut être que frappé par l’évolution régressive de cette corporation. Les belles âmes progressistes se sont longtemps gaussées des journalistes français à l’époque de l’époque du Général de Gaulle et son ministre de l’information. On a parlé de Franco, du fascisme, beaucoup moins souvent de l’URSS d’ailleurs, pour qualifier cette surveillance des médias français. Mais personne ne semble s’aviser qu’aujourd’hui il n’a même plus besoin de l’ORTF et du ministre associé pour que les journalistes soient aux ordres. Ils s’y mettent tout seuls, et immédiatement. Le bel exemple actuel l’illustre à merveille.

Je ne veux parler ici que de deux exemples : l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et la guerre en Ukraine. Le raisonnement pourrait être élargi à tous les sujets importants de l’actualité.

L’élection de Donald Trump et son arrivée au pouvoir sont emblématiques de la soumission grégaire des plumitifs français. Tant que la corporation n’avait pas envisagé sa victoire, il était traité assez durement, avec une ironie mordante par la grande majorité des médias. Puis, la tendance s’est inversée et son élection est devenue probable, et même certaine, devant l’incapacité de ses rivaux. Et toute la grande famille de l’information a alors changé son fusil d’épaule et commencé à le traiter en homme d‘Etat, couvrant sa campagne de manière très favorable. Depuis son élection, avant même sa prise de fonction, c’est devenu de la flagornerie générale : « président Trump » par ci, « président Trump » par là. Les mêmes qui ricanaient – à juste titre – de ses âneries relatent ses faits et gestes comme celles du pape ou de la reine d’Angleterre à sa grande époque. A ce jeu, les chaînes d’information continue font la course en tête, les autres chaînes ne pouvant rivaliser avec le temps d’antenne que l’on accorde aux propos et attitude du nouvel oracle américain. Que ce malade mental fasse les déclarations les plus absurdes, peu importe, elles sont reprises aussitôt et commentées ad nauseam par les pseudo-experts appointés des divers médias. Il veut annexer le Canada, acheter le Groenland et reprendre le canal de Panama, transformer Gaza en Riviera purgée de ses Arabes, faire la paix en Ukraine en une journée… J’arrête là l’inventaire. N’importe quelle personne dotée de tout son bon sens, lisant ces propositions, conclura à la folie de celui qui les profère. N’importe qui, oui, mais pas les journalistes qui, eux, sont bien plus perspicaces et ont compris tout l’intérêt de ces propos… Ces crétins en meute crédibilisent donc à longueur d’antenne les paroles de celui qui relève de la psychiatrie. Et le fait qu’il ait été élu ne prouve rien sinon la défaite totale de la démocratie et la stupidité de l’électeur moyen américain, hélas en passe d’être rejoint dans cet abîme de bêtise par les électeurs européens, tous séduits par leurs Trumps aux petits pieds. Pourquoi agissent-ils ainsi, me demanderez-vous ? Sans doute d’abord parce que leur esprit critique est de la taille d’un pois chiche. En cela, ils sont les purs produits de la formation française dégradée depuis plus de trente ans. Mais il y a autre chose. Ils craignent tous d’être privés de visa pour les Etats-Unis s’ils se signalent agressivement contre le dément en chef, qui pratique la vengeance sauvage à satiété. Et surtout, ils obéissent servilement à leurs chefs et propriétaires, qui sont tous, d’une manière ou d’une autre, en affaires avec les Etats-Unis. Il faut donc éviter de se fâcher avec leur président, quel qu’il soit et quelles que soient les énormités qu’il puisse proférer. Voilà ce qui gouverne l’information aujourd’hui. Tout le reste n’est qu’habillage cosmétique. On glisse juste un peu de critique pour faire crédible, et le tour est joué. Les Français sont nourris au lait de cette mamelle corrompue et répètent fidèlement dans les sondages ce qu’on leur serine à longueur de journée.

Et c’est ici que l’on rejoint la guerre en Ukraine. Comme les deux sujets sont dorénavant liés par la grâce trumpienne, les journalistes font également tourner en boucle leur pseudo-information sur la situation en Ukraine et les projets de paix du génial taré d’outre-Atlantique. Trump va donc régler en quelques jours ce conflit qui pourrit depuis trois ans ! Qu’a-t-il promis à Poutine ? On se garde bien d’en parler. Mais ça, les Ukrainiens, eux , le savent, ils savent qu’ils ont déjà perdu définitivement les terres prises par l’armée russe, que l’annexion de la Crimée va être reconnue de fait et qu’ils ne pourront pas intégrer l’OTAN. Trump a vendu l’Ukraine à Poutine pour désengager son pays de l’aide à l’Europe, voilà la vérité toute nue, celle qu’il faudrait marteler : c’est un abandon en rase campagne, un retour à l’isolationnisme traditionnel américain. Mais on camoufle cela derrière l’espoir d’une paix bradée qui va abandonner l’Ukraine et l’Europe.

Mon propos n’est pas de développer davantage ces arguments : ils devraient être évidents pour toute personne qui réfléchit seule. Et pourtant ils sont aujourd’hui considérés comme déviants face au discours ultra-dominant du système médiatique national, lequel a retrouvé une belle santé de propagande depuis quelques années (disons depuis le Covid, pour faire simple). Les auteurs de ce crime contre la liberté de penser et l’esprit critique sont ces rédactions de clones fabriqués à la pelle dans les écoles de bien-pensance qu’on appelle de journalisme. Albert Londres, reviens, ils sont devenus fous !

Bilan : un crétin peroxydé, malade mental incontestable, délire en permanence et ses propos de malade sont repris et commentés comme des oracles par toutes les rédactions de France, sans aucun recul critique, sans signaler ce que ces paroles ont d’inepte et de dangereux pour l’ordre mondial péniblement maintenu depuis 80 ans. Si vous adhérez à ces discours et pratiques, sachez que vous préparez le chaos pour vos enfants et petits-enfants, lesquels sont déjà très menacés par de vrais périls, sans que ‘on rajoute celui de la bêtise journalistique.

Jean-Michel Dauriac – 17 mars 2025

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Deux positions radicales contre la guerre : Léon Tolstoï et Jacques Ellul.

Table ronde La guerre et la foi – mardi 18 février 2025

L’Université Populaire des Hauts de Garonne, que j’anime et que j’ai fondée en 2008, organise régulièrement des tables rondes inter-religieuses sur des thèmes d’actualité. Le thème de cet année était La guerre et la foi. Pour présenter et débattre, il y avait quatre intervenants: Georges Cottin, prêtre et jésuite, Didier Guedj, membre du consistoire juif de Bordeaux, Mahmoud Doua, enseignant et imam de Cenon & Jean-Michel Dauriac, théologien protestant. Chacun disposait d’une dizaine de minutes pour s’exprimer sur le sujet, après quoi le débat avec la salle et entre les intervenants était ouvert. Je reproduis ci-dessous le contenu de mon intervention, en tant que regard protestant sur le sujet.

Je voudrais présenter très brièvement deux positions sans compromis sur la guerre et la violence armée. Elles émanent de deux hommes qui en se sont jamais connus et qui ont vécu en des temps différents.

L’un est un chrétien, en rupture d’Eglise, qui accorde toute autorité aux paroles de Jésus dans les Evangiles, qui a vécu une vie de croyant solitaire, mais dont les positions théologiques sont assez souvent très proches de celles des protestants les plus libéraux. C’est Léon Tolstoï (1828-1910), homme du XIXe siècle russe, d’un pays qui a connu de très nombreuses guerres durant sa vie.

L’autre est un homme du XXe siècle (1912-1994), protestant de l’Eglise Réformée revendiqué mais marginal dans celle-ci par sa lecture évangélique et ses prises de position. C’est Jacques Ellul, le grand penseur aquitain.

Tous deux ont des positions proches, auxquelles ils sont parvenus par des chemins très différents, mais qui se retrouvent dans un radicalisme qui exclut tout compromis « raisonnable ». Tous deux se caractérisent par un amour passionné de la liberté et une fidélité totale au Christ des Evangiles. Regardons rapidement ces positions.

Léon Tolstoï : de la guerre du Caucase à la non-résistance au mal comme commandement absolu

Tolstoï a connu une vie pleine de contrastes : durant les cinquante premières années de sa vie, il fut un noble russe de religion orthodoxe atavique, il fut militaire engagé durant cinq années et participa à deux conflits comme officier : la guerre de conquête et de « pacification » du Caucase, puis la guerre de Crimée et le siège de Sébastopol (entre 1851 et 1856). Plus tard, alors qu’il était marié et père de famille (années 1860-1870), il se passionnait encore pour les guerres russes et envisagea même de partir se battre contre les Turcs, ce que sa femme stoppa brutalement. Puis il vécut une véritable conversion au Christ, en 1879.

Dès lors, sa lecture attentive des Evangiles le convainc que le cœur de la prédication du Christ est le propos rapporté en Matthieu 5 :39 : « Mais moi je vous dis ne pas résister au méchant. » Il élabore alors une théorie chrétienne qui sera appelée la « non-résistance au mal », théorisée dans un livre intitulé Le royaume des cieux est en vous. Il y développe toutes les implications de ce refus de tout usage de la violence, tant au plan personnel qu’au plan politique, ce qui correspond à une position chrétienne anarchiste qui rejette tout pouvoir si ces celle de l’amour du Christ.

Tolstoï condamnera aussi bien la guerre russo-japonaise de 1904 que la révolution avortée de 1905, car ce furent deux explosions de violence. Sa position radicale en a gêné beaucoup, mais il a tenu bon. Il fut suivi en cela par des disciples que l’on appela les « tolstoïstes » ou « tolstoïens », selon les auteurs. Ce mouvement fut balayé par la Première Guerre mondiale et la Révolution russe.

Mais les idées de refus de tout usage de la violence de Tolstoï avaient gagné des partisans partout dans le monde. Un de ses disciples majeurs fut un jeune avocat indien vivant en Afrique du Sud, Gandhi. Il fit de cette non-violence son arme favorite. On oublia cependant que c’est Tolstoï qui avait théorisé cette pratique, pour l’attribuer à Gandhi dont, à son tour, Martin Luther King fut le disciple, sans savoir lui non plus ce qu’il devait au grand écrivain russe.

Jacques Ellul : La « non-puissance » comme solution à la violence du monde

Jacques Ellul a toujours revendiqué sa foi chrétienne et son attachement à ce qu’il appelle la Parole de Dieu, laquelle est contenue, en partie, dans la Bible. Il a toujours également considéré qu’il fallait être conséquent dans sa façon de lire les Evangiles.

« Pour ma part, je crois que toute Parole de Dieu (mais je n’identifie pas, automatiquement, la Bible à une parole de Dieu) est radicale et absolue. C’est-à-dire qu’elle atteint à la racine, et, sans être littéraliste, je crois que tout impératif biblique reste tel quel, n’est susceptible d’aucune réinterprétation, d’aucune édulcoration, d’aucun cantonnement. La Bible, c’est le tout pour le tout. Donc, je prendrai les indications concernant la guerre, violence, terrorisme dans leur sens radical[1]. »

On le voit, cette position rejoint le radicalisme de Léon Tolstoï : on prend au sérieux ce que dit La Bible et Jésus. Cette citation est extraite d’un imposant ouvrage collectif, édité en 1991 par les éditions catholiques Le Cerf sous le titre Les religions et la guerre, sous l’égide du Secrétariat général de la Défense nationale. Des intellectuels et ministres du culte des trois monothéismes y confrontent leurs points de vue sur la guerre et le rôle des religions. Ellul est un des intervenants protestants, aux côtés de André Dumas et Michel Dautry. Il y développe de manière très nette sa position de chrétien face à la guerre. Nous tirons de cet article les arguments qui suivent. Nous les citons ici sans les développer.

  1. Seul l’individu peut être chrétien. Il ne peut pas y avoir d’Etat ou d’institution chrétienne, pas plus que de société chrétienne. « Mais la foi ne peut être que le fait d’êtres humains. C’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir d’institutions chrétiennes, il ne peut pas y avoir d’Etat chrétien ni de société chrétienne. » (p. 290.)
  2. Il n’y a jamais de guerre acceptable : pas plus de guerre « juste » que de guerre « sainte ». « Ce qui me conduit à dire qu’il n’y a jamais de guerre acceptable pour la foi, ni de violence acceptable, ni de terrorisme, etc. » (p.290.)
  3. Jésus développe dans les Evangiles une attitude de « non-puissance ». « La non-puissance, ce n’est pas l’impuissance. Celle-ci désigne la situation où on ne peut agir par la puissance. Alors que la première consiste à posséder une puissance, mais à refuser de l’exercer. » (P.291.) Ellul cite des exemples tirés des Evangiles.
  4. Les objections tirées de l’Ancien Testament (Bible hébraïque) ne résistent pas à une critique serrée. Ellul évoque même une pédagogie de l’erreur voulue par l’Eternel, en citant Ezéchiel 20 : 25-26, texte très dérangeant.
  5. Refuser la guerre n’a rien d’idéaliste. Voici ce que dit Ellul : « On a l’expérience qu’aucune guerre n’a jamais résolu aucun problème, ni politique, ni économique et de même, dans l’ordre des violences révolutionnaires, aucune révolution n’a jamais mené à autre chose qu’ à des dictatures. » (P.292.) Par contre la non-violence a remporté des succès : il cite les acquis de ML King et les compare aux échecs des Blacks Panthers ou Black Muslims.
  6. Cette loi de non-puissance e peut être la politique d’un Etat. « Cette conduite de non-puissance dérive de la foi au Seigneur Jésus-Christ, cela ne peut pas être transformé en loi générale d’un Etat et d’une société où 90%  des habitants sont non-croyants. Et nous atteignons un point crucial : toutes les réflexions théologiques sur la guerre juste dérivent de la conviction qu’il y a continuité entre l’Eglise et l’Etat, qu’il y a même confusion (dans le constantinisme) et que tout le problème consiste à savoir comment concilier les deux ! » (P. 293.) « Jésus crée avec l’Eglise une autre société » (P.293.)
  7. L’Eglise doit faire entendre sa voix dans le débat public, mais elle n’a pas à chercher à diriger ou influencer les politiques. « Et cela d’autant plus que les dirigeants d’Eglise et els théologiens sont en général de lamentables « politiciens ». » (P.294.) Choisir un camp est toujours un mauvais choix que rien ne justifie au plan de la foi chrétienne.
  8. Il peut y avoir des circonstances qui amènent à des constats contraires à la liberté chrétienne. « Mais reconnaître que la guerre peut être inévitable et indispensable du point de vue politique, ne veut dire ni qu’elle soit juste, qu’elle soit légitime, ni qu’elle doive être approuvée par l’Eglise, et que les chrétiens aient à la justifier, ni enfin qu’on puisse en espérer une paix durable et une situation équitable! La guerre est toujours de l’ordre du mal. » (P. 294.) Elle est alors de l’ordre de la nécessité et se trouve en opposition radicale avec l’Evangile qui est liberté.
  9. « L’exigence de la liberté chrétienne implique le refus de toute guerre, y compris la guerre « soi-disant » de libération ! » (P.295.) Le rôle des chrétiens est, non de pousser à la préparation de la guerre, mais d’être des porteurs d’espérance, ce qui est tout le contraire de la guerre, qui n’apporte que désespoir et peur. Ellul réfute deux objections : celle des « mains pures » et du refus de s’engager, et celle du jeu de « combien de divisions ? » cher à Staline, le rapport de forces matérialiste.
  10. Un chrétien peut décider de faire la guerre ou de la soutenir : « Que l’on fasse la guerre si l’on croit que c’est bien, mais que l’on ne cherche pas de justifications spirituelles ou morales. » (P. 296.) La nécessité exclut la liberté.
  11. Ellul prend deux exemples contemporains de cette radicalité évangélique qu’il préconise : 1/ Les Quakers américains durant le second conflit mondial, qui surent rester hors de la guerre malgré les quolibets et les diffamations. Leur attitude ferme sema le pacifisme des années 1960-70Guerre du Vietnam). 2/Les baptistes et adventistes en URSS qui restent sur une stricte position de non-violence et d’objection de conscience sont arrêtés et envoyés au goulag, mais qui voient leur nombre augmenter rapidement.
  12. Pour Jacques Ellul, la fidélité à la liberté chrétienne devrait se manifester par un rejet total du nationalisme et le refus de cantonner les Eglises au plan national.

Comme on peut le constater, ces positions sont très nettes et tranchent avec celles des grandes Eglises chrétiennes.

Léon Tolstoï et Jacques Ellul font la même lecture de l’Evangile et de l’attitude du Christ. Tolstoï va plus loin qu’Ellul en refusant toute résistance au mal, ce qu’Ellul ne dit pas expressément. Mais els deux considèrent la guerre comme le mal absolu et posent l’impossibilité pour le chrétien d’y adhérer. Ce n’est pas simplement du pacifisme, mais l’expression d’une autre vie et d’une autre société, de liberté et de responsabilité envers autrui.

Jean-Michel Dauriac – Février 2025


[1] Les religions et la guerre, direction Pierre Viaud, Paris, Editions Le cerf, 1991 ; chapitre XII, Les chrétiens et la guerre, Jacques Ellul, p. 291.

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Le privilège de Nathanaël

Prédication du dimanche 23 février 2025 – Pessac

Lecture de base : Jean 1 : 43 – 2 : 2 (version La Colombe)

«   Le lendemain, il voulut se rendre en Galilée, et il trouva Philippe. Jésus lui dit : Suis-moi.

44  Philippe était de Bethsaïda, la ville d’André et de Pierre.

45  Philippe trouva Nathanaël et lui dit : Nous avons trouvé celui dont il est parlé dans la loi de Moïse et dans les prophètes, Jésus de Nazareth, fils de Joseph.

46  Nathanaël lui dit : Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ?

47  Philippe lui dit : Viens et vois. Jésus vit venir à lui Nathanaël et dit de lui : Voici vraiment un Israélite dans lequel il n’y a pas de fraude.

48  Nathanaël lui dit : D’où me connais-tu ? Jésus lui répondit : Avant que Philippe t’ait appelé, quand tu étais sous le figuier, je t’avais vu.

49  Nathanaël reprit : Rabbi, toi tu es le Fils de Dieu, toi tu es le roi d’Israël.

50  Jésus lui répondit : Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses que celles-ci ! 

2 : 1   Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là,

2  et Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples. »

Nathanaël est un personnage très secondaire des Évangiles. Il n’apparaît que deux fois et seulement dans l’Évangile de Jean. On ne lui connaît aucune action particulière, il n’est pas présent sous ce nom dans les Actes des Apôtres. Bref, il reste un inconnu pour le lecteur de la Bible. Et pourtant le récit que nous venons de lire est un petit bijou, très riche d’enseignement. Avant d’en tirer quelques leçons utiles pour nous, essayons d’en savoir un peu plus sur le héros de ces versets.

Nathanaël, comme tous les noms juifs, a un sens précis. Il signifie « don de Dieu », c’est le strict équivalent de Matthias, qui signifie « don de l’Eternel ». Donc, dès sa naissance, Nathanaël est marqué par Dieu. Pourtant il n’apparaît pas dans la liste des douze apôtres du Nouveau Testament, alors qu’il est un des premiers appelés. Pourquoi ? L’hypothèse qui fait consensus chez les spécialistes du Nouveau Testament est qu’il serait nommé dans cette liste des Douze sous le nom de Barthélémy, son nom complet étant Nathanaël bar Talmaï (fils de Talmaï), traduit par Barthélémy. Mais on ne sait pas plus de choses sur Barthélémy que sur Nathanaël à la seule lueur des textes du Nouveau Testament.

Le dictionnaire des saints de l’Église catholique l’identifie bien à Barthélémy. La tradition extra biblique rapporte qu’il aurait subi le martyre en Arménie ou en Perse. Mais il n’y a aucune preuve de cela. Au XIIIe siècle, le dominicain Jacques de Voragine rassembla toutes les légendes qui circulaient sur les saints et en fit un livre qui a été appelé La légende dorée. Il y a un texte sur Saint Barthélémy, qui en fait l’évangélisateur de l’Inde et lui fait subir le martyre en Arménie. Mais tout ceci n’est absolument pas corroboré. Il faut admettre qu’on ne sait rien sur Nathanaël-Barthélémy. Et pourtant, cet apôtre obscur a connu un immense privilège, que nous allons considérer maintenant en étudiant le texte de l’Évangile.

Je retiendrais rapidement quatre points dans ce passage :

  1. Le rôle de Philippe
  2. Le scepticisme vaincu de Nathanaël
  3. La révélation et la proclamation de Nathanaël
  4. Sa présence aux côtés de Jésus du début à la fin de son histoire terrestre

Philippe et le fruit de son témoignage (verset 45)

Nathanaël n’a pas croisé la route de Jésus, il n’a pas été appelé par lui. Il doit sa rencontre avec Jésus à la parole que son ami Philippe lui a adressée. On peut donc dire qu’il est le premier fruit de l’évangélisation du ministère de Jésus. Jésus appelle Philippe, qui connaît André et Pierre, car il vient comme eux de Bethsaïda, une ville nouvelle toute proche de Capernaüm. Sans doute Jésus l’appelle-t-il dans cette ville où il nous est dit qu’il résida. Jésus n’explique rien à Philippe, il lui dit simplement « suis-moi », une des formules préférées de Jésus pour choisir ses disciples. C’est peu, très peu pour tout lâcher et suivre ce prophète errant. On peut imaginer que Philippe a entendu parler de Jésus par André et Pierre, mais nous n’en avons aucune preuve formelle. Nous savons que Philippe sait l’essentiel, par ce qu’il dit à son ami Nathanaël : « Nous avons trouvé celui dont il est parlé dans la loi de Moïse et dans les prophètes, Jésus de Nazareth, fils de Joseph ».

C’est un juif qui parle à un autre juif et lui dit : « nous avons trouvé le messie de la prophétie » ; ce qui signifie « l’envoyé de Dieu ».

Pour témoigner, il n’y a pas besoin d’un énorme bagage théologique, d’avoir suivi des cours de formation intensifs, de maîtriser la Bible et la doctrine. Il suffit de s’être mis en marche dans les pas du Christ. Dès le début, Philippe témoigne et porte du fruit. Jésus nous fait comprendre cela quand il envoie les Douze en mission dans les villes d’Israël (Luc ch.9), avec un message rudimentaire et une très faible connaissance.

Or, Philippe nomme ce messie « Jésus de Nazareth », comme on le faisait souvent pour identifier les gens.

2. Le scepticisme vaincu de Nathanaël (versets 46-48)

À l’énoncé de ce nom, Nathanaël réagit négativement, mais en bon juif qui connaît les prophéties. Sa remarque paraît dure : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » Mais elle est fondée sur au moins deux bases solides :

  • Nazareth est un petit village perdu, de plus en Galilée, territoire mal vu par les Judéens, car séparé d’eux par la Samarie, région d’hérétiques.

Les Galiléens ont une réputation de « ploucs », ils ont un accent particulier et sont considérés comme peu orthodoxes dans leur judaïsme. Ils sont considérés comme les ruraux profonds par les Parisiens (vrais ou faux).

  • Les prophètes ont parlé de deux lieux pour le messie : Jérusalem (Sion) bien sûr, mais plus surprenant, Ephrata-Bethléem (Michée Ch. 5 : 1-4), bourgade modeste au sud de Jérusalem. Mais il n’y a jamais de mention de Nazareth, qui n’existe sans doute pas à l’époque ancienne, car c’est une création plus récente. Nathanaël ne peut pas savoir que Jésus est né à Bethléem, de parents judéens (ou rattachés à eux par la tradition).
  •  

Vous remarquerez que Philippe ne répond rien à cela, il n’entre pas en polémique avec son ami. Sa réponse est lapidaire : « Viens et vois ».

Lorsque j’étais enfant, c’était le nom des salles de réunion des Assemblées de Dieu (pentecôtistes), qui éditaient aussi une feuille d’évangélisation qui portait ce nom et était largement distribuée aux gens lors du témoignage.

Il suffit de conduire les personnes auprès du Christ pour qu’ils s’en rendent compte par eux-mêmes. Il n’est pas nécessaire de rentrer en débat et d’avoir des arguments tout prêts. Il suffit d’accompagner près de Christ.

Que voit Nathanaël ?

Un homme qui l’accueille par une belle phrase positive : « Voici vraiment un Israélite dans lequel il n’y a pas de fraude (ou d’artifice) ».  Jésus affirme ainsi que Nathanaël est un bon juif, fidèle à la Loi. Mais celui-ci réagit : comment cet homme peut-il affirmer cela ? N’est-ce pas un coup de bluff d’un manipulateur ?

Alors Jésus fait un « petit » miracle, donne un signe à Nathanaël. « Avant que Philippe t’ait appelé, quand tu étais sous le figuier, je t’avais vu. » Le texte ne nous a pas initialement dit où était Nathanaël, mais le récit montre que c’est vrai. Nathanaël avait besoin d‘un signe pour vaincre son scepticisme. Jésus lui a donné. C’est le sens profond de ce miracle.

Il nous faut parfois peu de choses pour croire, mais ce peu de chose est décisif. La rencontre avec Jésus ne s’accompagne pas souvent de grands signes spectaculaires. C’est à notre cœur qu’il donne le signe, même infime, qu’il nous dit : « Je te connais déjà ». Deux petites phrases ont suffi.

3. Le privilège de Nathanaël (verset 49)

Nathanaël est vaincu dans son scepticisme par cette révélation minuscule. À son tour, il en va prononcer qu’une seule phrase, mais quelle phrase !

« Rabbi (maître), toi tu es le Fils de Dieu, toi tu es le roi d’Israël. »

Ma longue expérience des sermons (en tant qu’auditeur) me permet de dire que les prédicateurs n’accordent pas à cette phrase toute l’attention et l’importance qu’elle mérite.  Nathanaël proclame que Jésus est LE FILS DE DIEU ! Vous pouvez chercher dans tous les débuts des quatre Évangiles, c’est la première affirmation de la filiation divine de Jésus (à part celle des démons !) Et elle sort de la bouche d’un obscur Galiléen, originaire d’un village voisin de Nazareth, Cana (où Jésus et ses disciples se rendent immédiatement après). Voici le grand privilège de Nathanaël dans l’histoire de la foi chrétienne : il est le premier à reconnaître la divinité du Christ.

La tradition chrétienne – catholique, orthodoxe, protestante et évangélique – retient la proclamation de Pierre, rapportée en Matthieu 18 : 13-19. Bien sûr, Pierre a aussi reçu cette révélation personnelle, mais bien après celle de Nathanaël. Cependant, l’histoire chrétienne, mise en scène par l’Église catholique romaine, a mis en avant Pierre et, à partir de cet épisode de Césarée de Philippe, a construit le personnage de « prince des apôtres » et de premier évêque de Rome et fondateur de la papauté. Et les protestants ont repris cette construction à l’avantage de Pierre (pas pour la papauté bien sûr !), laissant Nathanaël dans l’oubli. Quelle injustice humaine !

4 Du début à la fin, Nathanaël est là (Jean 21 :1-2)

    « 1  Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples, sur (les bords de) la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.

    2  Simon Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples étaient ensemble. »

    Nathanaël a tout vécu avec Jésus : le ministère itinérant, les miracles, les menaces, la Cène, l’arrestation et les procès, la crucifixion et la résurrection, suivie des apparitions avant l’Ascension. Il est encore là, avec ses amis pêcheurs, un matin, sur les bords du lac. Là encore c’est Simon Pierre qui va voler la vedette aux autres. Mais ils sont sept présents sur les lieux, sept à manger le pain du Christ et les poissons. Nathanaël n’est pas mis en avant, mais il est là. Il va pouvoir témoigner de tout ce qu’il a vécu. Peu importe que l’histoire ne le retienne pas. Il a eu le privilège extraordinaire d’accompagner le Christ du début jusqu’à la fin.

    Nous ne sommes pas appelés, le plus souvent, à un destin glorieux et public. Il nous est simplement demandé de marcher avec Jésus et de témoigner de ce que nous avons vu et vécu.

    L’histoire de Nathanaël est pleine d’enseignements positifs pour nous. Elle nous parle de scepticisme à dépasser, de changement d‘attitude, de conversion, de révélation et de confession de foi. Elle montre la fidélité de cet homme à sa rencontre initiale. Comme nous, il est un obscur qui n’a pas laissé de trace. Mais ce qu’il a été sera manifesté « au dernier jour », comme le dit le Christ. Souvenons-nous de Nathanaël, qu’il soit un exemple qui nous accompagne.

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