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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

A toute créature – Portraits et messages missionnaires -Général Booth – François Coillard – Charles Studd – Hudson Taylor

Série « Dans la bibliothèque de mon père.. »

Editions des Groupes Missionnaires – Vevey – 1959 – 169 pages.

Toujours trouvé en rangeant la bibliothèque de mon défunt père, voici un livre portant sur la mission chrétienne, à travers quatre de ses figures les plus marquantes dans le monde protestant évangélique. Le projet initial est très pédagogique : il s’agit de susciter des vocations missionnaires à travers la présentation de ces quatre figures de missionnaires. La date d’édition du livre, 1959, le situe encore dans une perspective coloniale où la mission faisait partie du « lourd fardeau de l’homme blanc », tel que  défini par Kipling, dans un de ses poèmes publié en 1899. Je crois qu’il est nécessaire, pour aborder le contenu de ce livre, de ne pas le juger selon les critères de 2021, comme tous les adeptes de la « cancel culture » le font de l’histoire et de la culture occidentale. La colonisation et la Mission sont des moments particuliers de l’histoire des pays d’Occident et d’Afrique-Asie-Amériques. On peut aujourd’hui juger cela ignoble, indécent, criminel… Mais ceux qui agissent ainsi en ce moment auraient sans nul doute été fervents partisans de la colonisation et de l’œuvre missionnaire il y a 150 ou 200 ans ! Car bien peu de voix s’élevèrent en son temps contre ces entreprises que tout l’édifice socio-culturel de nos pays européens promouvait et validait. Alors, oui, ce  que ce livre raconte est bien inclus dans la domination blanche des pays extra-européen, oui on peut le regretter, le condamner, mais aussi l’analyser en tenant compte de tous les paramètres du moment. Les élites européennes étaient vraiment persuadées qu’elles avaient un devoir de civilisation et de christianisation des peuples dits « primitifs ». Mais ce n’est pas véritablement le cœur de ce livre. Bien sûr, il décrit la vie de quatre hommes qui ont choisi d’aller annoncer l’Evangile de Jésus outre-mer. Mais l’intérêt de l’ouvrage est justement d’entendre de leurs mots quelles étaient leurs motivations personnelles.

Et là, on est très loin de l’impérialisme colonial ! Le propos est uniquement spirituel et même mystique. L’ouvrage est organisé en deux parties distinctes : la première propose trois textes de pasteurs qui parlent de la mission comme projet d’Eglise et comme vocation spirituelle personnelle. Le premier de ces textes est signé Ruben Saillens et consiste en un vibrant appel pour éveiller les consciences des chrétiens sur la question des âmes qui se perdent. Car on oublie, dans le camp des décoloniaux et autres déconstructeurs athées que la question unique du christianisme bien compris est celle du salut de l’âme, et non celle des plantations, du coton ou des minerais. Les second texte de J. Oswald Sanders présente les caractéristiques d’un appel missionnaire et démystifie beaucoup d’idées reçues au passage. L’appel que Dieu adresse individuellement à un homme ou une femme peut prendre des formes très diverses et concerner aussi bien son propre pays (l’Angleterre, la France ou autre) que l’outre-mer lointain et exotique, car tout lieu habité est terrain de mission au sens de l’envoi que Jésus fit à ses douze disciples puis aux soixante-dix, tel que Luc le relate dans son Evangile (chapitre 9 et 10). Enfin le dernier texte, celui du Révérend T. Walker, présente les qualifications que doit posséder un missionnaire. Si la formation intellectuelle est un atout, elle n’est pas primordiale, ce qui compte est la consécration et la passion des âmes. Ces textes généraux ayant posé le cadre, la seconde partie peut ensuite donner à voir des vies en action.

En effet, la seconde partie du livre dresse quatre portraits de missionnaires. Ces hommes (auxquels sont intimement associées leurs épouses, toujours en partage de leur appel) furent des célébrités du monde protestant au XIXème siècle et début du XXème. Si les encyclopédies classiques les ignorent, ils ont tous un article dans Wikipedia. Mais il est certain que le peuple chrétien de 2021 ne les connaît pas, sauf exception, car l’Eglise protestante dans sa grande majorité ne pratique pas le travail d e mémoire de l’œuvre, sauf pour  les grands Réformateurs, et on ne peut que le regretter. La grande trouvaille de ce livre est de mêler une approche biographique, réalisée par Marcel Blandenier, et leurs propres mots en piochant dans les sermons, conférences ou lettres de chacun d’eux. Ce format permet en vingt-cinq pages environ de découvrir ces hommes de Dieu. Sachant qu’il existe des biographies détaillées de chacun d’eux (malheureusement non disponibles, car pas rééditées, pour les raisons d’amnésie évoquée ci-dessus), que l’on peut encore trouver en fouillant sur le net, chez les bouquinistes en ligne. Mon propos n’est pas de résumer ces vies, mais de dégager quelques points forts que cet ouvrage met en avant. Le premier point est un appel souvent juvénil : ces jeunes hommes sont à un moment précis de leurs vies mis au contact de la Mission et sentent leur cœur brûler en eux à ce sujet. Ils y consacreront leur vie entière. On aurait pu ajouter à ce quartet de missionnaires Albert Schweitzer, mais, protestant libéral, il ne jouit pas d’une bonne réputation spirituelle chez  les évangéliques. Le deuxième point commun est la conversion : chacun de ces hommes a fait uen rencontre personnelle avec la Lumière, la Vie, Jésus-Christ. Ils rendent tous ce témoignage que rien n’aurait été possible sans cette conversion. Leurs rencontres sont présentées dans chaque biographie. Nous savons que la conversion est, pour les protestants évangéliques, une condition sine qua non de la qualité de chrétien. Le troisième point est leur désintéressement matériel total : ils sont tous partis sans ressources propres et ont vécu par la foi, traversant des périodes de misère. Chacun d’eux a mis en œuvre les commandements du Christ à ses disciples envoyés en mission, à savoir partir sans rien. Le quatrième point a déjà été évoqué plus haut : à chacun d’eux Dieu a donné une compagne qui fut un soutien de chaque jour et qui partageait leur appel et vision. « La corde à trois fils ne rompt pas facilement » dit Qohélet en 4 :12. Le cinquième point est capital : tous ne voyaient dans les pays qu’ils voulaient évangéliser que des hommes et des femmes perdues et non des sauvages ou des êtres inférieurs. Ils partaient au loin car ils estimaient que leurs pays disposaient de beaucoup de pasteurs et que les autres étaient oubliés, alors que le commandement du Christ est : « Colossiens 1:23 si du moins vous demeurez fondés et inébranlables dans la foi, sans vous détourner de l’espérance de l’Evangile que vous avez entendu, qui a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi Paul, j’ai été fait ministre. » Il n’y a chez aucun de ces hommes de Dieu l’once d’un sentiment colonial, mais une fraternité de salut en action. Ils furent d’ailleurs souvent les fondateurs des Eglises nationales qui existent aujourd’hui en Afrique, Asie ou Amérique du Sud. Leur unique but est l’obéissance et le service de Christ. Qu’ils aient pu, contre leur gré, être instrumentalisés par les pouvoirs politiques et économiques ne change rien à leur motivation personnelle profonde.

Ce livre est donc à la fois portraits d’hommes de Dieu, donc exemples de vies consacrées (ils seraient des Saints dans le cadre Catholique ou Orthodoxe) et enseignement biblique sur l’esprit de service. Mais au-delà du but premier, il s’agit également d’un très beau livre de spiritualité, qui peut aider bien des gens qui cherchent la vraie lumière à la trouver, et bien des chrétiens qui sentent en eux un manque à le combler.

Voici pourquoi je vous recommande vivement ce livre et pourquoi j’encourage les éditeurs chrétiens à le rééditer, peut-être actualisé de quelques vies du XXème siècle.

Jean-Michel Dauriac – le 20 mai 2021

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La chute de Babel (2) –

Méditations de sortie de l’Arche n° 11

La version audio est ici:

Lecture de base : Genèse 11 : 5 à 9

« 5  L’Eternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes.

6  Et l’Eternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté.

7  Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres.

8  Et l’Eternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville.

  • C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car c’est là que l’Eternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Eternel les dispersa sur la face de toute la terre. »

Ce texte nous montre Dieu agissant comme un souverain jaloux de sa puissance et surveillant de près son peuple. On peut être surpris par les propos attribués à Dieu et par ses motivations. Ce texte est totalement à « l’image de l’homme », pour ne pas dire anthropomorphique. C’est cette réduction de Dieu à l’échelle de l’homme, quant à la pensée, qui est ici marquante.

Dieu surveille ce que font les hommes (verset 5)

Dieu « descendit », dit le texte, ce qui confirme la position haute, celle que visent les hommes. Il faut se garder de croire à une localisation spatiale dans la nuée atmosphérique. Cette formulation est conforme aux représentations de l’époque, qui voyaient les dieux sur les sommets des hautes montagnes ou dans les nuages. On retrouve cela dans le Nouveau testament avec l’expression « Royaume des cieux », qui entretient cette confusion localisée.

Dieu vient « en curieux » voir la ville et la tour. Dieu ne savait-il pas sans voir ? Ici se joue à nouveau ce que nous avons lu en Genèse 3 : 8 :

« 8  Alors ils entendirent la voix de l’Éternel Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. L’homme et sa femme allèrent se cacher devant l’Éternel Dieu, parmi les arbres du jardin. »

Dieu parcourt le jardin, le soir. Ceci laisse entendre qu’il cherche le contact avec ses créatures. Il manifeste de l’intérêt pour eux et leurs activités.

Le constat de Dieu : l’homme peut réussir son projet (verset 6)

Dieu fait le constat de leur unité, donc de leur force. Il constate aussi leur esprit d’initiative : l’homme est, dès l’origine, création et action. Leur unité et leur détermination doivent les conduire au succès, c’est-à-dire devenir leur propre Dieu. Ce projet est tourné contre Dieu, mais il est bien conçu.

Les hommes ne sont pas incompétents et bons à rien, comme souvent les chrétiens le disent, confondant le péché et la totalité de l’être humain. C’est une erreur de jugement théologiquement grave, car elle fait de la créature un échec du créateur, et donc porte un jugement négatif sur Dieu.  Le psalmiste a pu dire, dans le psaume 139, verset 14 :

« Je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse. Tes œuvres sont admirables, Et mon âme le reconnaît bien. »

Il faut reconnaître à l’homme ses qualités, sans nier la séparation d’avec Dieu, ce qui est une définition du péché très claire.

La réaction de Dieu : la confusion des langues et la dispersion (versets 7 à 9)

Verset 7 : Dieu cible en priorité le langage. C’est la suprématie de la parole (il n’est pas question ici d’écriture), outil premier d’union des hommes. D’avoir tous le même langage leur donne une vraie force. Cette force, ils la destinent à se passer du créateur. Dieu ne peut accepter que sa créature le renie.

Verset 8 : Le langage les sépare maintenant. Mais Dieu accomplit encore une deuxième action-sanction : la diaspora (dispersion). L’éloignement coupe les hommes entre eux et renforce la rupture linguistique. Il ne nous est pas dit comment eut lieu la dispersion : on peut imaginer que l’incommunicabilité nouvelle en fut le moteur. Ne se comprenant plus, les hommes s’éloignent de ceux qui ne parlent pas comme eux. Nous pouvons observer ce phénomène dans toutes les communautés humaines, c’est une des bases du communautarisme actuel.

La ville est arrêtée dans sa construction. Le projet destiné à se mettre hors de portée de Dieu a échoué.

Le verset 9 est la conclusion de ce récit. L’étymologie retenue pour le nom de Babel est alors balal en hébreu, qui est l’idée de confondre. Finalement le projet gardera dans l’histoire le nom de son échec : la tour de Babel n’a jamais été achevée.

Une lecture contemporaine et chrétienne

Si nous lisons cette histoire selon l’air du temps de ce début de troisième décennie du XXIème siècle, nous aboutissons à ces quelques conclusions :

  • Dieu paraît être le « méchant » de l’histoire, car il casse l’élan créatif des hommes et brise leur liberté.
  • Il semble être jaloux des hommes. D’ailleurs la Bible ne dit-elle pas :

« Deutéronome 4:24 Car l’Eternel, ton Dieu, est un feu dévorant, un Dieu jaloux. »

Les hommes lui échappent, il ne le supporte pas, au point de saper leur réussite programmée.

  • Cela conforte évidemment l’image d’un Dieu cruel présent dans l’Ancien Testament et la religion juive. Les négateurs de Dieu y voient la preuve d’une invention des hommes, qui ont créé une divinité à leur image, avec des sentiments peu glorieux.

Et si nous changions de perspective ? Si nous regardions ce récit dans une perspective chrétienne, avec toute sa symbolique et sa logique intrinsèque à la Bible.

  • Dieu est l’ « inventeur » des hommes, créés selon Genèse 1 : 26, à son image. Or, tout le monde reconnaît qu’un créateur a des droits imprescriptibles sur son œuvre. Pourquoi Dieu n’en aurait-il pas sur l’humanité, si elle est le fruit de sa création ?
  • La révolte des humains démarre avec le meurtre de Caïn sur son frère Abel. Je laisse volontairement de côté la très délicate et controversée notion de « chute » et de « péché originel », qui demandent une étude détaillée. Depuis Caïn, la descendance de ce fils meurtrier  est en révolte contre le créateur. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Caïn « invente » la ville, lieu de cachette aux yeux de Dieu.
  • Le Déluge est l’aboutissement de cette révolte, décrite, sous son aspect moral, en Genèse 6 : 5 : « 5  L’Eternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. »  Mais après le déluge, Dieu donne une seconde chance à l’humanité.
  • Or, les hommes retombent exactement dans la même révolte, mais avec plus de moyens, comme nous l’avons vu dans la précédente méditation. Le même orgueil démesuré sévit.
  • Cette fois-ci, Dieu ne détruit plus l’humanité, mais il lui ôte les moyens de la révolte. Juste après cet épisode commence le long récit de la vocation et de la vie d’Abraham, et l’alliance que Dieu passe avec lui. Dieu n’a donc pas renoncé à la communion avec sa créature.

Il faut ainsi remettre ce texte en perspective dans son optique juive ou chrétienne et non dans l’esprit #metoo, où tout pouvoir est mauvais.

La mondialisation actuelle est la troisième tentative de révolte récente contre Dieu. Elle fait suite aux deux tentatives ratées de tuer Dieu et de le remplacer par le nom des hommes : le communisme soviétique et le nazisme. La mondialisation est dans le même esprit, mais avec d’autres moyens, plus subtils, donc plus dangereux. L’esclavage est numérique, la langue commune est le code binaire des ordinateurs et l’anglais basique, le globish comme on le nomme. Mais le but est toujours cette gouvernance mondiale unie, appuyée sur la technique, qui contrôlera tout de nos vies et qui doit régler tous les problèmes à venir (donc être omnipotente, comme Dieu).

Conclusion

Je vous conseille de relire la trilogie de Jacques Ellul sur la technique, mais aussi le roman d’Orwell 1984 et l’Apocalypse de Jean, avec la grille de lecture que nous venons de dégager.

Vous verrez alors que nous devons nous garder très strictement d’adhérer à ce nouvel ordre mondial, quels que soient les arguments séduisants qu’il déploie, lesquels peuvent évidemment tromper même les chrétiens. Le projet de Babel II ne se pare des habits de l’émancipation humaine que pour mieux asservir les hommes. La force de celui que le Nouveau Testament appelle le diabolos, le diviseur, le trompeur, réside d’abord dans le mensonge et la séduction. A nous de savoir y résister, au nom de Celui qui est plus grand que lui.

Jean-Michel Dauriac, Février 2021.

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Sur les amitiés passagères – A propos de L’ami arménien de Andrei Makhine,

Paris, Grasset, 2021,213 pages

Je connais Andrei Makhine depuis son Goncourt très réussi de 1995, Le testament français. De temps à autre, selon les circonstances, j’achète un de ses romans, que je dévore en général en quelques soirées. Celui-ci n’a pas fait exception à cette règle.

Makhine est un « vrai » romancier, au sens populaire : il sait inventer et raconter des histoires avec talent. Le point commun de toutes celles que j’ai lues est la Russie, sa terre natale. Sans doute est-ce une des raisons de l’intérêt que je lui porte, car je suis un russophile impénitent. Je rapprocherai assez volontiers Makhine de Henri Troyat, autre académicien d’origine russe ; tous deux ont ce talent de savoir captiver leurs lecteurs par des récits en apparence simples, mais en réalité très travaillés. Certes, je sais bien que cela n’est pas dans le sens de la critique présente et des modes intellectuelles françaises, mais il y a un très vaste public qui achète un roman d’abord pour lire une histoire bien narrée et non pour apprécier les procédés littéraires, les états d’âme personnels de l’auteur et ses essais techniques.

Dans ce livre, le récit est très ramassé dans le temps. Sans doute quelques semaines, peut-être quelques mois, mais pas plus. Il s’agit de la naissance et de la vie d’une amitié entre deux adolescents d’une ville de réclusion de l’URSS, à l’époque des camps et des jugements arbitraires (sans doute la fin des années 1950 ?). Le narrateur est un orphelin, sur la vie duquel nous ne saurons rien, sinon qu’il est habitué à la rudesse de la vie dans ce cadre peu amène pour les faibles et les rêveurs. Arrive dans le collège un jeune Arménien, fragile et étrange, que le narrateur va prendre sous sa protection et avec lequel il va nouer une amitié comme seuls les adolescents savent en créer. Ces Arméniens sont venus ici en groupe pour soutenir des leurs arrêtés et qui doivent être jugés dans cette ville. Ils se sont installés dans un faubourg mal famé au bout de la ville et apportent un rayon d’exotisme et de soleil à une ville froide de Sibérie. Le récit croise plusieurs fils dans sa trame. D’abord l’amitié proprement dite, entre les deux garçons, fortement improbable au départ, mais qui réussit sans doute à cause de cela. Ils partagent de longs moments de complicité, même lorsque Vardan, l’ami arménien souffre de la « maladie arménienne qui le ronge et finira par le tuer quelques mois plus tard. Mais cette amitié permet au narrateur de découvrir l’histoire de la nation arménienne et la mémoire douloureuse car toujours vive, du génocide de 1915-1916. Il approche ainsi un autre monde et s’ouvre à l’altérité, tout cela, sans aucun discours de morale, mais par le talent de l’écrivain, nous est accessible au fil de l’histoire. Enfin, autour de ce deux jeunes gens gravitent des adultes aux histoires lourdes : la mère de Vardan, Chamiram, Une jeune épouse d’un condamné, Gulizar, dont le jeune narrateur est visiblement amoureux platoniquement, Sarven, un vieil homme chaleureux et énigmatique et Ronine, un professeur de mathématiques, invalide de guerre. Toutes ces existences sont évoquées en miniatures, mais de manière très forte. L’écriture de Makhine est très cinématographique : on imagine sans cesse les plans et les images. Il ne me surprendrait pas que ce livre fasse l’objet d’une adaptation cinématographique, tant il semble en osmose avec cet art.

L’art du bon roman est aujourd’hui, très paradoxalement, devenu rare, tant les auteurs veulent faire preuve d’innovation et s’inscrire dans la modernité du moment. Ceux qui aiment la lecture jouissive d’une histoire captivante se régaleront et dévoreront ce petit volume. Il n’est, par ailleurs, pas interdit d’y chercher et d’y trouver des pensées profondes, mais jamais assénées, toujours en filigrane.

Pour que la lecture reste un plaisir simple, il faut des auteurs du calibre d’Andrei Makhine. Ce roman le confirme comme un écrivain au sommet de son art.

J.M. Dauriac, 20 avril 2021.

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