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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

La joue droite a déjà été tendue…

Sur La déferlante – Cette crise qui a révélé les évangélique

Samuel Peterschmitt avec Kévin Boucaud-Victoire

Mulhouse – Editions Première Partie  / Philadelphie –  2020

La crise sanitaire du Covid19 a commencé par la désignation d’un bouc émissaire très pratique : l’Eglise de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse. En effet celle-ci avait tenu son rassemblement de prière annuel du 17 au 21 février, lequel avait rassemblé 2 000 personnes. D retour dans leurs lieux de vie respectifs, de nombreux participants se sont avérés être infectés par ce virus que l’on découvrit début mars. Il n’en fallut pas plus pour en faire le foyer initial de diffusion du virus ! Alors que l’on sait maintenant que la source première est sur une base militaire de l’Oise. Peu importe : Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !

Ce sont ces circonstances qui ont amené le pasteur Peterschmitt à publier ce livre, qui est un long entretien en quatre chapitres. Non seulement, l’accusation portée contre son église est fausse, mais elle est stupide : en effet, à cette date, aucune précaution n’était demandée, puisque le gouvernement croyait à une « grippette » et que dans le même créneau, Monsieur Macron prenait un bain de foule à Mulhouse justement. Mais on comprend bien que les évangéliques, ces chiens galeux du domaine religieux français (juste avant les islamistes radicaux dans la hiérarchie), faisaient des coupables idéaux.

Je ne vais pas développer la contre-argumentations, très solide, que le pasteur développe dans le premier chapitre, il faut le lire. Disons simplement qu’il rappelle que sa communauté a payé un très lourd tribut au Covid19, avec 26 décès. 18 membres de sa famille, dont lui-même, ont été malades.  IL ressort de cet épisode qu’il ya effectivement un climat anti-religieux de plus en plus net en France et que les évangéliques, accusés d’être des suppôts des Américains et des dangereux sectaires sont des cibles récurrentes de journalistes totalement incultes en sciences religieuses et qui ne prennent même pas la peine de combler leurs lacunes abyssales et de rencontrer les intéressés. Ils découvriraient alors que les évangéliques sont d’abord des protestants, mais sur une autre ligne de vie et de lecture de la Bibles que les luthéro-réformés historiques de France. N’est-ce pas le propre du protestantisme d’être cette galaxie de foi qui ignore hérésie et pape ?

Le premier chapitre du livre est donc consacré à un retour sur la crise et ses contre-vérités. Toute personne intelligente qui se tient vraiment au courant d e l’actualité sait qu’il y a eu emballement et mensonge, intentionnel ou pas. Samuel Peterschmitt remet les pendules à l’heure de manière très claire et sans aucune animosité.

Le chapitre 2 fait un historique de cette église bien française, que les médias appellent « mégachurch » par emprunt au contexte américain, alors que personne en songe à nommer ainsi Notre dame de Paris quand elle contenait une telle foule de fidèles. Il y a donc bien intention de nuire et de déconsidérer. Face à cela, le pasteur raconte une histoire familiale, cette église ayant été créée par son père et sa mère. Ce qu’il narre est le destin classique des communautés protestantes indépendantes depuis au moins deux siècles en France (disons depuis Napoléon et le Concordat de 1805). Son récit établit le caractère français, et même alsacien, de cette communauté, qui a grandi au fil des années ; Ceci en grande partie par l’adaptation de ses dirigeants à la mentalité et aux techniques modernes – les évangéliques sont les plus pointus en technique mise au service de la diffusion de l’Evangile. Il rappelle qu’aucun euro n’est d‘origine étrangère et que la règle des évangéliques est l’autofinancement, par une consécration matérielle plus forte que les Eglises historiques.

Le chapitre 3 est peut-être le plus important, au point de vue de l’histoire des religions et de la théologie. Il s’agit en effet d’un exposé très vivant de ce qu’est la théologie évangélique, dont le point d’ancrage principal est une lecture très fidèle des textes –parfois littérale, ce qui pose alors problème – , avec une foi dans l’inspiration totale des Ecritures, selon le principe herméneutique de non-contradiction interne de la Bible. Il serait dangereux de ne voir que les points de divergence, alors que la part la plus importante des croyances est d’origine calviniste. Les évangéliques sont d’abord des protestants, mais qu’il faudrait rattacher plutôt aux anabaptistes et aux hussites qu’aux luthériens. Je recommande cette lecture à tous ceux qui veulent dépasser les fausses informations et les approximations.

Le dernier chapitre élargit le propos à la place des évangéliques dans la cité.  Là encore, les propos battront en brèche des clichés répétés ad nauseam. Il est courant de répéter que les évangéliques sont des sectaires qui vivent en circuit fermé, ne se préoccupant ni de la vie politique ni de la vie sociale non-chrétienne. En décrivant simplement ce qui est fait dans le cadre de cette paroisse, l’auteur coupe l’herbe sous le pied à ce type de discours mensonger. Il faut oser affirmer que le monde – et singulièrement la France ! – irait beaucoup plus mal si les chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes…) cessaient de faire tout ce qu’ils accomplissent d ans le domaine social. Et cela dure au moins depuis la chrétienté médiévale, pour en pas remonter à l’Eglise Primitive.

Le livre se termine par une déclaration circonstancié de Jonathan Peterschmitt, le fils de Samuel, médecin, qui revient sur l’épisode du Covid19.

Voici donc un livre fort utile et très opportun, qui vient à point nommé détruire toute une série de contre-vérités (pour ne pas dire de mensonges et calomnies divers) par la force du témoignage. Nul besoin d‘être un fan de La Porte Ouverte Chrétienne pour l’apprécier (ce n’est pas du tout mon cas personnel) ni même d’être croyant pour y saisir l’information authentique sur le mouvement religieux qui croît le plus dans le monde depuis des décennies. Le succès fait forcément des jaloux et suscite des haines. Mais être chrétien évangélique ne signifie pas se laisser calomnier sans rien dire, en supportant au nom du Christ. Le combat pour la vérité est essentiel au christianisme.

J’ajouterai enfin, que ce livre, écrit avec la collaboration d’un journaliste professionnel appartenant à la rédaction de l’hebdomadaire Marianne, se lit très facilement, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.

Jean-Michel Dauriac

Théologien protestant

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Ethique et réussite – Méditation de sortie de l’Arche 7

La version audio est ici:

Introduction

Nous avons vu que les luttes furent nombreuses depuis le retour des exilés et l’arrivée d’Esdras puis de Néhémie. Les ennemis ont usé de tous les moyens d’intimidation, mais ils ont finalement échoué.

Le succès est assuré sur plusieurs bases :

  • Le rétablissement du culte vrai dédié à l’Eternel ;
  • La reconstruction du Temple pour le culte ;
  • La reconstruction de la muraille pour écarter les menaces ;
  • La prise de conscience des mauvais choix et un travail de purification ;

Tout cela n’est possible que parce que des hommes droits ont accompli leur mission et éclairé le peuple chancelant. Ces hommes étaient porteurs d’une éthique que nous présente le livre de Néhémie.

L’éthique de Néhémie

Lecture Néhémie 5 : 14 à 16

« 14 ¶  Dès le jour où le roi m’établit leur gouverneur dans le pays de Juda, depuis la vingtième année jusqu’à la trente-deuxième année du roi Artaxerxès, pendant douze ans, ni moi ni mes frères n’avons vécu des revenus du gouverneur.

15  Avant moi, les premiers gouverneurs accablaient le peuple, et recevaient de lui du pain et du vin, outre quarante sicles d’argent ; leurs serviteurs mêmes opprimaient le peuple. Je n’ai point agi de la sorte, par crainte de Dieu.

  1. Bien plus, j’ai travaillé à la réparation de cette muraille, et nous n’avons acheté aucun champ, et mes serviteurs tous ensemble étaient à l’ouvrage. » Version NEG.

Cette éthique se signale par trois aspects décrits par le texte.

  1. Le refus de s’appuyer sur le pouvoir politique : c’est le verset 14 qui nous l’affirme. Néhémie est officiellement gouverneur de Juda, au nom de l’Empereur de Perse. Mais il refuse d’user de ce titre pour en tirer des revenus. Il sait que son retour est selon la volonté de Dieu, mise en œuvre par le souverain. Il accepte la mission, mais il ne veut pas être confondu avec un quelconque gouverneur. Sa mission réelle dépend de Dieu. Ce sera donc Lui qui pourvoira à ses besoins.
    1. Le refus de l’exploitation d’autrui est le second pilier de cette éthique : voyons le verset 15. Néhémie ne se paiera pas « sur la bête », il n’agit pas en exploiteur du peuple pour sa nourriture et son revenu. Il ne prend rien au peuple. De plus, il ne met pas en place un système de pouvoir népotique, qui favorise tous les siens, même les plus inexpérimentés. Son éthique est donc un « non-pouvoir », tout à fait conscient ; (rappelons que c’est l’attitude pensée par Jacques Ellul. Voir à ce propos le livre très récent de Frédéric Rognon, Le défi de la non puissance : L’écologie de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, éditions Olivétan, septembre 2020). Il veut être le leader du peuple par la conviction spirituelle seulement.
    1. Ce refus de l’exploitation implique une éthique du travail personnel et de l’enrichissement spéculatif refusé : c’est le verset 16 qui le décrit. Il a pris sa part aux travaux des murailles, comme tout le peuple, sans s’appuyer sur sa position humaine. De plus, il exige que tous ses serviteurs travaillent aussi, au lieu de jouer les petits chefs. Si on lit les versets 17 à 19, Néhémie y montre comment il a, sur ses deniers, nourri de vastes tablées. Il n’exploite pas, il nourrit : c’est l’éthique du partage.

Néhémie se présente devant Dieu avec cette éthique en faveur du peuple. Cela peut nous choquer, car il semble vouloir se sauver par ses œuvres propres. Mais il nous faut alors relire les paroles de Jésus en Matthieu 25 : 34-40 :

« 34  Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde.

35  Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ;

36  j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez rendu visite ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

37  Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ?

38  Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ?

39  Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ?

40  Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. » Version NEG.

Les justes auront agi selon l’éthique de Jésus, qu’il a exprimée de manière indiscutable.

Matthieu « 7 : 12   Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » Version NEG.

Ce verset établit de manière claire le lien direct entre l’amour actif du prochain et l’accomplissement de la Loi de l’Ancien Testament, pour les Juifs. Il y a une continuité, mais un changement de paradigme : ce n’est plus la crainte, dont se réclame Néhémie au ch.5 verset 15, qui est le moteur de l’éthique, mais l’amour de Dieu et du prochain confondus.

L’éthique de Néhémie est une éthique du devoir (on dirait en sociologie une « éthique de responsabilité »), celle de Jésus est une éthique de l’amour (on dirait « éthique de conviction »), donc une éthique de la liberté d’agir pour le bien du prochain.

Quoi qu’il en soit, il ne peut y avoir de vrai succès sans éthique. Rappelons que ce terme n’a pas que le sens positif que notre époque lui donne : il peut exister des éthiques du mal, comme le racisme ou le nazisme. Ce que j’appelle ici un vrai succès est un succès durable, qui s’inscrit dans la volonté de Dieu et dans son approbation, toujours dans le cadre de l’économie divine de la conscience (d’autres penseraient à l’économie de la rétribution et des récompenses ; c’est une autre lecture possible).

L’éthique conduit au succès

Lecture : Néhémie 6 : 15-16.

« 15   La muraille fut achevée le vingt-cinquième jour du mois d’Elul, en cinquante-deux jours.

16  Lorsque tous nos ennemis l’apprirent, toutes les nations qui étaient autour de nous furent dans la crainte ; elles éprouvèrent une grande humiliation, et reconnurent que l’œuvre s’était accomplie par la volonté de notre Dieu. » Version NEG.

Ces deux versets résument le bilan de la mission de Néhémie. On peut distinguer 3 thèmes dans ces deux versets :

  • Les valeurs numériques du verset 15 ;
  • La défaite qui change de camp au verset 16 ;
  • L’origine du succès.
  1. Le verset 15 : « 15   La muraille fut achevée le vingt-cinquième jour du mois d’Elul, en cinquante-deux jours. »
  2. Le chantier a été achevé en 52 jours. Ce nombre a une valeur particulière, selon la gematria juive, qui use de la valeur numérique des lettres pour établir des équivalences. 52 correspond à la valeur du nom « ELOHIM » (1+12+5+10+24=52), qui signifie « Dieu ». Ce projet était donc dans le temps de Dieu (on notera les 52 semaines du calendrier solaire).
  3. Le 25 du mois était le jour où les cultes païens effectuaient des sacrifices sur leur autel. Achever la muraille ce jour-là, c’est se protéger des cultes faux et garder le vrai culte.
  4. Le mois d’Eloul est le dernier mois de l’année juive. Il clôt un cycle et en prépare un nouveau. C’est le mois de la miséricorde et de la repentance pour les Juifs. On s’y prépare pour les fêtes du premier mois de l’année, dont le Yom Kippour, la fête du Grand Pardon. Achever la muraille en ce mois est aussi clore le chapitre précédent où la repentance a été effectuée, et aller vers le pardon de Dieu, ce que le chapitre 13, un peu plus loin, nous raconte.

Nous voyons donc que la date d’achèvement a une valeur symbolique très forte. Elle établit l’approbation de Dieu et nous envoie au final du verset 16.

  • Tout ce travail a pu avoir lieu et réussir malgré les embûches, car il était selon la volonté de Dieu, ce qui nous a été montré dans tout le déroulement de ces deux livres. La volonté de Dieu n’est pas une assurance contre les ennuis et les luttes, ces livres le montrent bien. Elle est seulement une conviction spirituelle absolue de la direction à suivre. Cette conviction est le fruit de l’Esprit-Saint, dans le cadre de la Nouvelle Alliance en Christ, mais cet Esprit de Dieu se manifestait également dans l’Ancienne Alliance. Le résultat final de cette approbation dans l’action est un retournement complet de situation.
  • La peur et la défaite changent de camp : verset 16 : «16  Lorsque tous nos ennemis l’apprirent, toutes les nations qui étaient autour de nous furent dans la crainte ; elles éprouvèrent une grande humiliation… » Les missions d’Esdras et Néhémie, bien qu’étalées sur des années, sont finalement des succès complets : les restaurations du culte, du Temple et de la muraille de Jérusalem sont achevées  Les ennemis ont échoué dans toutes leurs tentatives, même s’ils ont connu des succès momentanés. C’est à leur tour de connaître la crainte par le constat du succès. Ils ont dorénavant peur de Yahvé. Mais au-delà de ce retournement de situation, ils ont perdu la haute image d’eux-mêmes qu’ils avaient depuis le début du récit. Cela peut paraître très dur pour eux, mais en réalité, ils sont maintenant dans les dispositions d’esprit qui peuvent les amener à la conversion :
  • ils ont dorénavant la crainte de Dieu, ce qui est le « commencement de la sagesse » (Proverbes 9 :10) et la bonne disposition de cœur pour le découvrir.
  • Ils sont devenus lucides sur eux-mêmes et cessent de se croire supérieurs : c’est un travail préparatoire à la repentance.

C’est à eux maintenant de se positionner face au Dieu des Juifs. Cette histoire n’est ni racontée ni écrite, elle est ouverte.

Conclusion

Ces textes établissent, dès le temps de l’Ancien Testament, la nécessité d’une éthique du respect d’autrui et du travail. Ces bases de vie sont la clé du succès, car elles mettent dans les conditions de faire la volonté de Dieu. C’est la communion avec la volonté divine qui confond les ennemis et permet la vie de foi en sécurité.

Jean-Michel Dauriac – janvier 2021

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Retenez ce qui est bon… Bilan critique des livres d’Esdras et Néhémie

La version audio est ici:

Méditation de sortie de l’Arche 9

Si l’on tient compte des difficultés rencontrées lors de ces méditations, un bilan critique s’impose. Il s’agit de poser les questions qui dérangent et de donner les éléments d’appréciation. Mon travail, ici, ne consiste pas à prendre position et à enseigner cette position. Non que je m’y refuse – j’ai une opinion argumentée précise sur ces livres – mais, je crois que le travail d‘un enseignant bibliste est d’ouvrir l’esprit de ses auditeurs-lecteurs à l’expérience critique personnelle et au débat.

La question essentielle doit être posée :

Alors que ces livres contiennent des « versets douloureux[1] » pour nous, pourquoi sont-ils incorporés au corpus de la Bible ? Ces deux livres sont-ils à leurs place dans le canon biblique ?

Ce qui revient à ajouter une question encore plus large :

Peut-on remettre en cause le canon biblique chrétien (et juif, en plus, ici) ?

A ces questions, vous imaginez bien que les réponses ne sont pas simples. Nous ne sommes pas les premiers à nous els poser et il existe bien des témoignages de ces débats (autant dans les Pères de l’Eglise que dans la théologie chrétienne). Ma position est de vous proposer des éléments de jugement, mais sans prise de  position nette de ma part.

Ce qui est en cause est la construction canonique, c’est-à-dire la procédure qui a permis de faire la liste fermée des livres formant la Bible. La Bible, sous la forme que nous connaissons aujourd’hui, existe depuis plus de 1700 ans. C’est en effet au IVème siècle qu’elle fut arrêtée par les Conciles œcuméniques de l’Eglise catholique. Que pouvons-nous dire ?

  • La construction du canon – le mot grec ancien signifie « règle à mesurer », « mesure » – est une entreprise humaine qui a touché les trois monothéismes. Le canon juif et le canon chrétien sont organiquement liés dès la fixation définitive. Le choix des livres est une affaire elle-même discutable, dans le sens que ce sont des hommes qui l’ont accompli et que tout ce qui est humain est discutable, car imparfait et subjectif. Il y a en effet une contradiction insoluble entre des hommes variables et influençables chargés d’un choix qui porte sur une parole inspirée par Dieu, qui serait donc parfaite et pure. L’islam a réglé cette contradiction en déclarant le Coran « incréé », donc totalement indépendant de la nature humaine du Prophète qui l’a reçu. Les chrétiens considèrent que les livres et les paroles de la Bible sont inspirées par Dieu, mais écrits et portés par des hommes ordinaires, ce qui change évidemment le regard sur les textes.
  • Pour justifier le choix du canon, la théologie chrétienne fait appel à l’œuvre du Saint-Esprit, qui vient éclairer d’en haut les hommes chargés du choix et ainsi en faire une œuvre sainte. Refuser cette intervention de l’Esprit, c’est faire du canon une affaire politique. S’abriter derrière le Saint-Esprit pour balayer toute objection, c’est nier le rôle de la liberté humaine. Il y a donc là une question très épineuse qui demande de la réflexion et de la sagesse.
  • Les circonstances historiques ont pesé lourd sur la constitution des canons juifs et chrétiens :
    • pour les Juifs, la destruction de Jérusalem et du Temple en 70 marque une prise de conscience du risque d’une tradition orale dominante. C’est la fixation du Talmud, comme écrit des divers commentaires de la Torah. C’est aussi, en parallèle, la liste arrêtée vers la fin du premier siècle de notre ère, des livres constituant la Bible. Décision prise dans l’urgence de la diaspora.
    • Pour les chrétiens, la pression de l’empereur Constantin (et de sa mère) est très forte sur le Concile de Nicée de 325 où le canon est définitivement fixé, ainsi qu’un certain nombre de doctrines, devenues canoniques (les dogmes). Le canon est réalisé sous la pression du pouvoir politique, alors que la question n’était pas capitale pour les communautés du Ier et IIème siècle.

Enfin, il faut signaler que tout au long de l’histoire de la chrétienté, des hommes isolés ou des groupes, ont contesté ou rejeté certains livres du canon. L’Epître de Jacques, l’Apocalypse de Jean ou l’Ecclésiaste ont été fortement contestés. Alors que d’autres œuvres étaient considérées par certains comme inspirés : c’est le cas des livres apocryphes[2] de l’Ancien Testament, reconnus par les Catholiques romains, ou de certains évangiles pour les chrétiens primitifs (Evangile de Thomas ou de Pierre).

Après ces question larges sur le canon lui-même, il faut considérer des questionnements propres à nos deux livres. Je résume ceux-ci à trois grandes interrogations.

  1. Les « versets douloureux » de ces textes posent la question de l’acceptation du texte biblique. Faut-il rejeter catégoriquement ces textes, qui sont manifestement contraires aux paroles de Jésus (sur les unions mixtes, sur l’usage de la violence) ? Ici, toutes les confession chrétiennes ne sont pas logées à la même enseigne.
    1. Les protestants sont libres, face à ce choix, selon la doctrine du « libre examen » personnel établie par la Réforme dans ses différents courants. Les diverses dénominations ont pris des positions dans des confessions de foi ou des déclarations. Mais le choix individuel reste fondamental.
    1. Les catholiques ou les orthodoxes ont une structure hiérarchique pyramidale, avec une autorité suprême, pape ou patriarche. C’est, en théorie cette autorité qui dit la saine doctrine et fixe ce qui fait dogme. Mais, dans la pratique, il existe de plus en plus un courant critique « libéral » au sein de ces confessions, il a  d’ailleurs toujours existé, mais il a été réduit longtemps au silence. Ces courants se comportent comme des protestants au sein des Eglises catholiques et orthodoxes.

           Il est clair que, dans le christianisme évangélique (j’entends par là celui qui se réclame de la lettre et de l’esprit des Evangiles), la règle de la Nouvelle Alliance est résumée par les deux seuls commandements reformulés par Jésus en Luc 10 :27 :

            « 27  Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même. »

            A cette aune-là, le rejet exprimé par Esdras et Néhémie, au nom de la Loi, est problématique et ne peut pas nous laisser insensibles. Ce qui conduit à la deuxième question :

  • Faut-il nécessairement établir un lien et un enseignement entre ces textes de la Bible Juive et notre vie chrétienne présente ? On peut répondre « non » à l’idée d’une nécessité qui deviendrait règle d’airain. Les trois premiers chapitres de la Genèse ou les deux derniers chapitres de l’Apocalypse de Jean n’appellent aucune application directe dans nos vies[3]. Il existe ainsi un certain nombre de textes que l’on ne doit pas chercher à transposer ou actualiser à toute force. Je crois qu’Esdras et Néhémie ne font pas partie de ces textes.

La difficulté de la lecture et de l’étude de la Bible Juive est dans le double éloignement qui la sépare de nous : éloignement temporel de 2 000 à 3 000 ans ; ce sont des textes antiques, donc écrits et vécus dans un tout autre univers mental, religieux, scientifique ou moral ; mais aussi, éloignement géographique : nous sommes des Grecs, et la Bible est d‘abord un recueil oriental, sémitique, donc d’un autre horizon mental et spirituel. Ce double éloignement explique que tout lecteur et/ou étudiant de ces textes doit impérativement disposer d’une connaissance solide du monde de la Bible. C’est, entre autres, un des buts de la théologie universitaire ou de l’histoire des religions, de donner cette connaissance ardue et foisonnante. Sans cette connaissance minimale, nous ne pouvons vraiment étudier ces textes et nos positions risquent de rester au niveau du Café du Commerce. Qui plus est, il faut un travail de réflexion dense, qui évite les réactions épidermiques et fonde, en raison, les positions. Ce travail de fond conduit à la troisième question :

  • Peut-on trouver un enseignement symbolique et typologique de ces textes difficiles, comme le Cantique des Cantiques, Ruth, Qohélet ou Esdras-Néhémie, pour ne pas citer Daniel ? Un sens qui soit, de ce fait, intemporel ? Ou bien, ces transpositions et explications symboliques sont-elles de sales manies des théologiens, pasteurs et prêtres ?

Là est bien la question de ce qu’on appelle l’exégèse, et  surtout l’herméneutique (l’art de l’interprétation), qui est ici posée. Faut-il lire simplement la Bible juive comme une collection de livres historiques, poétiques ou de sagesse antique, mais sans aucun sens pour nous aujourd’hui ? Ou bien, le lecteur assoiffé de vie spirituelle et d’enseignement peut-il en faire son miel, malgré toutes les distances et les différences ? La réponse peut être dans la réception du psaume 23 ou du poème de Qohélet, « Il y a un temps pour tout ». Depuis des siècles, des chrétiens y ont puisé force, lucidité et courage. Il faut donc admettre que la réponse à cette question est d‘abord personnelle, et qu’aucune règle générale ne peut lui être appliquée.

Le symbole est la clé de la lecture biblique. C’est Dieu lui-même qui l’établit, après le Déluge, avec l’arc-en-ciel (Lire Genèse 9 :11-17).

« 11  J’établis mon alliance avec vous : aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du déluge, et il n’y aura plus de déluge pour détruire la terre.

12 ¶  Et Dieu dit : C’est ici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à toujours:

13  j’ai placé mon arc dans la nue, et il servira de signe d’alliance entre moi et la terre.

14  Quand j’aurai rassemblé des nuages au-dessus de la terre, l’arc paraîtra dans la nue ;

15  et je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous, et tous les êtres vivants, de toute chair, et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair.

16  L’arc sera dans la nue ; et je le regarderai, pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tous les êtres vivants, de toute chair qui est sur la terre.

17  Et Dieu dit à Noé : Tel est le signe de l’alliance que j’établis entre moi et toute chair qui est sur la terre. »

Bien sûr nous savons aujourd’hui expliquer physiquement l’art-en-ciel par la diffraction des rayons lumineux/ Mais cela n’ôte rien à cette lecture symbolique primitive. Etymologiquement, le symbole est une moitié d’objet, qui doit s’encastrer ou se réunir avec l’autre moitié pour rétablir l’unité des deux pièces. Le symbole est ce qui nous permet de reconnaître l’Autre, de comprendre la volonté de Dieu dans des actes, des faits, des êtres. Tout est symbole dans la Torah de Moïse. Mais tout est symbole aussi dans les paroles de Jésus, jusqu’au pain et au vin du dernier repas. Un croyant qui nierait la symbolique évangélique et biblique nierait ainsi toute la dimension  transcendante et mystique de la foi chrétienne et se limiterait à un christianisme immanent, qui n’est qu’une voie de développement personnel, selon les termes de notre époque.

Nous avons vu, au long de ces méditation, la forte charge symbolique qui réside dans Esdras et Néhémie. Ainsi la reconstruction du temple, l’état de la muraille, son relèvement, le rétablissement du culte sont des symboles spirituels que l’on retrouve dans toute la Bible, juive ou Nouveau Testament. Même ces épisodes des mariages mixtes, du renvoi des femmes étrangères et de leurs enfants, n’ont de sens pour nous que symbolique.

Je crois que la lecture symbolique et typologique de la Bible juive est une nourriture spirituelle pour le croyant d‘aujourd’hui, à condition de ne pas verser dans le systématisme et l’approbation béate de tout texte.

Voilà donc énoncées quelques remarques critiques (surtout des questions d’ailleurs, car elles sont bien plus instructives que les réponses) sur ce que la lecture de ces deux livres, Esdras et Néhémie, a suscitées. Je remercie d’ailleurs les lecteurs et auditeurs qui ont réagi et m’ont aidé à formuler ces critiques.

Je voudrais clore ce cycle sur ma conclusion personnelle concernant ces deux livres.

Ma conclusion

  • L’étude de ces deux livres permet de poser des questions capitales, dont nous venons de voir que eles réponses sont complexes.
  • Pour ma part, voici les quelques remarques que je veux mettre en avant :
  • Ces livres sont très contrastés et offrent à la fois de beaux moments de vie spirituelle et des épisodes tout à fait révoltants pour nous. Mais ce n’est nullement une exception dans la Bible, c’est au contraire le reflet assez fidèle de la Bible juive. La Bible est à l’image de l’humanité, à la fois sordide et sublime. C’est aussi pour cela qu’elle parle aux homme de toutes races depuis des siècles. Il nous faut l’accepter pour pouvoir tirer le meilleur de ce livre saint des chrétiens.
  • De ce point de vue, je pense que l’enseignement principal de ces livres est dans l’alternance de hauts et de bas spirituels du peuple de Jérusalem. C’est le reflet de la vraie vie des hommes et donc, aussi, la nôtre. Nous savons tous que notre marche n’est pas toujours héroïque et fidèle. Nous connaissons les abandons, les chutes et les rechutes, les compromis. Mais il y a toujours la possibilité du retour à la vie purifiée du service de Dieu. C’est d’ailleurs ainsi que se termine le livre de Néhémie, nous l’avons vu.
  • On voit également, dans cette histoire, que Dieu n’a pas abandonné son peuple et, qu’au creux de la déportation, il a su susciter des hommes pour restaurer la vie du peuple, mais aussi disposer favorablement le cœur des souverains. Dieu ne dispense pas des épreuves, mais il veille toujours sur son peuple.

Il y aurait bien d‘autres éléments à retirer d’une étude complète de ces deux livres. Mon propos était de les aborder de manière sélective, selon le projet de ce cycle de méditations, qui s’organise autour de l’idée de la sortie de l’Arche (ou du confinement) et du monde à reconstruire. A chacun de retourner vers les passages qui n’ont pas été abordés.

Jean-Michel Dauriac – février 2021


[1] Cette expression est le titre d’un livre de débat sur ces textes dans les trois monothéismes : Les versets douloureux – Bible, Evangile et Coran, entre conflit et dialogue, David Meyer, Yves Simoens et Soheib Bencheikh, éditions Lessus, collection l’Autre et les autres, Bruxzlles, 2009.

[2] Le terme « apocryphe » signifie « dont l’inspiration n’est pas reconnue ». Ce mot est employé par les protestants et rejeté par les Catholiques et Orthodoxes.

[3] Ces deux exemples relèvent de la foi (ou de la croyance) dans les récits rapportés : on y croit ou on n’y croit pas, littéralement ou symboliquement.


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