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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Une vie cachée en Christ

Être chrétien, selon la définition la plus simple consiste à « être disciple du Christ » ou « professer sa foi en Jésus-Christ ». La notion de religion du Christ n’intervient qu’en second lieu, dans un second temps chronologique. Une précision complémentaire apparaît souvent : « qui est baptisé ». Si l’on synthétise tout cela, voici ce que l’on obtient :

« Chrétien : disciple du Christ, qui professe sa foi en Lui, qui est baptisé en son nom et appartient à la religion chrétienne ».

L’un ou l’autre terme peut être discuté, mais les éléments de base sont bien là. Gardons en mémoire ces traits de définition, pour bien saisir le sens profond de la méditation biblique qui suit.

Texte de base : Épitre aux Colossiens, chapitre 3 : 1-4

« 1  Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu.

2  Attachez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre.

3  Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Christ en Dieu.

4  Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire. » Version NEG (Nouvelle Édition de Genève)

La version de la TOB introduit une variante intéressante du début du premier verset :

« 1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; »…

De nos jours, les ministres du Culte, comme les prédicateurs occasionnels, prêchent peu sur ce passage. On le comprend facilement, quand on prend la peine de le lire très attentivement.

Voici un texte qui nous éloigne et nous sépare de la vie ordinaire de la race humaine. Comme tel, nous pourrions facilement le dire antihumaniste ou misanthrope. C’est du moins ce que suggère une lecture plate et rapide. Les mots « mort » et « résurrection » sont des termes très lourds à penser, même, ou peut-être surtout pour un chrétien. Pourtant, se pencher sur ces versets avec application vaut la peine que l’on y prendra.

Morts et ressuscités en Christ

Comme signalé plus haut, ces deux mots-concepts méritent tout notre intérêt. Ils sont à la fois scandaleux et centraux pour la foi chrétienne.

L’adjectif « scandaleux » découle directement d‘un mot grec, skandalon, que le meilleur dictionnaire grec-français définit ainsi : « piège placé sur le chemin, obstacle pour faire tomber ». Où est le scandale pour un chrétien, me direz-vous ? Je suis d’accord avec vous qu’il ne devrait pas y en avoir. Mais, aujourd’hui, au XXIe siècle, ces affirmations basiques de la foi chrétienne sont « occasion de chute » pour de nombreux croyants de toutes les Églises. Le travail de trois siècles d’athéisme a infusé dans toute la population française, même chez les chrétiens, catholiques comme protestants. Combien, aujourd’hui, dans une discussion avec des non-croyants oseront affirmer « Christ est ressuscité » ?

En allant plus loin, combien pourront dire : « Je crois que, par le baptême et la foi, je suis ressuscité aussi avec Jésus-Christ » ? Nous aurions trop peur d’être ridicules. Alors que l’occultisme fait des ravages, que les croyances les plus bizarres sont aujourd’hui sur le marché du « spirituel » (OVNI, néopaganisme, Terre-Mère qui écoute, arbres qui parlent, chamanismes multiples…), nous avons parfois peur de dire que nous croyons à la résurrection du Christ et, par Lui, à la nôtre.

Il y a là, incontestablement, une victoire de l’esprit du monde et de son inspirateur[1], celui que Jésus appelle le diable[2] ou Satan. Cette victoire est d‘ailleurs rendue d’autant plus facile du fait que nombre de chrétiens ne croient plus à l’existence du diable. Avec lui disparaissent aussi toutes les œuvres qui lui étaient attribuées. Tout devient équivalent, c’est ce que l’on nomme le relativisme, qui se pare d’une allure de tolérance et de respect pour détruire tous les cadres moraux hérités de nos cultures originelles.

Le cœur de la foi chrétienne réside pourtant dans ces deux mots. Ce point nodal est très simplement exprimé par Paul dans la première lettre aux Corinthiens, chapitre 15, versets 13-14 :

« 13  S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité.

14  Et si Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, et votre foi aussi est vaine. » Version La Colombe, Segond Édition Révisée)

Celui qui nie la résurrection du Christ et celle, consécutive, des morts en Christ, nie le christianisme. Il n’y a pas de foi chrétienne sans proclamation de cette folie : Christ est ressuscité !

Un chrétien qui refuse de croire (au nom du bon sens athée) à la résurrection n’est pas un chrétien, selon la définition donnée en ouverture, il peut être simplement un admirateur de Jésus de Nazareth, le sage philosophe palestinien, comme on peut admirer Nelson Mandela ou Jean Jaurès[3]. Ce n’est pas une affirmation personnelle, mais celle de Paul, l’apôtre le plus respecté, celui qui a établi véritablement la doctrine chrétienne.

Le second terme est « car vous êtes morts ». La citation de Paul qui nous sert de base inverse en effet la logique de la résurrection. Mais, pour pouvoir ressusciter, il faut d’abord être mort. Et là, on peut légitimement ne rien comprendre, car nous lisons en Jean 3 : 3 :

« Jésus lui répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu. » Version SER.

Nous pouvons y ajouter Jean 3 : 6 :

« Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. » Version SER

Jésus parle de naissance, pas de mort. S’il faut naître de nouveau, comment peut-on être mort en Christ ? Eh bien, forcément parce que ces deux moments n’en font qu’un : naître de nouveau, c’est mourir à la chair. Rappelons simplement que, dans le Nouveau Testament, la chair est la vie naturelle biologique de l’humain, avec ses pensées et ses comportements. C’est à cela que nous devons mourir, pour naître d’un nouvel esprit.

Les propos de Jésus sont clairs : sans cette nouvelle naissance spirituelle, pas de royaume de Dieu possible. Nous voyons donc que la mort à la chair et la résurrection en Christ, par le baptême, sont le cœur de la foi. Si un homme ou une femme ne saisissait que cela de l’Évangile, il serait sauvé à coup sûr !

Une vie cachée, avec Christ, en haut

Que peut bien signifier cette vie cachée ? ll faut passer par le verbe grec, krupto, pour en saisir le sens. Le sens premier est : couvrir pour protéger, cacher pour soustraire aux regards. Mais nous avons aussi un sens figuré : faire mystère de, garder secret, ne pas produire au dehors. Nous retiendrons deux idées, une au sens propre et une au sens figuré : 1 / notre vie est protégée en Christ ; 2/ le mystère du salut de notre vie n’est pas encore connu. Ce sens est d’ailleurs confirmé par le verset 4 de notre texte : Quand Christ, votre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire. 

Il ne s’agit donc pas de se retirer du monde pour aller se cacher dans les jupes du Christ, mais d’être sous sa protection. Ce statut spirituel engage notre responsabilité.

Nos pensées doivent se réorienter « vers le haut », nous dit Paul. Je voudrais ici citer un court extrait d’un article d’Anselm Grün, moine bénédictin allemand, auteur de nombreux livres sur la vie chrétienne. Cet extrait est tiré de la revue Prier, revue catholique consacrée à la vie de prière. Dans un article qui reprend les métaphores sportives de Paul, il reformule notre verset 3 à sa façon :

« Cela veut dire qu’à travers tout ce que nous faisons et pensons, nous devons nous ouvrir à cette réalité plus grande que nous-mêmes et laisser derrière nous notre style de vie actuel. Si Jésus nous précède, c’est pour que nous puissions lui courir après ! Comme l’écrit Paul : « oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but, pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus Christ » (Philippiens 3 : 12-14).

« S’ouvrir à cette réalité plus grande que nous », c’est choisir la transcendance, c’en est même la définition. C’est exactement ce que Paul dit :

« Attachez-vous aux choses d’en haut, », c’est sortir du terrestre, du dépendant, du matériel du fragile, du contingent, donc de l’immanent, de ce qui est à ras de terre, à hauteur d’homme. Cela revient à changer « notre style de vie actuel », donc à ne pas s’attacher à tout ce que la vie charnelle nous propose.

Deux écueils à éviter

Comme souvent dans la vie chrétienne, il faut savoir déjouer les pièges et trouver la bonne lecture de la Parole. On peut facilement se tromper sur le sens pratique de cette injonction fraternelle de Paul. Il faut savoir se garder de deux attitudes opposées et un peu extrêmes, que je résume ici à deux versets de la Bible.

L’excès de justice et de sagesse : Ecclésiaste 7 : 16 : « Ne sois pas juste à l’excès, et ne te montre pas trop sage : pourquoi te détruirais-tu ? » version NEG. Voici la lecture fautive de ce verset, l’excès. Il est tentant de verser dans l’ascèse et le mépris total de ce monde et de ses habitants. C’est la tentation de l’ermite, du moine au mauvais sens du terme. Le monde est charnel, mauvais, perdu loin de Dieu : quittons-le, même de notre vivant, rompons totalement avec lui. C’est le risque sectaire assuré. Ce n’est pas du tout l’esprit des lettres de Paul.

L’excès de naïveté ou de laxisme : Tite 1 : 15 : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ; » version NEG. Cela représente l’autre position extrême. Je ne risque rien en ce monde, car je suis une nouvelle créature spirituelle. Rien ne peut me souiller. Les mêmes ajoutent souvent une lecture très libérale d’une autre phrase de Paul : 1 Corinthiens 10 : 23  « Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’édifie pas. » Dans ce cas-là, on glisse sur le mot « utile », on insiste sur le « tout est permis ». La question est : quel est notre rôle dans ce jeu, à part d’y participer ? L’expérience prouve que ce n’est jamais le chrétien isolé qui gagne son entourage, mais que c’est toujours l’entourage qui finit par l’emporter.

Une sage lecture : vie cachée et vie visible

La bonne lecture de ce texte est dans la fermeté et l’équilibre de notre statut. Si nous savons que nous sommes morts et ressuscités avec le Christ, alors nous serons fermes dans notre foi. Dès lors, nous pouvons vivre de manière équilibrée, au milieu de notre famille, de notre voisinage, de nos collègues de travail, d’études… L’équilibre est trouvé dans la priorité que nous donnons aux choses d’en haut par rapport à celles qui sont sur la terre. C’est le contenu précis des « choses d’en haut » qui détermine cette priorité et qui la justifie.

C’est ce qui est dans la vie cachée, cette part de mystère à découvrir. Nous sommes là dans une vie de découverte et de progrès spirituels. C’est la vie de prière, sous tous ses aspects, dans laquelle la marge de progrès est toujours énorme. C’est la connaissance profonde de la Parole de Dieu, sous toutes les formes de la Révélation (Bible, prophéties et prédications), univers complet que nous n’aurons jamais fini d’explorer.

C’est la vie de communion fraternelle, dans le cadre de l’église locale, apprendre à voir tout ce qui est bon dans le frère et la sœur, aimer et aider, partager les expériences et les vivre ensemble. C’est la vie de témoignage dans la société où nous vivons. Si nous sommes remplis des choses d’en haut, nous ne manquerons pas d’occasions de témoigner, elles viendront toutes seules.

Alors nous pourrons vivre une vie visible (par opposition au « caché »précédent) normale, sans nous imposer des règles dures et absurdes. Aller assister à un match de foot avec des copains (mais pas casser les voitures ou le nez des supporters adverses), écouter un bon concert de rock ou de jazz (sans avoir besoin de substances euphorisantes plus ou moins illicites), aller à la pêche, jouer aux boules, lire des BD, des romans d’aventures, collectionner les timbres ou les capsules de bière, bref faire tout ce qui est banal aux yeux des humains. Nous ne nous attacherons pas du cœur à tout cela, car notre vie est ailleurs ; mais nous serons un joyeux compère ou une amie agréable, et soyons sûrs que l’occasion viendra de témoigner « des choses d’en haut » et d’en montrer le chemin à ceux qui s’interrogent, car beaucoup en ressentent l’absence sans pouvoir mettre un nom dessus.

Voila esquissée à très grands traits cette vie cachée avec Christ et la manière dont cela change tout sans que rien, en apparence, ne soit différent. Que Dieu et le Christ nous y aident chaque jour.

Jean-Michel Dauriac – Juillet 2024.


[1] Je ne veux pas ici parler du capitalisme et du matérialisme, qui ne sont que des instruments au service d’un projet spirituel ancien.

[2] Diabolos, en grec, signifie le diviseur. La question de fond n’est pas de savoir si l’on croit au diable, mais si l’on admet qu’il y a une lutte spirituelle dont le cosmos et l’humanité sont les enjeux. Si oui, le nom de la force antagoniste à Dieu (sous ses divers noms) est bien celui du diviseur.

[3] Nombre de protestants libéraux radicaux rejettent tout ce qui touche à la divinité du Christ, de sa conception à son ascension, sans parler de son retour attendu. Cela les a menés dans les bras de la Libre Pensée ; ils sont des protestants culturels, comme le sont Lionel Jospin ou feu Michel Rocard. Je parle ici de foi chrétienne, pas de culture chrétienne ou d’éthique, mots souvent utilisés pour contourner le réel.

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De Montaigne à Richemont, la voie de l’honneur – 14 juillet 1944

Annette Voineau

Comité de soutien du Mémorial de la Ferme de Richemont

 Voici un livre absolument nécessaire. Mais ce n’est pas la seule raison d’être de cet article. Il s’agit aussi d’un devoir d’amitié envers l’auteur.

Lorsque je suis arrivé au Lycée Michel Montaigne de Bordeaux, d’abord comme professeur stagiaire en 1983, puis comme titulaire en CPGE en 1996, j’ignorais tout de ce que représentait la Ferme de Richemont. Pour moi, c’était le nom d’une rue proche du Lycée, où le CRDP possédait des locaux où l’on se réunissait parfois pour des séances de travail. Il a fallu que je fasse la connaissance d’Annette Voineau, une de mes collègues, pour apprendre ce que ce terme recouvrait de dramatique pour notre lycée et ses étudiants. Annette m’a expliqué rapidement que cela était lié au maquis et à la Seconde Guerre mondiale, et que ce fut un moment tragique pour de jeunes hommes qui refusaient de capituler face à l’occupation allemande.

Nous sommes devenus des amis avec Annette, partageant des moments de discussion profonde, mais aussi des repas avec nos quelques collègues les plus proches. Quand elle est partie à la retraite, nous nous retrouvions de temps en temps (pas assez souvent, hélas !) pour le plaisir de passer un moment ensemble. Une de nos premières amies, Françoise Grasset, est partie la première, vaincue par le crabe. Puis j’ai appris avec un retard certain, la mort inattendue d’Annette, des suites du Covid, m’a-t-on dit. Les rangs de notre cercle s’éclaircissent, nos âges avancent.

Une photographie de 2009, dans la cour du Lycée : à gauche Isabelle Delorme, au centre votre serviteur, à droite Annette Voineau, tous trois alors professeurs au Lycée Michel Montaigne

Annette n’a jamais cessé de faire de l’histoire. Bien sûr en l’enseignant longtemps, mais aussi en se mobilisant autour de ce que nous étions d’accord d’appeler le « travail de mémoire » (et non l’imbécile devoir de mémoire promu partout). Oradour-sur-Glane était, chaque année, le but d’une sortie avec des élèves du lycée. En cela, elle avait formidablement raison : la visite des ruines du village provoque toujours sidération et interrogations chez les jeunes. Bien plus efficace qu’un cours magistral. Elle s’intéressait aussi beaucoup aux monuments aux morts, qui étaient pour elle des témoins capitaux de la Grande Boucherie de 1914-18. Je me souviens d’une fois où elle nous fit visite en Creuse et où elle voulait, avant de repartir, aller voir le monument aux morts de La forêt du Temple, très modeste village creusois, mais connu sous cet angle-là. Elle mena également un combat persévérant pour la mémoire des événements du 14 juillet 1994 à Saucats. Voici où ‘on en revient à ce livre, publié à titre posthume, mais dont le travail était quasiment achevé.

Je résume seulement les faits à leur plus simple expression. Dans les Classes Préparatoires de Montaigne, il existait une prépa à Saint-Cyr (interdite par les Allemands, mais aussitôt déguisée en prépa HEC) et une autre à la Colo (comprenez les métiers de la colonisation). Les élèves qui s’y trouvaient étaient souvent des fils de militaires ou d’anciens combattants, voire d’administrateurs coloniaux. Ils étaient ce qu’il convient d’appeler de jeunes patriotes. Beaucoup refusaient l’esprit de défaite et de collaboration de la France de Vichy. Peu à peu ces jeunes s’engagèrent dans des actions de résistance. Et naquit, début 1944, l’idée de créer un maquis pour chasser les Allemands, car on savait leur défaite inéluctable. Ce maquis choisit de s’installer dans une ferme abandonnée de la commune de Saucats, à 25 km au sud-est de Bordeaux, à l’entrée de la forêt landaise. C’est là que le 14 juillet 1944 la Milice arrivée la première, accompagnée du jeune réisistant qu’ils avaient contraint à révéler la cache du maquis, fait appel au soutien des Allemands: ils donnèrent l’assaut à cette ferme et tuèrent les jeunes du maquis, presque tous étudiants du lycée Michel Montaigne. Ce site devint, après 1945, un lieu de mémoire, avec un monument commémoratif et une cérémonie du souvenir chaque 14 juillet.

Mais le temps passe et les témoins et les rares rescapés disparaissent. Annette savait qu’il fallait agir pour que cet épisode, qui fut un peu la gloire du Lycée Montaigne (voir son titre) ne sombre pas dans l’oubli. C’est le but de ce livre que de réunir un dossier complet sur les protagonistes et de livrer un récit des événements. Annette y fait preuve d’une grande rigueur d’historienne. Elle traque les indices, multiplie les sources, ne brode pas quand elles sont floues ou vides. Le livre est construit en deux grandes sections : la première est le récit proprement dit, raconté en chapitres thématiques, fort plaisants à lire ; la seconde est appelée Annexe, mais elle est surtout importante pour les notices biographiques des personnes impliquées dans cette histoire tragique. Annette a su donner vie à ces noms que l’on peut lire sur la plaque commémorative dans le hall de l’entrée principale (aujourd’hui désaffectée, ce qui est un non-sens) du lycée. Le livre est aussi abondamment illustré de photos, dessins et fac-similé de documents. Le tout représente l’œuvre qu’il fallait faire pour que la mémoire du sacrifice de ces jeunes soit entretenue. Annette ne cache pas leur inexpérience et leur « romantisme », mais elle salue leur courage au service quelque chose de plus grand qu’eux, la France. On se prend à songer au contraste entre cette jeunesse du début des années 1940 et celle d’aujourd’hui, pour laquelle le RN est l’horizon indépassable du fascisme. Pour reprendre une expression des maoïstes soixante-huitards, ce sont des tigres de papier. C’était un temps où le mot patriote avait un sens existentiel et dangereux. Comment en sommes-nous venus à en faire une insulte de gauche ?

Ce livre n’est pas exempt de reproches formels. Il y a beaucoup de coquilles d’imprimerie et de fautes de ponctuation. Parfois des répétitions de certains passages. Mais ces petits défauts n’altèrent en rien la grandeur du projet et sa valeur. Il faut lire ce livre et le faire lire. C’est une façon de perpétuer le souvenir des martyrs de Saucats, mais aussi de faire vivre Annette dans son travail.

Il faut le commander sur le site du Comité de soutien du Mémorial de la ferme de Richemont, voici le lien direct pour obtenir le bon de commande (l’ouvrage coûte 19€ plus le port) : Comité du Mémorial.

Le bon de commande est aussi ci-dessous :

Même si cet ouvrage traite d’un épisode modeste de la Résistance, il a la vertu de bien faire saisir ce qui se jouait alors dans notre pays : la veulerie de l’abandon, avec son cortège d’ignominies, ou le courage de dire non, chacun avec ses moyens. Il serait faux de croire que c’est du passé. Il y a bien plus d’analogies avec notre époque que l’on ne le croit.

Merci Annette de ce beau cadeau aux générations futures.

Jean-Michel Dauriac – Août 2024

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Swing à Nouzerines (23)

Culture populaire en milieu rural (épisode 2)

pour l’épisode 1 cliquer ici

Concert en duo à Mers-sur-Indre (36) – Culture pour tous en milieu rural. – Le Blog à Jean-Mi !?

Concert de Woody Wood Swing Gum

Dimanche 28 juillet 2024. Par la lecture de l’hebdomadaire local L’écho du Berry j’apprends qu’il y a un concert gratuit dans le village de Nouzerines, à l’extrême nord de la Creuse, pas très loin de chez moi. J’avoue avoir été séduit par le nom du groupe qui devait se produire, le Woody Wood Swing Gum. Je me suis dit qu’avec un nom pareil cela promettait un peu d‘humour et pas de prise de tête.

Aller à Nouzerines est déjà une petite aventure, qui nécessite de prendre des routes étroites et sinueuses et de ne pas rater les rares panneaux indicateurs. La population du village est aux environs de 250 habitants, avec une grande dispersion en hameaux, ce qui donne un bourg central de très petite taille, où le monument principal de la commune est l’église romane. Hormis cela, plus aucun commerce, comme dans beaucoup de villages creusois et une masse de résidences secondaires, qui font le plein en juillet-août et restent fermées la plupart du reste de l’année. Bref, la triste description d’un monde rural isolé, autrefois appelé « rural profond » et désormais, à l’époque de l’euphémisation « hyperrural ». La ville moyenne la plus proche est à plus de quarante kilomètres (Guéret ou Châteauroux). Ces données sont importantes pour bien apprécier ce qui va suivre.

En effet, ce microscopique village organise chaque année, depuis 2011, un festival de musique en juin-juillet, festival qui offre une grande variété de styles et répond bien à la belle qualification de « populaire », c’est-à-dire accessible à toute personne du peuple de France. Cette année 2024, ce sont six concerts qui ont été organisés, du 9 juin au 28 juillet (voir le programme ci-dessous).

Nous voici donc garés sur la place de l’Église. Le concert a lieu en face, il n’y a qu’à suivre les passants. Nous sommes juste à l’heure, mais quand nous arrivons dans la très vaste grange-salle de concert du jour, la surprise est de découvrir une centaine de personnes sagement installées sur des chaises disparates posées sur le sol en terre battue (un peu poussiéreuse) : un vrai public de concert, environ la moitié de la population du village, en masse. A la campagne, les gens se déplacent encore, car ils ne sont pas blasés et gavés, tel les publics urbains soumis à une offre surabondante, qui se paie par des publics parfois squelettiques.

Voici la photographie du dimanche 28, pour le concert de jazz ; au fond, on devine les musiciens assis derrière leurs instruments. Sur la photo promotionnelle ci-dessous, on voit mieux les composants du groupe.

Les cinq musiciens du groupe sont: Jean-Claude Guyonnet, Raoul Vaugelade, Patrick Savineau, Sylvain Bouard et Claude Laroudie (chemise rouge)

Vous constaterez qu’à l’exception du pianiste, reconnaissable à sa relative jeunesse (dernier à droite), tous les autres musiciens sont des retraités. Ce qui est conforme à la démographie creusoise, la plus âgée en moyenne de toute la France. Ce qui ne les empêche pas d’avoir la pêche et de faire bouger le public. Il faut dire que leur style, le New Orleans et le swing des années 1930, crée facilement des démangeaisons dans les pieds et les mains.

Le premier trait de ce sympathique groupe est la générosité. Une fois qu’ils sont partis, difficile de les arrêter. Pour un concert gratuit, le public en a pour son argent ! Le programme est bien construit, alternant morceaux très rythmés et dansants et ballades swingantes. On visite le répertoire du premier jazz, avec de grands classiques tels Saint-Louis Blues (le premier morceau jazz édité) ou Muskrat Ramble, on honore le souvenir du grand Sydney Bechet, avec une version de Petite Fleur, on imite en passant le ton du magnifique Yves Montand avec Roses de Picardie, on salue Louis Armstrong avec C’est si bon et Louis Prima avec plusieurs titres, sans oublier Fats Domino. Bref, un joli voyage au pays du jazz initial. Le tout est joué avec enthousiasme. Seul le pianiste improvise, mais on entend mal ses chorus, car le son est assez mal réglé. Les autres musiciens s’en tiennent à leur rôle, avec sérieux et drôlerie parfois. Le meneur de jeu, Claude Laroudie, multisoufflant, annonce les titres et fait parfois un petit commentaire. Le batteur et le banjoïste chantent, en alternance avec le soufflant. Ce jour-là, il manquait le contre-bassiniste, dont on m’a dit qu’il assurait bien le spectacle. On ne s’ennuie pas une minute, les morceaux s’enchaînent bien, c’est assez huilé, et le temps passe, dans une ambiance bon enfant très agréable.

La soirée se termine par le pot de clôture du festival 2024, tant il est vrai qu’en France rurale tout se termine autour d’un verre et des plats faits-maison. J’en profite pour échanger avec la présidente de Patrimoine Nouzerines 23, Stéphanie  Josset, qui me fait un petit historique de l’évènement.

Il faut, encore une fois souligner quelques traits remarquables qui permettent qu’existe une « véritable offre culturelle » comme disent les spécialistes :

  • Il existe tout un tas d’artistes de toutes les spécialités qui sont prêts à venir en pleine zone « hyper-rurale » ou qui en sont partie prenante (c’est le cas de nos jazzeux du jour, tous creusois). Leur but n’est pas de faire de l’argent (encore qu’il faut bien qu’ils touchent des cachets, surtout quand ils sont intermittents du spectacle !), mais de partager son art.
  • Il y a un vrai public populaire, c’est-à-dire représentatif de la population française. Dans le monde rural d’aujourd’hui, les agriculteurs sont extrêmement minoritaires, et je ne suis pas certain du tout (litote) qu’ils prennent le temps de venir au concert. Ce dimanche 24 juillet, les tracteurs et les énormes remorques tournaient un peu partout en Creuse pour rentrer les meules rondes de foin et de paille. Le public rural, ce sont des retraités, beaucoup de retraités, des étrangers résidents secondaires – des Anglais surtout en Creuse -, les rares touristes de passage, et les habitants ordinaires des villages, employés, ouvriers  ou artisans. Bien sûr, dans le lot vous rencontrerez des intellectuels pur jus, souvent parisiens, mais ils font plutôt profil bas, pas sûrs d’être appréciés s’ils font leur numéro de « cultureux ». Ce public  vient pour passer un bon moment, il est toujours dans de bonnes dispositions ; aux artistes d’en profiter. De toute manière, l’accueil est très souvent très chaleureux.
  • Et puis, il y a tous ceux qui permettent que les artistes rencontrent le public, les petites mains qui s’agitent avant et après les concerts ou les pièces, longtemps après que les poètes aient disparu du village. Ce sont ces bénévoles qui sont le vrai trésor de la campagne française. Ce sont eux qui devraient inspirer l’action et la réflexion de nos hommes et femmes politiques, et pas les écolos-bobos urbains qui les occultent complètement. On est souvent frappés de voir qu’il y a là pas mal de gens âgés, qui se bougent pour les autres au lieu de se plaindre de leur arthrose. Ces gens méritent un grand coup de chapeau : qu’il leur soit accordé ici.

J’ai récupéré sur le site Facebook la photographie de l’équipe organisatrice, en espérant qu’ils m’autorisent à l’utiliser!

  • Enfin, il y a les lieux. Bien sûr, point de Zénith ou d’Aréna en Creuse (qu’est-ce qu’on pourrait bien en faire ?), mais des endroits divers, souvent patrimoniaux, qui sont ainsi rendus à la vie collective le temps d’un  concert ou d’une pièce de théâtre. J’ai parlé de cette vaste grange qui nous a accueillis ce jour. Parfois c’est une église, parfois un café, parfois le plein air, en été. Je parlerai dans un prochain article, des jardins privés comme cadre de manifestations culturelles. Il n’y a pas le fétichisme de la salle réservée, dans les campagnes isolées. On fait avec ce que l’on a à proximité et c’est souvent très bien ainsi.

Vous avez bien compris qu’à travers cet article je fais œuvre de militant pour la culture populaire en milieu rural. Cet article est illustré des photographies des diverses manifestations du festival de Nouzerines 2024 (à vous de remettre les noms sous chaque photo). Je souhaite longue vie à ce festival, je salue tous les bénévoles qui le rendent possible et vivant, je remercie les artistes qui l’animent et le public qui lui donne chair. Alors, en juin-juillet 2025, si vous passez par la Creuse ou si vous y résidez, pensez à venir à Nouzerines. Le programme sera sans nul doute varié et alléchant. Je vous donne l’adresse internet pour vous en tenir au courant : Facebook.com/Patrimoine-Nouzerines23

Que vive et prospère la culture populaire et le peuple qui va avec !

Jean-Michel Dauriac – août 2024

PS : cet article est écrit en français grammatical classique et non selon les faux préceptes de l’inclusivité qui détruisent et enlaidissent inutilement notre langue. Par exemple, lorsque j’écris « ceux-ci » à propos des bénévoles, j’utilise ce pluriel au sens neutre de l’Académie Française et non le très lourd « celles et ceux ». C’est aussi un acte de résistance contre des attaques venues d’outre-atlantique (« wokisme ») qui n’ont pas de sens dans notre langue. Soyons fiers de notre belle langue qui « résonne » comme le chantait Philippe Duteil.

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