Souvenez-vous: au commencement, quelque part dans les tout débuts de janvier 2020, après avoir compris que ce qui se passait en Chine était extrêmement sérieux, le nom de ce virus commença à devenir «viral» sur le net et dans les médias. il s’appelait Coronavirus», à cause de sa forme ronde qui le faisait ressembler, avec ses picots, à une couronne, en regardant vite. Le «Corona» devint un mot commun durant des semaines. Puis, on apprit que les autorités médicales, sans doute l’OMS, l’avaient baptisé d’un terme spécifique, «Covid-19 « . Rien de plus normal: les ouragans ont bien un nom, eux aussi. Nommer, c’est déjà commencer à connaître et donc à dominer!
?Mais, de cette nouvelle appellation, découla un des épisodes les plus drôles de la langue française et médiatique. En effet, si la plupart des journalistes et l’immense majorité des Français continuèrent à parler du Covid-19, on vit des doctes, des cuistres et des savants, reprendre avec un petit sourire condescendant ceux qui employaient le masculin: «LA Covid19, c’est féminin» dirent les Trissotins modernes. C’est là que la bêtise refait surface et, avec elle, l’esprit mondialiste du renoncement à toute identité.
En effet, en langue anglaise, en sabir mondialiste, le mot est féminin, car il est la contraction de Co(rona)vi(rus) et de d(isease) 2019, ce qui signifie tout simplement en bon gaulois: «maladie du Corona Virus 2019».. Seulement, comme le chantait l’ignoble réactionnaire Michel Sardou en 1971, «J’habite en France». Et, il est donc légitime de franciser le mot. Disease n’existe pas chez nous, alors que Corona Virus a été dès le départ le nom masculin de cette maladie. Il est donc logique et grammaticalement beaucoup plus seyant de continuer à parler notre langue et donc de dire LE Covid-19, n’en déplaise aux donneurs de leçons qui renient toute valeur à leur propre langue.
Le génie de notre langue n’est pas de copier servilement, mais d’adapter les emprunts et influences étrangères à notre usage1 et à notre grammaire (comme à notre grand-mère d’ailleurs!). Dire le Covid19, c’est, spontanément, avec ce bon sens populaire qu’Orwell appelait dans sa langue «common decency», parler du virus en question, véritable auteur de la maladie, et c’est en même temps refuser de suivre bêtement le troupeau anglo-saxon et les utilisateurs du Globish mondial.
Voilà! Maintenant, quand vous direz le ou la Covid-19, vous choisirez votre camp. Et ne me dîtes pas que c’est anecdotique. Ce sont les multiples renoncements invisibles, anecdotiques, imperceptibles, qui défigurent notre belle langue. A vous de participer ou non à son saccage.
Jean-Michel Dauriac
1 Je renvoie au très bon livre d’Henriette Walter, L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Éditeur : ROBERT LAFFONT (17 janvier 1997) Broché : 344 pages ISBN-10 : 2221082753 , qui fut un grand succès de librairie en son temps et qui le méritait
J’avais déjà fait un petit billet sur la stupide expression « distanciation sociale » qui a fait florès au printemps 2020. Je veux aujourd’hui me pencher sur les deux termes antagoniques qui sont apparus également durant cette crise sanitaire et semblent aujourd’hui avoir toujours existé, tant le peuple est matraqué en ce sens.
La crise, et les confinements qui l’accompagnent, ont plongé une grande partie des travailleurs dans l’obligation – au moins durant le premier confinement – de télétravailler. Les écoles et universités fermées ont également contraints des millions d’élèves à travailler sur leur tablette et leur ordinateur (quand ils en ont un ou une!). Ce sont donc des millions de personnes qui n’ont pas eu d’autre choix possible que celui du télétravail. Je reviendrai dans une prochaine chronique sur ce sujet. Ce qui m’intéresse présentement est la naissance des deux affreux néologismes, «présentiel» et «distanciel». Hors le fait que ces mots sont euphoniquement très moches, ils sont tout à fait révélateur de ce que Orwell, dans son prémonitoire roman, 1984, appelait le «nov-langue» ou le «néo-parler». Il faut être un pur technocrate, abêti malgré de si longues études, pour croire qu’il suffit d’inventer des termes pour dominer le réel. Ces deux mots sont censés régler de manière administrative les problèmes concrets. «On» décide que telle ou telle activité sera faite « en présentiel» ou « en distanciel », et la question est réglée. Ces mots froids et laids sont des paravents derrière lesquels on cache l’absence d’humanité de la situation présente.
Le schéma ci-dessus illustre assez bien le rapport technique dénué de toute humanité, appliqué à l’enseignement
Je ne veux pas condamner le télétravail ou les visio-conférences, pas plus que certains cours à distance, puisque les circonstances l’exigent. Mais il faut d’abord avoir conscience que c’est uniquement un pis-aller, une roue de secours. Il faut dire, redire et proclamer que le «présentiel» n’existe pas; ce qui est existe est la personne humaine et l’incarnation de chaque individu. Pourquoi employer cet affreux mot présentiel, alors qu’on peut dire «en personne», ou «en chair et en os»? Certes c’est un peu plus long, mais justement, à cause de cette crise, nous avons le temps, donc on peut oser dire trois petits mots en plus. C’est l’Autre qui m’aide à me construite et à être pleinement moi. Or, l’Autre n’est jamais cette image sur un écran, il est un complexe de chair et de sang, de corps et d’âme, et même d’esprit. L’esprit ne saurait être compatible avec zoom. Ma position radicale est qu’il vaudrait mieux se passer de tout usage de ces techniques-béquilles, car, en les utilisant, même à reculons, nous préparons, à très court terme, un avenir glacial de zombies numériques.
Il faut refuser d’employer ces mots stupide, au même titre que toute une flopée d’autres que la crise sanitaire fait fleurir dans le cerveau des pseudo-élites qui croient nous gouverner. Même le vocabulaire courant est un lieu de résistance. Céder, par conformisme, par manque de réflexion ou par pure bêtisolâtrie, à la démagogie technocratique et verbale, c’est renoncer encore un peu plus à la liberté que le pouvoir grignote chaque jour par des décrets et lois votées ou adoptés en toute discrétion. Relisez donc La ferme des animaux de Georges Orwell: si vous ne comprenez pas le risque, c’est que vous êtes déjà perdus pour le camp de la liberté critique.
Entre le petit con et le grand con, il y a une multitude de cons (le pire étant le con dangereux, le gros con, le méchant con, celui qui va au bout de sa connerie, jusqu’à devenir nuisible pour la santé de son entourage, et puis y a le con-nard, ou la con-nasse, ce qui revient au même). Cela dit, je l’avoue, il m’arrive parfois d’être un peu con sur les bords. Qui ne l’est pas aux yeux des uns ou des autres ? Connerie et folie, même diagnostic ? (on pourra toujours lire Eloge de la folie si l’on souhaite creuser la question). Question de point de vue en tout cas mais aussi de perspective, de conscience personnelle et donc de remises en cause diverses et variées. Cela dit, dans nos jugements, ne nous faisons pas trop de mal, hein, ça serait un peu… con. Il suffit d’avoir conscience de sa connerie (que celle-ci soit nuisible, dangereuse ou, mieux, sans conséquence fâcheuse) et de changer (d’autres diraient se repentir ou se réformer). Dès lors, le con, qui est-il ? Et la conne, qui est-elle ? L’éventail de la connerie est si large (d’autres diraient qu’elle est illimitée) qu’il semble impossible d’étudier tous les cons à la fois. Il y a les cons assis sur leurs certitudes, qui refusent de douter ; mais il y en a d’autres qui rejettent tout et qui doutent même de la vérité ; et il y en a encore qui se foutent des deux premiers groupes, qui d’ailleurs se foutent de tout, même des drames qu’on pourrait éviter. Le con est celui ou celle qui manque de respect envers les autres. Celui qui méprise ou regarde de haut ses congénères quand ceux-là sont démunis et faibles. Bref, celui qui n’est pas bienveillant de nature (je ne parle pas de la bienveillance édictée en valeur absolue, ni de la propagande et des palabres hypocrites de certaines autorités, mais bien d’une nature qui ne s’imposera pas, par ailleurs). Le con est surtout celui ou celle qui accable, fatigue, avance sans préavis et justifie ses gestes par un « c’était plus fort que moi ». Mais dès qu’il pense, crée, dessine, joue d’un instrument, lit, etc., bref quand il regarde plus loin que le bout de son nez, l’Homme ne deviendrait-il pas moins con des fois ?
Avant d’aller plus loin, un petit diagnostic est donc nécessaire et ce livre du philosophe Maxime Rovere publié par Flammarion en 2019 est une petite bouffée d’oxygène (écrivain et historien de la philosophie, Rovere a enseigné à l’ENS de Lyon ; il a d’ailleurs écrit un bouquin sur l’auteur de l’Ethique, Le Clan Spinoza, que j’ai également lu mais que je trouve moins réussi ; et là, je termine L’école de la vie qui est délicieux). Le con (ou la conne) se distingue donc du fait qu’il insiste un peu trop sur sa différence : il s’observe avant tout, connait tout, vous fait savoir qu’il a tout vu, sa conne- essence est épuisante. Il est ridicule parfois. Sa science sérieuse et ses croyances sont les seuls qui soient valables, souvenez-vous de Bouvard et Pécuchet (Flaubert). Il peut être méchamment prosélyte, inélégant (qui ne sait pas « élire », ne sait pas choisir). Il ne sait pas dire non et refuse toujours. Grossier et vulgaire, il manque de recul et de distanciation (il n’a pas l’esprit critique et n’accepte pas la contestation). Il est manipulateur et manipulable, et si on le critique, il se vexe, boude, ne prend rien avec suffisamment de distance. Son anticonformisme n’est qu’apparence, sa critique de la bourgeoisie fait de lui un bourgeois (« la triste intelligence » d’Harry dans Le Loup des Steppes), et puis ce sont toujours les autres qui sont cons, jamais lui, jamais elle. Bref, le con, ça n’est pas Charlot dans Les Temps Modernes. Le con, c’est le triste sire, le clown de service, l’obséquieux qui aime le Pouvoir. C’est le pantin ou le snob qui ne se sent plus pisser, qui n’a que l’apparence de la force mais qui s’aplatit devant elle (il l’aime tellement, l’apparence de la puissance). Au-delà de ces catégorisations faciles, le con ne pense pas à deux fois, et ne sait pas trouver les mots justes, ni faire de l’humour, ni se taire ni s’arrêter quand c’est nécessaire (ferait bien de tourner sa langue sept fois dans la bouche). Sinon, bien sûr, ne nous arrive-t-il pas, les uns et les autres, de déconner et de dire des conneries de temps à autre ? Par contre, faire, des conneries (question de degré), ça peut être dramatique.
Quand on vous prend pour un con, là aussi, c’est rageant (pauvre Villeret dans Le dîner de cons). Entre moqueurs et courtisans, le fossé est alors très mince. Mais ce sont surtout les conséquences de la connerie qui font le plus de dégâts (collectivement d’abord, individuellement ensuite, ou l’inverse). Le conditionnement pour se comporter comme des cons, voilà bien le problème. Et si la connerie a l’apparence de la connaissance (ou de la conne essence), elle est ignorance, le bien plus souvent. C’est aussi un manque d’amour, nous dit Rovere, une absence d’humanité, une intolérance à la différence. Cela ne signifie donc pas que tous les cons se valent. ll y a plusieurs degrés dans la connerie. « Mais c’est hélas une société malade qui produit aussi des cons en pagaille ». Ce ne sont pas seulement les cons qui détruisent tout et se détruisent par là-même (les conditions de la vie sociale et professionnelle, les conditions d’une vie familiale apaisée et sensée, etc.). C’est aussi la société toute entière qui donne ce sentiment d’autodestruction, d’absurde, faut bien le reconnaître (relire L’homme révolté d’Albert Camus, et même, plus près de nous, La fabrique du cré-tin de Jean-Paul Brighelli ou La fabrique des pervers par Sophie Chauveau). Con dangereux, con destructeur, con-strictor, con-quistador… Un prédateur. Un dominant. Il faut l’identifier rapidement pour s’en protéger. Le titre, forcément, est très accrocheur. Il pourrait en rebuter quelques-uns. Dommage. Aspect commercial ? Au final, comme le dit très justement Marie-Claude Sawerschel (voir son délicieux commentaire) Maxime Rovere donne à lire une étude brillantissime sur le sujet. Fallait oser ! Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ? (Audiard). Je n’irai pas jusque-là. Je veux seulement dire que c’était risqué de publier pareil ouvrage : ça aurait pu être un flop, or, c’est tout le contraire. C’est brillant, intelligent et humain. On connaissait quelques citations de Frédéric Dard (1). Avec le bouquin de Rovere, on en retiendra d’autres (2).
(1) « Les cons me blessent, me contraignent, me ligotent, me flagellent, m’ulcèrent, me démoralisent, m’irritent, m’endorment, me conspuent, m’oppriment, me dépriment, m’usent, me défèquent, m’engluent, me ruinent, m’embrigadent, m’écrasent, me crucifient, me baisent, me volent, me violent, m’accidentent, m’assassinent, me font alternativement suer et ch…, m’obligent, me vilipendent, me rognent, me bafouent, m’emplâtrent, m’épouvantent, me vieillissent, me profanent, me cocufient, m’éclaboussent, me soûlent, m’amputent, me saignent, me noircissent, me font voter, m’étatcivilent, m’inculquent, m’enc…, me gauchissent, me droitisent, et surtout – ô combien surtout ! – immensément surtout : me fatiguent et me re-refatiguent un peu plus chaque jour, m’emmerdent jusqu’à la désintégration finale. Qu’à la fin je leur porte plainte contre, à tous ! Au tribunal de Dieu, du diable ou de mes fesses. » (extrait de son livre, Les Con, notez l’absence du « s », puisqu’il s’agit d’un nom propre ; ce livre s’inscrit un peu dans la veine des San Antonio, c’est donc plein de verve et d’humour). Je ne sais pas si Frédéric Dard aurait aimé le bouquin de Rovère. Sans doute que oui. Audiard aussi (même si question de style, entre Rovère et Dard, ça n’est pas comparable, puisqu’avec le premier, on n’est pas dans la farce piquante, mais plutôt dans un manuel d’éthique interactionnelle, une étude ne manquant pas de recul et de distanciation par ailleurs). On peut commencer à lire si on est lycéen (c’est même recommandé quand on est élève en classe de terminale et que l’on suit des cours de philo). Le bouquin vient d’être publié en édition de poche (Que faire des cons, chez Champs Flammarion).
(2) C’est déjà ça, même si certains et certaines pourront toujours se reconnaître ici et là. Maxime Rovere donne par ailleurs pas mal de remèdes et de solutions (avec des exemples concrets) dans nos interactions avec les cons. Voici quelques passages croustillants : par exemple, « le con ou la conne se définissent, du fait d’un comportement que nous estimons inadéquat, comme des êtres que nous identifions, même momentanément, comme situés à un degré inférieur d’une échelle morale où, sans être parfaits, nous nous situons nous-mêmes – dans notre effort à tous pour devenir des êtres humains accomplis ». « D’ailleurs, qui sait définir ce qu’est un être humain accompli ? ». « La disparition des cons savants va de pair avec la prolifération des cons d’expérience » (page 56). « Au même titre que l’existence des cons, l’existence de la haine, de la colère, etc., doit être accueillie non comme une erreur, mais comme un fait. Vous allez donc non seulement devoir faire avec l’existence du salopard qui refuse de récompenser vos efforts même par un geste qui ne lui coûterait rien, mais vous allez en plus devoir survivre aux émotions qu’il vous inspire. Pour travailler correctement, il faut d’ailleurs inverser les choses : d’abord leur régler leur compte à vos émotions ; ensuite, on s’occupera de ce salaud. » (page 62) « Ce qui définit les cons : ils rendent les accidents inévitables / ils nous accablent, ils ne nous laissent pas tranquilles, ils s’obstinent » (page 12 et 68), etc., etc. A lire, quitte à y revenir pour méditer.