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Les mots du Covid: «présentiel» et «distanciel»

chronique « les mots ont un sens »

J’avais déjà fait un petit billet sur la stupide expression « distanciation sociale » qui a fait florès au printemps 2020. Je veux aujourd’hui me pencher sur les deux termes antagoniques qui sont apparus également durant cette crise sanitaire et semblent aujourd’hui avoir toujours existé, tant le peuple est matraqué en ce sens.

La crise, et les confinements qui l’accompagnent, ont plongé une grande partie des travailleurs dans l’obligation – au moins durant le premier confinement – de télétravailler. Les écoles et universités fermées ont également contraints des millions d’élèves à travailler sur leur tablette et leur ordinateur (quand ils en ont un ou une!). Ce sont donc des millions de personnes qui n’ont pas eu d’autre choix possible que celui du télétravail. Je reviendrai dans une prochaine chronique sur ce sujet. Ce qui m’intéresse présentement est la naissance des deux affreux néologismes, «présentiel» et «distanciel». Hors le fait que ces mots sont euphoniquement très moches, ils sont tout à fait révélateur de ce que Orwell, dans son prémonitoire roman, 1984, appelait le «nov-langue» ou le «néo-parler». Il faut être un pur technocrate, abêti malgré de si longues études, pour croire qu’il suffit d’inventer des termes pour dominer le réel. Ces deux mots sont censés régler de manière administrative les problèmes concrets. «On» décide que telle ou telle activité sera faite « en présentiel» ou « en distanciel », et la question est réglée. Ces mots froids et laids sont des paravents derrière lesquels on cache l’absence d’humanité de la situation présente.

Le schéma ci-dessus illustre assez bien le rapport technique dénué de toute humanité, appliqué à l’enseignement

Je ne veux pas condamner le télétravail ou les visio-conférences, pas plus que certains cours à distance, puisque les circonstances l’exigent. Mais il faut d’abord avoir conscience que c’est uniquement un pis-aller, une roue de secours. Il faut dire, redire et proclamer que le «présentiel» n’existe pas; ce qui est existe est la personne humaine et l’incarnation de chaque individu. Pourquoi employer cet affreux mot présentiel, alors qu’on peut dire «en personne», ou «en chair et en os»? Certes c’est un peu plus long, mais justement, à cause de cette crise, nous avons le temps, donc on peut oser dire trois petits mots en plus. C’est l’Autre qui m’aide à me construite et à être pleinement moi. Or, l’Autre n’est jamais cette image sur un écran, il est un complexe de chair et de sang, de corps et d’âme, et même d’esprit. L’esprit ne saurait être compatible avec zoom. Ma position radicale est qu’il vaudrait mieux se passer de tout usage de ces techniques-béquilles, car, en les utilisant, même à reculons, nous préparons, à très court terme, un avenir glacial de zombies numériques.

Il faut refuser d’employer ces mots stupide, au même titre que toute une flopée d’autres que la crise sanitaire fait fleurir dans le cerveau des pseudo-élites qui croient nous gouverner. Même le vocabulaire courant est un lieu de résistance. Céder, par conformisme, par manque de réflexion ou par pure bêtisolâtrie, à la démagogie technocratique et verbale, c’est renoncer encore un peu plus à la liberté que le pouvoir grignote chaque jour par des décrets et lois votées ou adoptés en toute discrétion. Relisez donc La ferme des animaux de Georges Orwell: si vous ne comprenez pas le risque, c’est que vous êtes déjà perdus pour le camp de la liberté critique.

Jean-Michel Dauriac

Published in coups de gueule

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