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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Un des plus grands disques de chanson française a 50 ans !

J’avais 17 ans, cette année là (ce n’est pas le début d’une chansons, encore que…) et j’étais entre la première et la terminale. J’aimais déjà le rock, mais j’adorais encore plus la chanson française depuis qu’un certain Jacques Brel était entré dans ma vie par les oreilles. Quelques années auparavant (c’était en 1968 je crois), un disque était sorti, avec une couverture en noir et blanc, un visage un peu buriné en gros plan et en haut, écrit, en style manuscrit « Serge Reggiani ».

Une véritable bombe pour moi et pour quelques copains de la même bande. Une voix unique, une diction parfaite, et un choix de chansons impeccables, d’auteurs-compositeurs très divers. Ce jour-là Reggiani est entré dans mon cœur et mes tripes et n’en est jamais sorti. Je l’ai suivi jusqu’à sa mort, et je l’écoute très régulièrement. C’est lors d’une de ces réécoutes récentes que j’ai pris conscience que, si le disque parfait existe, je venais de l’écouter. Ce disque n’a pas de titre, mais depuis, on a pris l’habitude de l’appeler Rupture, du nom de la première chanson de la face A du 33 tours. Car je vous parle d’un temps ou la musique s’écoutait avec des galettes de vinyle de plus ou moins grand diamètre qui tournaient à plus ou moins grande vitesse sur des machines qu’on appelait souvent tourne-disques  – ce qui est bien mieux que l’affreux pick-up que certains employaient ou emploient encore. Les disques s’usaient à force d’être écoutés et s’emplissaient de petits craquements, voire de sauts brutaux selon leur état et les chocs subis. Dans cet album, Reggiani chante, à un moment : « J’écoute Edith sur un phono, Par hasard un disque en mono, La chanson est de Marguerite » (Edith). Pour nous cette phrase était aussi rétro que celles que je viens d’écrire au-dessus, car nous ne savions plus ce qu’était un phonographe et ses lourdes galettes de cire noire. Aujourd’hui je possède ce disque en CD et en version MP3, mais c’est le vinyle que je préfère encore ; d’abord pour l’objet, une vaste pochette ouvrante, à l’intérieur de laquelle on a pu imprimer tous les textes des 10 chansons de l’album, en caractère qui ne demandent pas un microscope pour être lus, comme dans les livrets de CD. On peut donc se régaler de la forme du poème en l’écoutant, puis en le relisant.  Et puis, les photographies ! Celle de la couverture est superbe, elle dit tout de la complexité de cet homme, dans des couleurs assez sombres. Celle de l’intérieur est un magnifique portrait où on devine l’espoir dans les yeux de Serge. Rien à voir avec les miniatures des CD ! (Remarquez que c’était encore plus ridicule dans le cas de la cassette audio, un support encore plus petit !)

Mais la véritable émotion vous saisit quand la pointe de votre diamant aborde le premier morceau, Rupture. Le texte est très long et nous emporte sans retenue. Il est signée Jean Dréjac, un grand parolier de cette époque-reine du texte. Il faudrait le citer en entier, mais je vais donner ce quatrain que je trouve sublime :

Il faut être artiste

Jusqu’au bout des doigts,

Pour sculpter des joies

Quand la chair est triste

Sur ce texte envoutant éminemment triste, Michel Legrand a posé une de ses très grandes musiques, à base de piano, sobre et entêtante. L’alliage du texte et de la musique est parfait, à un point d’incandescence que tout auteur-compositeur rêve un jour d’atteindre. Mais ce qui rend cette chanson encore plus grande, c’est l’interprétation magistrale de Reggiani. Il joue véritablement cette rupture, avec toutes les armes de sa voix et de sa sensibilité. Qui peut dire mieux que cela la fin d’une histoire d’amour :

Avec en secret

L’immense regret

Que cette aventure,

Ce moment parfait,

Soit déjà défait,

Et que rien en dure.

Le ton est donné : ce sera un album irréprochable, un sommet de la chanson à texte, comme on disait alors – en écoutant le tout-venant actuel de la chanson française, je mesure la valeur de cette expression un peu passéiste. Jean Dréjac cosigne avec Michel Legrand trois autres titres : Comme elle est longue à mourir ma jeunesse, Dans ses yeux et Edith .  Legrand compose par ailleurs un autre titre, La putain, qu’écrit Jean-Loup Dabadie. On ne dira jamais assez à quel point Michel Legrand était doué pour la composition et savait s’adapter à tous les styles en gardant le sien. On oublie qu’il a commencé sa carrière de compositeur de chansons avec un jeune auteur toulousain qui ne voulait pas chanter, mais qui a dû s’y résoudre car personne ne voulait de ces titres, Claude Nougaro. Legrand a la qualité très rare de pouvoir passer de la variété au jazz ou au classique en gardant la même inventivité et exigence. Sur cet album il est le compositeur de la moitié des chansons et cela pèse beaucoup dans l’ambiance et la qualité du disque, car il signe les arrangements et dirige les titres qu’il a composés.  On retrouve également Jacques Datin, très célèbre compositeur de chansons à l’époque et fidèle complice de Reggiani jusqu’à sa mort (il meurt en 1973, à seulement 53 ans). Datin a beaucoup fait tandem avec Jean-Loup Dabadie, qui fit d’abord sa réputation en écrivant des chansons, avant de passer au scénario de film avec brio et d’intégrer l’Académie Française. Ici le tandem signe deux titres : L’absence et L’Italien. Autant dire deux chefs-d’œuvre.

 L’Italien est le plus gros succès de Reggiani, celui que l’on entend encore parfois et que l’on retrouve sur les compilations de chansons française des années 1970. Pourquoi Dabadie est-il si fort ? Parce qu’il raconte des histoires, tout simplement. L’écriture de L’Italien est un modèle de composition littéraire. On y trouve déjà tout le sens de l’image de l’auteur : ce pauvre gars qui revient après 18 ans d’absence et a tout raté, nous le voyons vraiment déambuler, passer devant ces fenêtres allumées et ce portail.  L’évocation est très visuelle, c’est déjà un petit scénario. Et sur ce synopsis, Jacques Datin signe une de ses grandes musiques, opposant des couplets assez récitatifs à un refrain à moitié en italien, très chantant, à la mélodie obsédante. Il y a eu bien sûr identification avec l’interprète, qui n’a pas eu besoin de rentrer dans le personnage puisqu’il l’était. L’Italien, c’est un grand rôle de Reggiani, mais un rôle qui dure seulement 4’00.

 L’absence est également une très grande chanson, sur un sujet ici traité de manière abstraite, quasi-philosophique. Ce superbe texte de Dabadie arrive à nous faire ressentir la profondeur de la douleur de l’absence en usant uniquement d’objets ou d’être anonymes : un volet qui bat, un livre oublié, un vase vide, un miroir… La forme n’est pas loin d’évoquer Baudelaire et qui lit ce texte à voix haute comprend très bien que c’est de la haute poésie et qu’on a bien fait d’honorer pareil auteur en l’élisant au quai Conti.

Les vase sont vides

Où l’on mettait des bouquets

Et le miroir prend des rides

Où le passé fait le guet

On est loin de la chansonnette abrutissante des yéyés de l’époque. Lorsqu’on songe que els les deux premiers morceaux sont  Rupture et L’absence, on mesure quel est le niveau auquel se situe ce disque.

La Face A du microsillon se poursuit avec La putain, autre texte de Dabadie. Là encore, l’auditeur-lecteur ne peut qu’être frappé par la charge visuelle du texte et l’art du récit scénarisé. Petit bijou d’humour et de nostalgie, cette chanson douce-amère résonne en nous et nous donne un étrange attachement pour cette anonyme prostituée. Michel Legrand a su créer une musique très mélodique et qui colle à cette nostalgie jamais vulgaire. Voici un autre modèle parfait. La chanson suivante est encore plus nettement orientée vers une tristesse inguérissable, Comme elle est longue à mourir ma jeunesse nous parle d’un mal qui nous atteint tous à un moment ou un autre de notre existence, ce moment où nous comprenons dans notre corps et notre chair que la jeunesse est partie, qu’il faut en faire le deuil et qu’on ne le peut ou ne le veut pas. Jean Dréjac a ici trouvé des accents romantiques qui en sont pas sans rappeler Victor Hugo. La musique est rhapsodique et nous conduit aux derniers mots « qui ne veut pas mourir » inéluctablement où retombe la tension dans la voix de Reggiani qui semble s’éteindre doucement.

Voici quatre chansons qui ne baignent pas franchement dans la joie. Le choix a donc été fait de terminer sur une chanson plus légère, une sorte de biographie d’anonyme, celle de Thomas, un petit gars du Nord qui tourne le dos à la mine au moment d’entrer au travail et descend faire sa vie dans le midi, chez les cigales, au pays des mandarine et des églantiers. Mais qui, au moment de la vieillesse et à l’approche de la fin, remonte pour finir ses jours dans son pays natal. C’est le cycle de la vie, chanté sur une musique assez légère, sans prétention de Jacques Datin, un petit air sympathique que mes élèves de Cours Moyen aimaient beaucoup chanter, quand je les accompagnais à la guitare, dans leur école de banlieue : Thomas, c’était la vie banale et normale mais heureuse.

La face B du disque commence par une des plus belles chansons qu’ait jamais enregistré Reggiani, Ma fille. Ce texte carrément sublime de vérité est l’œuvre d’Eddy Marnay, l’homme aux 4 000 chansons, un parolier très chevronné, ici associé à un pianiste-compositeur rompu au métier également, Raymond Bernard. Celui-ci fut longtemps le pianiste de Gilbert Bécaud, avant de devenir celui de Reggiani pendant vingt ans. Ma fille est l’histoire d’un père qui voit sa fille prendre son autonomie et lui écrit une sorte de lettre particulièrement émouvante. Tous les pères du monde peuvent se reconnaître dans ce texte qui sonne si vrai et pourtant si poétique. Une chanson qui n’a guère besoin que d’un piano pour trouver sa plénitude.

Une chanson plus légère ensuite, Dans ses yeux, chansons d’amour bien tournée, la plus simple du disque, comme une respiration, une bouffée d’air frais du tandem Dréjac-Legrand, avant de plonger dans la vie de L’Italien, déjà évoquée plus haut. N’oublions pas que l’art d’organiser les titres d’un album n’est pas quelconque, il relève de la recherche d’une alchimie qui ne réussit pas toujours. Tous ceux qui, musiciens, ont fait des programmes de concert comprendront de quoi je parle ! Ici c’est aussi la perfection. Car après cette petite merveille cinématographique qu’est L’Italien, arrive Edith, chanson-hommage à la môme Piaf. Il faudrait, encore une fois citer tout le texte de Dréjac, mais il faut choisir, alors allons vers le dernier couplet :

Heureux sont ceux qui ont brillé

Edith, dans ton rêve éveillé ;

C’est une merveilleuse histoire

Lorsque l’on a rien qu’une fois

Eu le droit de poser le doigt

sur la soie de ta robe noire…

Je vous laisse apprécier les allitérations des deux derniers vers. C’est un des plus beaux hommages rendus à l’artiste, il est d’ailleurs rentré dans le patrimoine de la chanson et brille au panthéon des grands succès de Reggiani, et pourtant ce n’est pas la chanson la plus facile. Symbiose parfaite entre paroles, musique et voix.

Le disque s’achève par La Cinquantaine, une chanson-bilan qui va bien à l’interprète. On y trouve, par anticipation, les rôles qu’il jouera dans els films de Sautet un peu plus tard.

Dix chansons, mois de quarante minutes, mais un pur bijou, où rien n’est à jeter. Pour moi, c’est le plus grand disque de Reggiani, même supérieur à son premier. Je pourrais réécouter sans cesse ce disque sans m’en lasser. Il faut dire aussi que je considère Serge Reggiani comme le plus grand interprète masculin de la chanson française, même avant Montand.

On peut trouver en téléchargement tous les titres de cet album :

https://www.amazon.fr/s?k=serge+R%C3%A9ggiani+Rupture&__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&ref=nb_sb_noss

On peut aussi trouver l’album en CD dans le coffret qui regroupe tous ses albums studio Polydor :

Enfin, en furetant, il est possible de trouver le vinyle d’occasion.

J’espère vous avoir donné envie d’écouter ce petit chef-d’œuvre.

Jean-Michel Dauriac – Décembre 2021

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Qui nous fera voir le bonheur ? – Méditation de sortie de l’arche n° 15

La version audio de cette méditation est ici:

Nous vivons une épreuve collective (ce que les hommes appellent « crise ») qui a et aura de très lourdes conséquences sur les populations du monde et, singulièrement, celles de pays les plus riches. Le président Macron a parlé de « guerre ». Je ne discuterai pas ici la valeur de cette métaphore. Mais on peut utiliser l’analogie au plan moral : la guerre, c’est le malheur, la tristesse, l’obscurité. En contexte de guerre, toutes les populations rêvent d’un après-guerre forcément heureux.

Les traumatismes seront multiples et souvent superposés : économique bien sûr, c’est ce qui est posé comme premier par nos dirigeants. Mais aussi scolaire chez les jeunes, psychologiques avec des troubles graves et durables (dépressions, suicides…), social, avec le chômage et la précarité.

David, dans le psaume 4, soumis aux attaques de ses semblables, rêve du bonheur.

Lecture : Psaume 4 : 7 à 9 (version NBS)

« Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous la lumière de ta face, SEIGNEUR !

7  (4:8) Tu mets dans mon cœur plus de joie qu’au temps où abondent leur froment et leur vin.

8  (4:9) Aussitôt couché, je m’endors en paix, car toi seul, SEIGNEUR, tu me fais habiter en sécurité. »

L’appel au bonheur (verset 7a)

Il est légitime de chercher le bonheur. C’est un des traits originels de l’homme. La Bible débute par le récit édénique, bonheur primitif de la créature. Dans la version Segond 1910, il y a 60 emplois du mot « bonheur » dans le texte, dont 5 seulement dans le Nouveau Testament. Les 5 références sont peu explicites et assez religieuses, alors que les 55 usages juifs antérieurs sont riches de sens. Relevons seulement quelques traits marquants :

  • Dieu prend plaisir au bonheur des hommes (Deutéronome 30 :9).
  • Le bonheur est lié à la grâce (Psaume 23 :6).
  • Il existe un bonheur terrestre existentiel, simple que Qohélet (l’Ecclésiaste) décrit fort bien (Ecclésiaste 3 :12 ; 8 :15).
  • Mais le bonheur biblique est cependant en Dieu (Ecclésiaste 8 :12-13 – Esaïe 42 :21 ; 66 :11).
  • Le bonheur a sa source dans la réflexion et l’intelligence (Proverbes 16 :20 ; 19 :8).

Chacun de ces traits mériterait une étude plus poussée, mais leur liste suffit à montrer le lien entre bonheur et Dieu. Quand David pose la question, il la pose pour la masse des hommes : « beaucoup » se posent cette question. Mais lui a déjà la réponse, comme le montre tout le psaume 4 et comme les versets 7-8-9 l’établissent.

Est-ce à dire que seuls ceux qui craignent Dieu, donc les croyants, ont accès au bonheur ? Sur le plan humain, cela semble absurde. Il y a tant de poèmes, de romans, de musiques, de tableaux… qui montrent le bonheur ! Si le bonheur est dans l’instant, alors oui, les hommes peuvent le connaître – et le perdre aussitôt après.

Si l’on passe au plan théologique, il n’y a alors aucun doute que seul le croyant fidèle peut connaître le bonheur, lequel s’inscrit dans la durée. Car ce bonheur biblique superpose deux aspects : celui, terrestre et concret, que décrit l’Ecclésiaste : manger, boire, se réjouir, aimer sa femme ; et celui qui est spirituel et repose sur la loi de Dieu (Esaïe 42 :21)

« 21  Le SEIGNEUR a pris plaisir, à cause de sa justice, à rendre la loi grande et magnifique. »

, qui est le guide pour une bonne vie. La crainte de l’Eternel est ce qui permet de marcher selon cette loi dans la durée des temps (Ecclésiaste 8 :12).

« 12  Le pécheur peut mal agir cent fois et prolonger son existence, je sais pourtant, moi, qu’il y aura du bonheur pour ceux qui craignent Dieu, parce qu’ils ont de la crainte devant lui ; »

Dans ce cadre de foi, la question de David peut aussi résonner en nous. Elle doit être comme un avertissement permanent. Qui nous fera voir le bonheur ? Il s’agit de ne pas se tromper de bonheur et de maître. Le vrai bonheur est en Dieu, par Jésus-Christ.

Voyons comment le poète sacré illustre ce bonheur.

Fais briller la lumière de ton visage sur nous (verset 7b)

La seconde partie du verset est la réponse à la question de la première partie.

Pour « voir le bonheur », il faut avant tout être éclairé, être dans la lumière. Dans la Bible, Dieu est associé à la lumière dès Genèse 1: 3 (1), qui est la première manifestation de la création. Nous trouvons en Apocalypse 22 :5 (2) , la dernière mention de la lumière qui est encore Dieu, lequel éclairera la cité céleste à jamais. Nous trouvons également un texte parallèle à celui de la Genèse dans le prologue de l’Evangile de Jean : au verset 4 du chapitre 1 (3), nous voyons que l’auteur établit l’équivalence entre vie et lumière des hommes.

1. « 3 ¶  Dieu dit : Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière. »

2. « 5  La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais. »

  • « 4  en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. »

Nous sentons bien par ces trois passages que la lumière est capitale dans notre histoire. Or elle est décrite comme émanant de Dieu. Les auteurs bibliques ne peuvent utiliser que les mots limités de leur vocabulaire. David reprend l’idée ancienne liée à l’histoire de Moïse : la face (ou le visage de Dieu). C’est ce que l’on appelle un anthropomorphisme, ce qui signifie une réduction, un retour à l’homme comme élément de comparaison. Bien évidemment, Dieu n’a pas de visage propre, ou alors il peut avoir tous les visages à sa disposition. Jésus nous a dit que Dieu était Esprit (Jean 4 : 24). Mais comment traduire cette idée d’une source de lumière irradiant sur nous ? Peut-être le soleil à son zénith ? Comme on ne peut regarder le soleil en face, on ne peut contempler cette lumière directement.

Ce que David associe au bonheur du croyant, c’est de recevoir la lumière sur nous (« fais briller »). Le bonheur, c’est d’abord de sentir cette chaleur et ensuite de voir clair. La lumière dissipe la ténèbre, elle permet d’identifier les obstacles et de les éviter. La lumière chasse la peur qui accompagne l’obscurité.

La lumière est le moteur de la vie sous toutes ses formes. Le bonheur du croyant est une vie que la lumière éclaire et fait prospérer.

La joie dans le cœur (verset 8)

Ici nous atteignons un degré supérieur. La lumière peut être là, mais la vie peut être terne et monotone, triste et compassée. Ce que David veut obtenir de Dieu, c’est un bonheur joyeux.

La joie est très présente dans la Bible. On trouve 298 occurrences du mot dans la version Segond 21. Or, sur ces 298 usages, 212 sont dans la Bible juive, le Premier Testament, et surtout dans les Psaumes et les livres prophétiques.

Le judaïsme est une religion joyeuse : le courant hassidique en a même fait sa spécialité, par le chant et la danse devant l’Eternel. Le christianisme parle de la joie, puisqu’elle est dans l’Ecriture, mais il faut avouer qu’il a beaucoup de mal à la vivre. Le poids des rites et une image erronée du péché, une crainte de Dieu mal comprise, un certain mépris du corps, tout cela explique que la joie soit évoquée souvent mais peu vécue[1].

« Un chrétien triste est un triste chrétien » disait le pasteur gallois Thomas Roberts. Sous cette forme de chiasme proverbial se cache une vérité de l’existence. Comment parler de la joie et la vivre, avec une tête d’enterrement ? Mais au fait, la joie, que peut-on en dire pour mieux la saisir ?

  • Elle est toute intérieure. C’est un état d’esprit ou un état d’âme. Elle peut ne pas se manifester extérieurement de manière démonstrative, mais ne peut s’incarner dans une triste figure.
  • Le siège de la joie est le cœur en termes bibliques, donc l’âme, le siège des sentiments et des émotions.
  • La joie est durable. En effet, elle ne doit pas être confondue avec la gaieté ou l’enthousiasme qui sont passagers et circonstanciels. La joie est la manifestation du bonheur ; comme lui, elle s’inscrit dans le temps. L’expression « joie passagère » est une sorte d’oxymore.
  • Elle est de nature spirituelle. David l’oppose au verset 8 à l’abondance de biens matériels qui faisaient la richesse de son époque. On peut extrapoler à partir de ce fait et dire que le matériel ne peut pas alimenter une vraie joie, mais plutôt une satisfaction égoïste de confort et de fausse sécurité.

Le croyant puise la connaissance spirituelle de sa joie dans la Bible. L’incroyant pourra relire Spinoza avec profit : il est le philosophe moderne qui en parle le mieux. On peut aussi lire avec profit Robert Misrahi et son livre sur le bonheur[2].

David trouve sa joie dans deux sources spirituelles : la lumière de la vie, dont la source est en Dieu, et la joie profonde et durable qui émane de Dieu et qu’il dépose en nos cœurs. L’homme n’est pas l’auteur de la vie, il la reçoit, comme la lumière de Dieu. Mais c’est à lui de savoir en faire son bonheur.

Au verset 9 nous trouvons la conséquence finale directe de ce bonheur trouvé en Dieu. Deux mots importants décrivent la situation de l’enfant de Dieu : paix et sécurité. C’est encore le Seigneur qui donne la sécurité, comme attestation du vrai bonheur. Les hommes ne peuvent livrer que des contrefaçons, comme le dit Jésus, dans son discours sur la fin des temps, et comme Paul le résume en 1 Thessaloniciens 5 : 3.

« Quand ils diront : « Paix et sécurité ! », alors la destruction arrivera sur eux à l’improviste, comme les douleurs de l’accouchement sur la femme enceinte, et ils n’échapperont en aucun cas. »

Ne nous trompons pas de source du bonheur, de la paix et de la sécurité.

Jean-Michel Dauriac


[1] J’entends déjà les critiques venant de toutes les confessions chrétiennes : comment puis-je dire cela ? Eh bien, tout simplement au nom de mon expérience de plus de soixante années de fréquentation des diverses communautés. Bien sûr je ne prétends nullement que cette attitude de retrait face à la joie concerne tous les chrétiens ; heureusement il y de beaux et grands contre-exemples. Je suis toujours frappé par la joie intense peinte sur les visages des moines et des moniales. Je connais l’enthousiasme charismatique et évangélique, mais je ne suis pas du tout certain qu’il soit la joie biblique dont nous parlons.

[2] Le bonheur, essai sur la joie, Robert Misrahi, Editions Cécile Défaut, 2010.

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« Secouez la poussière de vos pieds » – Méditation de sortie de l’Arche 14

L’enregistrement audio de la méditation est ici:

Nous allons aujourd’hui méditer sur des paroles de Jésus qui sont rapportées dans les trois Evangiles synoptiques. Une étude serrée devrait être menée comparativement sur les trois textes. Le format de ces méditations ne permet pas cet approfondissement. Mais rien en vous empêche d’effectuer ce travail, puisque je vais fournir les références précises des trois textes. J’ai retenu celui de Matthieu. Celui de Marc est très lapidaire et manque donc de précision. Celui de Luc est proche de Matthieu. Mais ce sont les formulation du premier Evangile qui ont motivé mon choix, nous allons le voir ci-dessous.

Lectures de base :

Marc 6 : 7-12

Luc 9 : 1-6 & 10 : 11-12

Matthieu 10 : 5-15.

«  5  Tels sont les douze que Jésus envoya après leur avoir donné les recommandations suivantes :

6  N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.

7  En chemin, prêchez que le royaume des cieux est proche.

8  Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

9  Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures,

10  ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture.

11  Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous s’il s’y trouve quelqu’un qui soit digne (de vous recevoir), et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez.

12  En entrant dans la maison, saluez-la,

13  et, si la maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; mais si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne à vous.

14  Lorsqu’on ne vous recevra pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.

15  En vérité je vous le dis : Au jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins rigoureusement que cette ville-là. » Version La Colombe.

Les Evangiles nous rapportent deux envois en mission effectués par Jésus : d’abord les douze apôtres, puis un contingent de soixante-dix disciples. Nous ne savons pas quel intervalle de temps sépare ces deux missions, nous ne pouvons pas déduire de leur enchaînement en Luc qu’elles soient consécutives. Les formules qui nous intéressent aujourd’hui sont dans les deux ordres de mission.

La mission des douze

Elle est définie juste avant le passage que nous avons lu, en Matthieu 10 :1.  «  Puis (Jésus) appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. » C’est une mission centrée sur deux actions seulement :

  • -chasser les esprits impurs ;
  • -guérir toute maladie et toute infirmité.

On ne peut qu’être surpris par le but à la fois grandiose et très limité de cette mission. C’est une mission de « miracles », tels que les Evangiles les définissent : pratiquer ce que l’on appelle aujourd’hui l’exorcisme et guérir toutes affections des hommes (maladies et infirmités).

Il n’est nullement question du salut, du pardon des péchés, de la foi ou de tout autre aspect religieux. Jésus envoie des guérisseurs. Pourquoi limiter ainsi l’œuvre ?

La réponse première est dans la liste des douze que donnent les versets 2 à 4 du même chapitre 10. Ce sont des hommes simples, qui exerçaient des métiers manuels. Il n’y a là aucun scribe ni savant de la Loi. Leur seule référence est la religion de leurs pères et Jésus. Or, ils accompagnent Jésus et participent, en spectateurs le plus souvent, à ses actions. Le verset 35 du chapitre 9 nous donne le programme de Jésus : « Jésus parcourait toutes les villes et les villages, il enseignait dans leurs synagogues, prêchait l’Évangile du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité. »

Il enseigne dans les synagogues, il prêche l’Evangile (la bonne nouvelle) du Royaume et il guérit. Or, il ne demande aux douze envoyés que de guérir. Pas de prédication de la bonne nouvelle du Royaume : ils n’en savent pas encore assez sur ce message. Ils peuvent seulement mettre en œuvre le pouvoir que Jésus leur donne.

Leur mission est très cadrée : le verset 6 écarte tout contact avec les païens et les Samaritains. C’est donc uniquement vers les Juifs qu’ils sont envoyés. Ce n’est pas un travail missionnaire au sens propre, c’est une affaire interne, entre Juifs.

Mais en 6b nous trouvons une mention singulière, celle des « brebis perdues de la Maison d’Israël ». Ceci, évidemment, nous fait songer à la parabole du bon berger et de la brebis perdue. Mais, ici, comment faut-il comprendre cette mention ?

Les disciples ne visent-ils que les égarés ou, au contraire, tout Israël est-il brebis perdue ? D’après le texte de Matthieu, il ne nous est pas possible de le dire. Il semble cependant, d’après le verset 11, que toute ville ou village soit concernée. Jésus considérerait donc que tout Israël s’est éloigné de Dieu. En se positionnant ainsi, il manifeste une attitude prophétique, à l’instar des anciens prophètes de la Bible juive.

Au verset 7, nous voyons le seul élément de prédication qui leur est conseillé : « le Royaume de Dieu est proche » ; Luc dit : « Le royaume de Dieu s’est approché » (Luc 10 : 11b). On peut aussi traduire le « règne de Dieu », ce qui est peut-être plus parlant. Ce message est le message messianique de tous les prophètes antérieurs, notamment Esaïe. C’est l’événement qui doit être annoncé. Les disciples ne peuvent aller plus loin, ils n’ont pas encore la connaissance suffisante. Je dirais que cette mission est leur stage pratique de fin de troisième, le moment où les jeunes découvrent un métier dans une approche rapide.

Les douze marchaient avec Jésus et assistaient à son ministère, mais ils ne comprenaient pas grand-chose, ou en tout cas, n’avaient vraiment pas une formation suffisante pour aller au-delà de cette mission.

Concrètement, pour nous aujourd’hui, cet envoi limité peut être un encouragement : nul besoin d’avoir acquis grand savoir et expérience. Il suffit d’annoncer, que, par Jésus, le règne de Dieu s’est approché. Il faut susciter la curiosité ou la perplexité de ceux qui veulent bien nous recevoir et nous écouter. Pour en savoir plus, il faut alors les conduire à ceux qui savent, ceux qui ont côtoyé Jésus plus longtemps.

Acceptation ou rejet : que faire ?

Ce sont là les versets 11 à 15 de Matthieu qui nous intéressent. Jésus présente les deux accueils possibles et y prépare ses disciples.

  • -versets 11 à 13 : l’accueil est favorable. Vous noterez que Jésus considère ses envoyés comme des personnages importants. L’expression « digne de vous recevoir » le montre clairement. Ce n’est pas la noblesse des disciples qui est digne d’accueil, mais celui qui les envoie et le message qu’ils portent.  Nous-mêmes, disciples du Christ, nous avons ce statut de « dignitaires ». Il ne faut jamais galvauder le message de Jésus et la mission qui est la nôtre.
  • -Les versets 14-15 montrent un rejet ou une forme de mépris du message : « lorsqu’on n’écoutera pas vos paroles », la mission est, ici, en cette ville ou ce village, un échec. Malgré la puissance de Celui qui nous envoie et la Bonne Nouvelle du Royaume proche, il y aura toujours des refus. Ceci atteste de la liberté de conscience des hommes (au moins en apparence). Le message, nous le proposons seulement. Rien ne servirait de l’imposer, comme l’Eglise l’a fait dans certains périodes historiques et certains contextes. Grâce au texte de Luc 10 : 9 et 11, nous savons que dans les deux cas le « Royaume s’est approché ». Et il faut le dire, les hommes doivent savoir ce qu’ils rejettent, pas des disciples limités, mais le Royaume de Dieu.

Aux deux modalités d’accueil correspondent deux attitudes : rester chez ceux qui sont dignes de recevoir ou sortir de ce lieu en secouant la poussière de ses sandales.

Rester, c’est partager la guérison et le témoignage. Aux soixante-dix, Jésus dit (Luc 10 :7) de manger et boire dans cette maison (ou ce village). Jésus ajoute : « n’allez pas de maison en maison », ce qui semble condamner la pratique du porte-à-porte que certains chrétiens pratiquent intensivement. Pourquoi ?

Pour que ce soient les habitants, curieux, qui viennent vers les disciples. Ce sera leur choix et leur démarche, un acte de volonté.

N’oublions pas cet aspect, dans notre démarche d’évangélisation[1] ou de témoignage : non aller déranger autrui chez lui, mais le laisser librement et volontairement venir vers la source de la Parole de Dieu. Il nous suffit de faire connaître cette possibilité de la manière la plus adaptée.

Sortir des lieux de refus est un ordre de Jésus. Il ne sert à rien d’insister. Quand l’annonce a été faite de manière claire, le travail du disciple est accompli. Le reste est oeuvre de l’Esprit Saint et décision des femmes et des hommes qui ont entendu.

Mais il y a aussi la formule finale, « Secouez la poussière de vos pieds » (verset 14 de Matthieu). C’est le texte de Luc 10 :11 qui donne l’explication : « Nous secouons contre vous la poussière même de votre ville qui s’est attachée à nos pieds ; sachez pourtant que le royaume de Dieu s’est approché. » 

Il n’y aura plus rien de commun entre les disciples et ceux qui refusent de les accueillir et de les entendre. Cela signifie qu’il faut savoir passer à autre chose. Rien ne sert de persister, de revenir à la charge, d’argumenter et, parfois, de harceler le récalcitrant. Il a eu l’occasion de connaître le Royaume, il l’a refuse, c’est fini pour lui de la part du disciple. Il faut aller annoncer le Royaume à tous les autres ignorants, à toutes le autres brebis perdues[2].

Voici donc une  illustration, que nous pouvons méditer, sur notre travail d’envoyé, sur le message diffusé et sur l’attitude à adopter. Il y a bien sûr tout un travail d’adaptation à accomplir, mais les principes que j’ai évoqués ci-dessus demeurent intangibles.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2021.


[1] Je continue à employer ce terme qui est considéré comme néfaste par certains, comme une preuve de prosélytisme agressif. C’est méconnaître son sens profond qui est « annonce de la Bonne nouvelle du Christ ». Il y a bien des façons de dire cela, mais c’est le cœur de la vie et de la mission  du chrétien. On peut « évangéliser » muettement, simplement en vivant au mieux les préceptes du Christ.

[2] Cela signifie-t-il que le salut est définitivement hors de portée de ceux qui ont refusé et même combattu l’Evangile ? Ce serait outrepasser le contenu du Nouveau Testament. Je pense à ce verset de Paul, en 1 Corinthiens 3:15 « Si l’œuvre de quelqu’un est brûlée, il en subira la perte ; lui, certes, il sera sauvé, mais comme au travers du feu. » La possibilité du salut demeure tant qu’il ya de la vie en l’humain.

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