Jacques Lacarrière a fait sa (très bonne) réputation en publiant des livres dans le genre littérature de voyage. Son Eté grec a connu un grand succès dans divers format. Un de ses grands classique est Chemin Faisant, récit d’une traversée pédestre de la France dans la diagonale du vide, bien avant Les chemins noirs de Sylvain Tesson. Quant à son essai sur Les Gnostiques, appuyé sur sa très bonne connaissance de l’Egypte et du monde méditerranéen, il constitue un des meilleurs titres de vulgarisation sur ce sujet très complexe. Bref, Jacques Lacarrière est un écrivain que le voyage aide à écrire, et à bien écrire.
J’ai acheté ce petit livre dans une bouquinerie, sur la foi du nom de l’auteur ; le titre me laissait présager un voyage forestier ou quelque chose comme ça. Mais je n’avais pas regardé plus. C’est en le retirant de ma bibliothèque, au rayon des « espérants » – ces livres achetés assez récemment et qui s’entassent dans l’attente d’une lecture prochaine, qui parfois ne viendra jamais – que j’ai découvert son contenu. Partant pour un petit périple au cœur de la France de l’Est, j’ai choisi quelques livres de petite taille, qui conviennent bien à ces types de jours. Parmi eux, celui dont il est question aujourd’hui ; il voisinait avec un joli petit Modiano, dont je parlerai ailleurs.
Il s’agit bien, en définitive d’un récit de voyage… Mais, pour la première fois, Lacarrière a choisi la forme romancée, la fiction totale. Les amoureux de littérature sont attentifs et friands aux premières phrases des romans ; certaines sont devenues quasi-proverbiales. Celle de ce livre est assez originale, jugez-en :
« Cet été-là, je le passai sous une écorce de platane. »
Avouons que c’est assez étrange. Lisons maintenant la dernière phrase :
« Et, rouvrant les yeux, je me glissai hors de l’écorce. »
Si l’on n’a que ces deux phrases, on en déduit que c’est l’histoire de quelqu’un qui passe un été sous l’écorce d’un platane et en sort à un moment donné.. Tel quel, ce n’est pas très excitant. Mais, évidemment, tout l’art du romancier consiste dans l’intervalle et ce qui s’y passe. Et là, je peux dire que le lecteur ne sera pas déçu, car on bouge beaucoup et il y a du changement, beaucoup de changements, je dirais même, de transformations. Le récit est l’enchaînement de toutes les transformations et voyages vécus par ce quelqu’un qui habite sous l’écorce du platane.
Ami lecteur, si tu ne veux pas succomber à l’irrationnel, si la logique est première pour toi, passe ton chemin, ce livre n’est pas pour toi, il ne saurait te plaire. Pour savourer cet ouvrage, il faut, sans aucun doute avoir une certaine dilection pour la poésie, en tout premier lieu. L’univers poétique est celui qui rend le fantastique à la fois accessible et beau pour tous. Tout au long de ces pages, tu baigneras dans une sorte de placenta poétique rimbaldien .
Il est quasiment impossible de résumer un tel livre. Je laisse donc l’auteur évoquer les étapes de son voyage :
« Quel monde ? Celui qui déjà remue dans l’aube inquiète qui attend ou celui qui tremble encore dans ma mémoire, celui qui fit de moi, ex-hominien, le presque-Loir, l’apprenti-Grue, le demi-Acridien, l’élève-Termite, le frère-Ephémère, l’anti-Ver, l’enfant des Souffles, le co-Hibou, l’exuvie d’Homme, la fausse Anguille, l’habitant de l’Abysse, le commensal de la Méduse, le voyeur des Tortues, l’hôte de l’Anémone, le pseudo-Poulpe, le quidam des Sardines, l’avorton d’Axolotl, le complice du Caméléon, l’auditeur du Boa, l’allié des Escargots, l’incompris du Grillon, le témoin de la Mante, l’elfe du Ver luisant, le verbe des Abeilles, la mémoire des Mouches, la proie de l’Araignée, l’ami de la Chenille, l’amant du Papillon ? » p. 187.
Ici sont présentées toutes les existences qu’a connues l’auteur quand il eut décidé de se glisser sous l’écorce d’un platane. Il faut alors accepter de rester dans le mystère de ses transformations-adaptations, car il ne devient jamais l’animal évoqué, mais « une sorte de … », capable communiquer avec lui et de partager sa vie durant un certain temps. Il faut accepter de perdre la notion du temps et de l’espace, de ne pas toujours saisir les transitions physiques – ce qui est bien sûr fait volontairement par l’auteur -, de devoir chercher nombre de termes dans le dictionnaire, car Lacarrière est très précis et use du vocabulaire scientifique pour chaque espèce. Bref, il faut accepter de voyager avec lui sans tout comprendre.
A ce jeu de l’animalité, Jacques Lacarrière rejoint les plus grands, ceux qui ont su « devenir » la bête. Je veux dire Louis Pergaud, avec ses histoires naturelles, ou Franz Kafka avec ses contes fantastiques, voire Léon Tolstoï et son cheval Khostomer. C’est la marque des très grands de réussir cet exploit de nous entrainer dans le monde animal sans être ridicule. Lacarrière a toute sa place auprès d’eux.
Arte diffusait ce soir du 28 juin 2022 le film documentaire de BHL intitulé Pourquoi l’Ukraine. En préambule à cette projection immanquable, Le Figaro, dans son édition du lundi 27 juin, lui consacrait une pleine page d’interview. J’ai commencé par lire ce grand entretien, mais en fait, quand on vu le film, on se rend compte qu’il répète quasiment mot pour mot son contenu.
Regarder un film de Bernard-Henri Lévy est toujours une « expérience », comme le disent aujourd’hui les décérébrés que l’on appelle communicants. Passons sur l’usage de ce mot qui traduit l’ignorance des publicitaires et venons-en au film lui-même. Regarder un film de BHL c’est toujours regarder un film sur BHL Il est de quasiment tous les plans, on le voit apparaître partout, dans les tenues les plus diverses, en treillis, en uniforme, en costume (avec la légendaire chemise blanche ouverte – à son âge il devrait faire attention à la pneumonie !) ou en pardessus noir. Pas une séquence où il ne se montre, même furtivement. Un tel degré de narcissisme est déjà problématique pour un vieil adolescent comme lui. Mais en plus de cette omniprésence visuelle, il nous impose aussi une omniprésence sonore, car il est l’auteur et le diseur du commentaire. Et là, des sommets sont atteints ! Les mots nous trahissent souvent, et dans ce film, ils trahissent tout le temps le personnage et sa posture. Certes, le sujet est bien l’Ukraine, depuis la révolution de Maidan (2014) jusqu’à la capitulation du bataillon Azov en juin 2022, mais cela finit par devenir secondaire par rapport au culte de l’ego de l’auteur. Passe encore que sa voix soit difficilement supportable : elle marque un vieillissement très net et use d’un ton théâtral très décalé. Mais au-delà de cette gêne sonore, il y a le contenu. Il s’agit d’un mélange assez incongru de références littéraires et mythologiques, de formules créées pour passer à la postérité et de resucées journalistiques. Disons tout net : toutes les images montrées en ce film ont été diffusées à satiété depuis le début de la guerre, il n’y a rien d’original, si ce n’est les entretiens de notre héros avec les protagonistes du récit. La banalité des images amène donc à se concentrer sur les paroles et c’est là, malheureusement, que le film trahit son auteur.
Depuis près de cinquante ans, BHL joue au philosophe engagé avec persévérance ; il se veut le Jean-Paul Sartre de sa génération. Depuis ses prises de position en faveur des boat-people vietnamien, il a enfourché le canasson de toutes les oppressions et les guerres qu’il pouvait utiliser. Il serait d’ailleurs intéressant de lister celles dont il n’a jamais parlé, ce qui dessine, en creux, ses choix politiques. Ce n’est pas mon propos ce jour. Depuis trente ans maintenant, BHL arpente les champs de bataille choisis, costume noir, chemise blanche et écharpe au cou, et nous fait la leçon sur notre aveuglement et nos lâchetés. Serbie, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Géorgie, Lybie, Arménie, et aujourd’hui Ukraine. Cet homme se trompe systématiquement dans toutes ses analyses politiques, alors même qu’il choisit des bonnes causes. Son niveau de compréhension politique est celui d’un élève de quatrième moyen d’un collège de banlieue. Et, avec ces inepties, il parcourt tous les plateaux tél et radio et délivre sa vérité, qui ne saurait être contestée. Il murmure ses âneries aux oreilles des présidents, avec plus ou moins de succès ; on lui doit la stupide intervention française en Lybie, dont on peut mesurer chaque jour le succès en lisant les nouvelles. Bref, il est admirable dans son genre, qui est celui de l’albatros baudelairien transposé à la politique.
Que nous dit-il sur l’Ukraine ? D’abord qu’il a tout compris depuis longtemps et qu’il est l’ami de tous les démocrates qui se sont succédé au pouvoir récemment dans ce pays. Je vous laisse juge de ce bilan, si vous suivez sérieusement la politique étrangère. Ensuite, que les Russes sont des soudards qui commettent des crimes contre l’humanité : nous avions effectivement besoin de lui pour le découvrir. Que le peuple ukrainien est en tous points admirable, car il se bat pour défendre son pays. Du coup, on balaie très vite le passé antisémite et collaborateur des nazis, on oublie le passé du bataillon Azov et les russophones qui sont pro-russes dans tout l’est du pays. Pour BHL, les nuances n’existent pas. Il en vient enfin à répéter mot pour mot, comme un caniche, les éléments de langage de Zelenski sur le fait que cette guerre est notre guerre et que la défaite sera notre défaite. Il n’est pas ici le lieu de discuter ces affirmations, car elles sont discutables. Il est frappant de voir la banalité du propos, collection d’évidences journalistiques habillées ici de la culture normalienne ; mais cela ne suffit pas à transformer des truismes en pensées originales. BHL nous appelle, ni plus ni moins, à combattre avec les Ukrainiens, pour défendre la démocratie et la liberté. Pourquoi ? Parce que cet homme vit, depuis sa jeunesse, dans un pays mythologique dont il est le prophète et le héros. Il se moque absolument des conséquences de ses postures et de ses paroles. Est-il revenu voir le résultat de sa pression sur le président Sarkozy pour intervenir militairement en Lybie? A-t-il vu dans quelle misère vivent les populations du pays, en guerre civile depuis la mort de Khadafi ? A-t-il réfléchi un seul instant à ce qu’il adviendrait si les dirigeants européens, à commencer par la France, allaient faire la guerre en Ukraine ? Bien sûr, Poutine est sans nul doute malade et l’agresseur d’un peuple qui ne le menaçait nullement. Bien sûr que des crimes de guerre ont été commis – il faudrait aussi montrer ceux des Ukrainiens dans le Donbass, par exemple. Mais BHL nous a-t-il engagé à aller combattre au Darfour, quand les chrétiens étaient massacrés par les musulmans du nord ? Sa rhétorique est celle d’un histrion qui vit dans le monde antique de la guerre de Troie.
Ce qui est grave est que la grande chaine culturelle Arte diffuse ce documentaire sans débat derrière, que ce grand quotidien qu’est Le Figaro lui donne une page entière avec des questions de complaisance et fasse en plus la publicité pour le film dan sa rubrique télévision. Nous sommes là dans le microcosme pervers qui manipule l’opinion sans cesse. Ce documentaire prête plus à rire qu’à réfléchir, tant le commentaire est boursouflé et bourré de clichés. La bonne conscience d’une gauche qui n’en a plus que le nom n’a plus de limite, elle ne perçoit plus aucun signal avertisseur. Ce genre de spectacle est ce qui pousse les Français à l’abstention électorale ou au vote Rassemblement National. Les justes causes ont besoin d’avocats lucides et humbles, pas de bateleurs germanopratins. Pourquoi l’Ukraine rejoindra donc la collection de navets signés par celui qui se prend aussi pour un cinéaste. Et pourtant cet homme avait du talent, avant qu’il ne devienne mégalomane.
Nous allons aujourd’hui méditer sur un texte très connu du Second Testament. Mais ce texte est le plus souvent connu par des citations, tronquées ou caricaturées. Il mérite un regard attentif. Dans ce texte se trouve une expression devenue quasi-proverbiale dans le protestantisme, surtout évangélique. Le « vieil homme » revient souvent dans les sermons ou les prières. De quoi s’agit-il ?
Ce concept paulinien binaire « vieil homme / Homme nouveau » a été laïcisé au XXe siècle par les divers totalitarismes qui ont sévi et ont tous voulu engendrer un « homme nouveau » (Italie fasciste, Allemagne Nazie, Russie soviétique, Chine rouge ou Corée du Nord, voire système cubain). On sait l’échec sanglant de ces tentatives.
Ces quelques versets écrits par Paul, dans une de ses épitres doctrinales, est en fait une pointe de la vie chrétienne qui interpelle les enfants de Dieu depuis des siècles, avec raison. Je vous propose aujourd’hui d’y réfléchir en abordant trois thèmes successifs, dans l’ordre selon lequel Paul déploie sa démonstration.
Lecture de base : Ephésiens 4 : 20 à 24 (versions TOB ou NBS)
« 20 Pour vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ,
21 si du moins c’est bien de lui que vous avez entendu parler, si c’est lui qui vous a été enseigné, conformément à la vérité qui est en Jésus :
22 il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’effet des convoitises trompeuses ;
23 il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence
24 et revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité. » TOB
« 20 Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris le Christ,
21 si du moins c’est bien lui que vous avez entendu et si c’est en lui que vous avez été instruits, conformément à la vérité qui est en Jésus :
22 il s’agit de vous défaire de l’homme ancien qui correspond à votre conduite passée et qui périt sous l’effet des désirs trompeurs,
23 d’être renouvelés par l’Esprit dans votre intelligence
24 et de revêtir l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté que produit la vérité. » NBS
Nous aborderons donc les trois idées de ce raisonnement :
Cet enseignement vient du Christ lui-même ;
Il existe en nous tous un « homme ancien » à abandonner ;
La transmutation en un « homme nouveau » est une collaboration du Saint-Esprit et de notre volonté.
Un enseignement du Christ lui-même
Paul inclut cette péricope au sein d’un discours sur la distinction nécessaire entre les chrétiens et les païens (les nations dans son langage judéo-chrétien). Il faut donc lire initialement du chapitre 4, verset 17 au chapitre 5, verset 2, au minimum. On peut aussi dire que les chapitres 4,5 et 6 des Ephésiens constituent un cours dogmatique sur la vie de l’Eglise et du chrétien. Nos quatre versets sont le point culminant de cet enseignement et renvoient à la deuxième partie du chapitre 6 (10-17), nous le verrons plus loin.
Paul oppose deux modes de pensée : 4 : 18 nous montre ce qu’il dit de la pensée du monde païen :
« 18 Ils ont l’intelligence obscurcie, ils sont étrangers à la vie de Dieu à cause de l’ignorance qui est en eux, parce que leur cœur est obtus.
19 Ayant perdu tout sens moral, ils se sont livrés à la débauche, pour commettre avec avidité toute sorte d’impureté. » (version NBS)
C’est un monde d’ignorance, de débauche, sans morale, avide de plaisirs impurs. Tout cela à cause d’une « intelligence obscurcie ». Cette expression est capitale dans notre texte – mais au-delà dans toute la pensée paulinienne. Il n’y a donc pour Paul aucun espoir que ce monde soit capable de s’amender seul. C’est le « tous ont péché » de Romains 3 : 23-24.
Il s’adresse à ceux qui ont tourné le dos à ce type de pensée en acceptant le message du Christ. Paul parle ici du Messie, donc de Celui qui vient de Dieu et parle en son nom, pas de l’homme Jésus de Nazareth. L’enseignement du Christ émane directement de Dieu, il est donc digne de confiance, au même titre, pour les Juifs, que la Loi et les Prophètes.
Paul met cependant en garde ses lecteurs : ce qu’il leur dit est porté par une réception saine de l’enseignement du Christ. « Si du moins c’est bien lui que vous avez entendu » fait référence au risque de mauvais enseignements, déformés par les faux-témoins du Christ. Nous savons que les débuts du christianisme sont marqués par une floraison de pensées qui seront combattues par les Apôtres, au nom de la vérité de la Parole du Christ. Paul y fait souvent allusion. Il faut aller à la bonne source, la propre parole du Seigneur Jésus. Or, à cette époque, les Evangiles, tels que nous les connaissons, n’existent pas encore. Il en circule des portions, le plus souvent oralement. Avec le risque de déformation, en plus d’une interprétation discutable. Paul ne veut connaître que la « vérité qui est en Jésus ». Les hommes peuvent se tromper, pas Jésus-Christ. Or, Jésus a demandé à ceux qui l’écoutaient d’adopter son enseignement.
Matthieu 11 : 29-30 version NBS : « 29 Prenez sur vous mon joug et laissez-vous instruire par moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos.
30 Car mon joug est bon, et ma charge légère. »
L’exemple le plus important de cet enseignement est connu sous le nom de « Sermon sur la montagne » et couvre les chapitres 5,6 et 7 de l’Evangile de Matthieu, dans sa version la plus détaillée. Paul, va synthétiser ensuite cet enseignement en une démarche dialectique à la fois très juive et très hellénique (mais cette dialectique ne se résout pas dans une synthèse).
« Se défaire de l’homme ancien » (NBS)
Nous préférons traduire le terme grec Palaios(??????? ????????) par « ancien », plutôt que vieux, car ce propos s’adresse à des auditeurs de tous âges, et à vingt ans, on ne peut pas comprendre aisément être un « vieil homme », alors que le terme « ancien » inscrit cet homme dans un temps long, celui de la culture et de la civilisation. Il faut bien regarder le verbe grec qui est traduit dans « il s’agit de vous défaire (????????? ) de l’homme ancien » il s’agit d’un forme conjuguée du verbe Apozithémi, lequel verbe signifie d’abord « déposer », sa robe ou ses armes, puis « rejeter », « se débarrasser » avec l’idée de « jeter loin de soi »[1].
Le propos de Paul nous oblige à penser la nature de l’être humain – sans vouloir du tout entrer dans le débat philosophique ou métaphysique, nous n’en avons pas la latitude ici.
Si Paul invite ses lecteurs à se débarrasser de leur « homme ancien », c’est qu’il est convaincu qu’il y a au moins deux composantes en chaque individu. « L’homme ancien » est cette part culturelle que nous acquérons par notre vie en société. Dans la tradition chrétienne, elle vient se greffer sur une nature humaine en révolte contre Dieu – c’est la notion de « péché ». Si nous pouvons jeter au loin « l’homme ancien » sans mourir, c’est donc qu’il n’est que le vêtement recouvrant une part spirituelle originelle, que la Bible nomme âme, dans laquelle Dieu a initialement soufflé son propre souffle (le ruah de la Genèse, le pneuma ou le spiritus du Second Testament).
Mais il faut évidemment noter que c’est à l’homme de se débarrasser de ce vêtement « corrompu par des désirs trompeurs ». C’est un acte de notre volonté, que nous seuls pouvons décider, que Dieu ne nous imposera jamais car nous disposons de notre liberté. La conversion est un premier pas, elle est la métanoïa initiale (le repentir, le regret) dont Pierre fait la conclusion de son discours de Pentecôte à Jérusalem ;
Actes 2 :38 (version NBS) : « 38 Pierre leur dit : Changez radicalement ; que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don de l’Esprit saint. »
Mais ce n’est que l’entrée sur le chemin de la vie chrétienne. Il nous appartient ensuite de décider d’abandonner notre ancienne vision du monde et les pratiques associées, car nous sommes dorénavant éclairés par la « vérité qui est en Jésus ». Or, ce changement est à la fois une décision et un effort de longue durée. Cela ne saurait se faire d’un coup de baguette magique, mais par une application de la volonté qui nous aidera à ne pas remettre ce vêtement souillé. C’est ce que l’on nomme l’ascèse dans les philosophies antiques et que le christianisme a repris à son compte.
Comment ne pas reprendre le vieux costume ?
Revêtir l’homme nouveau
Profitons-en pour dire que le terme homme est ici générique et désigne tout être humain, quel que soit son ressenti et son identité.
Vous connaissez cette expression : « la nature a horreur du vide », qu’on attribue à Aristote, dans son travail sur la physique, au sens grec du terme, c’est-à-dire la nature ou le monde naturel. Nous pouvons l’utiliser allégoriquement pour notre texte. Si nous jetons l’habit de « l’l’homme ancien » et restons nus, nous serons amenés très vite à revenir vers notre ancien vêtement. C’est ce que Paul sait fort bien et c’est la raison pour laquelle il propose un changement de vêtement. Nous ne connaîtrons pas le vide et la tentation de revenir à « l’homme ancien ». Selon Paul, ce changement se fait en deux temps.
Il y a d’abord la nécessité d’ « être renouvelé par l’Esprit dans votre intelligence », verset 23. Ceci est une intervention divine, transcendante. Elle ne peut avoir lieu qu’après avoir abandonné « l’homme ancien », car celui-ci fait barrage à l’œuvre de l’Esprit. Il a en effet des « désirs contraires », par la suprématie de la chair, à ceux de l’Esprit.
Galates 5 :17 (version Segond 1910) : « 17 Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à ceux de la chair ; ils sont opposés entre eux, afin que vous ne fassiez point ce que vous voudriez. »
Il y a donc acte de notre volonté qui ouvre la porte à l’œuvre de l’Esprit. Rejeter « l’homme ancien », c’est accepter de voir l’orientation de notre intelligence changer.
Romains 12 :2 (version Segond 1910) : « 2 Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. »
Ce nouveau regard va nous permettre de nous revêtir de « l’homme nouveau », car c’est cet homme renouvelé, qui marche selon « la justice et la sainteté que produit la vérité ».
Cet homme nouveau n’est pas une fin, un aboutissement, c’est au contraire un début, un nouveau départ, sur les bases d’une intelligence éclairée. Trois termes vont baliser ce chemin qui est tout le sens de notre vie : la vérité (qui est en Christ), qui produira la justice (ce qui est bon et beau) et la sainteté (la mise à part pour Dieu).
« L’homme nouveau » est toujours en marche et en recherche. C’est pourquoi, après cet enseignement de fond, Paul poursuit par des implications très concrètes de 4 : 25 à 6 : 9. Ce n’est pas le lieu de détailler ces conseils, mais ils sont des repères éthiques majeurs de la vie chrétienne. Comment vivre la justice et la sainteté ? Paul donne la réponse détaillée en Ephésiens 6 : 10-17[2]. En Ephésiens 6 : 11, il dit « Revêtez toutes les armes de Dieu ».
Il faut donc armer et protéger « l’homme nouveau », car il va lutter et être attaqué. Paul va nous proposer une ceinture, une cuirasse, des chaussures, un bouclier, un casque et une épée. Tout un équipement mis à la disposition de « l’homme nouveau ». Sans l’usage de ces armes, le combat est perdu, nous serons sans défense.
Conclusion :
Il faut des actes de volonté pour se repentir, se dépouiller de « l’homme ancien », revêtir « l’homme nouveau » et ensuite toute la panoplie des armes spirituelles que Dieu met à notre disposition. La vie chrétienne est une dynamique constante. Il n’y a pas de place pour la passivité et le relâchement. C’est un militantisme sacré dans lequel nous nous engageons. Tout sauf une vie hédoniste de facilité. Ce qui ne signifie nullement qu’elle ne soit pas pleine de joie (voir méditation n° 15).
Jean-Michel Dauriac – Décembre 2021
[1] Je tire ces données du dictionnaire de référence d’Antoine Bailly.
[2]10 ¶ Au reste, fortifiez-vous dans le Seigneur, et par sa force toute-puissante.
11 Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre les ruses du diable.
12 Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes.
13 C’est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté.
14 Tenez donc ferme : ayez à vos reins la vérité pour ceinture ; revêtez la cuirasse de la justice ;
15 mettez pour chaussure à vos pieds le zèle que donne l’Evangile de paix ;
16 prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin ;
17 prenez aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu.