La version audio de cette méditation est ici:
Nous vivons une épreuve collective (ce que les hommes appellent « crise ») qui a et aura de très lourdes conséquences sur les populations du monde et, singulièrement, celles de pays les plus riches. Le président Macron a parlé de « guerre ». Je ne discuterai pas ici la valeur de cette métaphore. Mais on peut utiliser l’analogie au plan moral : la guerre, c’est le malheur, la tristesse, l’obscurité. En contexte de guerre, toutes les populations rêvent d’un après-guerre forcément heureux.
Les traumatismes seront multiples et souvent superposés : économique bien sûr, c’est ce qui est posé comme premier par nos dirigeants. Mais aussi scolaire chez les jeunes, psychologiques avec des troubles graves et durables (dépressions, suicides…), social, avec le chômage et la précarité.
David, dans le psaume 4, soumis aux attaques de ses semblables, rêve du bonheur.
Lecture : Psaume 4 : 7 à 9 (version NBS)
« Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous la lumière de ta face, SEIGNEUR !
7 (4:8) Tu mets dans mon cœur plus de joie qu’au temps où abondent leur froment et leur vin.
8 (4:9) Aussitôt couché, je m’endors en paix, car toi seul, SEIGNEUR, tu me fais habiter en sécurité. »
L’appel au bonheur (verset 7a)
Il est légitime de chercher le bonheur. C’est un des traits originels de l’homme. La Bible débute par le récit édénique, bonheur primitif de la créature. Dans la version Segond 1910, il y a 60 emplois du mot « bonheur » dans le texte, dont 5 seulement dans le Nouveau Testament. Les 5 références sont peu explicites et assez religieuses, alors que les 55 usages juifs antérieurs sont riches de sens. Relevons seulement quelques traits marquants :
- Dieu prend plaisir au bonheur des hommes (Deutéronome 30 :9).
- Le bonheur est lié à la grâce (Psaume 23 :6).
- Il existe un bonheur terrestre existentiel, simple que Qohélet (l’Ecclésiaste) décrit fort bien (Ecclésiaste 3 :12 ; 8 :15).
- Mais le bonheur biblique est cependant en Dieu (Ecclésiaste 8 :12-13 – Esaïe 42 :21 ; 66 :11).
- Le bonheur a sa source dans la réflexion et l’intelligence (Proverbes 16 :20 ; 19 :8).
Chacun de ces traits mériterait une étude plus poussée, mais leur liste suffit à montrer le lien entre bonheur et Dieu. Quand David pose la question, il la pose pour la masse des hommes : « beaucoup » se posent cette question. Mais lui a déjà la réponse, comme le montre tout le psaume 4 et comme les versets 7-8-9 l’établissent.
Est-ce à dire que seuls ceux qui craignent Dieu, donc les croyants, ont accès au bonheur ? Sur le plan humain, cela semble absurde. Il y a tant de poèmes, de romans, de musiques, de tableaux… qui montrent le bonheur ! Si le bonheur est dans l’instant, alors oui, les hommes peuvent le connaître – et le perdre aussitôt après.
Si l’on passe au plan théologique, il n’y a alors aucun doute que seul le croyant fidèle peut connaître le bonheur, lequel s’inscrit dans la durée. Car ce bonheur biblique superpose deux aspects : celui, terrestre et concret, que décrit l’Ecclésiaste : manger, boire, se réjouir, aimer sa femme ; et celui qui est spirituel et repose sur la loi de Dieu (Esaïe 42 :21)
« 21 Le SEIGNEUR a pris plaisir, à cause de sa justice, à rendre la loi grande et magnifique. »
, qui est le guide pour une bonne vie. La crainte de l’Eternel est ce qui permet de marcher selon cette loi dans la durée des temps (Ecclésiaste 8 :12).
« 12 Le pécheur peut mal agir cent fois et prolonger son existence, je sais pourtant, moi, qu’il y aura du bonheur pour ceux qui craignent Dieu, parce qu’ils ont de la crainte devant lui ; »
Dans ce cadre de foi, la question de David peut aussi résonner en nous. Elle doit être comme un avertissement permanent. Qui nous fera voir le bonheur ? Il s’agit de ne pas se tromper de bonheur et de maître. Le vrai bonheur est en Dieu, par Jésus-Christ.
Voyons comment le poète sacré illustre ce bonheur.
Fais briller la lumière de ton visage sur nous (verset 7b)
La seconde partie du verset est la réponse à la question de la première partie.
Pour « voir le bonheur », il faut avant tout être éclairé, être dans la lumière. Dans la Bible, Dieu est associé à la lumière dès Genèse 1: 3 (1), qui est la première manifestation de la création. Nous trouvons en Apocalypse 22 :5 (2) , la dernière mention de la lumière qui est encore Dieu, lequel éclairera la cité céleste à jamais. Nous trouvons également un texte parallèle à celui de la Genèse dans le prologue de l’Evangile de Jean : au verset 4 du chapitre 1 (3), nous voyons que l’auteur établit l’équivalence entre vie et lumière des hommes.
1. « 3 ¶ Dieu dit : Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière. »
2. « 5 La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais. »
- « 4 en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. »
Nous sentons bien par ces trois passages que la lumière est capitale dans notre histoire. Or elle est décrite comme émanant de Dieu. Les auteurs bibliques ne peuvent utiliser que les mots limités de leur vocabulaire. David reprend l’idée ancienne liée à l’histoire de Moïse : la face (ou le visage de Dieu). C’est ce que l’on appelle un anthropomorphisme, ce qui signifie une réduction, un retour à l’homme comme élément de comparaison. Bien évidemment, Dieu n’a pas de visage propre, ou alors il peut avoir tous les visages à sa disposition. Jésus nous a dit que Dieu était Esprit (Jean 4 : 24). Mais comment traduire cette idée d’une source de lumière irradiant sur nous ? Peut-être le soleil à son zénith ? Comme on ne peut regarder le soleil en face, on ne peut contempler cette lumière directement.
Ce que David associe au bonheur du croyant, c’est de recevoir la lumière sur nous (« fais briller »). Le bonheur, c’est d’abord de sentir cette chaleur et ensuite de voir clair. La lumière dissipe la ténèbre, elle permet d’identifier les obstacles et de les éviter. La lumière chasse la peur qui accompagne l’obscurité.
La lumière est le moteur de la vie sous toutes ses formes. Le bonheur du croyant est une vie que la lumière éclaire et fait prospérer.
La joie dans le cœur (verset 8)
Ici nous atteignons un degré supérieur. La lumière peut être là, mais la vie peut être terne et monotone, triste et compassée. Ce que David veut obtenir de Dieu, c’est un bonheur joyeux.
La joie est très présente dans la Bible. On trouve 298 occurrences du mot dans la version Segond 21. Or, sur ces 298 usages, 212 sont dans la Bible juive, le Premier Testament, et surtout dans les Psaumes et les livres prophétiques.
Le judaïsme est une religion joyeuse : le courant hassidique en a même fait sa spécialité, par le chant et la danse devant l’Eternel. Le christianisme parle de la joie, puisqu’elle est dans l’Ecriture, mais il faut avouer qu’il a beaucoup de mal à la vivre. Le poids des rites et une image erronée du péché, une crainte de Dieu mal comprise, un certain mépris du corps, tout cela explique que la joie soit évoquée souvent mais peu vécue[1].
« Un chrétien triste est un triste chrétien » disait le pasteur gallois Thomas Roberts. Sous cette forme de chiasme proverbial se cache une vérité de l’existence. Comment parler de la joie et la vivre, avec une tête d’enterrement ? Mais au fait, la joie, que peut-on en dire pour mieux la saisir ?
- Elle est toute intérieure. C’est un état d’esprit ou un état d’âme. Elle peut ne pas se manifester extérieurement de manière démonstrative, mais ne peut s’incarner dans une triste figure.
- Le siège de la joie est le cœur en termes bibliques, donc l’âme, le siège des sentiments et des émotions.
- La joie est durable. En effet, elle ne doit pas être confondue avec la gaieté ou l’enthousiasme qui sont passagers et circonstanciels. La joie est la manifestation du bonheur ; comme lui, elle s’inscrit dans le temps. L’expression « joie passagère » est une sorte d’oxymore.
- Elle est de nature spirituelle. David l’oppose au verset 8 à l’abondance de biens matériels qui faisaient la richesse de son époque. On peut extrapoler à partir de ce fait et dire que le matériel ne peut pas alimenter une vraie joie, mais plutôt une satisfaction égoïste de confort et de fausse sécurité.
Le croyant puise la connaissance spirituelle de sa joie dans la Bible. L’incroyant pourra relire Spinoza avec profit : il est le philosophe moderne qui en parle le mieux. On peut aussi lire avec profit Robert Misrahi et son livre sur le bonheur[2].
David trouve sa joie dans deux sources spirituelles : la lumière de la vie, dont la source est en Dieu, et la joie profonde et durable qui émane de Dieu et qu’il dépose en nos cœurs. L’homme n’est pas l’auteur de la vie, il la reçoit, comme la lumière de Dieu. Mais c’est à lui de savoir en faire son bonheur.
Au verset 9 nous trouvons la conséquence finale directe de ce bonheur trouvé en Dieu. Deux mots importants décrivent la situation de l’enfant de Dieu : paix et sécurité. C’est encore le Seigneur qui donne la sécurité, comme attestation du vrai bonheur. Les hommes ne peuvent livrer que des contrefaçons, comme le dit Jésus, dans son discours sur la fin des temps, et comme Paul le résume en 1 Thessaloniciens 5 : 3.
« Quand ils diront : « Paix et sécurité ! », alors la destruction arrivera sur eux à l’improviste, comme les douleurs de l’accouchement sur la femme enceinte, et ils n’échapperont en aucun cas. »
Ne nous trompons pas de source du bonheur, de la paix et de la sécurité.
Jean-Michel Dauriac
[1] J’entends déjà les critiques venant de toutes les confessions chrétiennes : comment puis-je dire cela ? Eh bien, tout simplement au nom de mon expérience de plus de soixante années de fréquentation des diverses communautés. Bien sûr je ne prétends nullement que cette attitude de retrait face à la joie concerne tous les chrétiens ; heureusement il y de beaux et grands contre-exemples. Je suis toujours frappé par la joie intense peinte sur les visages des moines et des moniales. Je connais l’enthousiasme charismatique et évangélique, mais je ne suis pas du tout certain qu’il soit la joie biblique dont nous parlons.
[2] Le bonheur, essai sur la joie, Robert Misrahi, Editions Cécile Défaut, 2010.
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