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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Robert Zimmerman se souvient

Robert Zimmerman se souvient…

A propos de Chroniques volume 1 de Bob Dylan

« A-t-on idée de donner un Prix Nobel à un type qui écrit des chansons et chante mal d ‘une voix nasillarde ? » Voilà ce que qu’on a pu entendre en 2016, à l’annonce de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Robert Zimmerman, plus connu sous son nom de scène, Bob Dylan. Ceux qui s’exprimaient ainsi étaient sans nul doute des lettrés, amoureux des livres et la Littérature avec majuscule, et ne pouvaient envisager que la chanson soit une forme de la poésie, elle-même à l’origine de la littérature. Un auteur de chansons, en eût-il écrit des centaines, n’aurait créé aucune œuvre. Je ne chercherai pas à combattre un jugement aussi stupide, qui s’appuie, de plus, sur la méconnaissance ou l’ignorance des dites-chansons du dit-Bob Dylan. Lequel a dû bien rire en apprenant qu’il avait le Nobel, puis est allé pisser tranquillement, comme avant.

En 2005 est parue en France le livre qui nous intéresse ce jour, Chroniques volume I, de Bob Dylan. Ceux qui ont accueilli avec la moue sa promotion au Nobel auraient été bien inspirés de lire cet ouvrage et de tourner sept fois leur langue dans la bouche de leur voisine (comme disait très vulgairement Pierre Desproges, ce bateleur télévisuel !) avant de parler. Car ce volume est bien de la littérature, et de la bonne !

On imaginerait mal Dylan livrant une bonne petite autobiographie linéaire, un biopic à l’américaine. Le titre choisi, Chroniques, est d’ailleurs tout à fait clair. Il va nous livrer quelques tranches de souvenirs sur sa vie, sous la forme de la chronique des jours qui passent. Comme dans ses chansons, nous serons assez souvent dépaysés, voire un peu perdus. Chaque chapitre pourrait être autonome. Ils sont livrés sans souci chronologiques. Ils dessinent cependant un portrait, mais à la manière impressionniste. C’est de loin qu’on le reconnaît le mieux, quand on achevé la lecture. Il reste alors une image, celle qu’il a bien voulu nous donner, comme tous les auteurs d’autobiographie.

La première conclusion qu’on peut tirer de cette lecture, c’est qu’il parfaitement évité de s’épancher sur sa vie privée et sur ses états d’âme. Celui qui attendait des détails croustillants sur ses amours ou ses addictions en sera pour ses frais. Bien sûr, il ne parvient pas absolument à tout cacher et nous pouvons, avec attention, collecter des indices qui nous aideront à approcher la personnalité du chanteur. S apprendrons ainsi qu’il se veut avant tout un auteur, et en aucun cas comme un porte-drapeau d’un quelconque courant politique. Il nous répète à plusieurs reprises qu’il y a eu un gros malentendu à ce propos et que rien ne l’énerve plus que de s’entendre qualifier de représentant des aspirations de la jeunesse américaine. Si cela fut le cas, c’est à son corps défendant, simplement parce qu’il ressentait était aussi partagé par toute une génération. Mais il se définit avant tout comme un individualiste. Un individualiste plutôt timide, qui n’aime pas la foule et les lieux à la mode. En creux se dessine le portrait ; finalement classique du poète provincial monté à la capitale. Il nous fait partager son évolution personnelle d’auteur-compositeur, car c’est son unique but que d’être reconnu à ce titre.

C’est le second thème de ce livre : la chanson et la musique à la fin des années cinquante et au début des années soixante du XXe siècle. Le grand homme de Robert Zimmerman se nomme Woodie Guthrie, le baladin qui avait écrit sur sa guitare «  cette guitare tue les fascistes » et a comosé un grand nombre de folk-songs classiques. La culture de Dylan est vraiment celel du folk-song. Ce livre nous permet de saisir à quel point il en a été pétri et combien ce style a pesé sur ses œuvres. Il partage avec nous les noms de ceux qui furent ses inspirateurs, ces chanteurs pour la plupart tombés aujourd’hui dans l’oubli. Comme le fera après lui Bruce Springsteen, sans doute inspiré par lui, il a sorti en même temps que le livre un double CD portant le même titre, sur lequel il a réuni les chansons qui l’ont marqué dans sa jeunesse, contenu du premier CD. Le deuxième disque est une compilation de ses chansons par ceux qui les ont reprises, de Cher aux Byrds, entrelardées de certaines de ses interprétations de chansons bien particulières évoquées dans le livre.  Dylan assume une culture anté-rock and roll, nettement plus acoustique. Il lui faudra d’ailleurs attendre un certain nombres d’années avant de paraître sur scène avec une guitare électrique et se faire accompagner par un groupe de rock, en l’occurrence The Band, avec lequel il enregistra quelques albums marquants. Mais chez Dylan, le texte reste premier, toujours écrit avant les musiques. Il reviendra à ses amours de jeunesse, en enregistrant un album qui a surpris, dans lequel il rend hommage à Franck Sinatra, en reprenant certains de ses grands succès, album titré Shadows in the night. Dans le livre, il partage avec nous la conception de deux albums, sous la forme d’une sorte de journal. On y voit peu à peu l’album prendre forme, on y ressent les doutes, on y assiste à des expériences… C’est excellent pour comprendre cette face cachée de la musique populaire, où le travail de studio est capital. On trouve des éléments comparable dans la grosse autobiographie de Bruce Springsteen dont j’ai rendu compte par ailleurs.

Il y a d’ailleurs de nombreux points communs entre ces deux monstres sacrés de la musique pop américaine. Tous deux sont de purs produit de l’Amérique, parfaitement symboliques de leur temps. S’ils critiquent très durement, tous deux, la société et la politique leur pays, ce n’est pas pour le détruire, mais pour le corriger, l’améliorer. Tous deux ont eu ce désir indestructible de faire leur chemin dans la chanson et la musique populaire. Ils ont connu des débuts modestes, ont été critiqués durement : de Dylan on disait qu’il ne savait pas chanter, tout comme pour Springsteen. Leur parcours a démarré lentement mais a connu une progression constante, jusqu’à les mener au firmament de leur rêve. Pour les deux hommes, la famille est très importante et on trouve sur ce thème des pages émouvantes, somme toutes très banales car communes à tous les humains.

Les différences existent et sont cependant nettes. Dylan a toujours voulu se garder d’un engagement politique net, alors que Springsteen est né démocrate et a soutenu des candidats de ce parti. Springsteen est un enfant du rock, quand Dylan est fils du folk. Dylan est d’origine WASP, Springsteen est un mix très américain d’italiens, d’irlandais et d’américains.

Mais tous les deux ont écrit des chansons qui ont marqué des générations du monde entier et dont les textes sont des modèles de travail d’auteur.

Bob Dylan occupe une place unique dans la chanson américaine. Comme l’a fait Miles Davis dans le jazz, il a su s’adapter à l’évolution de la musique et l’intégrer dans son travail. On aimerait beaucoup que sorte le volume II de ces chroniques, mais rien de tel n’est annoncé de certain pour le moment. Il faut lire ces pages, fort bien écrites et agencées de manière très personnelle. Elles démontrent sans contestation que le Prix Nobel de littérature qu’il a obtenu n’est pas une escroquerie.

Jean-Michel Dauriac – Août 2022

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Influences gaulliennes

De Gaulle et les siens – Bernanos, Claudel, Mauriac, Péguy

Jacques Julliard ; Cerf, 2020. 12 €.

On sait que Jacques Julliard est un historien éminent et respecté, spécialisé dans l’histoire politique contemporaine, ce qui en fait un observateur avisé de notre société, comme le montrent ses chroniques mensuelles du Figaro. Le petit ouvrage que je présente aujourd’hui concerne un des héros de Julliard, le général De Gaulle. Car, bien qu’estampillé homme de gauche et socialiste, Julliard a, depuis quelques années, rejoint le camp des renégats qui osent critiquer sévèrement une gauche qui se renie et se retrouve exsangue de ses propres valeurs historiques. On pourrait retrouver un positionnement assez semblable chez Jean-Pierre Chevènement, dont j’ai par ailleurs chroniqué les mémoires.

Le choix de Julliard dans cet opuscule est de revenir sur quatre écrivains du XXe siècle qui ont incontestablement été important pour l’homme De Gaulle. Nul ne sera étonné de retrouver ici rassemblés quatre auteurs catholiques, ce qui correspond aux idées religieuses du Général. On sait à quel point Charles de Gaulle est l’incarnation d’une France fidèle à ses racines et à son histoire. Il rejoint ici ces quatre écrivains, tous connus pour leur amour de notre pays. Le contenu du livre ressemble plutôt à un cycle de conférences, chaque auteur bénéficiant d’un chapitre, une conclusion générale occupant le cinquième.

JJacques Julliard, fin connaisseur du XXe siècle

Julliard s’appuie évidemment sur de nombreuses citations du Général, mais aussi sur des faits historiques, pour étayer son propos. La première phrase livre situe l’enjeu :

« Charles de Gaulle détestait les intellectuels et vénérait les écrivains. » p.7

D’où le conflit avec Sartre et la complicité avec Malraux. Pour saisir ce choix il convient de ne pas oublier que de Gaulle est lui-même un écrivain reconnu, auteur d’une œuvre dense et profonde ( je renvoie mon lecteur à ma chronique de Au fil de l’épée). Il a compris, de par sa formation aux humanités classiques, que l’écrivain dévoile beaucoup plus du sujet qu’il traite que le meilleur des essais. Dans le choix fait par Julliard – tout à fait judicieux – nous avons affaire à des écrivains-penseurs, souvent engagés dans la lutte contre la bien-pensance de leur temps. La limite avec l’intellectuel est parfois très floue. Mais il reste le style !

Bernanos pour commencer. C’est d’emblée poser la question de l’antisémitisme et du maurrassisme. Ce n’est pas le cadre ici de revenir sur ce que fut l’antisémitisme « classique » de la droite française. Signalons seulement que, s’il est condamnable sans coup férir, il n’a rien à voir avec l’antisémitisme nazi ou russe, mortifère. C’est un antisémitisme culturel, sans nul doute influencé par l’antijudaïsme catholique. Ce que Bernanos reproche aux Juifs, c’est de ne pas être assez Français, mais d’être souvent d’abord juifs. De Gaulle n’a jamais été antisémite et ce n’est pas cela qui l’a attiré chez Bernanos. Fut-il maurrassien ? Nommément non. Mais on sait que Maurras exerça une influence bien au-delà de l’Action Française et que Mitterrand n’y fut pas insensible. Le point commun à Bernanos, Maurras et de Gaulle est l’amour passionné pour la France. Mais là où Maurras veut une France expurgé de ses étrangers et de ses juifs, Bernanos et de Gaulle veulent une France digne et aimée de tous ceux qui y vivent, quelle que soit leur origine. Ce qui a sans nul doute conquis le Général chez Bernanos est ce combat permanent contre la bêtise, la lâcheté et la petitesse. Ils avaient en commun cette exigence morale qui arme tous les romans de Bernanos et qui a porté tous les combats de De Gaulle. Mais, au-delà de cela se trouvait l’exigence spirituelle, celle de ne pas succomber à un matérialisme abêtissant, celle de cultiver la foi et la justice. Bernanos fut une influence dans le combat moral et spirituel.

En ce qui concerne Paul Claudel, la position défendue par Julliard est que le Général avait pour lui plutôt l’estime due à son statut de très grand auteur français qu’un attachement personnel. Ce qui les réunissait était donc plutôt l’appartenance au catholicisme de la grande tradition. Mais on ne saurait affirmer qu’il y eu un grande influence de Claudel sur la pensée gaullienne.

Le cas Mauriac est encore différent. Ils ont en commun le catholicisme, bien sûr, mais aussi un vécu de l’histoire des années 1930 à 1960, avec toutes les péripéties et drames qui les ont marquées. Mauriac a longtemps trouvé que le Général était trop à droite et l’a critiqué, notamment à travers la création du MRP. Il ne devient un inconditionnel qu’à partir de 1958 et du retour au pouvoir. Il sera, pendant dix ans, le pourfendeur des adversaires de De Gaulle. Celui-ci reconnaissait en Mauriac un écrivain de grand talent et était sans doute un peu intimidé par cette stature. De son côté, l’auteur girondin admirait surtout l’homme d’Etat chrétien. Ils se comprenaient sans nul doute, mais ne furent jamais des intimes, avec la même liberté de langage que Bernanos put avoir avec le Général.

Le véritable inspirateur du Général est bien Péguy. De Gaulle a reconnu, dans une conversation rapportée par Alain Peyrefitte :

«  Il sentait les choses exactement comme je les sentais. » p. 56.

Ce genre de confidence intime est extrêmement rare dans la vie du Général. Elle dénote sa relation particulière avec Charles Péguy, le seul de ces quatre auteurs qu’il n’a pas connu personnellement. Le Péguy qu’admire de Gaulle est le Péguy de la dernière période, le patriote catholique. Il est tout à fait clair que l’amour qu’ils ont pour la France est de la même nature. Il y a, pour les deux, une vocation particulière de la France, dans son histoire chrétienne. Jeanne d’Arc représente bien ce symbole du salut chrétien de la France, inspiration puissante du Général. Julliard présente aussi les valeurs négatives que les deux hommes partagent : la défiance envers l’argent et la politique. Bref, en terminant sa présentation par Péguy, Julliard nous offre le lien fort qui unissait les deux hommes.

La conclusion de Julliard porte sur l’esprit commun à ces auteurs et au Général : la résistance. Pas seulement au sens historique contemporain, mais au sens plus large de combat pour des idées et un esprit. Il a ajouté, pour l’édition présente une postface qui fait le bilan de l’évolution des soixante dernières années en termes de politique, de religion et de littérature. Très éclairant.

Celui qui lira ce livre en saura un peu plus sur la pensée de celui qui demeure comme le plus grand homme d’Etat de son siècle, mais il fut aussi un des plus secrets quant à ses convictions. On peut remercier Julliard de lever un peu le voile sur celles-ci.

Jean-Michel Dauriac, Beychac et Caillau, septembre 2022.

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Fils ou bâtards ?

(1) – La relation éducative père/fils

Méditation de sortie de l’Arche n° 22

La version audio de cette méditation est là :

Introduction

La correction, la réprimande, l’autorité, la soumission respectueuse ont toutes très mauvaise presse en ce moment. Notre société, avec quelques décennies de retard, a fini par être gagnée par l’esprit de mai 1968. Souvenez-vous du slogan : « Il est interdit d’interdire » (ce sont les mêmes qui affirmaient : «  Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! »). Ce n’est pas mon propos d’expliquer comment nous sommes parvenus à cet état de fait. Je me constate de constater. Nous retrouvons cette attitude à l’école, où le maître n’a plus de vrai pouvoir et d’autorité légale, mais aussi dans l’approche des nouveaux-nés, auxquels il ne faut rien refuser et, plus largement, dans l’esprit social et politique où le statut de victime est omniprésent, où toute fermeté est taxée de fascisme… Il est assez aisé, si l’on les yeux ouverts, de voir les conséquences délétères de cette position.

La Bible est aux antipodes de ce laxisme qui se dit bienveillance mais n’est en réalité que lâcheté et indifférence. La Bible juive fourmille de textes sur la nécessité de l’autorité parentale. Citons-en seulement deux :

Proverbes 13:24   « Celui qui ménage son bâton déteste son fils ; celui qui l’aime n’hésite pas à le corriger. »

 Proverbes 22:15  « L’imbécillité est attachée au cœur de l’enfant ; c’est le bâton de la correction qui l’éloignera de lui. » version NBS.

Le christianisme, religion de l’amour, a-t-il supprimé la sanction et l’autorité ? Certains, victimes d’une lecture très sélective du Second Testament, l’affirment haut et fort. Ce n’est pas du tout l’esprit du christianisme. L’amour n’exclut ni l’autorité, ni la punition, ni la réprimande et l’instruction. Nous allons méditer sur un texte fondamental en la matière.

Lecture de base :

Hébreux 12 : 7-11 (version Segond 1910 et TOB 1977)

Louis Segond 1910 : « 7  Supportez le châtiment : c’est comme des fils que Dieu vous traite ; car quel est le fils qu’un père ne châtie pas ?

8  Mais si vous êtes exempts du châtiment auquel tous ont part, vous êtes donc des enfants illégitimes, et non des fils.

9  D’ailleurs, puisque nos pères selon la chair nous ont châtiés, et que nous les avons respectés, ne devons-nous pas à bien plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour avoir la vie ?

10  Nos pères nous châtiaient pour peu de jours, comme ils le trouvaient bon ; mais Dieu nous châtie pour notre bien, afin que nous participions à sa sainteté.

11  Il est vrai que tout châtiment semble d’abord un sujet de tristesse, et non de joie ; mais il produit plus tard pour ceux qui ont été ainsi exercés un fruit paisible de justice. »

TOB 1977 « 7  C’est pour votre éducation que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Quel est, en effet, le fils que son père ne corrige pas ?

8  Si vous êtes privés de la correction, dont tous ont leur part, alors vous êtes des bâtards et non des fils.

9  Nous avons eu nos pères terrestres pour éducateurs, et nous nous en sommes bien trouvés ; n’allons-nous pas, à plus forte raison, nous soumettre au Père des esprits et recevoir de lui la vie ?

10  Eux, en effet, c’était pour un temps, selon leurs impressions, qu’ils nous corrigeaient ; lui, c’est pour notre profit, en vue de nous communiquer sa sainteté.

11  Toute correction, sur le moment, ne semble pas sujet de joie, mais de tristesse. Mais plus tard, elle produit chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit de paix et de justice. »

La lecture des deux versions est éclairante des problèmes inhérents à la traduction :

  •          Une traduction est toujours une adaptation, puisque le terme originel a souvent peu ou pas d’équivalent dans notre langue (surtout dans les textes très anciens comme la Bible). Ici c’est mot grec Paideia[1] qui est en cause, je vais y revenir.
  •          Une traduction est toujours produite dans un contexte précis, historique, social, culturel et religieux. Les traductions du XVIe siècles dans les langues dites vulgaires sont une volonté de rendre accessibles le texte biblique à tout lecteur ou auditeur. On y trouve la langue du temps, avec le sens des mots de l’époque. Notre texte est très éclairant de ce point de vue, quand on compare le même texte traduit à près de cent ans d’écart – car la Bible Segond est une reprise la version dite Synodale chez les protestants, déjà œuvre de Louis Segond en grande partie, et date des années 1880.

De quoi est-il question ici ?

  •          D’un père et d’un fils ;
  •          de la correction du père envers son enfant ;
  •          du sens de cette correction ;
  •          de son analogie au plan spirituel.

La relation éducative père-fils

Le texte tourne autour d’une relation filiale, abordée selon deux contextes : le contexte familial terrestre et le contexte transcendant de Dieu.

Les versets 7 & 8 posent le cadre précis du problème particulier de ce texte. Il conviendrait de lire le texte entier du verset 4 au verset 11.  Juste avant notre texte, l’auteur cite Proverbes 3 : 11-12 :

« 11  Mon fils, ne méprise pas la correction de l’Eternel, Et ne t’effraie point de ses châtiments ;

12  Car l’Eternel châtie celui qu’il aime, Comme un père l’enfant qu’il chérit. » version NEG.

Comment la Bible comprend-elle la relation père-fils (ou père-fille pour notre époque, alors que dans le contexte de ce temps, c’étaient les mères qui éduquaient les filles) ? Elle la voit manifestée en deux comportements qui peuvent sembler contradictoires, mais qui ne le sont pas en fait.

  •          Dieu, le Seigneur, aime sa créature comme un père aime son fils. C’est le sens de la citation des Proverbes. Ce qui prouve bien qu’il n’y a pas opposition entre un Dieu terrible du Premier Testament et un Dieu d’amour de Second Testament. Dieu aime l’homme dès le début de la Genèse. En Genèse 1 : 26- 31 il nous est dit que Dieu vit que ce qu’il avait fait était très bon :

« 26   Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

27  Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme.

28  Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

29 Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.

30  Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi.

31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. » version Louis Segond 1910.

Il ne faut jamais perdre ce fil rouge de l’amour de Dieu pour nous. Il traverse toute l’Ecriture, jusqu’aux derniers chapitres de l’Apocalypse, où le Père délivre sa créature de la mort et de tout ce qui constitue le mal (Apocalypse 21 : 1-4).

  • Ce père aimant éduque son fils et le corrige, quand il agit mal ou se trompe. Il y a là une démarche éducative envers l’enfant. Ce n’est pas un châtiment, comme Segond l’a traduit[2], mais une correction éducative, un redressement de comportement. Tout cela en vue de faire du fils un homme droit, qui pratique le bien et fait la fierté de son père. Notre siècle a totalement perdu de vue le sens de ce qu’est l’éducation dans son sens culturel profond et non administratif et légal. Il est interdit de punir, de corriger – à la main – l’enfant qui est protégé par une charte établissant ses droits au niveau international. La gifle corrective est, en France, interdite depuis la présidence Macron et ceci a été célébré comme une victoire sur la barbarie de l’ancien monde. Mais, encore un fois, les devoirs sont systématiquement oubliés dans ces textes proclamatoires, ou laissés de côté. Le fils a le devoir de faire la joie de son père par son comportement, selon l’approche biblique. Quand il se trompe, le père doit le reprendre, pour l’éloigner de l’erreur. Il n’y a pas d’éducation sans contrainte, l’enfant laissé à lui-même va d’erreur en erreur, car il n’a pas encore les moyens de se gérer seul. L’éducation corrective est le devoir du père. Mais il l’accomplit dans l’amour, pour le bien du fils.

Mais il y a un troisième personnage dans le texte :le bâtard. C’est celui dont le père ne s’occupe pas, car il n’est pas son enfant légitime[3]. Si nous échappons à l’éducation corrective, c’est que celui qui l’applique n’est pas notre père. Le bâtard est ignoré, il n’ a pas part à l’héritage. La preuve de l’amour du père est dans l’éducation corrective apportée au fils. L’auteur de l’Epître aux Hébreux parle d’une privation, d’une exclusion de la correction pour le bâtard. Il vit sa vie sans père.

Le sens de l’éducation du père envers son fils

L’éducation de l’enfant est une préoccupation de la Bible. Dans la Bible juive le lecteur peut trouver de nombreux versets sur ce thème. Mais il ne faut pas s’attendre à y trouver un code d’éducation.. Ce que les chrétiens ont eu très souvent tendance à faire. Nul besoin de détailler ce qu’est cette éducation, c’est la Loi de Moïse. Pour un juif, les Dix Paroles et les 613 mitsvot Pentateuque sont le code de l’éducation. L’enfant doit apprendre à respecter la loi pour devenir un bon juif. A noter que, dans la tradition culturelle orientale, toutes les remarques sur l’éducation concernent un fils et non une fille. L’Epître aux Hébreux reprend ce schéma, avec trois emplois du mot « fils » en grec (uois) dans les deux versets 7 et 8. Il y aurait beaucoup à dire sur cette approche, mais ce n’est pas ici le lieu. Je rappelle cependant l’existence d’une théologie féministe (née dans la seconde moitié du XXe siècle), tout à fait justifiée, tant le texte biblique est marqué par le contexte patriarcal oriental.

Deutéronome 8 : 5  « Connais donc en ton cœur que l’Eternel ton Dieu te châtie, comme un homme châtie son enfant. » version Maredsous.

Voici cependant un texte qui use du terme neutre « enfant », avec cependant la réserve que de nombreuses versions gardent ici le mot « fils ». Le texte déjà cité auparavant (Proverbes 3 :11-12) offre la même neutralité.

Dans le cadre de l’Evangile et de l’Alliance Nouvelle que Jésus est venue annoncer et accomplir, il y a nécessairement un changement d’optique. Dans les Evangiles, à plusieurs reprises,  Jésus est décrit discutant avec des enfants et les bénissant, sans  compter ceux qu’il guérit. Le terme générique « enfant » inclue garçons et filles. Dans ses écrits, Paul parle, lui aussi, des « enfants », avec la même inclusion. Les parents chrétiens ont la charge d’éduquer dans la vérité évangélique leurs enfants, ils en sont responsables.

Pour le christianisme, la Loi de Moïse n’est plus l’horizon indépassable. Jésus est venu accomplir (donc achever) cette loi, en vivant sans péché, ce qui rend inutile la Loi, dont le but précis est de régler le problème du péché de manière pratique. Il faut relire les chapitres 3 & 4 de l’Epître aux Romains et l’Epître aux Hébreux pour saisir l’ampleur de cette révolution spirituelle. Le Christ, auquel un scribe demandait quel est le plus grand commandement de la Loi, répond en mentionnant seulement deux prescriptions.

Marc 12 : 28-32 : « Un des scribes, qui les avait entendus discuter, sachant que Jésus avait bien répondu aux sadducéens, s’approcha, et lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ?

29  Jésus répondit : Voici le premier : Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur ;

30  et : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force.

31  Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. » version Segond 1910.

L’amour se substitue donc comme loi à tous les commandements et prescriptions antérieures. Toute la règle de vie est résumée par Jésus en une seule phrase, qu’on appelle parfois la « règle d’or » de la vie chrétienne :

Matthieu 7 : 12 : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux : c’est là la Loi et les Prophètes. » version NBS.

Conclusion

Le contenu de l’éducation selon le Second Testament est donc un principe d’amour et de réciprocité. Tel est le projet de l’éducation dont il est question dans nos versets 7 à 11 du chapitre 12 des Hébreux. Et les parents feraient bien de s’en souvenir, pour ne pas, eux-mêmes, se tromper de voie éducative.
Les parents aimant leurs enfants, les éduquent dans la voie de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Ce qui diverge de ce but doit être corrigé, mais seulement cela. Nous verrons dans la méditation suivante ce qu’il en est de l’analogie spirituelle.

Jean-Michel Dauriac – février 2022.


[1] Le mot concerne tout ce qui a trait à l’éducation et à la formation. Il est à la racine du mot « pédagogie ».

[2] A l’époque de Louis Segond (1880-1910 pour la traduction), le châtiment corporel était reconnu comme un moyen éducatif et pratiqué dans les écoles. En France, il n’a pas survécu à mai 1968. Le mot « châtiment » traduit donc un contexte éducatif sévère et il ne choquait personne à l’époque, alors qu’il est difficilement acceptable dans un discours sur l’éducation au début du XXIe siècle. Cependant, il ne correspond pas vraiment à l’idée du terme original grec qui parle d’acte éducatif, de formation, de redressement, de correction de trajectoire… Or, toute une approche de théologie pratique s’est bâtie sur cette mauvaise traduction.

[3] On peut bien sûr, légitimement penser que tout enfant a droit à l’éducation et réprouver le rejet paternel. Ce n’est pas le vrai sujet de ce texte, où le bâtard est un simple figure de la non-filiation, contrairement au fils légitime. L’image prend tout son sens l’analogie spirituelle.

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