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Le dernier souffle – Où est la dignité ?

Claude Grange – Régis Debray

Témoignages – Gallimard – 2023 – 13,50 €

Cet opuscule (115 pages) est un écrit qu’il faut lire dans un contexte précis, celui de la discussion autour de la énième loi sur la fin de vie, que le candidat à sa réélection E. Macron a promis de promulguer après une concertation de fond. Tant il sait fort bien que la France est profondément divisée sur ce sujet et que cette division ne recoupe nullement le traditionnel antagonisme droite/gauche, même si on peut en retrouver des traces dans les diverses positions.

Depuis près de 25 ans se livre une guerre d’influence autour de cette question, qui n’est autre que celle de la légalisation de l’euthanasie. Député-médecin, Jean Léonetti, catholique et de droite, a été à la base de deux textes majeurs en la matière, en 2005 et 2016. Ces deux textes créent un cadre légal sur ce qui était jusqu’alors une sorte d’angle mort de notre droit, car angle mort de notre morale commune. On ne voulait pas trop chercher à savoir comment mourraient certains de nos semblables atteints de pathologies incurables et très douloureuses. Le corpus des deux lois permet de définir des conditions claires de fin de vie, en accord avec les parties concernées. Malheureusement, des affaires privées très médiatisées, comme l’affaire Humbert, ont orienté le débat vers la polémique et l’affrontement. Enfin, il faut signaler le rôle de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui a su gagner la bataille des médias en enrôlant des personnalités dans son combat. Elle a largement concouru à « ringardiser » le refus de l’euthanasie en le confondant volontairement et spécieusement avec une position catholique traditionnelle. De plus, sa communication est entièrement axée sur la « dignité », qui consiste pour elle à mettre fin à sa vie selon son désir. Qui ne souhaiterait pas vivre « dignement » jusqu’au bout » ? Je n’entrerai pas ici dans un débat de fond sur les éléments du débat, je me borne à dire que les sondages en la matière ne peuvent en aucun cas être pris en compte, car on sonde un panel habituel, donc de tous les âges, donc des personnes dont un grand nombre n’est absolument pas concerné par ce problème et n’en a qu’une vision simpliste et mécaniste – on coupe le circuit s’il y des risques de pannes sûres. Je signale aussi que le choix de la dignité peut aussi être celui d’aller à sa fin selon le terme naturel, en soulageant la souffrance. Enfin, le clivage ne concerne pas que des « cathos tradis », mais aussi des gens qui pensent la vie et la mort, des philosophes, des médecins, des juristes, des humanistes… Le résultat final de la concertation sera sans surprise à attendre : la loi passera et légalisera le « suicide assisté », puisque, par le miracle de ce néo-puritanisme « woke », l’euthanasie et la mort ont disparu en tant que mots. L’ADMD s’en réjouira bruyamment et parlera d’une liberté fondamentale enfin reconnue, il y aura quelques protestations, sans doute des manifestations, mais on ne verra pas l’Intersyndicale bloquer la France, sur une loi pourtant bien plus importante pour nos concitoyens que la réformette des retraites voulue et  aseptisée par Macron. Victoire totale du matérialisme sur l’humanisme. Bien sûr, cette liberté nouvelle n’obligera jamais ceux qui ne veulent pas en user à le faire, mais il faut garder dans un coin de sa mémoire que le problème démographique est totalement occulté de nos jours et que, lorsqu’il deviendra aigu, c’est lorsqu’il sera trop tard pour le régler convenablement et alors, rien ne nous garantit que le suicide assisté des très âgés et très malades ne sera pas institutionnalisé (revoyez Soleil vert de Richard Fleisher et ayez un peu d’esprit prospectif !)

Le docteur Grange, à gauche, et Régis Debray, à droite;

Ce livre s’inscrit donc comme une contribution à la réflexion. Il est, pour l’essentiel, le témoignage du docteur Grange, spécialiste depuis trente ans au sein d‘une USP (unité de soins palliatifs) de région parisienne. Sans discours politique, sans usage d’arguments filandreux, sans même citer l’autre alternative, il raconte ce qu’il connaît d’un accompagnement de fin de vie mené comme il le devrait être. Tout lecteur de bonne foi de ce témoignage ne pourra éviter de s’interroger personnellement sur sa position. Seuls les idéologues ne seront pas remués. Mais, depuis Lénine et Goebbels, on sait que l’idéologie et la propagande sont là pour tuer le recul critique. Fi donc des idéologues et place aux gens de bonne foi, souvent indécis, comme je le suis en tant que citoyen d‘une démocratie, même vacillante (j’ai dit citoyen, et non en tant que penseur, où ma position est nette). Lisez ce petit livre, entendez la voix, venue d’outre-tombe, de ces patients soulagés qui ont renoncé à la demande de mort parce qu’ils ne souffraient plus et pouvaient jouir de leurs derniers jours en toute lucidité. Ecoutez comment ce médecin raconte son propre parcours[1], allant de l’ignorance et indifférence à l’implication totale envers ces patients qu’on ne peut guérir, mais qu’on peut soulager, ce qui reste une œuvre médicale, alors que le suicide assisté ne peut pas, déontologiquement, être accompli par quelqu’un qui a prêté le serment d’Hippocrate. A chacun ensuite de prendre sa position.

La liberté est mon bien humain le plus précieux. Qu’une loi autorise l’avortement ne m’oblige nullement à approuver l’avortement, qu’elle autorise le suicide assisté ne fera pas de moi un de ses usagers. Ma perplexité est dans le corollaire de la liberté qui est la responsabilité, immense quand on touche à la vie. Une loi déresponsabilise totalement les esprits faibles : c’est autorisé donc c’est bien ! Légalisons les drogues et, demain, toute une partie de la population ne voudra pas savoir quels dégâts elles font dans la vie des addicts.

Bonne lecture et bonne réflexion.  Jean-Michel Dauriac – mars 2023.


[1] La couverture porte le nom de Grange et Debray. De fait celui-ci signe seulement une postface, totalement dispensable après ce  qui précède.

Published in les critiques les livres: essais

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