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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

La joie de Bernanos : pas si gai que ça !

La joie est un roman âpre. Le titre est une antiphrase dont le lecteur découvre le sens en avançant dans l’histoire. Car, au commencement, est la joie pure. Mais très vite le ciel s’obscurcit peu à peu et, chapitre après chapitre, devient de plus en plus sombre. Cependant, le dénouement surprend quand même, car on ne pensait pas que l’auteur oserait aller jusque là.

Ce livre, comme toujours chez Bernanos, est à dimension spirituelle : le mal et le bien s’y affrontent tout du long. De fait, il s’agit d’un roman sur la sainteté et la médiocrité, entendue ici comme le contraire de la sainteté, soit en termes religieux, l’état du pécheur. Mais cette médiocrité est à double signification ; en effet, les protagonistes médiocres le sont aussi au plan personnel, en dehors de leur état peccamineux, comme dit l’Eglise, qui n’a pas peur des gros mots ! Il y a d’abord le cadre, unité de lieu absolue, qui finit par devenir une chape de plomb sur l’héroïne, cette maison de campagne cossue qui sert de résidence estivale. L’héroïne, parlons-en justement. C’est une jeune fille de bonne famille, de dix-sept ans, orpheline de mère, vivant avec son père, intellectuel d’une certaine renommée. Cette jeune fille assume les fonctions de maîtresse de maison et de surveillante de son père, sans donner à ce terme un sens dépréciatif. Elle se soucie constamment de son père, qui apparaît comme un être nerveusement très fragile. Chantal, c’est le nom de la jeune fille, illumine la première partie du roman de sa joie et de sa sainteté inconsciente. Elle survole les problèmes, s’occupe de tous et agit envers chacun avec l’amour évangélique du Christ. Son père, Monsieur de Clergerie, poursuit un unique but : être élu à l’Académie, ce pour quoi il dépense depuis des années une énergie folle et des trésors de stratégie.  Autour du père et de la fille gravitent des personnages de deux types : les amis de la famille, habitués de cette maison de vacances campagnarde, et la domesticité. Le roman passe d’un type à l’autre, selon les besoins de l’avancée de l’intrigue.

Mais y-a-t-il vraiment intrigue ? Celui qui cherche un roman « romanesque » sera très déçu : ce n’est pas le genre de la maison Bernanos. L’intrigue se réduit à quelques jours de la vie de cette maison, sans aucun événement extraordinaire. Au contraire, l’auteur ramène tout à un quotidien banal et, somme toute, très répétitif.  Ce ne sont donc nullement les actions des protagonistes qui intéressent notre écrivain, mais bien plutôt leurs pensées et leurs dires. Comme Sous le soleil de Satan, tout se joue en quelques rencontres et dans des échanges qu’il faut savoir décrypter. Autant dire d’emblée que ce n’est pas un livre facile, pas le genre de roman à apporter à la plage. Il faut souvent relire les paragraphes pour en saisir tout le contenu. Cela est en grande partie dû au style de Bernanos. Il écrit de manière massive, dense et, parfois, lourde. Il creuse son idée comme Rodin creusait la matière. Il ne donne au lecteur aucune facilité. Tu me suis ou te refermes le livre, mais je ne vais pas édulcorer mes propos ! C’est que l’enjeu est colossal. Il s’agit, au travers de Chantal de tenter d’approcher in situ le mystère de la sainteté en action. Du côté de cette jeune fille, on pourrait dire que, dans la première partie, le style de Bernanos est assez lumineux, comme son sujet. Il arrive tout à fait à nous donner à voir une jeune fille vivant l’amour du Christ naturellement, toute habitée par le souvenir de son mentor spirituel , l’abbé Chevances, lui-même un saint homme, mort très récemment, et que Chantal a accompagné jusqu’au bout. Ces deux-là sont le tandem de la sainteté. Bernanos ne la refuse pas au prêtre, mais on sent bien que ce n’est pas à l’Eglise qu’il en accorde la grâce, mais à la vie de chaque croyant. En contrepoint de cet abbé disparu mais omniprésent, il nous offre un autre religieux, l’abbé Cénabre, un penseur reconnu, mais dont la vie spirituelle s’avèrera vide. Un saint prêtre d’un côté, un érudit desséché dans sa foi de l’autre. On sait évidemment très vite vers lequel va la préférence de l’auteur. La seconde partie du roman nous dévoile une longue scène de face-à-face entre la jeune fille et le vieux prêtre désabusé, dont il faut relire plusieurs fois les échanges pour saisir la tension de ce qui se joue ici. On retrouve là l’opposition déjà rencontrée dans Sous le soleil de Satan entre deux conceptions du ministère de prêtre. Chantal de Clergerie se trouve prise entre des forces contradictoires qu’elle a cru pouvoir contenir et qui, soudain, la déstabilisent. Mais le mal est présent sous les traits du chauffeur russe, Fiodor. Le lecteur saisit bien toute l’ambiguïté du personnage, mais Bernanos n’est jamais vraiment explicite et nous devons donc essayer deviner ce qu’il en est de cet homme et de ses mensonges permanents. Toujours est-il qu’il apparaît comme fasciné par Chantal. On le suit à travers le roman, présent même quand il n’est pas là, tant il trouble même la domesticité. La vraie question est la nature de sa fascination : est-il remis en question par la sainteté ou s’agit-il de la contemplation de la victime innocente ? Nous l’ignorerons jusqu’à la fin, mais ils seront réunis pour toujours dans la mort, sans que nous sachions vraiment pourquoi et comment. La porte est ouverte à de multiples interprétations. Je crois qu’il faut se garder d’aller trop loin dans ce chemin, puisque Bernanos ne nous a pas fourni de clés pour toutes les portes.

La médiocrité triomphe de la sainteté, au moins de manière terrestre. Mais qu’en est-il après ? A chaque lecteur de se poser la question et d’y apporter sa réponse.

Cet âpre roman s’avère aussi être un roman amer dont le goût ne passe pas. Le coup de théâtre final nous laisse interloqués. Pourquoi fallait-il que cette jeune fille meure ? Pourquoi Fiodor l’a-t-il tué avant de se suicider ? La réponse est à construire avec le retour nécessaire sur les scènes antérieures. Où était la faiblesse cette jeune sainte ? Qui est responsable ? Son père, l’abbé Cénabre, le docteur La Pérouse ? Le criminel est Fiodor, certes, mais ce n’est pas lui le responsable. Tout autour de la sainteté joyeuse de Chantal les médiocres se sont ligués, eux qui ne connaissaient ni la joie, ni la grâce, ni la paix, ni l’innocence. Il n’y a pas de place pour les saints dans un monde d’ambitions et de petitesses humaines.

J’ai dit plus haut que le style de ce roman était massif et parfois lourd, à la limite de l’ennui. C’est que Bernanos se moque de « faire du style » ; ce qui l’intéresse uniquement c’est la compréhension psychologique de ses personnages et leurs états d’âme au sens religieux du terme. La frontière entre le saint est le médiocre est tracée par ces « états d’âme », expression magnifique souvent rendue péjorative. Le chrétien, pour Bernanos, est celui qui se préoccupe de son âme et de l’âme des autres : Chantal était de ceux-là, comme l’abbé Chevances. Pour avoir des « états d’âme », il faut savoir que l’on a une âme. Le cas du psychiatre est tout à fait emblématique de ce que le matérialisme fait quand il veut ignorer l’âme. Le docteur La Pérouse, qui fut un grand psychiatre est sur le déclin personnel (sans doute atteint d’un début de Parkinson) et refuse de le voir. Il veut ramener toute personne à un « cas ». mais Chantal lui est proprement incompréhensible et elle le lui fait bien comprendre. A travers ce portrait de médecin, on retrouve la plume enflammée du Bernanos pamphlétaire et combattant. La description de la personnalité du docteur est d’une rosserie talentueuse, tout comme le portrait initial de Monsieur de Clergerie. Dans ces lignes nous avons le meilleur Bernanos, celui qui frappe ce qu’il combat : la bêtise, la suffisance, la fausse science… Il est évidemment dommage que tout le roman ne reste pas à ce niveau littéraire. Mais est-ce possible ?

Lire La joie est à la fois un grand plaisir et un effort. Ce n’est pas un livre facile, mais cependant un bon livre, dans le sens où il nous marque à jamais, nous remet en question et, une fois refermé, continue de nous tarabuster. Il faut l’accepter tel qu’il est pour l’apprécier. Pour ma part, je préfèrerais toujours un livre qui se gagne de haute lutte à un livre qui se prostitue dans la facilité pour me séduire. Après tout, qui a dit que la lecture de Madame Bovary ou de L’insoutenable légèreté de l’être était facile ? Ne sont-ce pas d’immenses romans ? Il y a un temps pour tout, un temps pour des lectures faciles et un temps pour des livres robustes qui se défendent.

A bon lecteur, salut !

Jean-Michel Dauriac

Les Bordes 10-11 août 2022

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Voyage fantastico-poétique au pays animal

A propos de Le pays sous l’écorce

Jacques Lacarrière                                                                                  Collection Points – Récit

                                                                                                                      Le Seuil – 1981 –188 p.

Jacques Lacarrière a fait sa (très bonne) réputation en publiant des livres dans le genre littérature de voyage. Son Eté grec a connu un grand succès dans divers format. Un de ses grands classique est Chemin Faisant, récit d’une traversée pédestre de la France dans la diagonale du vide, bien avant Les chemins noirs de Sylvain Tesson. Quant à son essai sur Les Gnostiques, appuyé sur sa très bonne connaissance de l’Egypte et du monde méditerranéen, il constitue un des meilleurs titres de vulgarisation sur ce sujet très complexe. Bref, Jacques Lacarrière est un écrivain que le voyage aide à écrire, et à bien écrire.

J’ai acheté ce petit livre dans une bouquinerie, sur la foi du nom de l’auteur ; le titre me laissait présager un voyage forestier ou quelque chose comme ça. Mais je n’avais pas regardé plus. C’est en le retirant de ma bibliothèque, au rayon des « espérants » – ces livres achetés assez récemment et qui s’entassent dans l’attente d’une lecture prochaine, qui parfois ne viendra jamais – que j’ai découvert son contenu. Partant pour un petit périple au cœur de la France de l’Est, j’ai choisi quelques livres de petite taille, qui conviennent bien à ces types de jours. Parmi eux, celui dont il est question aujourd’hui ; il voisinait avec un joli petit Modiano, dont je parlerai ailleurs.

Il s’agit bien, en définitive d’un récit de voyage… Mais, pour la première fois, Lacarrière a choisi la forme romancée, la fiction totale. Les amoureux de littérature sont attentifs et friands aux premières phrases des romans ; certaines sont devenues quasi-proverbiales. Celle de ce livre est assez originale, jugez-en :

« Cet été-là, je le passai sous une écorce de platane. »

Avouons que c’est assez étrange. Lisons maintenant la dernière phrase :

« Et, rouvrant les yeux, je me glissai hors de l’écorce. »

Si l’on n’a que ces deux phrases, on en déduit que c’est l’histoire de quelqu’un qui passe un été sous l’écorce d’un platane et en sort à un moment donné.. Tel quel, ce n’est pas très excitant. Mais, évidemment, tout l’art du romancier consiste dans l’intervalle et ce qui s’y passe. Et là, je peux dire que le lecteur ne sera pas déçu, car on bouge beaucoup et il y a du changement, beaucoup de changements, je dirais même, de transformations. Le récit est l’enchaînement de toutes les transformations et voyages vécus par ce quelqu’un qui habite sous l’écorce du platane.

Ami lecteur, si tu ne veux pas succomber à l’irrationnel, si la logique est première pour toi, passe ton chemin, ce livre n’est pas pour toi, il ne saurait te plaire. Pour savourer cet ouvrage, il faut, sans aucun doute avoir une certaine dilection pour la poésie, en tout premier lieu. L’univers poétique est celui qui rend le fantastique à la fois accessible et beau pour tous. Tout au long de ces pages, tu baigneras dans une sorte de placenta poétique rimbaldien .

Il est quasiment impossible de résumer un tel livre. Je laisse donc l’auteur évoquer les étapes de son voyage :

«  Quel monde ? Celui qui déjà remue dans l’aube inquiète qui attend ou celui qui tremble encore dans ma mémoire, celui qui fit de moi, ex-hominien, le presque-Loir, l’apprenti-Grue, le demi-Acridien, l’élève-Termite, le frère-Ephémère, l’anti-Ver, l’enfant des Souffles, le co-Hibou, l’exuvie d’Homme, la fausse Anguille, l’habitant de l’Abysse, le commensal de la Méduse, le voyeur des Tortues, l’hôte de l’Anémone, le pseudo-Poulpe, le quidam des Sardines, l’avorton d’Axolotl, le complice du Caméléon, l’auditeur du Boa, l’allié des Escargots, l’incompris du Grillon, le témoin de la Mante, l’elfe du Ver luisant, le verbe des Abeilles, la mémoire des Mouches, la proie de l’Araignée, l’ami de la Chenille, l’amant du Papillon ? » p. 187.

Ici sont présentées toutes les existences qu’a connues l’auteur quand il eut décidé de se glisser sous l’écorce d’un platane. Il faut alors accepter de rester dans le mystère de ses transformations-adaptations, car il ne devient jamais l’animal évoqué, mais « une sorte de … », capable communiquer avec lui et de partager sa vie durant un certain temps. Il faut accepter de perdre la notion du temps et de l’espace, de ne pas toujours saisir les transitions physiques – ce qui est bien sûr fait volontairement par l’auteur -, de devoir chercher nombre de termes dans le dictionnaire, car Lacarrière est très précis et use du vocabulaire scientifique pour chaque espèce. Bref, il faut accepter de voyager avec lui sans tout comprendre.

A ce jeu de l’animalité, Jacques Lacarrière rejoint les plus grands, ceux qui ont su « devenir »  la bête. Je veux dire Louis Pergaud, avec ses histoires naturelles, ou Franz Kafka avec ses contes fantastiques, voire Léon Tolstoï et son cheval Khostomer. C’est la marque des très grands de réussir cet exploit de nous entrainer dans le monde animal sans être ridicule. Lacarrière a toute sa place auprès d’eux.

Jean-Michel Dauriac

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Les Russes ont Poutine, nous avons Bernard-Henri Lévy

Arte diffusait ce soir du 28 juin 2022 le film documentaire de BHL intitulé Pourquoi l’Ukraine.  En préambule à cette projection immanquable, Le Figaro, dans son édition du lundi 27 juin, lui consacrait une pleine page d’interview. J’ai commencé par lire ce grand entretien, mais en fait, quand on vu le film, on se rend compte qu’il répète quasiment mot pour mot son contenu.

Regarder un film de Bernard-Henri Lévy est toujours une « expérience », comme le disent aujourd’hui les décérébrés que l’on appelle communicants. Passons sur l’usage de ce mot qui traduit l’ignorance des publicitaires et venons-en au film lui-même. Regarder un film de BHL c’est toujours regarder un film sur BHL Il est de quasiment tous les plans, on le voit apparaître partout, dans les tenues les plus diverses, en treillis, en uniforme, en costume (avec la légendaire chemise blanche ouverte – à son âge il devrait faire attention à la pneumonie !) ou en pardessus noir. Pas une séquence où il ne se montre, même furtivement. Un tel degré de narcissisme est déjà problématique pour un vieil adolescent comme lui. Mais en plus de cette omniprésence visuelle, il nous impose aussi une omniprésence sonore, car il est l’auteur et le diseur du commentaire. Et là, des sommets sont atteints ! Les mots nous trahissent souvent, et dans ce film, ils trahissent tout le temps le personnage et sa posture. Certes, le sujet est bien l’Ukraine, depuis la révolution de Maidan (2014) jusqu’à la capitulation du bataillon Azov en juin 2022, mais cela finit par devenir secondaire par rapport au culte de l’ego de l’auteur. Passe encore que sa voix soit difficilement supportable : elle marque un vieillissement très net et use d’un ton théâtral très décalé. Mais au-delà de cette gêne sonore, il y a le contenu. Il s’agit d’un mélange assez incongru de références littéraires et mythologiques, de formules créées pour passer à la postérité et de resucées journalistiques. Disons tout net : toutes les images montrées en ce film ont été diffusées à satiété depuis le début de la guerre, il n’y a rien d’original, si ce n’est les entretiens de notre héros avec les protagonistes du récit. La banalité des images amène donc à se concentrer sur les paroles et c’est là, malheureusement, que le film trahit son auteur.

Depuis près de cinquante ans, BHL joue au philosophe engagé avec persévérance ; il se veut le Jean-Paul Sartre de sa génération. Depuis ses prises de position en faveur des boat-people vietnamien, il a enfourché le canasson de toutes les oppressions et les guerres qu’il pouvait utiliser. Il serait d’ailleurs intéressant de lister celles dont il n’a jamais parlé, ce qui dessine, en creux, ses choix politiques. Ce n’est pas mon propos ce jour.  Depuis trente ans maintenant, BHL arpente les champs de bataille choisis, costume noir, chemise blanche et écharpe au cou, et nous fait la leçon sur notre aveuglement et nos lâchetés. Serbie, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Géorgie, Lybie, Arménie, et aujourd’hui Ukraine. Cet homme se trompe systématiquement dans toutes ses analyses politiques, alors même qu’il choisit des bonnes causes. Son niveau de compréhension politique est celui d’un élève de quatrième moyen d’un collège de banlieue. Et, avec ces inepties, il parcourt tous les plateaux tél et radio et délivre sa vérité, qui ne saurait être contestée. Il murmure ses âneries aux oreilles des présidents, avec plus ou moins de succès ; on lui doit la stupide intervention française en Lybie, dont on peut mesurer chaque jour le succès en lisant les nouvelles. Bref, il est admirable dans son genre, qui est celui de l’albatros baudelairien transposé à la politique.

Que nous dit-il sur l’Ukraine ? D’abord qu’il a tout compris depuis longtemps et qu’il est l’ami de tous les démocrates qui se sont succédé au pouvoir récemment dans ce pays. Je vous laisse juge de ce bilan, si vous suivez sérieusement la politique étrangère. Ensuite, que les Russes sont des soudards qui commettent des crimes contre l’humanité : nous avions effectivement besoin de lui pour le découvrir.  Que le peuple ukrainien est en tous points admirable, car il se bat pour défendre son pays. Du coup, on balaie très vite le passé antisémite et collaborateur des nazis, on oublie le passé du bataillon Azov et les russophones qui sont pro-russes dans tout l’est du pays. Pour BHL, les nuances n’existent pas. Il en vient enfin à répéter mot pour mot, comme un caniche, les éléments de langage de Zelenski sur le fait que cette guerre est notre guerre et que la défaite sera notre défaite. Il n’est pas ici le lieu de discuter ces affirmations, car elles sont discutables. Il est frappant de voir la banalité du propos, collection d’évidences journalistiques habillées ici de la culture normalienne ; mais cela ne suffit pas à transformer des truismes en pensées originales. BHL nous appelle, ni plus ni moins, à combattre avec les Ukrainiens, pour défendre la démocratie et la liberté. Pourquoi ? Parce que cet homme vit, depuis sa jeunesse, dans un pays mythologique dont il est le prophète et le héros. Il se moque absolument des conséquences de ses postures et de ses paroles. Est-il revenu voir le résultat de sa pression sur le président Sarkozy pour intervenir militairement en Lybie? A-t-il vu dans quelle misère vivent les populations du pays, en guerre civile depuis la mort de Khadafi ? A-t-il réfléchi un seul instant à ce qu’il adviendrait si les dirigeants européens, à commencer par la France, allaient faire la guerre en Ukraine ? Bien sûr, Poutine est sans nul doute malade et l’agresseur d’un peuple qui ne le menaçait nullement. Bien sûr que des crimes de guerre ont été commis – il faudrait aussi montrer ceux des Ukrainiens dans le Donbass, par exemple.  Mais BHL nous a-t-il engagé à aller combattre au Darfour, quand les chrétiens étaient massacrés par les musulmans du nord ? Sa rhétorique est celle d’un histrion qui vit dans le monde antique de la guerre de Troie.

Ce qui est grave est que la grande chaine culturelle Arte diffuse ce documentaire sans débat derrière, que ce grand quotidien qu’est Le Figaro lui donne une page entière avec des questions de complaisance et fasse en plus la publicité pour le film dan sa rubrique télévision. Nous sommes là dans le microcosme pervers qui manipule l’opinion sans cesse. Ce documentaire prête plus à rire qu’à réfléchir, tant le commentaire est boursouflé et bourré de clichés. La bonne conscience d’une gauche qui n’en a plus que le nom n’a plus de limite, elle ne perçoit plus aucun signal avertisseur. Ce genre de spectacle est ce qui pousse les Français à l’abstention électorale ou au vote Rassemblement National. Les justes causes ont besoin d’avocats lucides et humbles, pas de bateleurs germanopratins. Pourquoi l’Ukraine rejoindra donc la collection de navets signés par celui qui se prend aussi pour un cinéaste. Et pourtant cet homme avait du talent, avant qu’il ne devienne mégalomane.

Jean-Michel Dauriac

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