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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Qu’arrive-t-il à mon pays ?

C’est vraiment la question que je me pose depuis quelques semaines. Je ne reconnais plus le peuple français. J’ai l’impression, brutalement, de vivre dans un pays étranger. Plus précisément depuis le mois de janvier 2025 et la prise de fonction de Donald Trump aux Etats-Unis. Comme si l’arrivée de cet histrion dément avait agi autant sur nous que sur ses malheureux concitoyens. Il n’est pourtant pas le chef de l’Etat français ! Mais on peut en douter, quand on voit l’information de masse et le comportement de nos dirigeants. Tout se passe comme si les délires quotidiens de ce Président calamiteux nous concernaient directement. Je passe sur ses déclarations toutes plus ineptes les unes que les autres et qui lui laissent croire que le Groënland, le Canada, le Panama, Gaza ou l’Ukraine lui appartenaient ou allaient sans coup férir être américain. J’ai noté dans un autre billet d’humeur ce que nous devions aux journalistes en ce domaine. Mon but, aujourd’hui, est de mesurer les impacts trumpiens sur nos dirigeants, l’appareil d’Etat et le peuple français.

Nous assistons, depuis quelques semaines, à une offensive de propagande tous azimuts de niveau exceptionnel, que l’on ne peut comparer qu’au décervelage massif de l’épisode du Covid19. La conjonction des grands médias avec l’appareil politique et les principaux dirigeants engendre une campagne à laquelle il est très difficile d’échapper. Les télévisions se sont mises à l’unisson pour répercuter le discours officiel, comme les grands journaux et magazines avec leurs unes, sans oublier les discours politiques et gouvernementaux. Quelle est la teneur de ce discours ? La guerre est à nos portes, la Russie nous menace, nous les Européens, et nous ne sommes pas prêts, car le grand frère américain (lisez OTAN) a décidé de ne plus nous défendre. Voici pour la charpente générale. A partir de ces prémisses, chaque acteur apporte sa petite musique, mais toutes sont harmonisées dans le même sens : instiller la peur chez nos concitoyens afin de pouvoir ensuite faire adopter les mesures de réarmement et leur budget. Du coup, tout ce qui n’est pas en phase avec cette peur primale entièrement suscitée par un discours catastrophiste et absolument mensonger, devient accessoire et même ridicule. Ainsi, oser vouloir parler des retraites sérieusement serait devenu obscène. Mais emprunter pour s’armer et pouvoir offrir des armes qui nous font défaut à Zélenski est tout à fait essentiel. Demander que la santé et l’éducation soient reprises en main et garantissent le bien-vivre de la population n’est plus du tout prioritaire. Même la lutte contre la violence et les trafics, comme l’immigration, subissent un net recul face à la nouvelle doxa : la guerre, la guerre, la guerre. Qu’il faut bien préparer pour en surtout pas la faire, nous dit-on. Mais rien n’est plus faux que ce stupide adage latin, Si vis pacem, para bellum, (Si tu veux la paix, prépare la guerre), que tout latiniste a appris dans son cursus. Si tu prépares la guerre, tu finiras par la faire, c’est ce que l’histoire démontre à tout coup.

Nos hommes politiques, qui ne brillent vraiment pas par la pensée et l’originalité, mais qui ont, pour la plupart, fait de longues études universitaires où l’histoire leur a été enseignée, ont subitement oublié ce qu’ils savaient sur les années 1911-1913, ce que l’on appelait dans les cours de Première de jadis, la « marche à la guerre ». On pourrait dupliquer les discours et les publier tels quels dans la presse, cela ne se verrait même pas !  C’est à qui va aller le plus loin dans l’appel au réarmement et au sursaut patriotique ! A quoi je ne peux que citer le Grand Jacques : Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

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Le président Macron prononçant son discours sur la base de Luxeuil-les -bains

Mais le responsable principal doit être nommé et identifié : il s’agit du président Macron. Le voici requinqué comme aux plus beaux jours de la « guerre » contre le Covid. Lui qui se trouvait, de facto, marginalisé par sa défaite politique et électorale, écarté du vrai pouvoir, a rapidement su trouver comment occuper le devant de la scène. Car cet adulescent inconsistant ne peut vivre qu’en représentation. Sans caméras et micros, il n’existe plus. Trump lui a fourni les moyens de sa sortie du purgatoire, et il a su très vite en faire usage. Depuis maintenant deux mois, il parcourt l’Europe pour rameuter des troupes autour de son grand projet de défense militaire. Le malheur de la nation veut que le Président, selon la constitution de la Ve République, soit le chef des armées. C’est donc sur cette prérogative qu’il est en train de bâtir son grand retour, en essayant de faire oublier qu’il est le responsable de la situation catastrophique de la France depuis 18 mois et son aventureuse dissolution, bien mal calculée. Et comme les Français sont, effectivement, des « veaux », selon la formule du Général, il est en passe de réussir son coup : une grande majorité des Français sondés lui emboîteraient le pas ! (On a le droit de mettre en doute la méthode de ces sondages !). Ce petit homme qui se ferait dessous s’il se trouvait vraiment sur une ligne de front comme en Ukraine, sous le feu roulant des Russes, adopte la posture martiale de César et va partout prêcher sa bonne parole. Hier, c’était sur la base aérienne de Luxeuil (Haute-Saône), où il a prononcé son discours, micro à la main, au milieu des militaires et a annoncé un effort sans précédent de remise à niveau des forces aériennes. Où va-t-on trouver les milliards d’euros, alors que notre endettement est déjà colossal, le plus important de la zone euro et que nos prélèvements obligatoires (lisez impôts et taxes) sont les plus élevés de l’Ouest ? Soit en empruntant plus – ce qui creusera encore le gouffre et hypothèquera l’avenir sur des générations -, soit en prenant l’argent sur d‘autres postes budgétaires, et de préférence dans les gros budgets des gros ministères. Ce qui augure de restrictions sur la santé, l’école, la justice, les transports, etc.  Et pour quelles raisons objectives ? La Russie a-t-elle envoyé un ultimatum à l’UE ou à la France ? Constate-t-on des mouvements de troupes blindées russes dans les Ardennes ? Non, tout cela à partir de la situation ukrainienne, dont Zelenski a su donner une version inquiétante aux dirigeants de l’UE, au premier chef Macron. Le conflit ukrainien serait l’avant-garde de celui que Poutine va enclencher avec l’UE, il faut donc sauver le soldat Zelenski pour sauver la liberté occidentale. Tout cela ne résiste évidemment pas à l’analyse et s‘avère être en grande partie une fiction, très bien vendue par l’ancien comique ukrainien.

Mais ce qui me déçoit le plus, ce n’est pas la vague éhontée de propagande qui s’abat sur notre pays, mais le fait que les Français se laissent aussi facilement manipuler.  Ainsi il faut bien admettre que tout le travail de l’école et des professeurs d’histoire qui ont enseigné les deux grandes guerres du XXe siècle est inutile. A la première étincelle de nationalisme et de militarisme, ils s’enflamment comme de l’étoupe et se comportent comme leurs aïeux allant « bouffer du boche » et conquérir Berlin en une semaine. « Quelle connerie la guerre », comme l’écrivait Prévert ! Ils ont donc oublié que dans une guerre il n’y a que du mal. Que des morts, des exactions, des mutilés, des blessés, des traumatisés, des destructions de villes et villages, des fusillades de civils… Qu’il n’y a jamais de vainqueur dans une guerre, seulement une illusion de victoire. Que seuls la haine et le malheur gagnent. Que ceux qui appellent à la faire sont justement ceux qui ne la font pas. Ils ont oublié Verdun et ses centaines de milliers de morts pour rien, et les cinquante millions de tués lors de la dernière conflagration mondiale. Non, rien ne peut justifier cette passion guerrière, et celui qui la sème devra un jour rendre des comptes, et pas seulement au tribunal de l’histoire.

France et Français, pouvez-vous vous ressaisir ou voulez-vous continuer à être des pantins que l’on téléguide par électronique interposée ? Il devrait y avoir des centaines de milliers de gens dans nos rues pour dire « non à l’esprit guerrier ». Au lieu de quoi, ils répètent en boucle les fake news officielles de l’Elysée. Il y a des jours où j’ai honte d’être Français !

Jean-Michel Dauriac – 20 mars 2025.

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De la bêtise journalistique à l’échelle mondiale

« Si l’on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l’on aurait honte de parler ou d’écouter, et l’on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s’accommoder à tous les esprits, permettre comme un mal nécessaire le récit de fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l’intérêt des princes, le débit des beaux sentiments et qui reviennent toujours les mêmes… » La Bruyères, Les caractères De la société et de la conversation §4, p. 148-149, éditions La Pléiade.

Journalistes à la cafétaria

Nous assistons, médusés, à une démonstration d’ampleur mondiale de la bêtise journalistique dans toute sa splendeur. Quiconque observe les médias attentivement sur une période de plusieurs décennies, comme c’est mon cas, en simple lecteur, auditeur et téléspectateur, ne peut être que frappé par l’évolution régressive de cette corporation. Les belles âmes progressistes se sont longtemps gaussées des journalistes français à l’époque de l’époque du Général de Gaulle et son ministre de l’information. On a parlé de Franco, du fascisme, beaucoup moins souvent de l’URSS d’ailleurs, pour qualifier cette surveillance des médias français. Mais personne ne semble s’aviser qu’aujourd’hui il n’a même plus besoin de l’ORTF et du ministre associé pour que les journalistes soient aux ordres. Ils s’y mettent tout seuls, et immédiatement. Le bel exemple actuel l’illustre à merveille.

Je ne veux parler ici que de deux exemples : l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et la guerre en Ukraine. Le raisonnement pourrait être élargi à tous les sujets importants de l’actualité.

L’élection de Donald Trump et son arrivée au pouvoir sont emblématiques de la soumission grégaire des plumitifs français. Tant que la corporation n’avait pas envisagé sa victoire, il était traité assez durement, avec une ironie mordante par la grande majorité des médias. Puis, la tendance s’est inversée et son élection est devenue probable, et même certaine, devant l’incapacité de ses rivaux. Et toute la grande famille de l’information a alors changé son fusil d’épaule et commencé à le traiter en homme d‘Etat, couvrant sa campagne de manière très favorable. Depuis son élection, avant même sa prise de fonction, c’est devenu de la flagornerie générale : « président Trump » par ci, « président Trump » par là. Les mêmes qui ricanaient – à juste titre – de ses âneries relatent ses faits et gestes comme celles du pape ou de la reine d’Angleterre à sa grande époque. A ce jeu, les chaînes d’information continue font la course en tête, les autres chaînes ne pouvant rivaliser avec le temps d’antenne que l’on accorde aux propos et attitude du nouvel oracle américain. Que ce malade mental fasse les déclarations les plus absurdes, peu importe, elles sont reprises aussitôt et commentées ad nauseam par les pseudo-experts appointés des divers médias. Il veut annexer le Canada, acheter le Groenland et reprendre le canal de Panama, transformer Gaza en Riviera purgée de ses Arabes, faire la paix en Ukraine en une journée… J’arrête là l’inventaire. N’importe quelle personne dotée de tout son bon sens, lisant ces propositions, conclura à la folie de celui qui les profère. N’importe qui, oui, mais pas les journalistes qui, eux, sont bien plus perspicaces et ont compris tout l’intérêt de ces propos… Ces crétins en meute crédibilisent donc à longueur d’antenne les paroles de celui qui relève de la psychiatrie. Et le fait qu’il ait été élu ne prouve rien sinon la défaite totale de la démocratie et la stupidité de l’électeur moyen américain, hélas en passe d’être rejoint dans cet abîme de bêtise par les électeurs européens, tous séduits par leurs Trumps aux petits pieds. Pourquoi agissent-ils ainsi, me demanderez-vous ? Sans doute d’abord parce que leur esprit critique est de la taille d’un pois chiche. En cela, ils sont les purs produits de la formation française dégradée depuis plus de trente ans. Mais il y a autre chose. Ils craignent tous d’être privés de visa pour les Etats-Unis s’ils se signalent agressivement contre le dément en chef, qui pratique la vengeance sauvage à satiété. Et surtout, ils obéissent servilement à leurs chefs et propriétaires, qui sont tous, d’une manière ou d’une autre, en affaires avec les Etats-Unis. Il faut donc éviter de se fâcher avec leur président, quel qu’il soit et quelles que soient les énormités qu’il puisse proférer. Voilà ce qui gouverne l’information aujourd’hui. Tout le reste n’est qu’habillage cosmétique. On glisse juste un peu de critique pour faire crédible, et le tour est joué. Les Français sont nourris au lait de cette mamelle corrompue et répètent fidèlement dans les sondages ce qu’on leur serine à longueur de journée.

Et c’est ici que l’on rejoint la guerre en Ukraine. Comme les deux sujets sont dorénavant liés par la grâce trumpienne, les journalistes font également tourner en boucle leur pseudo-information sur la situation en Ukraine et les projets de paix du génial taré d’outre-Atlantique. Trump va donc régler en quelques jours ce conflit qui pourrit depuis trois ans ! Qu’a-t-il promis à Poutine ? On se garde bien d’en parler. Mais ça, les Ukrainiens, eux , le savent, ils savent qu’ils ont déjà perdu définitivement les terres prises par l’armée russe, que l’annexion de la Crimée va être reconnue de fait et qu’ils ne pourront pas intégrer l’OTAN. Trump a vendu l’Ukraine à Poutine pour désengager son pays de l’aide à l’Europe, voilà la vérité toute nue, celle qu’il faudrait marteler : c’est un abandon en rase campagne, un retour à l’isolationnisme traditionnel américain. Mais on camoufle cela derrière l’espoir d’une paix bradée qui va abandonner l’Ukraine et l’Europe.

Mon propos n’est pas de développer davantage ces arguments : ils devraient être évidents pour toute personne qui réfléchit seule. Et pourtant ils sont aujourd’hui considérés comme déviants face au discours ultra-dominant du système médiatique national, lequel a retrouvé une belle santé de propagande depuis quelques années (disons depuis le Covid, pour faire simple). Les auteurs de ce crime contre la liberté de penser et l’esprit critique sont ces rédactions de clones fabriqués à la pelle dans les écoles de bien-pensance qu’on appelle de journalisme. Albert Londres, reviens, ils sont devenus fous !

Bilan : un crétin peroxydé, malade mental incontestable, délire en permanence et ses propos de malade sont repris et commentés comme des oracles par toutes les rédactions de France, sans aucun recul critique, sans signaler ce que ces paroles ont d’inepte et de dangereux pour l’ordre mondial péniblement maintenu depuis 80 ans. Si vous adhérez à ces discours et pratiques, sachez que vous préparez le chaos pour vos enfants et petits-enfants, lesquels sont déjà très menacés par de vrais périls, sans que ‘on rajoute celui de la bêtise journalistique.

Jean-Michel Dauriac – 17 mars 2025

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Deux positions radicales contre la guerre : Léon Tolstoï et Jacques Ellul.

Table ronde La guerre et la foi – mardi 18 février 2025

L’Université Populaire des Hauts de Garonne, que j’anime et que j’ai fondée en 2008, organise régulièrement des tables rondes inter-religieuses sur des thèmes d’actualité. Le thème de cet année était La guerre et la foi. Pour présenter et débattre, il y avait quatre intervenants: Georges Cottin, prêtre et jésuite, Didier Guedj, membre du consistoire juif de Bordeaux, Mahmoud Doua, enseignant et imam de Cenon & Jean-Michel Dauriac, théologien protestant. Chacun disposait d’une dizaine de minutes pour s’exprimer sur le sujet, après quoi le débat avec la salle et entre les intervenants était ouvert. Je reproduis ci-dessous le contenu de mon intervention, en tant que regard protestant sur le sujet.

Je voudrais présenter très brièvement deux positions sans compromis sur la guerre et la violence armée. Elles émanent de deux hommes qui en se sont jamais connus et qui ont vécu en des temps différents.

L’un est un chrétien, en rupture d’Eglise, qui accorde toute autorité aux paroles de Jésus dans les Evangiles, qui a vécu une vie de croyant solitaire, mais dont les positions théologiques sont assez souvent très proches de celles des protestants les plus libéraux. C’est Léon Tolstoï (1828-1910), homme du XIXe siècle russe, d’un pays qui a connu de très nombreuses guerres durant sa vie.

L’autre est un homme du XXe siècle (1912-1994), protestant de l’Eglise Réformée revendiqué mais marginal dans celle-ci par sa lecture évangélique et ses prises de position. C’est Jacques Ellul, le grand penseur aquitain.

Tous deux ont des positions proches, auxquelles ils sont parvenus par des chemins très différents, mais qui se retrouvent dans un radicalisme qui exclut tout compromis « raisonnable ». Tous deux se caractérisent par un amour passionné de la liberté et une fidélité totale au Christ des Evangiles. Regardons rapidement ces positions.

Léon Tolstoï : de la guerre du Caucase à la non-résistance au mal comme commandement absolu

Tolstoï a connu une vie pleine de contrastes : durant les cinquante premières années de sa vie, il fut un noble russe de religion orthodoxe atavique, il fut militaire engagé durant cinq années et participa à deux conflits comme officier : la guerre de conquête et de « pacification » du Caucase, puis la guerre de Crimée et le siège de Sébastopol (entre 1851 et 1856). Plus tard, alors qu’il était marié et père de famille (années 1860-1870), il se passionnait encore pour les guerres russes et envisagea même de partir se battre contre les Turcs, ce que sa femme stoppa brutalement. Puis il vécut une véritable conversion au Christ, en 1879.

Dès lors, sa lecture attentive des Evangiles le convainc que le cœur de la prédication du Christ est le propos rapporté en Matthieu 5 :39 : « Mais moi je vous dis ne pas résister au méchant. » Il élabore alors une théorie chrétienne qui sera appelée la « non-résistance au mal », théorisée dans un livre intitulé Le royaume des cieux est en vous. Il y développe toutes les implications de ce refus de tout usage de la violence, tant au plan personnel qu’au plan politique, ce qui correspond à une position chrétienne anarchiste qui rejette tout pouvoir si ces celle de l’amour du Christ.

Tolstoï condamnera aussi bien la guerre russo-japonaise de 1904 que la révolution avortée de 1905, car ce furent deux explosions de violence. Sa position radicale en a gêné beaucoup, mais il a tenu bon. Il fut suivi en cela par des disciples que l’on appela les « tolstoïstes » ou « tolstoïens », selon les auteurs. Ce mouvement fut balayé par la Première Guerre mondiale et la Révolution russe.

Mais les idées de refus de tout usage de la violence de Tolstoï avaient gagné des partisans partout dans le monde. Un de ses disciples majeurs fut un jeune avocat indien vivant en Afrique du Sud, Gandhi. Il fit de cette non-violence son arme favorite. On oublia cependant que c’est Tolstoï qui avait théorisé cette pratique, pour l’attribuer à Gandhi dont, à son tour, Martin Luther King fut le disciple, sans savoir lui non plus ce qu’il devait au grand écrivain russe.

Jacques Ellul : La « non-puissance » comme solution à la violence du monde

Jacques Ellul a toujours revendiqué sa foi chrétienne et son attachement à ce qu’il appelle la Parole de Dieu, laquelle est contenue, en partie, dans la Bible. Il a toujours également considéré qu’il fallait être conséquent dans sa façon de lire les Evangiles.

« Pour ma part, je crois que toute Parole de Dieu (mais je n’identifie pas, automatiquement, la Bible à une parole de Dieu) est radicale et absolue. C’est-à-dire qu’elle atteint à la racine, et, sans être littéraliste, je crois que tout impératif biblique reste tel quel, n’est susceptible d’aucune réinterprétation, d’aucune édulcoration, d’aucun cantonnement. La Bible, c’est le tout pour le tout. Donc, je prendrai les indications concernant la guerre, violence, terrorisme dans leur sens radical[1]. »

On le voit, cette position rejoint le radicalisme de Léon Tolstoï : on prend au sérieux ce que dit La Bible et Jésus. Cette citation est extraite d’un imposant ouvrage collectif, édité en 1991 par les éditions catholiques Le Cerf sous le titre Les religions et la guerre, sous l’égide du Secrétariat général de la Défense nationale. Des intellectuels et ministres du culte des trois monothéismes y confrontent leurs points de vue sur la guerre et le rôle des religions. Ellul est un des intervenants protestants, aux côtés de André Dumas et Michel Dautry. Il y développe de manière très nette sa position de chrétien face à la guerre. Nous tirons de cet article les arguments qui suivent. Nous les citons ici sans les développer.

  1. Seul l’individu peut être chrétien. Il ne peut pas y avoir d’Etat ou d’institution chrétienne, pas plus que de société chrétienne. « Mais la foi ne peut être que le fait d’êtres humains. C’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir d’institutions chrétiennes, il ne peut pas y avoir d’Etat chrétien ni de société chrétienne. » (p. 290.)
  2. Il n’y a jamais de guerre acceptable : pas plus de guerre « juste » que de guerre « sainte ». « Ce qui me conduit à dire qu’il n’y a jamais de guerre acceptable pour la foi, ni de violence acceptable, ni de terrorisme, etc. » (p.290.)
  3. Jésus développe dans les Evangiles une attitude de « non-puissance ». « La non-puissance, ce n’est pas l’impuissance. Celle-ci désigne la situation où on ne peut agir par la puissance. Alors que la première consiste à posséder une puissance, mais à refuser de l’exercer. » (P.291.) Ellul cite des exemples tirés des Evangiles.
  4. Les objections tirées de l’Ancien Testament (Bible hébraïque) ne résistent pas à une critique serrée. Ellul évoque même une pédagogie de l’erreur voulue par l’Eternel, en citant Ezéchiel 20 : 25-26, texte très dérangeant.
  5. Refuser la guerre n’a rien d’idéaliste. Voici ce que dit Ellul : « On a l’expérience qu’aucune guerre n’a jamais résolu aucun problème, ni politique, ni économique et de même, dans l’ordre des violences révolutionnaires, aucune révolution n’a jamais mené à autre chose qu’ à des dictatures. » (P.292.) Par contre la non-violence a remporté des succès : il cite les acquis de ML King et les compare aux échecs des Blacks Panthers ou Black Muslims.
  6. Cette loi de non-puissance e peut être la politique d’un Etat. « Cette conduite de non-puissance dérive de la foi au Seigneur Jésus-Christ, cela ne peut pas être transformé en loi générale d’un Etat et d’une société où 90%  des habitants sont non-croyants. Et nous atteignons un point crucial : toutes les réflexions théologiques sur la guerre juste dérivent de la conviction qu’il y a continuité entre l’Eglise et l’Etat, qu’il y a même confusion (dans le constantinisme) et que tout le problème consiste à savoir comment concilier les deux ! » (P. 293.) « Jésus crée avec l’Eglise une autre société » (P.293.)
  7. L’Eglise doit faire entendre sa voix dans le débat public, mais elle n’a pas à chercher à diriger ou influencer les politiques. « Et cela d’autant plus que les dirigeants d’Eglise et els théologiens sont en général de lamentables « politiciens ». » (P.294.) Choisir un camp est toujours un mauvais choix que rien ne justifie au plan de la foi chrétienne.
  8. Il peut y avoir des circonstances qui amènent à des constats contraires à la liberté chrétienne. « Mais reconnaître que la guerre peut être inévitable et indispensable du point de vue politique, ne veut dire ni qu’elle soit juste, qu’elle soit légitime, ni qu’elle doive être approuvée par l’Eglise, et que les chrétiens aient à la justifier, ni enfin qu’on puisse en espérer une paix durable et une situation équitable! La guerre est toujours de l’ordre du mal. » (P. 294.) Elle est alors de l’ordre de la nécessité et se trouve en opposition radicale avec l’Evangile qui est liberté.
  9. « L’exigence de la liberté chrétienne implique le refus de toute guerre, y compris la guerre « soi-disant » de libération ! » (P.295.) Le rôle des chrétiens est, non de pousser à la préparation de la guerre, mais d’être des porteurs d’espérance, ce qui est tout le contraire de la guerre, qui n’apporte que désespoir et peur. Ellul réfute deux objections : celle des « mains pures » et du refus de s’engager, et celle du jeu de « combien de divisions ? » cher à Staline, le rapport de forces matérialiste.
  10. Un chrétien peut décider de faire la guerre ou de la soutenir : « Que l’on fasse la guerre si l’on croit que c’est bien, mais que l’on ne cherche pas de justifications spirituelles ou morales. » (P. 296.) La nécessité exclut la liberté.
  11. Ellul prend deux exemples contemporains de cette radicalité évangélique qu’il préconise : 1/ Les Quakers américains durant le second conflit mondial, qui surent rester hors de la guerre malgré les quolibets et les diffamations. Leur attitude ferme sema le pacifisme des années 1960-70Guerre du Vietnam). 2/Les baptistes et adventistes en URSS qui restent sur une stricte position de non-violence et d’objection de conscience sont arrêtés et envoyés au goulag, mais qui voient leur nombre augmenter rapidement.
  12. Pour Jacques Ellul, la fidélité à la liberté chrétienne devrait se manifester par un rejet total du nationalisme et le refus de cantonner les Eglises au plan national.

Comme on peut le constater, ces positions sont très nettes et tranchent avec celles des grandes Eglises chrétiennes.

Léon Tolstoï et Jacques Ellul font la même lecture de l’Evangile et de l’attitude du Christ. Tolstoï va plus loin qu’Ellul en refusant toute résistance au mal, ce qu’Ellul ne dit pas expressément. Mais els deux considèrent la guerre comme le mal absolu et posent l’impossibilité pour le chrétien d’y adhérer. Ce n’est pas simplement du pacifisme, mais l’expression d’une autre vie et d’une autre société, de liberté et de responsabilité envers autrui.

Jean-Michel Dauriac – Février 2025


[1] Les religions et la guerre, direction Pierre Viaud, Paris, Editions Le cerf, 1991 ; chapitre XII, Les chrétiens et la guerre, Jacques Ellul, p. 291.

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