Folio – 2025
J’ai découvert tardivement Christian Bobin, en lisant Le très-bas, consacré à François d’assise. Depuis longtemps je savais qu’il était un auteur estimé, avec un lectorat très fidèle. En le découvrant vraiment, j’ai compris pourquoi. Il écrit comme personne, avec une véritable originalité et une fore poétique rare. Il est d’ailleurs avant tout un poète de la prose. Je ne sais pourquoi mais il m’a fait songer à Erri De Luca. Comme lui, il écrit des livres courts mais très marquants, dans une langue inventive. Comme lui, il a une position critique vis-à-vis du monde contemporain, certes très différente, mais aussi noble dans sa persévérance. Comme l’Italien, il fuit les médias et protège sa vie des projecteurs et des journalistes.
Lire Bobin, c’est accepter d’entrer dans un univers plastique où le bon chemin n’est pas le plus court et surtout pas la ligne droite. Il faut un certain temps pour s’y trouver bien car, au début, la tête vous tourne un peu et vous cherchez à vous raccrocher à la logique narrative classique. Il faut accepter de se détacher de cela pour apprécier pleinement l’œuvre de l’ermite du Creusot. (Comment peut-on être un des plus grands écrivains français en habitant Le Creusot, cette ville sans charme autre que son marteau-pilon géant ?).
Ce petit livre a un goût particulier : ce sont les derniers textes écrits par l’auteur, en quelque sorte son journal de fin de vie. Mais on y chercherait en vain un quelconque pathos. Le lecteur sent bien que celui qui écrit ses lignes nettoie ses tiroirs pour laisser la maison propre après son départ. Cependant seules quelques mentions relatives à l’hôpital et à la chambre qu’il y occupe abordent directement le cas de la maladie, et encore sans jamais en parler vraiment. Bobin ne craint pas la mort, c’est évident, pas plus qu’il ne la désire : il l’accepte simplement comme une fatalité.
Il a choisi un format court, les textes font grosso modo une page imprimée. Il a également choisi de ne pas faire un journal d’hospitalisation. Ce livre ne dégage aucune tristesse, simplement de la nostalgie, comme lorsqu’on se retourne sur ses pas avec une touche de mélancolie. Il nous parle de sa mère, de la nature, de la femme qu’il aime et de tout un tas de petites choses, par touches légères, dans une langue de poète.
Il ne faut pas analyser un tel livre, il faut le ressentir. On le lit comme on déguste savoureusement un grand whisky ou un ancien rhum, en se disant que lorsqu’il n’y en aura plus, cela nous manquera, mais qu’on sera heureux de l’avoir goûté. Un tel livre se prend et se reprend, s’ouvre à n’importe quel page et s’abandonne un peu plus loin, sachant qu’il ne sera jamais hors de portée ; un livre-compagnon de bon aloi. Ne le ratez surtout pas.
Jean-Michel Dauriac – Novembre 2025. Beychac.

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