Prologue :
§ 4 termes intimement liés, avec 4 majuscules car plutôt des notions (ou des concepts) que de simples faits. Nous sommes ici dans els fondements de la foi chrétienne.
§ Jésus et non Jésus-Christ ou le Christ. ici c’est l’incarné-homme qui me parle et m’aide à penser ma vie. Nous allons nous intéresser à ce qui nous est commun, l’humanité de l’homme de Nazareth, l’enfant de Marie et Joseph.
§ Foi et Doute sont un couple inséparable, soit pour se combattre, soit pour se nier mutuellement. « La foi bannit craintes et doutes » disait un petit choeur de mon enfance. Nous allons aborder ici la délicate question du doute au sens large, par ailleurs très peu abordée dans les sermons évangéliques.
§ Nous et non moi, car je suis convaincu que cela nous concerne tous, nous touche tous. Il ne s’agit pas de traiter le doute comme une maladie honteuse ou une passion néfaste que l’on cache du mieux que l’on peut. Si cela nous touche tous, la réponse est aussi avec tous et pour tous.
Regardons la vie de Jésus en 3 moments décisifs. Comparons avec la vie de certains croyants dans l’histoire. Et voyons ce que cela veut dire pour nous aujourd’hui.
Nous aurons 3 lectures de l’Evangile qui articuleront ces trois phases.
A / La foi agissante dans l’action.
Lecture : Marc 5 :22-23 & 35-42
« 22 Alors vint un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, qui le vit, se jeta à ses pieds
23 et le supplia instamment en disant: Ma fillette est à toute extrémité; viens, impose-lui les mains, afin qu’elle soit sauvée et qu’elle vive.
………
35 ¶ Il parlait encore, lorsque survinrent de chez le chef de la synagogue des gens qui dirent: Ta fille est morte; pourquoi importuner encore le maître?
36 Mais Jésus, sans tenir compte de ces paroles, dit au chef de la synagogue: Sois sans crainte, crois seulement.
37 Et il ne permit à personne de l’accompagner, si ce n’est à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques.
38 Ils arrivèrent à la maison du chef de la synagogue, où Jésus vit qu’il y avait du tumulte et des gens qui pleuraient et poussaient des cris retentissants.
39 Il entra et leur dit: Pourquoi ce tumulte, et ces pleurs? L’enfant n’est pas morte, mais elle dort.
40 Et ils se moquaient de lui. Alors, il les fit tous sortir, prit avec lui le père et la mère de l’enfant, de même que ceux qui l’avaient accompagné, et entra là où se trouvait l’enfant.
41 Il saisit l’enfant par la main et lui dit: Talitha koumi, ce qui se traduit: Jeune fille, lève-toi, je te le dis.
42 Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher; car elle avait douze ans. Ils en furent hors d’eux-mêmes, (frappés) d’un grand étonnement. »
La Résurrection de la fille de Jaïre de Santi di Tito (1536-1603)
Nous sommes dans le ministère de Jésus, plutôt au début, en Galilée.
Il apparaît publiquement depuis peu et il doit « faire ses preuves », au milieu d’un peuple habitué aux prophéties et aux miracles.
Il a déjà guéri auparavant des malades, des démoniaques, un lépreux, un paralytique…
Là, notre récit présente une énième demande de guérison (verstes 22 & 23), avec un caractère d’urgence et une malade très jeune. Puis l’intensité montre au verste 35, avec l’annonce de la mort de la jeune fille. Et là, Jésus est confronté à la mort, soit un pas de plus dans son pouvoir et son ministère.
Nous constatons qu’il ne doute nullement (verste 36) et qu’il a des paroles fortes pour Jaïrus : « N’aie pas peur, crois seulement ».
Il est donc question doublement de la foi :
§ Celle de Jésus, qui n’est pas altérée, même si elle entraîne les lazzi (verset 40).
§ Celle de Jaïrus, qui est requise et stimulée.
Nous connaissons la suite du récit, qui n’est pas aujourd’hui notre sujet : Jésus « réveille » la jeune fille, la mort est vaincue.
Jésus est ici en marche dans son ministère. Il va d’une ville à l’autre, prêche, guérit, marche et se repose peu. De temps à autres, l’Evangile nous le montre se retirant pour prier. Il n’y pas de répit, pas de temps morts. Ce temps du ministère est celui de la pleine activité de Jésus, il maîtrise autant que faire se peut, les évènements et les faits. Pa s place pour le doute. Une vraie communion avec le Père, dans l’action.
Nous avons aussi dans nos vies ces années d’actions dans répit. Celles où nous nous formons, nous travaillons, nous construisons une famille ou une carrière, nous sommes engagés dans des œuvres profanes ou spirituelles. Tout va bien. Il n’y pas là place pour la moindre interrogation .
Ecclésiaste 9:10 « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le; car il n’y a ni activité, ni raison, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas. »
Le mouvement recharge la batterie, comme dans les voitures hybrides. Nous avançons, Dieu bénit notre vie et notre action. Nous surmontons les oppositions, les accidents de la vie, les difficultés matérielles ou professionnelles…
Le doute, le découragement, l’abandon nous paraissent coupables et indignes d’un chrétien.
Mais la vie n’est pas linéaire, et il serait extrêmement dangereux de faire de ces moments le modèle perpétuel. Jésus va expérimenter autre chose.
B / Le temps des interrogations et de l’incertitude.
Marc 14 :32 à 40 :
« 32 ¶ Ils allèrent ensuite dans un lieu nommé Gethsémané, et Jésus dit à ses disciples: Asseyez-vous ici pendant que je prierai.
33 Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à être saisi d’effroi et d’angoisse.
34 Il leur dit: Mon âme est triste jusqu’à la mort; restez ici et veillez.
35 Puis il s’avança un peu, se jeta contre terre et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui.
36 Il disait: Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.
37 Il revint vers les disciples qu’il trouva endormis, et il dit à Pierre: Simon, tu dors! Tu n’as pas été capable de veiller une heure!
38 Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation; l’esprit est bien disposé, mais la chair est faible.
39 Il s’éloigna de nouveau et pria en répétant les mêmes paroles.
40 Il revint encore et les trouva endormis; car leurs yeux étaient appesantis. Ils ne savaient que lui répondre. »
Le Christ au Mont des Oliviers – Sandro Botticelli (1445-1510)
Ce texte sur Gethsémané est très fort. Je pense à cette belle chanson des frères Chefneux, du début des années 1970 : « Les roses de Gethsémané »
« Les roses de Gethsémané
Ont vu mon Sauveur pleurer
Les roses de Gethsémané
Ont vu ses larmes couler…. »
Jésus, ici, n’est plus dans l’action. Il est dans le retrait, la solitude et la prière (mais pas la même que celle que nous avons mentionné plus haut).
Le verset 33 est terrible :
« Il commença alors à éprouver de la frayeur et des angoisses »
Les 2 verbes grecs sont presque synonymes ; il y là double dose de peur. Ce Jésus qui disait à Jaïrus : « N’aie pas peur », est frappé à son tour par la peur intense : l’angoisse, l’effroi, on n’est pas ici dans la petite crainte…
Peu importe ici la raison. Qu’il ait peur d’accomplir jusqu’au bout son destin n’est pas central dans notre démarche de ce jour. Ce qui nous intéresse et nous rend Jésus si proche de nous, c’est cette angoisse, cette frayeur. Qui peut se vanter de n’avoir jamais connu cela ? Assurément celui-là se ment à lui-même.
Jésus est à un moment crucial de sa vie, au sens étymologique du terme : il peut refuser cette « coupe » qui le ménera à la croix ou il peut la boire. Il en connaît le goût par avance. Sa prière n’est pas un refus, elle est une supplique à son Père pour qu’il change de projet et l’éloigne de son destin. ( lire le superbe livre de N. Kazantzaki, « La dernière tentation du Christ » qui est la plus belle évocation de ces moments que j’aie pu lire dans la littérature profane.).
L’angoisse est, de plus, doublée de la tristesse (verset 34). Et pas n’importe quelle tristesse : « une tristesse jusqu’à la mort », dont la formulation ambigüe ne change rien au fond.
Nous passons, touit le monde passe, dans sa vie humaine eyt spirituelle, par des moments « noirs ». Le nier ou le refuser n’est pas faire preuve d’une foi supérieure, mais se tromper soi-même. De nombreuses choses peuvent nous remplir de terreur : la maladie, le vieillissement, le chômage, la solitude, l’échec familial, sentimental ou professionnel, la peur de la mort…
Ceci est le commun de tous les hommes. Jésus n’y a pas échappé.
Ce qui apporte la note de lumière dans ce passage très sombre de l’Evangile est le verset 36b :
« non pas, moi, ce que je veux, mais, toi, ce que tu veux. »
La frayeur, la terreur, la tristesse sont notre lot à tous, mais notre planche de salut est de revenir à une parole de foi, c’est-à-dire de confiance, donc de soumission à la volonté de Dieu, car elle est le meilleur pour nous. (relisons 1 Jean chapitre 5).
Certes, le contenu de la « coupe » n’est pas changé, mais nous sommes alors aidés pour la boire et accomplir la volonté de Dieu.
Enfin arrive le troisième moment, qui est aussi le plus dramatique.
C / Le sentiment d’abandon, le doute total
Matthieu 27 : 35-38 & 44-50
« 35 Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort, afin que s’accomplisse la parole du prophète: Ils se sont partagés mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique.
36 Puis ils s’assirent, et le gardèrent.
37 On plaça au-dessus de sa tête une inscription indiquant le motif de sa condamnation: Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.
38 Avec lui furent alors crucifiés deux brigands, l’un à droite, l’autre à gauche.
……
44 Les brigands crucifiés avec lui, l’insultaient de la même manière.
45 Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure il y eut des ténèbres sur toute la terre.
46 Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte: Éli, Éli, lama sabachthani? c’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?
47 Quelques-uns de ceux qui étaient là, l’entendirent et disaient: Il appelle Élie.
48 Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge, qu’il remplit de vinaigre, il la fixa à un roseau et lui donna à boire.
49 Mais les autres dirent: Laisse, voyons si Élie viendra le sauver.
50 ¶ Jésus poussa de nouveau un cri d’une voix forte et rendit l’esprit. »
La Crucifixion de Nicola di Antonio d’Ancona (vers 1460)
Les fameuses dernières paroles du Christ, mises en musique avec quelle émotion par Haydn (et d’autres moins célèbres).
Dans ce récit, Jésus ne maîtrise plus rien du tout. Il n’a plus de choix ; il est cloué sur le bois infâme, condamné à une mort physique certaine. Le contenu de la coupe est bu jusqu’à la lie. Et Jésus pousse ce cri déchirant :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », prononcé en araméen car c’était la langue que l’on parlait en Palestine à cette époque.
Ce n’est plus « Père », comme dans le récit précédent de Gethsémané, mais « mon Dieu ». La relation filiale est suspendue. Jésus est un homme qui hurle vers son Dieu, comme des milliers d’hommes ont dû le faire, dans les camps de la mort ou sur les bûchers de l’Inquisition, par exemple.
Là aussi, nous ne voulons pas entrer dans l’herméneutique de ce passage, ce ,n’est pas notre propos. Ce qui résonne en nous est ce sentiment violent et ultime de l’abandon total.
Les cieux sont fermés et plus rien ne répond à notre prière, à notre voix, à notre foi qui paraît sans objet. Jésus en est là, ramené à notre condition humaine sans Dieu. N’ayons donc pas honte de passer ou d’être passé par ces moments-là. Jésus rend le dernier soupir dans ces conditions. C’est apparemment un échec. Les brigands à ses côtés se moquent de lui. Nous savons, là aussi, la suite de l’histoire, dont nous sommes les bénéficiaires. Pierre fait un récit raccourci saisissant dans son sermon de Jérusalem à la Pentecôte : Actes 2 :31 à 33.
Romains 8:18 J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous.
Et ce moment affreux où tout semble vain et vide nous ramène à al foi et au « Crois seulement » conseillé à Jaïrus. La foi c’est aller contre la logique humaine, comme Abraham :
Romains 4 : 18 Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples, selon la parole: Telle sera ta descendance.
13 Il ne faiblit pas dans la foi
Sommes-nous seuls à connaître ces temps de doute absolu ?
D/ 4 exemples de croyants dans l’histoire :
§ Martin Luther, le grand réformateur, a lutté contre la peur de l’enfer et le doute des années durant dans sa cellule de moine, avant de trouver la réponse dans l’Epitre aux Romains, cette cathédrale de la foi (voir Romains 8 :1). Il a fini par vaincre el doute et la peur, mais la lutte fut terrible et longue. Il ne s’est pas découragé et Dieu lui a donné un grand destin.
§ Mère Thérésa, la religieuse albanaise des bidonvilles de Calcutta, a laissé un livre de souvenirs où elle raconte, entre autres choses, ses années de sécheresse spirituelles, de vide, où Dieu n’était plus rien pour elle. Cela a beaucoup surpris les lecteurs catholiques de ce livre, car le saint ne peut douter, selon la légende de l’Eglise. Or, c’est tout le contraire. Le saint (évangélique) est celui qui ne se laisse pas terrasser par le doute et le vide . relisez le Psaume 23 et de nombreux psaumes de David.
§ L’Abbé Pierre a relaté également de tels moments dans ses derniers livres où il a ébranlé la statue du saint que l’on était en train de lui bâtir de son vivant.
Il vaut mieux crier comme Jésus que faire l’autruche et nier ces difficultés.
Marc 9 : 23 Jésus lui dit: Si tu peux… tout est possible à celui qui croit.
24 Aussitôt le père de l’enfant s’écria: Je crois! viens au secours de mon incrédulité!
Pour finir, parlons de Thomas ; le disciple le plus minorisé et ridiculisé (après Judas, bien sûr), surtout dans les milieux évangéliques où il fait souvent office de repoussoir et de contre-exemple. Moi, j’aime bien Thomas, car ce n’est pas Superman, mais il ne se conduit pas moins bien que Pierre et son triple reniement. Et pourtant…
Jean 20 : 24 à 29
24 Thomas, appelé Didyme, l’un des douze, n’était pas avec eux, lorsque Jésus vint.
25 Les autres disciples lui dirent donc: Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit: Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point.
26 ¶ Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, et debout au milieu d’eux, il leur dit: Que la paix soit avec vous!
27 Puis il dit à Thomas: Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté; et ne sois pas incrédule, mais crois!
28 Thomas lui répondit: Mon Seigneur et mon Dieu!
29 Jésus lui dit: Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru!
Relevez le verset 27c
« et ne sois pas incrédule, mais crois ! »
Thomas est le plus ordinaire, celui qui a besoin de signes et de preuves. Cela ne signifie pas qu’il fût un apôtre mineur. La Tradition dit de lui qu’il a ensuite évangélisé les Mèdes, les Perse et jusqu’à l’Inde où serait sa tombe. Soit, entre autres le pays qu’un autre homme du doute, Jonas, avait ramené à al repentance.
Epilogue :
La foi, le doute, l’abandon, l’angoisse, la tristesse, Jésus les a vécus. Prétendons-nous être plus « saints » et « spirituels » que Jésus ?
Il n’y a pas de foi solide dans l’épreuve remportée sur le doute ; il n’y pas de présence et de communion avec Dieu et nos frères dans l’expérience de l’abandon ; il n’y pas de vraie soumission sans interrogation, voire sans révolte.
Relisons ou lisons le très beau livre de Jacques Ellul : « La foi au prix du doute ».
Vivre la foi chrétienne est tout sauf une petite vie peinarde et sans à-coups .
Dimanche 13 mai 2012
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