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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Il ne faut pas jouer avec certains poisons…

 

« Le hareng de Bismark (le poison allemand) » – Jean-Luc Mélenchon

Plon –210 pages – 2015

 

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C’est un fait entendu : Jean-Luc Mélenchon, « Méluche » pour le Canard Enchaîné, est un personnage. Il le sait et en joue fort bien. Vrai  tribun de gauche, il a suscité l’enthousiasme aux élections présidentielles. Son discours de La Bastille en 2012 reste une référence. Mais de quoi ?

D’un deuxième gauche, dit-on, de la gauche de la gauche… Ces formules sont en elles-mêmes révélatrices de la dérive politique française. Ce que dit et écrit Méluche – pas dans ce livre-ci – est à peu près ce qu’il y avait dans le programme commun de la Gauche de Mitterand-Marchais- Fabre dans les années 1970 ! Et cela suffit à en faire un extrémiste de gauche ! Tout est dit de la droitisation générale de l’opinion publique et des parties dans notre pays.

On reproche à Mélenchon d’être « populiste ». La belle affaire quand on lit la définition : « Courant politique qui se proclame le défenseur du peuple contre les puissances d’argent et les étrangers » (Dictionnaire encyclopédique universel Hachette précis). La gauche entière se doit donc d’être populiste si elle ne veut pas se trahir. « Populaire » a meilleure presse, va savoir pourquoi ! Ce n’est donc pas sur ce terrain que j’attaquerai Mélenchon. Certes il y toujours un hiatus à voir un bourgeois éduqué défendre le peuple, mais pourquoi cela ne se pourrait-il. Jaurès n’était pas mineur, Lénine non plus ! Mélenchon a par contre un parcours qui pose question : comment de ministre et sénateur socialiste, pur apparatchik de la Rue de Solférino, devient-on un boute-feu du petit peuple laborieux ? Là-dessus, j’ai quelques doutes… Mélenchon a apporté de l’éloquence, des mots cruels mais drôles (« capitaine de pédalo » pour Hollande) dans une classe politique policée à l’extrême et très fade. Avec lui, au moins, on ne s’ennuie guère !

 

Mais peut-on le suivre sur tous les terrains ? Le livre dont il est ici question est un pamphlet, c’est même la première phrase de celui-ci : « Ceci est un pamphlet ». On sait ce qu’est ce genre littéraire, très codifié par l’usage. Le pamphlet ne fait pas dans la dentelle, c’est même tout son charme. On se laisse séduire par un  ton agressif, moqueur, des formules à l’emporte-pièce, peu d’idées ressassées à l’extrême. Le pamphlet est généralement court car les auteurs ont vite épuisé le sujet et les rares idées qui s’y prêtent. A la lecture de ce livre, je ne suis pas certain qu’il soit toujours un pamphlet ; il s’y hisse dans quelques pages, mais le reste du temps c’est une diatribe politique violente classique.

 

Le sujet est soi-disant iconoclaste : il s’agit de dire la vérité sur ce qu’est l’Allemagne, ses dirigeants, ses entreprises et ses habitants aujourd’hui, en 2015, au-delà du politiquement correct. Très bien. Mais n’est pas Pierre Daninos qui veut, qui avec ses « Carnets du Major Thompson » avait réussi un beau coup. De l’humour et seulement de l’humour. Chez Méluche, l’humour disparaît très vite pour laisser la place au ressentiment et à la haine. Ce qui ne fait pas rire le lecteur humaniste. En gros, en suivant son raisonnement, les Allemands sont toujours les mêmes qu’en 14 et 39, nos ennemis pleins de morgue. Tout y passe : les grosses bagnoles allemandes, les usines de machines-outils, la pollution au charbon et lignite, l’affreuse rigueur budgétaire, le mépris de la classe politique allemande pour les Français et tous les autres Européens, la diplomatie de l’Euromark, le christianisme allemand….  Ce livre joue sur le registre très dangereux du national-populisme. Mélenchon sait très bien ce qu’il fait, il est trop cultivé pour ignorer l’histoire. Il réactive le discours anti-boche de 1900 en le mettant à l’heure européenne : vieille tambouille dans casserole neuve. Ce jeu est extrêmement dangereux, car il souffle sur les braises d’un  nationalisme de gauche qui ressemble comme un jumeau à celui de droite. D’ailleurs ce livre aurait pu être écrit par un intellectuel du FN sans changer une ligne ! Quand on est une personne publique charismatique s’impose à vous une décence et une prudence supérieures. Non pour censurer ou auto-censurer le propos, je suis contre toutes les censures, mais pour mesurer la portée de ses mots et de ses arguments. Ce livre est indigne du tribun de La Bastille. C’est le livre d’un leader politique qui se rend compte qu’il perd son audience et qui n’hésite pas à faire de la surenchère. Si Méluche veut combattre l’Europe du capital et des firmes transnationales, qu’il le fasse avec d’autres outils que la haine et la jalousie. Qu’il se batte sur le terrain de l’humanisme et du dévoiement des objectifs initiaux, sur le moins-disant social, sur la fracture nord-sud dans l’UE… Les thèmes ne manquent pas. Mais pas sur ce choix haineux qui pousse les lecteurs populaires vers les eaux miasmiques qui ont fait le malheur de l’Europe jadis .

 

Oui, je le redis, ce livre est dangereux, et en plus il n’est pas bon. On ne retient aucune formule drôle et percutante. La réthorique ressemble à du Maurras de mauvaise qualité. Les propositions sont réduites à la portion congrue, à part le fait qu’il faut une sixième république : le droit constitutionnel n’a jamais fait un projet de société. Mélenchon est en panne d’idées car il fonctionne sur les vieilles recettes éculées du parlementarisme des combines repeintes aux couleurs du jour. Quand on n’a pas d’idées, il y a intérêt à ressortir les vieilles pièces du répertoire : le couplet anti-allemand a bien fonctionné des décennies durant. Pourquoi pas le rajeunir ? Si les choses ne vont pas bien en France, ce n’est pas principalement la faute à Merkel et à la CDU, mais à nous, Français, à notre classe politique ringarde (Mélenchon inclus), à notre société sans projet autre que la consommation, au refus d’admettre les évidences économiques sur le non-retour de la croissance et sur la nécessité d’inventer une autre forme sociale. C’est la base qui est en train de faire ce travail, dans la douleur, mais sûrement. Et nous n’avons nul  besoin de pompiers-pyromanes comme Mélenchon et d’allume-feu comme ce triste « hareng ». Ne l’achetez-pas, ne le lisez pas, lisez plutôt André Gorz, Jacques Ellul, Ivan Illich ou Cornélius Castoriadis ; ils sont le parti de l’intelligence, pas de la haine et de la quête du pouvoir. C’est de cela que nous avons besoin !

 

 

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L’islam de France est possible – critique du livre de Tareq Oubrou

 

Ce que vous ne savez pas sur l’islam

Répondre aux préjugés des musulmans et des non-musulmans

 

Tareq Oubrou                                  Fayard  2016 – 232 pages

 

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Tareq Oubrou est le recteur de la mosquée de Bordeaux. En quelques années il est devenu un des responsables musulmans les plus connus et les plus médiatisés. Il est un libéral dans l’islam et un de ceux qui veulent construire un « islam de France ». Les événements tragiques de ces derniers mois ont rendu le problème de la place de l’islam et des musulmans en France très sensible. Ce livre est incontestablement inscrit dans le climat actuel et veut désamorcer les tensions nées de ce terrorisme conduit au nom d’Allah. Les mauvaises langues diront qu’Oubrou dit ce que nous avons envie d’entendre à propos de la République et de la laïcité. Je ne fais pas partie des gens qui sont sur cette ligne. Je fais crédit aux musulmans de France qui veulent vivre ici dans la paix et la fraternité, de la même façon que je le fais aux juifs, aux catholiques, aux bouddhistes et à tous les autres. Le procès d’intention en la matière est déjà un racisme déguisé. Voici ce qu’écrit l’auteur dans sa préface :

 

«  C’est pourquoi mon objectif ici n’est pas de dissiper les idées reçues sur l’islam, mais, plus modestement, d’apporter des informations et des clés de lecture pour infléchir autant que faire se peut uen perception négative de la religion musulmane, en particulier balayer l’idée qu’elle serait par essence incompatible avec la modernité, la démocratie, la sécularisation, la paix , la justice, l’égalité des hommes et des femmes, et les valeurs de la République.

Ce livre est donc à l’image de son auteur et de cet islam de France où l’essentiel est façonné par l’existentiel, fruit de son époque et de son contexte. » page 11-12

 

Il est évident que les musulmans libéraux ne sont pas forcément majoritaires dans les quartiers sensibles et qu’ils sont détestés de leurs coreligionnaires qui les voient comme des traîtres à l’islam . Ce livre est donc un objet intéressant, d’autant plus que son sous-titre précise bien qu’il vise autant les musulmans que les non-musulmans. L’ayant lu attentivement, avec mon double regard d’historien et de théologien, je le pense très utile et nécessaire aux deux publics.

 

Cet ouvrage est organisé selon une logique thématique. Il ne s’agit nullement d’un ouvrage historique sur l’islam ; Si vous y cherchez tout sur la vie du prophète, les courants de l’islam et l’histoire de cette religion, vous serez déçus. Certes il y a de tout cela dedans, mais dispersé au gré des thèmes étudiés. On peut d’ailleurs faire une lecture partielle ou discontinue de cet ouvrage selon ses centres d’intérêt. Il y a en effet des chapitres plutôt « théologiques », à côté d’autres  plus sociétaux et d’autres encore abordant l’angle culturel ou politique. Au final l’ouvrage balaie un champ assez large et branché sur l’actualité.

 

Les aspects proprement religieux portent sur quelques-uns des points majeurs de l’islam et de l’incompréhension ou ignorance des Français. Ainsi commence-t-il par trois chapitres consacrés à Allah, Le Coran et Mahomet. Ces trois chapitres posent des bases de connaissance sur les fondements de l’islam. Qui est vraiment Ismaël, le père des Arabes ? D’où vient le nom Allah ? Comment est né le Coran et qu’est-ce qui est sacré ? Qui est le prophète ? Quel est l’importance de ses paroles (Hadiths) dans la religion ? A toutes ces questions le livre apporte des réponses claires.

 

Le débat est fortement focalisé, en France en ce moment, sur la capacité de l’islam à s’intégrer au jeu républicain et laïc. Certains Français se sentent menacés par une pression sociale pour des menus hallal dans les cantines scolaires ou par le port du voile intégral, et d’autres aspects visibles de la foi musulmane. Tareq Oubrou affronte ces questions dans des chapitres précis. La Charia est ainsi abordée et présentée dans son sens théologique et non réduite à un sens normatif absolu comme les islamistes la veulent. Il alimente le débat sur l’abattage rituel et l’étourdissement des animaux, en retournant la question de la douleur animale quelle que soit la méthode choisie (ce qui est vrai, sauf à employer des substances létales fortes). L’épineuse question de l’égalité homme-femme est également traitée. Si certains arguments m’ont convaincu dans ce chapitre, j’ai senti l’auteur assez gêné par les textes du Coran appelant à corriger son épouse. Sans doute touche-t-on là une des limites de la discussion du Coran, mais elle n’est pas acceptable en droit français.

 

Sur le jeu républicain et la laïcité, le choix d’Oubrou est net : l’islam français n’a rien à craindre et tout à gagner avec la laïcité. L’interprétation contextuelle des textes du Coran permet de mettre hors-jeu la notion même de Califat dont les extrémistes les plus violents se réclament. Il condamne au passage très sévèrement le régime iranien et ses bases théologiques. Mais le chapitre sur la politique permet au lecteur non-musulman de comprendre que le débat théocratique est loin d’être tranché et que la position que défend Oubrou ne fait pas du tout consensus si on parle de l’ensemble des croyants. La laïcité, la démocratie, le droit de vote pour tous, la liberté de conscience sont en débat et, là, l’ouvrage s’adresse plus aux musulmans de France qu’aux autres Français. Il faut que les libéraux comme Oubrou se fassent entendre et comprendre par leur coreligionnaires en France et ils doivent pour cela d’abord apporter les connaissances à une grande majorité de musulmans qui ne les ont pas. Ce qui renvoie aux pays d’origine et à leur conception religieuse et politique. Vivre en France suppose adopter les symboles et les mœurs politiques de ce pays. Tareq Oubrou le répète tout au long de son livre. N’est-ce pas un peu aussi de la méthode Coué ? Les forces de conservatisme sont puissantes et les erreurs politiques française depuis trente ans dans le traitement de l’épineuse question de l’intégration des minorités ont créé des lieux  propices à la propagation des discours obscurantistes et haineux. Il faut donc plus que la bonne volonté des imams ouverts, il faut une action et un discours à la fois ferme et porteurs d’espoir. Les départs en Syrie ne sont que l’acte final d’une déshérence ignorée et même parfois justifiée. Tous les aspects politiques que ce livre aborde, il faut les soutenir par une politique à la fois ferme et juste. Il faut reconnaître que nos dirigeants politiques ne savent pas le faire et qu’il y a urgence à corriger le tir et à inventer une nouvelle approche.

 

Les deux derniers chapitres du livre peuvent paraître assez bizarrement juxtaposés. L’un traite  de « Islam, science et évolutionnisme » et l’autre du soufisme. D’un côté le débat sur l’opposition entre un discours créationniste (qui habite toutes les religions monothéistes) et le discours scientifique dominant, darwinien ou Lamarckien. Malgré une ouverture réelle, la position d’Oubrou est plutôt ambiguë sur ce thème, comme l’est d’ailleurs le plus souvent celle des religieux chrétiens en France. Cela tient, je crois à une confusion entre deux registres qui n’ont pas à se mêler ou à chercher à se concilier. La science relève de l’immanence et de la recherche et analyse de preuves, elle tâtonne, émet des hypothèse, valide et annule. Elle n’est pas une vérité mais une quête incessante. Le vrai savant est modeste et prudent. Les épigones sans talent et limités sont beaucoup plus tranchants et prennent les vessies pour des lanternes, ce qui est très dangereux quand ils sont enseignants ou journalistes. En face de la science, le domaine de la foi, qui est pure transcendance dans son essence première. Si Dieu est, il est créateur du monde. Ce que la science moderne ne peut en aucun cas poser comme préalable. Il y a donc incompatibilité initiale. Acceptons ce fait et regardons avec attention ce que la science nous dit. Ceci ne changera en rien la croyance du fidèle, qui relève d’une révélation personnelle ou d’une adhésion collective. Enfin, sur le soufisme, j’avoue ne pas avoir bien compris si l’auteur avait lui-même une position à ce sujet ou s’il énonçait simplement des connaissances.

 

Au final, ce livre me paraît tout à fait utile et venir au bon moment. Il serait vraiment positif qu’il connaisse une grande diffusion dans les milieux musulmans populaires en France. Tout comme, je le recommande vivement aux  non-musulmans, particulièrement aux chrétiens, pour mieux connaître l’islam. Il ne lève pas toutes les ambiguïtés mais peut susciter le dialogue. Quand les hommes se parlent, ils ne se battent plus. Nous avons besoin de nous parler.

Jean-Michel Dauriac – 20 mars 2016

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Les religions du livre et la société française actuelle

Au printemps 2016, j’ai organisé ce cycle de conférences-débats à Pessac (Gironde) pour apporter ma contribution à la compréhension réciproque des citoyens et combattre cette idée qui veut que les religions soient des facteurs de guerre et de violence. Ci-dessous, le programme de ces rencontre et les enregistrements des conférences.

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les conférences-débats enregistrées:

– rencontre du 11 février 2013: le christianisme 

– rencontre du 3 mars 2016: le judaïsme

– rencontre du 17 mars: conference-islam-par-mahmoud-doua-pessac-17-mars-2016-revu.mp3

– questions de la rencontre du 17 mars 2016: questions-islam-par-mahmoud-doua-pessac-17-mars-2016.mp3

– table ronde du 31 mars 2016: lien de téléchargement: https://mon-partage.fr/f/8gLPbPwM/

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