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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

La mort de Jean-Pierre Pernaut : le symbole d’une rupture culturelle

Le 2 mars, le journaliste Jean-Pierre Pernaut est mort, à 71 ans d’un cancer du poumon, dont il avait fait l’annonce il y a quelques mois à son public du 13 heures, depuis sa retraite picarde. C’est, professionnellement parlant, la mort d’un géant de la télévision, qui va rejoindre les Léon Zitrone , Pierre Sabbagh ou Pierre Desgraupes. Les hommages nombreux et riches qui lui ont été rendus attestent de ce professionnalisme reconnu : ne jamais oublier qu’avant d’être le présentateur de Journal Télévisé (JT dans le langage actuel) à la plus grande longévité, il fut un journaliste exigeant et professionnel jusqu’au bout des ongles. L’image du présentateur franchouillard a caché celle du professionnel. Un grand homme de télévision nous a quittés.

Mais mon propos n’est pas d’ajouter un hommage anonyme de plus au concert de louanges funéraires, mais d’analyser ce qui vient de se passer. La profession unanime, comme la classe politique, pleure ce grand professionnel. C’est ici le premier point que je veux évoquer : c’est le grand bal des faux-culs. Ceux qui ont de la mémoire et qui s’intéressent à la chose publique se souviendront sans nul doute du mépris des intellectuels pour son JT. Il n’y avait pas assez de formules assassines pour le discréditer et se moquer de lui. Pernaut, c’était le type qui présentait  les jours une France qui n’existe plus, un pays de ploucs (« ceux qui roulent au Diesel et fument des clopes » dira l’inénarrable Bernard Griveaux, météore de la planète macronienne et parfait symbole d’une France sans racines), le gars qui va sur les marchés, sur les plages et dans les foires au cochon – on a un peu dit la même chose de Jacques Chirac ! -, le défenseur de l’artisan et du passéisme… Bref, c’était un « ringard » qui plaisait à des ringards et exploitait son filon. Pour plaire au peuple, il lui plaisait : revoyez les réactions à sa mort enregistrées un peu partout sur les marchés de France. Quel journaliste peut se vanter d’avoir une telle popularité ? On n’est pas chez le public de l’immonde Hanouna. Mais justement, c’est cette popularité qui déplaisait tant aux intellectuels et plumitifs de la bien-pensance parisianno-gauchiste, ceux qui détiennent la vérité et le droit de censurer à ce titre. Intellectuel de métier, j’ai subi ce mépris des gens de ce milieu, lorsqu’ils savaient que je regardais aussi souvent que possible son journal et que je l’appréciais en tant qu’homme et journaliste. Combien de petits sourires et de réflexions médiocres ai-je entendues ! Et puis, un jour, Michel Houellebecq, l’écrivain à scandale qui plaît tant à ceux qu’il ridiculise, a dit, dans un de ses romans, tout le bien qu’il pensait de Pernaut – ce devait être dans La carte et le territoire, si je me souviens bien. Et j’ai alors vu ces intellectuels tourner casques, pour certains, et venir me parler de Pernaut en répétant les formules de l’écrivain. Minables petits êtres sans colonne vertébrale ! Et avec le temps, sa popularité est devenue un atout : c’est à lui que Macron a confié le soin de l’interviewer dans une école normande en pleine crise des Gilets Jaunes car, s’il y en avait un qui comprenait ce qui se passait, c’était bien lui ! Et Pernaut est devenu « tendance », après avoir essuyé les ricanements de   volaille sans cervelle et sans cœur. J’espère qu’il a savouré  tous ces gens qui allèrent ensuite à Canossa, dans son journal ! Mais, cessons-là, je crois en avoir assez dit sur ce sujet ceux mis en cause se reconnaîtront, s’ils sont honnêtes.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est pernaut-sos-villages.jpg.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est celui de la rupture symbolique que représente sa mort, survenue juste un peu plus d’un an après son départ du JT, en décembre 2020. La crise des Gilets Jaunes et les manifestations anti-passe et anti-vaccins signalent une méfiance et un éloignement grandissant d’une partie du peuple, surtout rurale et périurbaine, envers les dirigeants et les structures du pouvoir. Ce malaise est analysé par des batteries de sociologues et de politologues qui n’y comprennent rien, tant ils vivent dans un entre-soi intellectuel et matériel purement urbain et même hyperurbain. La candidature ridicule d’Anne Hidalgo illustre fort bien ce décalage infranchissable. Or, Jean-Pierre Pernaut était un de ceux, rares, qui connaissaient la réalité de cette France des oubliés et des invisibles, d’abord, parce qu’il les aimait et, ensuite, parce qu’il allait vers eux et parlait d’eux. La France qu’il promouvait n’était pas morte, comme le disaient ses détracteurs aveugles, mais c’était au contraire celle qui ne veut pas mourir. Et toutes les initiatives que le JT de 13h mettait en lumière en sont la preuve concrète. De même que toutes les opérations qu’il montait étaient faites pour aider la France des « sans-dents ». Était-ce un combat perdu d’avance ? Peut-être, un peu comme la résistance des soldats et civils ukrainiens contre le rouleau compresseur russe. Mais faut-il pour cette raison ne pas se battre du tout ? Pernaut avait compris que des millions de Français ne rêvaient nullement de vie urbaine, de shopping, d’événements culturels haut de gamme ou de musées extraordinaires, mais voulaient simplement vivre où ils l’avaient décidé et y vivre décemment. C’est ce que tous les gouvernements depuis Nicolas Sarkozy  s’évertuent d’empêcher, au nom d’une logique comptable et d’un logiciel libéral.  Car cette prétention des simples est incompréhensible aux bobos nomades hyperconnectés. La mort de JPP est le symbole de ce combat difficile que des millions de gens continuent de mener, pour avoir simplement une perception, une école, des commerces ou une gendarmerie, sans parler d’un médecin et d’un hôpital proche. Pourtant la « pandémie » de Covid19 a mis en évidence de manière très cruelle les méfaits de la mondialisation et de la dépendance qu’elle a organisée. Mais tout laisse à penser que l’on reprendra très vite « business as usual » (« le boulot comme avant ») comme disent les anglophones. Et qui portera désormais la voix des sans-voix ? C’est bien la fin d’une époque, celle où on croyait la résistance et le retour à la raison possibles.

Le troisième point, sur lequel je voudrais conclure ce petit article est la réalité de la fragilité. Fragilité humaine d’abord : il y a quelques mois, quand Jean-Pierre a annoncé à ses téléspectateurs sa maladie il était en forme et décidé à se battre. En quelques semaines, le voici retranché du monde des vivants. Que nul ne s’y trompe, c’est l’illustration de notre propre fragilité et fugacité : aujourd’hui ici et vivant, demain, ce soir peut-être, disparu. La Bible ajoute en parlant du destin humain, comparé à de l’herbe : « … et le lieu où elle était ne se souvient pas d’elle ». Savoir et intégrer cette idée de notre finitude possible à tout instant devrait nous rendre humbles et sages. Or nous assistons à tout le contraire : les hommes importants (pour qui ?) se comportent comme s’il devaient vivre toujours, se rendant aveugles à leur propre nature. Voyez Vladimir Poutine, qui a assuré son pouvoir jusqu’en 2036 ! Malheureux, qui peut mourir demain et engage son pays dans une voie sans issue et sème le malheur pour des considérations sans valeur.

Mais aussi fragilité sociétale. Le monde stable (ou que nous voyions ainsi) bascule en peu d’années dans un chaos que nos grands esprits croient maîtriser parce qu’ils en parlent. Notre société vacille, c’est un fait que nul ne peut nier  ce jour. Ce qui faisait la vie belle et bonne en France se délite, d’abord imperceptiblement, puis s’effondre d’un seul coup. L’abstention électorale n’a cessé d’augmenter, mais elle n’était que le symptôme d’une maladie beaucoup plus grave : l’agonie de la démocratie parlementaire. Ce modèle est à bout, car il était adapté à un type de société et d’économie que les capitalistes de haut vol et les élus irresponsables ont sapé inlassablement. Destruction du tissu productif et du tissu social vont de pair. Et les idiots utiles de la pensée unique, surtout de gauche d’ailleurs, ont oeuvré avec zèle à cette double destruction. Je ne vais pas développer ici la démonstration de ce massacre organisé, mais j’y reviendrai dans des articles à venir. Une civilisation, une culture, un pays, une langue sont des objets fragiles et qui devraient évoluer dans le temps long. En posant l’immédiateté et l’instantanéité comme principes de nos vies connectées, nous allons à l’encontre de ce temps civilisationnel. Elle est bien loin la « politique de civilisation » que le vieillissant Edgar Morin croyait possible à mettre en place. Ce qui est à l’oeuvre actuellement est plutôt une « politique de décivilisation », devant laquelle nos vieux pays, pourtant si résilients, s’avèrent bien fragiles. Car ce qui fait la résistance, c’est l’adhésion commune, le cœur qui bat pour un même but. L’enfant du capitalisme ultralibéral est l’individualisme exacerbé que l’on nommait jadis égoïsme. On ne fait pas civilisation avec des monades égoïstes.

Des millions de Français modestes et simples ont, ces jours-ci, du chagrin, car ils ont perdu comme une sorte de membre de la famille, comme un ami lointain, mais fidèle. J’ai ce sentiment aussi. Mais au-delà de ce deuil marquant, nous enterrons sans doute encore un peu plus notre France périphérique et nos Français « moyens ». Constat peu réjouissant, mais lucide. Pourtant, il faut continuer de se battre pour nos campagnes, pour notre agriculture, nos commerces et services, nos écoles rurales, nos petits hôpitaux, nos petits tribunaux, notre langue et nos arts populaires, nous le devons bien à la mémoire de Jean-Pierre Pernaut.

Jean-Michel Dauriac – 5 mars 2022

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L’article de la déraison: à propos du pronom personnel « iel »

L’actualité récente nous a offert un bel exemple de dérèglement intellectuel public. les faits:

L’édition électronique du dictionnaire Le Robert a ajouté à son vocabulaire un nouveau pronom : « iel ». Voici, directement copié du site du Robert Dictionnaire en ligne la définition:

iel , iels, pronom personnel

RARE Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L’usage du pronom iel dans la communication inclusive. – REM. ON ÉCRIT AUSSI ielle??? ielles??? .

A la suite de la divulgation de cet ajout un très vif débat a eu lieu dans les médias entre les tenants de cette addition et ses adversaires. J’ai pris connaissance des arguments des uns et des autres, avant de livrer mon avis personnel.

A la défense de cet ajout, on trouve tous les arguments des tenants des études de genre et de l’extension indéfinie de l’acronyme LGBT+. Il leur apparaît évident et nécessaire de créer ce mot car la situation de l’humanité a définitivement changé depuis deux ou trois décennies et les travaux (américains surtout) dits Gender studies, lesquels ne faisaient que suivre les cultural studies et précéder les colonial studies, en attendant la suite. Le sexe étant une construction culturelle et personnelle, il faut renoncer à la vieille binarité castratrice masculin/féminin et admettre le choix ou le changement d’identité sexuelle par l’individu, lequel doit disposer du droit de l’imposer publiquement. En conséquence de quoi la langue doit suivre et adopter un pronom indéterminé. Ce sera donc, en France, » iel« . Le Robert a donc fait le choix de l’inclure dans sa dernière édition numérique.

Contre ce choix se sont élevées presque toutes les voix lexicographiques, y compris celle de l’Académie Française. Restons sur ce terrain. Un dictionnaire est un ouvrage technique, un outil de langue à disposition des locuteurs et auteurs. On sait la profusion des dictionnaires au XVII et XVIIIe siècles, afin de donner à la langue française sa noblesse. le XIXe ne sera pas en reste, notamment avec Hachette, Littré et Larousse. Le Robert est la grande création du XXe siècle. A côté de ces initiatives privées, il y deux références institutionnelles: depuis trois siècles, le Dictionnaire de l’Académie est régulièrement actualisé – c’est le grand oeuvre des Immortels – ; la seconde référence est née de la naissance de l’Internet, c’est le site du CNRS consacré à la langue française, Le CNRTL. Si vous tapez « iel » dans leurs barres de recherches, vous aurez droit à un avis d’échec: ce terme n’existe pas dans leurs dictionnaire. Les divers opposants à cette initiative ont tous le même argument : un dictionnaire qui se respecte est là pour valider l’usage d’un mot que les Français utilisent depuis quelques temps. Ce n’est évidemment pas du tout le cas de « iel » dont 99,99999999999999999 % des Français ignorent l’existence et le sens. Ce mot est un fantasme de micro-cénacles, surtout universitaires et associatifs spécialisés dans la défense des identités sexuelles nouvelles. Il n’a rien à faire dans un dictionnaire français, même si Le Robert a cru prendre une précaution suffisante en mettant « rare » avant la définition (c’est « rarissime » qui aurait dû être inscrit!). C’est purement et simplement une imposture!

De quoi « iel » est-il le symptôme? De la maladie dégénérative que l’on nomme « mouvement woke » d’après l’appellation états-unienne (le mot signifie « éveillé », ce qui montre bien que seuls ceux qui ont compris cela sont sains d’après les critères du mouvement). Ce cancer a franchi l’Atlantique et commence à métastaser en Europe et, singulièrement en France dans les département de lettres, philosophie, sociologie ou sciences de l’éducation de nos université, espaces connus pour leur forte production d’inanités sous couvert de modernité. Le propre de ce mouvement est de faire de l’entrisme dans les lieux stratégiques de la pensée et d’y tisser sa toile : il suffit de regarder les nominations et les thèmes des chaires de nos facs pour prendre la mesure du danger. La stratégie est toujours la même: prendre le contrôle de la formation universitaire et orienter les travaux de recherches des étudiants (masters et thèses) exclusivement sur ces voies et donc produire de futurs enseignants acquis à ces idées, lesquels les diffuseront ensuite chez les élèves et dans la population. On a connu exactement le même système métastatique avec le marxisme (entre 1945 et 1975) ou le structuralisme (entre 1960 et 1980 surtout), avec des dégâts considérables, notamment l’impossibilité du débat et des études contradictoires. L’Université française commençait à peine de se remettre de 50 ans de dictature de la pensée quand les études de genre et décoloniales ont commencé à arriver. Est-ce une fatalité intellectuelle de l’université? Peut-être, car elle est peuplée de gens qui ont absolument besoin de publier des articles et de se faire remarquer d’une part et, d’autre part de personnes moutonnières qui croient penser originalement en adoptant la dernière pensée à la mode. « Iel« , ce petit mot stupide est de fait le symptôme d’un mal bien plus profond et dangereux que la seule lexicographie. Il faut lutter pied à pied contre toutes ces dérives totalitaires, non pour les interdire, mais pour les empêcher d’interdire les voix contestataires de leur idéologie de la vacuité.

Vous pouvez protester en adressant des mails au site du Robert, en leur donnant votre avis sur l’usage et la pratique de « iel » ; vous pouvez surtout être vigilant à ces dérives et ne jamais les cautionner, même si elles sont présentées (faussement) comme des mesures de dignité et d’égalité. Les lois françaises comportent tout ce qu’il faut pour lutter contre les discriminations, il suffit de les appliquer. Pas besoin de transformer un dictionnaire grand public en bannière militante. Le Robert s’est fourvoyé et a commis un acte condamnable, une forfaiture à sa mission. On peut aussi le boycotter pour cela.

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Un grand livre méconnu : L’homme et sa maison, de Pierre Deffontaines.

Les bibliothèques sont pleines de grands livres méconnus, alors que l’on nous vante souvent des médiocrités actuelles. Il est donc important de faire connaître ceux de ces livres que nous pouvons découvrir. Dans cette perspective, l’âge dudit-ouvrage n’a pas d’importance : un grand livre est toujours grand, quelle que soit sa date de parution. Celui dont je vais vous parler aujourd’hui a été publié en 1972, il a donc un demi-siècle d’existence. Une opportune réédition de 2021 permet de se le procurer dans un belle édition.

Pierre Deffontaines, L’homme et sa maison, Marseille, Editions Parenthèses, 2021 ; 300 pages et 67 illustration dessinées par l’auteur.

Réédition de 2021
Ancienne édition

Il faut dire un mot de l’auteur de ce livre, Pierre Deffontaines. C’est un des grands géographes français du XXe siècle. Je donne ci-dessous une courte biographie emprunté à un site de référence. Il faut noter que le livre présenté comprend une belle introduction biographique et bibliographique illustrée (pages 5 à 38)

Pierre Deffontaines en 1942

Une biographie empruntée à un site de géographes:

Pierre Deffontaines (1894-1978) est certainement, comme on peut le lire dans les notices biographiques qui lui sont consacrées, le géographe français le plus connu de sa génération dans le monde. Son parcours universitaire ainsi que sa carrière sont originaux.

Il n’arrive pas à la géographie directement ni par l’histoire, mais a fait une licence de Droit, puis s’est intéressé à la préhistoire. Il a découvert la géographie à travers la lecture de Jean Brunhes (1869-1930) qui restera son maître et père adoptif comme il l’écrit par la suite. A partir de sa rencontre avec Jean Brunhes en 1918, il décide de s’orienter principalement vers la géographie. Il suit alors ses cours au Collège de France ainsi que ceux de Lucien Gallois, d’Albert Demangeon, d’Emmanuel de Martonne à la Sorbonne. Il passe une licence d’histoire et géographie et un DES (actuelle maîtrise), sous la direction de Demangeon, puis son agrégation d’histoire-géographie en 1922. Il obtient alors pour trois ans la bourse Thiers sur l’intervention de Jean Brunhes (1922-1925). Il réalise sa thèse sous la direction d’A. Demangeon (Les hommes et leurs travaux dans les pays de la Moyenne Garonne, Agenais et Bas-Quercy, Lille, 1932) et la soutiendra en 1932.

Mais il n’abandonne pas pour autant sa passion pour la préhistoire : il étudie aussi à l’Institut de Paléontologie humaine et obtient un diplôme de l’école du Louvre mention spéciale préhistoire en 1920. Son DES de géographie porte sur la géographie préhistorique (Essai de géographie préhistorique du Limousin et de son pourtour sédimentaire). Il se constitue un réseau important parmi les préhistoriens et anthropologues. Il se lie avec A. Leroi-Gourhan et fonde avec lui, quelques années plus tard, en 1948, l’éphémère Revue de géographie et d’ethnographie. Ses travaux resteront ainsi marqués par l’anthropologie.

Certains de ses textes, comme ses actions, sont inspirés par le catholicisme social. Pendant son séjour à la fondation Thiers de 1922 à 1925, il rencontre Robert Garric, initiateur d’un mouvement de culture pour tous, les « Equipes sociales », et s’implique fortement dans ce mouvement. C’était un idéaliste qui croyait en l’homme et au progrès humain.

« La géographie humaine marque un accroissement de la main mise des hommes sur la terre, un élargissement de la puissance ceux-ci. « 

écrit-il en 1948.

Faisant partie de cette génération d’universitaires qui, après 1920, éprouve quelques difficultés à obtenir des chaires de géographie à l’Université, il accepte de fonder et de tenir la chaire géographie aux Facultés catholiques de Lille (1924-1938). De là il effectuera un grand nombre de missions à l’étranger en particulier dans les deux Amériques : Brésil, Argentine, Uruguay et Québec.

Juste avant la Seconde Guerre mondiale, en 1939, et après la guerre civile espagnole, on lui demande d’aller réinstaller l’Institut français de Barcelone.

« C’était une mission difficile, au milieu d’un pays ruiné et affamé et avec le handicap que la France n’avait pas joué la carte franquiste et était très mal vue »

note-t-il dans son autobiographie. Mais une mission difficile dont il s’est certainement bien acquitté car il restera un quart de siècle à la tête de l’Institut français de Barcelone.

Il peut être considéré comme un géographe pionnier. Pionnier au niveau de la transmission des savoirs géographiques : par son rôle dans la fondation de chaires de géographie et des outils nécessaires à leur pérennisation. Ses postes et missions ont certes un aspect administratif important, mais il enseigne aussi et a joué un rôle loin d’être négligeable dans la diffusion des méthodes de la géographie française dans les pays étrangers. Pierre Deffontaines est, comme ceux qui l’ont précédé et suivi, pionnier par la découverte de nouveaux terrains pour une géographie française qui, dans l’entre-deux-guerres, restait marquée par la monographie régionale. Enfin, il est pionnier par sa pratique de la pluridisciplinarité et sa collaboration avec les universitaires des autres disciplines. Pierre Deffontaines a joué un grand rôle dans la diffusion de la géographie et dans sa vulgarisation. Il a notamment créé ou contribué à la création de plusieurs revues et a dirigé la collection de géographie humaine chez Gallimard où un grand nombre d’ouvrages sont parus sous le titre « L’homme et… » Il a lui-même rédigé plusieurs volumes dans cette collection : L’homme et la forêt, L’homme et la religion, L’homme et la maison.

Pierre Deffontaine dessinant dans la nature

Enfin, Pierre Deffontaines est connu pour ses nombreux dessins de paysages.

Auteur : Claire Delfosse

Maître de conférences Université de Lille I (LGH) et membre d’EHGO (UMR 8504), France claire.delfosse@parisgeo.cnrs.fr

L’article dont j’ai extrait la biographie donne également la liste de toutes ses publications, liste très impressionnantes, qui comporte des centaines de références.

P. Deffontaines est connu comme un des grands apôtres de la géographie humaine, à laquelle il a consacré sa carrière, pour l’essentiel. L’homme et sa maison est un grand livre de géographie et en même temps (et là, ça marche !) un grand traité humaniste. Il a été de bon ton dans les années 1960-1970 de railler la géographie ancienne, « vidalienne » (liée à Paul Vidal de La Blache), en lui opposant une « Nouvelle Géographie » importée en grande partie des Etats-Unis. Rappelons-nous et rappelons surtout aux plus jeunes que ces années furent celles où tout fut qualifié de nouveau, pour enterrer les anciennes écoles : nous eûmes ainsi la Nouvelle Vague en cinéma, le Nouveau Roman en littérature, la Nouvelle Eglise après Vatican II, la Nouvelle Société avec Jacques Chaban-Delmas. Toutes nouveautés qui ont fait long feu et s’avèrent parfois, avec le recul du temps, être des pétards mouillés : revoir les grands films de la Nouvelle Vague est une épreuve redoutable, sauf pour les fanatiques. La géographie de Deffontaines faisait explicitement partie de cette géographie classique qui devait disparaître. Durant mes études de géographie, 1978-1983, on ne me parla jamais de cet auteur, que je découvris en faisant de la bibliographie personnelle. Comme après l’épisode quantitatif et statistique de la Nouvelle géographie, vite délaissée, car ennuyeuse à mourir, il y eut le putsch conceptuel de la géographie systémique de l’école de Roger Brunet, qui n’était que du structuralisme appliqué à la géographie, il fallut attendre les années 1990 pour que la raison reprenne le dessus et que l’on redécouvre les travaux antérieurs à 1960 et les deux pères-fondateurs de la géographie française, Elisée Reclus et Paul Vidal de La Blache. Deffontaines profita de ce retour en grâce, mais sans devenir aussi célèbre que certains autres auteurs. Ce que l‘on promut et retint de ce géographe, c’est qu’il dessinait beaucoup au cours de ses voyages et illustrait ses cours et ses livres de ses dessins. On trouvait des planches de croquis et dessins dans certains manuels classiques. Il a œuvré pour produire de nombreux livres et articles de géographie humaines portant sur plusieurs terrains d’observation (Québec, Amérique latine, France…). Il avait la conviction que cette discipline était la mieux armée pour comprendre et décrire les rapports de l’homme à son milieu, au sens large. Il savait, lui, que les géographes avaient laissé leur échapper les études sociales, à la fin du XIXe siècle, ce qui a donné naissance à la sociologie, discipline qui a largement éclipsé la géographie, comme on peut le voir sur les plateaux de télévision ou dans les journaux. Or, la géographie possède tous les outils et le géographe toutes les compétences pour analyser, décrypter et interpréter les faits sociaux dans l’espace, alors que les sociologues brillent par leur ignorance du fait spatial[1]. Le livre dont je vous parle en est la brillante démonstration.

Le sujet de l’ouvrage est fort bien résumé dans son titre. L’ambition de l’ouvrage était de dresser un état des lieux le plus complet possible sur l’habiter et l’habitat des hommes, sous tous les cieux de la terre. Le pari est parfaitement réussi. Le géographe y trouve son compte, car les exemples choisis sont toujours bien repérés et variés, et les critères explicatifs géographiques bien utilisés. La grande originalité de ce livre est d’être entièrement illustré par les dessins de l’auteur, qui a « croqué » des maisons partout dans le monde, avec un réel talent de dessinateur. 67 illustrations sont réparties dans le cours de la lecture et aident beaucoup à la compréhension du texte. En voici deux exemples :

Le plan du livre est conforme à la démarche de l’école vidalienne, il vise à couvrir l’intégralité du sujet. C’est d’ailleurs un des reproches que l’on a fait à ce courant, qui a dominé l’Université durant près de 70 ans : délivrer des études très détaillées portant sur des espaces limités (la fameuse monographie régionale de thèse !), avec une volonté d’exhaustivité. Certes il y eut des excès nombreux où le volume masquait mal le faiblesse du raisonnement intellectuel – c’est le propre des imitateurs sans talent -, mais il nous reste de cette époque des ouvrages qui sont aujourd’hui considérés comme des sources historiques et sociologiques incontournables. Deffontaines offre trois parties – non séparées dans le texte -, correspondants à trois préoccupations s’enchaînant logiquement : Les chapitres I et II traitent des maisons rudimentaires, jusqu’à l’apparition de la  des matériaux de construction spécifiques (brique, bois, pierre, mortier…). Les chapitres III à XII présentent les « dispositifs » mis au point pour résoudre des problèmes précis : Toitures, eau, feu, mobilité, grande famille… C’est sans nul doute cette partie qui peut le plus prêter le flanc à la critique formelle, car l’auteur n’évite pas, malgré son talent, l’effet de catalogue, tant reproché au vidalisme. Le lecteur y trouvera un luxe de faits et remarques qui combleront d’aise les curieux. Les chapitres terminaux, du XIII au XVII, parlent de la vie humaine dans la maison, sous divers aspects : sommeil, repas, défense, travail. Le religieux a droit à un chapitre, ce qui ne fait que révéler l’intérêt de l’auteur pour le domaine spirituel, lui qui fut un catholique pratiquant et en fut d’ailleurs pénalisé dans sa carrière en France (voir la biographie au début du livre, qui ne cache pas ce fait). Au total, c’est donc un panorama complet de l’habiter et de l’habitat humain que nous livre Pierre Deffontaines.

Mais ce livre est aussi, je l’ai dit en ouverture, un grand traité humaniste. Il faut entendre ici ce mot au sens premier celui de la Renaissance : l’homme est mis au centre de l’étude. Par sa grande érudition, l’auteur nous fait découvrir des faits sociaux et spirituels des hommes sur tous les continents et à toutes les époques. Il n’établit aucune hiérarchie entre les cultures, on n’y décèlera jamais « le lourd fardeau de l’homme blanc ». Il présente l’homme dans sa diversité d’être, de paraître, de traiter les vivants et les morts, de croire aux diverses forces occultes, sans jamais railler ou avoir le petit sourire en coin de l’occidental ou, de nos jours, du « woke » (éveillé) appliquant la « culture de l’effacement. Ce livre délivre une magnifique leçon de compréhension – je préfère ce terme à celui de « tolérance » qui contient encore de la condescendance -, à travers un tour du monde des maisons. Car l’habiter, ne nous y trompons pas, est une question philosophique et poétique. De ce point de vue-là, l’ouvrage n’a pas pris une ride, car il s’inscrit dans la tradition encyclopédique des deux sources de la géographie française classique (Reclus et de La Blache) et, au-delà, dans celle de l’esprit de la Renaissance et des Lumières. J’aurai l’occasion de revenir sur ces thèmes dans d’autres articles, notamment en parlant de Géographie humaine, le grand livre posthume de Vidal et L’homme et la Terre, le chef-d’œuvre colossal de Reclus.

Nous avons donc ici affaire à un grand livre, qui résonne un peu comme le testament de son auteur. Bien que daté dans ses choix, et dépassé aujourd’hui sur de nombreux points, il reste passionnant car c’est de l’âme de l’homme qu’il parle à travers sa maison. A lire et relire, à regarder pour les superbes dessins.

Jean-Michel Dauriac – Janvier 2022


[1] Je reviendrai sur ces questions dans des articles particuliers.

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