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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Fils ou bâtards ? (2) L’éducation spirituelle des fils

Méditation de sortie de l’arche n° 23

la version audio de cette méditation est ci-dessous:

Introduction

Lors de la précédente méditation, nous sous sommes intéressés à la relation d’éducation qu’un père doit avoir envers son enfant. Nous avons vu que c’était l’exemple que portait la Bible, déjà dans le Premier Testament. Cette image a été reprise dans le Second Testament, notamment dans l’Epître aux Hébreux. Nous avons choisi le texte du chapitre 12, versets 7 à 11, dont nous avions discuté le choix de traduction, qui influait grandement sur le sens selon que l’on prenait paideia comme « châtiment » ou « acte éducatif », ce qui est le sens exact dans la langue grecque à cette époque. Relisons ces versets pour poursuivre ensuite notre méditation.

« 7  C’est pour votre éducation que vous souffrez. C’est en fils que Dieu vous traite. Quel est, en effet, le fils que son père ne corrige pas ?

8  Si vous êtes privés de la correction, dont tous ont leur part, alors vous êtes des bâtards et non des fils.

9  Nous avons eu nos pères terrestres pour éducateurs, et nous nous en sommes bien trouvés ; n’allons-nous pas, à plus forte raison, nous soumettre au Père des esprits et recevoir de lui la vie ?

10  Eux, en effet, c’était pour un temps, selon leurs impressions, qu’ils nous corrigeaient ; lui, c’est pour notre profit, en vue de nous communiquer sa sainteté.

11  Toute correction, sur le moment, ne semble pas sujet de joie, mais de tristesse. Mais plus tard, elle produit chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit de paix et de justice. » version TOB.

Notre démarche aujourd’hui est d’étudier le propos de l’auteur selon la méthode analogique, qui est très souvent utilisée dans la Bible ou la littérature chrétienne. Nous verrons comment Dieu, en tant que père, éduque ses enfants, puis nous évoquerons quelques pièges à éviter dans le domaine de notre interprétation de cette éducation spirituelle.

Notre Père céleste nous éduque comme ses enfants chéris

Au commencement se trouve ce statut d’ « enfant de Dieu ». Le prologue de l’Evangile de Jean établit de manière limpide les relations entre Dieu, le Fils-Parole et lumière et les hommes.

Jean 14 :  9- 14 «  9  Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.

10  Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.

11  Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.

12  Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu,

13  (1-12) lesquels sont nés, (1-13) non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.

14  Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. » version Segond 1910.

C’est la Lumière venue dans le monde qui nous a donné le « pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Le chrétien peut, par un oui clair à l’appel de Dieu, devenir enfant de Dieu. Nous retrouvons le terme générique qui englobe homme et femme. Il faut donc mettre en relation Jean 1 : 12 et Hébreux 12 : 7-8 que nous avons étudié dans la précédente méditation.

C’est parce que nous sommes devenus enfants du Père que nous pouvons avoir droit à son éducation. Il s’agit du privilège filial, auquel le bâtard, le plus souvent rejeté, nié ou éloigné, n’a pas droit. Le bâtard est celui qui a été conçu avec la complicité du mal, lequel règne sur le monde (1 Jean 5 : 19). Mais à la différence de la vie biologique où le bâtard restera toujours génétiquement incomplet, dans l’analogie spirituelle, il peut, par la foi, devenir enfant de  Dieu et retrouver ainsi son privilège filial.

Les versets 9 et 10 font le lien et établissent l’analogie entre paternité terrestre et paternité spirituelle.

« 9  Nous avons eu nos pères terrestres pour éducateurs, et nous nous en sommes bien trouvés ; n’allons-nous pas, à plus forte raison, nous soumettre au Père des esprits et recevoir de lui la vie ?

10  Eux, en effet, c’était pour un temps, selon leurs impressions, qu’ils nous corrigeaient ; lui, c’est pour notre profit, en vue de nous communiquer sa sainteté. »

Dans une situation familiale ordinaire, quand les enfants ont été éduqués justement, ils reconnaissent le bienfait de cette éducation (et des remarques et contraintes associées), et sont d’autant plus respectueux de leurs parents. La méthode juive de l’analogie, Jésus l’utilise dans le Sermon sur la montagne. Relisons Matthieu 7 : 9-11 :

« 9  Ou encore, qui d’entre vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ?

10  Ou s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ?

11  Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. » version TOB.

C’est cette même démarche qui est ici reprise. Nous devons donc « à plus forte raison », dit le texte, accepter l’éducation spirituelle du Père et lui en être reconnaissant. Ce n’est nullement un châtiment, une punition ou une brimade, mais une reprise en main, un conseil, une remarque corrective, parfois une expérience douloureuse où nous nous sommes précipités et qui doit nous servir de leçon pour l’avenir.

L’analogie se poursuit, cette fois-ci sur l’échelle du temps. L’éducation humaine, la vie terrestre, le rapport père-enfant, tout cela est pour « un temps », la durée d’une existence. Alors que la vie avec Dieu notre Père et son éducation s’inscrivent dans « la durée des temps ». Avec pour objectif de participer à la sainteté de Dieu, un peu ici bas, beaucoup en sa présence.

L’éducation de notre père est comme celle d’un père aimant, qui nous reprend quand nous errons, mais toujours par amour. Elle est la preuve que Dieu prend soin de nous, qu’il nous aime et veut nous voir marcher sur le bon chemin.

Psaume 25 : 4-5 : « 4  SEIGNEUR, fais-moi connaître tes chemins, apprends-moi tes voies.

5  Fais-moi cheminer par ta loyauté et instruis-moi ; car tu es le Dieu de mon salut,  je t’espère sans cesse. » version NBS.

L’enfant de Dieu, homme ou femme, qui aime Dieu et veut lui plaire le prie de l’éduquer, comme David dans ce psaume.

Voyons ce que cela peut vouloir dire.

Quelques pièges à éviter en ce domaine

C’est verset 11 qui peut ici nous guider dans notre réflexion :

« 11  Toute correction, sur le moment, ne semble pas sujet de joie, mais de tristesse. Mais plus tard, elle produit chez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit de paix et de justice. »

Il énonce une grande vérité psychologique. Personne n’est heureux quand il est réprimandé et pris en faute, personne n’apprécie la sanction qui peut en découler. L’état normal et logique est l’abattement, la tristesse voire la révolte  ou la colère. Ce sont des réactions humaines tout à fait compréhensibles. L’auteur de l’Epître le reconnaît.

Mais il y a un « après ». Si la remontrance est juste, si la faute est avérée et reconnue, le temps effacera la réaction humaine et mènera à la reconnaissance et, de surcroît, à un progrès de comportement, en évitant de retomber dans la même faute.

Car un des pièges les grossiers des hommes est de réitérer leurs erreurs. Le livre des Nombres est riche d’enseignement à cet égard. Il nous montre comment les Hébreux se sont révoltés à plusieurs reprises contre Moïse et Aaron, ont, selon l’expression biblique « murmuré contre eux ». Or, Dieu les a châtiés à chaque révolte. Mais cela a été sans effet, ils ont recommencé à la première occasion, face à la première difficulté. C’est la raison pour laquelle personne de la génération sortie d’Egypte n’a mis le pied en Canaan, sauf Josué et Caleb. Même Moïse a été sanctionné, en solidarité avec le peuple. Il est si facile de retomber dans l’ornière encore et encore et de dire « je n’y peux rien, c’est ma nature ! ». Il s’agit effectivement de la nature charnelle. Mais, devenus enfants de Dieu et ayant revêtus l’homme nouveau, nous ne pouvons nous réfugier derrière cet argument. Si nous multiplions, en tant qu’enfants de Dieu, les erreurs, nous nous mettons en situation d’être repris et éduqué par le Père. Ce n’est pas sa volonté, mais la nôtre qui est cause de cela.

Un autre piège à éviter est de rechercher la correction, comme preuve de l’amour du Père. C’est une attitude récurrente dans les Eglises chrétiennes, qu’elles soient catholiques, orthodoxes ou protestantes. On a pu appeler cela du « dolorisme chrétien ». On pourrait le résumer à un slogan : « Je soufre, c’est bien car Dieu me châtie » ou reprendre la locution devenue proverbiale : « Qui aime bien, châtie bien ». C’est une attitude totalement contraire à l’enseignement du Second Testament. Relisez les Béatitudes en Matthieu 5 : 3-12. Jésus ne dit jamais qu’il faut rechercher la peine, la faim, la soif, la persécution, l’outrage et toute sorte de mal. C’est contraire à son message. Il veut que nous soyons « ouvriers de paix », pas des martyrs. Par contre, quand ces épreuves arrivent, il nous donne les armes spirituelles pour demeurer « heureux ». Ce ne sont pas ces épreuves, œuvres du Malin, qui sont cités en Hébreux 12. Rien à voir. Dieu ne reprend pas pour nous faire souffrir, mais pour nous redresser, afin qu’à terme, cela donne un « fruit de paix et de justice ».

Enfin, pour me limiter, j’évoquerai un troisième piège : celui qui consiste à se glorifier de l’éducation de Dieu. Celui-ci est le plus pervers et le plus subtil, car la ligne de crête où nous devons nous tenir est étroite. Il nous faut être heureux et reconnaissant que le Père nous éduque comme ses enfants. Mais nous ne devons nullement tirer une gloire personnelle du fait que Dieu nous éduque. Nous revenons ici au salut par grâce. Nous ne sommes pour rien dans notre rédemption. De même, nous ne pouvons aucunement nous glorifier de ce que Dieu nous éduque et nous reprend, car cela reviendrait à se glorifier de ses erreurs et de ses chutes (relisez Romains 3 :5-8). Il y a là une véritable question d’équilibre spirituel.

Conclusion

Ce thème de l’éducation du croyant par le Père est capital dans la marche chrétienne. Nous n’avons fait que l’effleurer, car chaque aspect mériterait d’être fouillé, Bible en main. Le plus important est d’avoir une approche équilibrée, je dirais même rationnelle, de ce sujet. L’analogie entre la paternité terrestre et la paternité divine est là pour nous rendre cet enseignement accessible.

On ne saurait oublier de mentionner que cette éducation du Père ne nous est sensible et compréhensible que par une intelligence transformée (Romains 12 : 2), œuvre du Saint-Esprit. Sans le Saint-Esprit nul ne peut identifier et comprendre ce qu’est cette éducation. Elle est tout le contraire d’un châtiment ou d’une punition vexatoire – la grosse erreur de traduction de Louis Segond pèse lourd dans le monde protestant. Dieu ne peut et ne veut nous « faire mal ». Il veut nous aider à entrer dans sa sainteté, pour jouir de la vraie joie, de la paix et de la justice. Ce but vaut bien quelques remontrances.

Jean-Michel Dauriac – janvier 2022.

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Un été avec Colette

Antoine Compagnon (de l’Académie française) 

Equateurs parallèles & France Inter, 2022, 14 €.

Chaque été, France Inter fait appel à un écrivain pour construire un feuilleton autour d’un auteur ou d’un thème. Ces émissions sont ensuite transformées en livre par leurs auteurs sous le titre générique « un été avec… ». Antoine Compagnon est un spécialiste de ce genre, ayant déjà livré Un été avec Montaigne, Un été avec Baudelaire et Un été avec Pascal. Le dernier, sorti en mai 2022 s’intitule Un été avec Colette.

Colette a été un écrivain très célèbre, et même populaire, dans les années 1950 et 1960. Elle avait alors gagné le titre de grand écrivain français et fut choisie pour donner naissance à moultes dictées de Cours Moyen et de Certificat d’étude, de leçon de grammaire dans les manuels, ainsi que des larges extraits dans les livres de lecture. Puis vint mai 1968 et son grand coup de balai, et Colette commença à tomber inexorablement dans un oubli progressif, du moins dans le vaste public scolaire et populaire. C’est un destin tragique qu’ont partagé avec elle François Coppée, Anatole France ou Erckhmann-Chatrian, pour ne pas citer Hector Malot. Ce phénomène n’a d’ailleurs rien à voir avec le talent de ces auteurs, c’est un simple phénomène de mode.

Mais Colette a connu un regain d’intérêt avec le néo-féminisme des années 2000, comme George Sand. Rappelons que les deux n’ont jamais revendiqué un quelconque féminisme, mais simplement la liberté et l’égalité de traitement. Ce livre s’inscrit dans ce regain de popularité.

Le propre de ces ouvrages est d’être structuré en courts chapitres thématiques, qui correspondent au format radiophonique. Ce qui rend le livre très facile à lire. L’ensemble constitue une biographie rapide qui dégage l’essentiel à connaître sur un auteur.

Gabrielle Sidonie Colette est une enfant de la Puisaye, petite région naturelle du Nord-ouest de la Bourgogne, non loin de l’entrée occidentale du Plateau de Langres. Pays humide de bocage, il offre un relief collinaire boisée dont les environs de Saint-Sauveur en Puisaye, village natal de Colette, sont un parfait exemple. C’est dans ce cadre rustique que vécut la jeune fille jusqu’à ses dix-huit ans, dans sa maison natale, aujourd’hui devenue Musée National. De cette origine, elle gardera un accent rocailleux et une passion pour la nature. Cette veine naturaliste en fera donc l’auteur de très belles descriptions campagnardes, parfaits textes de dictées républicaines.

Tout au long du livre, Antoine Compagnon déroule une existence qui fut multiforme, commençant par une vie de femme mariée exploitée dans son talent naissant d’écrivain, par son mari, Willy, qui signa la série des Claudine de son nom. Apprentissage de la vie parisienne, de l’écriture, de l’adultère de son époux… ces années ne sont pas d‘une folle gaîté. Quand Colette se sépare de son époux, elle inaugure ce qu’on pourrait appeler sa vie de saltimbanque et de femme libre – lisez celle des amours saphiques -, celle où elle se fera connaître par le scandale de sa poitrine dénudée sur scène et de ses amours féminines. Cette période dure quelques années seulement, mais elles ont contribué à la légende de Colette.

Peu à peu la jeune femme se range et devient une journaliste très appréciée et un écrivain dont la renommée ne cesse de grandir. Elle se mariera trois fois et finira révérée comme la grande prêtresse des lettres françaises, avec des obsèques nationales en guise d’adieu. Pour résumer elle est passé du scandale du music-hall à la respectabilité du jury Goncourt.

Compagnon sait choisir ses thèmes et s’appuie sur une bonne connaissance du travail de Colette, avec de très nombreuses citations qui émaillent son texte. Son travail est sérieux et agréable à lire, mais il manque totalement de recul critique, ce que le cadre feuilletonesque d’une radio nationale explique aisément.

En effet, la dernière page tournée, il faut bien avouer que mon sentiment vis-à-vis de Colette est très partagé. D’un côté, on ne peut que respecter ce beau parcours d’une femme qui n’avait en poche que le certificat d’études primaire et devint une des reines de notre langue. Mais, de l’autre, je n’éprouve aucune vraie sympathie pour ce personnage qui revendique d’incarner un égoïsme sourcilleux. On ne la sent jamais en communion avec le peuple et quelque grand idée que ce soit. Elle est un témoin, pas une actrice de la vie sociale et politique. Selon le mot de Desproges, elles est une artiste « dégagée ».

Il vous faut donc lire ce petit livre pour vous faire votre propre opinion sur Colette. Il constitue une très belle porte d’entrée sur le personnage et son œuvre.

Jean-Michel Dauriac – septembre 2022.

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Robert Zimmerman se souvient

Robert Zimmerman se souvient…

A propos de Chroniques volume 1 de Bob Dylan

« A-t-on idée de donner un Prix Nobel à un type qui écrit des chansons et chante mal d ‘une voix nasillarde ? » Voilà ce que qu’on a pu entendre en 2016, à l’annonce de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Robert Zimmerman, plus connu sous son nom de scène, Bob Dylan. Ceux qui s’exprimaient ainsi étaient sans nul doute des lettrés, amoureux des livres et la Littérature avec majuscule, et ne pouvaient envisager que la chanson soit une forme de la poésie, elle-même à l’origine de la littérature. Un auteur de chansons, en eût-il écrit des centaines, n’aurait créé aucune œuvre. Je ne chercherai pas à combattre un jugement aussi stupide, qui s’appuie, de plus, sur la méconnaissance ou l’ignorance des dites-chansons du dit-Bob Dylan. Lequel a dû bien rire en apprenant qu’il avait le Nobel, puis est allé pisser tranquillement, comme avant.

En 2005 est parue en France le livre qui nous intéresse ce jour, Chroniques volume I, de Bob Dylan. Ceux qui ont accueilli avec la moue sa promotion au Nobel auraient été bien inspirés de lire cet ouvrage et de tourner sept fois leur langue dans la bouche de leur voisine (comme disait très vulgairement Pierre Desproges, ce bateleur télévisuel !) avant de parler. Car ce volume est bien de la littérature, et de la bonne !

On imaginerait mal Dylan livrant une bonne petite autobiographie linéaire, un biopic à l’américaine. Le titre choisi, Chroniques, est d’ailleurs tout à fait clair. Il va nous livrer quelques tranches de souvenirs sur sa vie, sous la forme de la chronique des jours qui passent. Comme dans ses chansons, nous serons assez souvent dépaysés, voire un peu perdus. Chaque chapitre pourrait être autonome. Ils sont livrés sans souci chronologiques. Ils dessinent cependant un portrait, mais à la manière impressionniste. C’est de loin qu’on le reconnaît le mieux, quand on achevé la lecture. Il reste alors une image, celle qu’il a bien voulu nous donner, comme tous les auteurs d’autobiographie.

La première conclusion qu’on peut tirer de cette lecture, c’est qu’il parfaitement évité de s’épancher sur sa vie privée et sur ses états d’âme. Celui qui attendait des détails croustillants sur ses amours ou ses addictions en sera pour ses frais. Bien sûr, il ne parvient pas absolument à tout cacher et nous pouvons, avec attention, collecter des indices qui nous aideront à approcher la personnalité du chanteur. S apprendrons ainsi qu’il se veut avant tout un auteur, et en aucun cas comme un porte-drapeau d’un quelconque courant politique. Il nous répète à plusieurs reprises qu’il y a eu un gros malentendu à ce propos et que rien ne l’énerve plus que de s’entendre qualifier de représentant des aspirations de la jeunesse américaine. Si cela fut le cas, c’est à son corps défendant, simplement parce qu’il ressentait était aussi partagé par toute une génération. Mais il se définit avant tout comme un individualiste. Un individualiste plutôt timide, qui n’aime pas la foule et les lieux à la mode. En creux se dessine le portrait ; finalement classique du poète provincial monté à la capitale. Il nous fait partager son évolution personnelle d’auteur-compositeur, car c’est son unique but que d’être reconnu à ce titre.

C’est le second thème de ce livre : la chanson et la musique à la fin des années cinquante et au début des années soixante du XXe siècle. Le grand homme de Robert Zimmerman se nomme Woodie Guthrie, le baladin qui avait écrit sur sa guitare «  cette guitare tue les fascistes » et a comosé un grand nombre de folk-songs classiques. La culture de Dylan est vraiment celel du folk-song. Ce livre nous permet de saisir à quel point il en a été pétri et combien ce style a pesé sur ses œuvres. Il partage avec nous les noms de ceux qui furent ses inspirateurs, ces chanteurs pour la plupart tombés aujourd’hui dans l’oubli. Comme le fera après lui Bruce Springsteen, sans doute inspiré par lui, il a sorti en même temps que le livre un double CD portant le même titre, sur lequel il a réuni les chansons qui l’ont marqué dans sa jeunesse, contenu du premier CD. Le deuxième disque est une compilation de ses chansons par ceux qui les ont reprises, de Cher aux Byrds, entrelardées de certaines de ses interprétations de chansons bien particulières évoquées dans le livre.  Dylan assume une culture anté-rock and roll, nettement plus acoustique. Il lui faudra d’ailleurs attendre un certain nombres d’années avant de paraître sur scène avec une guitare électrique et se faire accompagner par un groupe de rock, en l’occurrence The Band, avec lequel il enregistra quelques albums marquants. Mais chez Dylan, le texte reste premier, toujours écrit avant les musiques. Il reviendra à ses amours de jeunesse, en enregistrant un album qui a surpris, dans lequel il rend hommage à Franck Sinatra, en reprenant certains de ses grands succès, album titré Shadows in the night. Dans le livre, il partage avec nous la conception de deux albums, sous la forme d’une sorte de journal. On y voit peu à peu l’album prendre forme, on y ressent les doutes, on y assiste à des expériences… C’est excellent pour comprendre cette face cachée de la musique populaire, où le travail de studio est capital. On trouve des éléments comparable dans la grosse autobiographie de Bruce Springsteen dont j’ai rendu compte par ailleurs.

Il y a d’ailleurs de nombreux points communs entre ces deux monstres sacrés de la musique pop américaine. Tous deux sont de purs produit de l’Amérique, parfaitement symboliques de leur temps. S’ils critiquent très durement, tous deux, la société et la politique leur pays, ce n’est pas pour le détruire, mais pour le corriger, l’améliorer. Tous deux ont eu ce désir indestructible de faire leur chemin dans la chanson et la musique populaire. Ils ont connu des débuts modestes, ont été critiqués durement : de Dylan on disait qu’il ne savait pas chanter, tout comme pour Springsteen. Leur parcours a démarré lentement mais a connu une progression constante, jusqu’à les mener au firmament de leur rêve. Pour les deux hommes, la famille est très importante et on trouve sur ce thème des pages émouvantes, somme toutes très banales car communes à tous les humains.

Les différences existent et sont cependant nettes. Dylan a toujours voulu se garder d’un engagement politique net, alors que Springsteen est né démocrate et a soutenu des candidats de ce parti. Springsteen est un enfant du rock, quand Dylan est fils du folk. Dylan est d’origine WASP, Springsteen est un mix très américain d’italiens, d’irlandais et d’américains.

Mais tous les deux ont écrit des chansons qui ont marqué des générations du monde entier et dont les textes sont des modèles de travail d’auteur.

Bob Dylan occupe une place unique dans la chanson américaine. Comme l’a fait Miles Davis dans le jazz, il a su s’adapter à l’évolution de la musique et l’intégrer dans son travail. On aimerait beaucoup que sorte le volume II de ces chroniques, mais rien de tel n’est annoncé de certain pour le moment. Il faut lire ces pages, fort bien écrites et agencées de manière très personnelle. Elles démontrent sans contestation que le Prix Nobel de littérature qu’il a obtenu n’est pas une escroquerie.

Jean-Michel Dauriac – Août 2022

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