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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Tu as délié mon sac … – Méditation de sortie de l’arche n° 19

La version audio de cette méditation est là:

Nous venons de vivre, et vivons encore au moment où j’écris ces lignes, ce que nous pouvons appeler, en termes chrétiens, un temps d’épreuve, ce que la société profane appelle un temps de crise (vous noterez évidemment la différence de point de vue). Pour le croyant, le virus du Covid 19 est un moment difficile où Dieu peut éprouver la foi de son peuple – et non lui envoyer le virus, comme on l’entend parfois -, il y une grande divergence d’appréciation entre ces deux points de vue, le second relevant d’une lecture littérale de la Bible et d’une conception d’un Dieu punisseur que je ne saurais accepter. Pour la masse humaine, c’est un sale moment dont il faut sortir au plus vite pour reprendre sa bonne petite vie d’avant (mais elle n’était pas bonne pour tous, ne l’oublions pas). Le point commun est que des dizaines de milliers de personnes sont mortes en France, censément de ce virus. En effet, il faudra du temps pour avoir les vrais chiffres épidémiques, et non ceux manipulés par les pouvoirs sanitaires et politiques pour distiller au quotidien la peur dans le pays, depuis février 2020. Des familles sont endeuillées, nous avons tous des amis, des connaissances disparus lors de cette épidémie, c’est un fait bien réel. Comment sort-on d’une telle épreuve ? Je ne parle pas ici de l’économie de notre pays, mais de l’état psychique, voire spirituel de la population. Je voudrais apporter un éclairage chrétien et biblique dans cette méditation, qui pourra certes choquer le rationaliste ou l’athée, voire le croyant sociologique, mais qui représente ce qu’est la foi et l’espérance en Christ.

Lectures de base : Psaume 30 : 10-12 et psaume 31 : 8-9, dans la version Segond 1910.

« 10  (30-11) Ecoute, Eternel, aie pitié de moi ! Eternel, secours-moi ! — 

11  (30-12) Et tu as changé mes lamentations en allégresse, Tu as délié mon sac, et tu m’as ceint de joie,

12  (30-13) Afin que mon cœur te chante et ne soit pas muet. Eternel, mon Dieu ! je te louerai toujours. »

«   (31-8) Je serai par ta grâce dans l’allégresse et dans la joie ; Car tu vois ma misère, tu sais les angoisses de mon âme,

8  (31-9) Et tu ne me livreras pas aux mains de l’ennemi, Tu mettras mes pieds au large. »

La numérotation des versets peut changer d’une version à l’autre.

Nous sommes à nouveau dans le cadre du livre des Psaumes. C’est un univers hébraïque qui exprime ces paroles. Mais elles sont également pour nous, comme tout le Premier Testament, puisqu’il faut encore une fois rappeler l’ancrage judéo-chrétien du christianisme. Pas de Christ et de christianisme sans le peuple hébreu et sa religion. Nous sommes cohéritiers de la Torah juive et de sa Bible. Les versets que nous venons de lire sont très parlants pour un juif pratiquant, ils peuvent être obscurs pour un chrétien néophyte ou coupé de ses racines spirituelles juives.

Le cri d’appel au secours : verset 11 du psaume 30

L’auteur du psaume 30, David, adresse un cri, un S.O.S. à son Dieu, c’est le verset 11. Il se trouve dans une situation périlleuse et il a besoin du secours de Dieu. C’est un des ressorts constants des psaumes : l’homme crie à Dieu, lui présente son épreuve, signale ses ennemis et demande le secours de Dieu, souvent sous forme de disparition radicale des adversaires. Ici nous ne savons pas quelle est précisément la menace, ce qui nous permet de nous réapproprier cette prière.

Lequel d’entre nous, durant ces longs mois de claustration, de restrictions multiples et de peur de la contagion, n’a pas, à un moment ou à un autre, usé des mêmes mots que David ? Dans notre désarroi face à ce virus microscopique, invisible et coriace, il nous apparaît, au vu de l’impuissance globale de nos civilisations, que le seul recours est hors de ce monde terriblement limité, et s’appelle Dieu. Nous ne pouvons que faire appel à la pitié de Dieu, à sa compassion pour l’humanité. Car le croyant, lecteur de la bible et pratiquant de la prière par l’Esprit Saint, sait que Dieu est un Dieu d’amour, qui malgré le rejet de ses créatures, garde un regard attentif sur sa création. Ce n’est pas ici le lieu de détruire les accusations classiques sur l’indifférence de Dieu, voire sur sa méchanceté. Le livre des Psaumes est sans doute celui qui, dans toute la Bible, dit le mieux l’équivalence entre l’attitude de refus des hommes et la non-intervention de Dieu, son volontaire retrait. Dieu laisse la liberté au méchant (selon la formule des Psaumes) d’être de plus en plus méchant et révolté. Il lui laisse vivre sa vie selon son vouloir. Mais celui qui connaît Dieu, le craint (au sens biblique) et place en lui sa foi sait aussi que Dieu peut agir en sa faveur. Nous pensons toujours, dans ce cas-là, aux miracles, au surnaturel, au « truc magique ». C’est une bien pauvre connaissance de Dieu. Son action est bien plus puissante quand elle a lieu dans le cœur des hommes et des femmes, là où nul ne la voit, mais où elle est bien réelle pour ceux qui l’expérimentent. Lisons en Matthieu 9 :5, cette interrogation de Jésus, qui est aussi une sévère relativisation du miracle :

« 5  Car, lequel est le plus aisé, de dire : Tes péchés sont pardonnés, ou de dire : Lève-toi, et marche ? » (version NBS)

David appelle l’intervention de Dieu (verset 11) et elle est attestée au verset 12 et justifié au verset 13.

La réponse de Dieu (verset 12)

La réponse de Dieu est surprenante. Le psaume ne nous dit pas qu’il a détruit les ennemis de David, qu’il est intervenu contre eux en sa faveur. Le texte nous parle d’une transmutation proprement incroyable et, pour tout dire, scandaleuse, là encore au sens biblique – sur laquelle on peut trébucher – C’est-à-dire qui vient bouleverser ce qui est établi. Dieu change « les lamentations en allégresse ». La version du Rabbinat français dit « le deuil en danses joyeuses », ce qui est encore plus choquant. Que signifie cette réponse de Dieu à la prière de son serviteur ?

Le deuil est le temps de la tristesse, des larmes, des cris de douleur, des lamentations. En Orient, il existe des pleureuses professionnelles qui viennent verser toutes les larmes de leur corps pour la famille du défunt. Ne pas pleurer ou avoir l’air abattu lors de funérailles ou dans le deuil est considéré par les hommes comme une forme de sacrilège. Et voilà que Dieu vient totalement bouleverser cette logique de perte, de défaite et d’épreuve.

L’allégresse est une forme supérieure de la joie. Le terme est un peu désuet aujourd’hui, car nous perdons la précision du vocabulaire. L’allégresse se traduit par des chants, des danses et du rire. Pourquoi et comment Dieu fait-il cette substitution ? La réponse est par l’Esprit et l’Espérance. Seul l’Esprit est capable d’aller au-delà de la matière, seul il peut dépasser l’épreuve la plus terrible ou la mort du corps d’un être aimé. Et ce qui est scandale pour le païen ou l’athée est foi et promesse pour le croyant. Le psaume 23 a ce verset magnifique :

« 4  Même si je marche dans la vallée de l’ombre de mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton, voilà mon réconfort. » (version NBS)

L’homme naturel ne peut nullement affirmer « tu es avec moi », en parlant à Dieu. Seul l’homme spirituel, celui qui est passé par la nouvelle naissance que Jésus évoque en Jean 3 : 3,5 & 6, devant Nicodème, peut dire que Jésus est Seigneur, Christ de Dieu et que Dieu est avec lui. Et à cette homme ou à cette femme, né de l’esprit, ce propos de David n’est pas scandaleux, il est lumineux d’espérance. Dieu est celui qui brise l’état de deuil ou d’abattement.

La seconde partie du verset à laquelle j’ai emprunté le titre de cette méditation dit : « Tu as délié mon sac et tu m’as ceint de joie ». Si on ne connaît pas convenablement la Bible et son univers, cette expression de « délier mon sac » est incompréhensible. De même qu’en Amérique il y avait « le goudron et les plumes » pour le traître, il y avait chez les Juifs « le sac et la cendre » pour l’homme abattu ou repentant. De nombreux passages de la Bible juive usent de cette expression. Citons-en quelques-uns. Jonas 3 : 5-9 parle du repentir des habitants de Ninive et de leur roi, qui ont pris le sac et la cendre pour faire acte de repentance après la prédication du prophète.

« 5  Les gens de Ninive crurent à Dieu, ils publièrent un jeûne, et se revêtirent de sacs, depuis les plus grands jusqu’aux plus petits.

6  La chose parvint au roi de Ninive ; il se leva de son trône, ôta son manteau, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre.

7  Et il fit faire dans Ninive cette publication, par ordre du roi et de ses grands ; Que les hommes et les bêtes, les bœufs et les brebis, ne goûtent de rien, ne paissent point, et ne boivent point d’eau !

8  Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, qu’ils crient à Dieu avec force, et qu’ils reviennent tous de leur mauvaise voie et des actes de violence dont leurs mains sont coupables !

9  Qui sait si Dieu ne reviendra pas et ne se repentira pas, et s’il ne renoncera pas à son ardente colère, en sorte que nous ne périssions point ? » (version Segond 1910)

Genèse 37 : 34 raconte le deuil de Jacob pour la perte de son fils chéri, Joseph et le sac qu’il porte :

« 34  Et il déchira ses vêtements, il mit un sac sur ses reins, et il porta longtemps le deuil de son fils. » (version Segond 1910)

Jésus reprend cette expression en Matthieu 11 : 21 en visant les villes de Galilée, Chorazin et Bethsaïda.

« 21  Malheur à toi, Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïda ! car, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre. » (version Segond 1910)

Je mets en annexe au texte de cette méditation une liste de versets sur ce thème. « Prendre le sac » est aussi un acte d’humiliation et d’humilité devant Dieu. La tristesse, la repentance et l’humiliation sont les composantes de ce geste symbolique. Or ici, Dieu a délié le sac ( ou l’a dénoué, dans une autre version). Il met fin à ce temps de douleur et en échange du sac rugueux et inconfortable, il donne une ceinture de joie. Rappelons-nous que dans la théologie de Paul présentant les armes du chrétien, la ceinture est la vérité. Si nous mettons en lien les deux textes, nous pouvons déduire que la ceinture donnée par Dieu est de joie parce qu’elle est la vérité. Le mensonge est le péché, la vérité est le pardon et la joie.

Dieu répond donc à la prière de David en inversant la logique humaine. Sommes-nous prêts à ce renversement ? Nous ne pouvons l’accepter que si nous sommes entrés dans la logique de la volonté et de l’amour de Dieu, et que nous pouvons transcender l’épreuve, la lutte et même la mort, en joie de la vérité en Dieu. Ce n’est pas notre œuvre ni celle de notre volonté, mais celle de Dieu en nous par l’Esprit.

Pour quoi faire ? (verset 13 et 31 :8-9)

Le but de ce retournement est évoqué en deux actions au verset 13 du psaume 30 :  Chanter Dieu et le louer. Nous avons, dans une de nos première méditations, étudié le comportement de Paul et Silas, emprisonnés pour leur témoignage public du Christ, et qui, au lieu de se lamenter, chantent, louent et témoignent dans la prison (Actes 16 : 20-34). Paul en fait une des bases de son enseignement, répétant à plusieurs reprises cette formule, dont nous citerons ici la version de Philippiens 4 : 4 :

« 4  Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous. » (version Segond 1910)

Ceci n’est possible que dans le Seigneur, c’est-à-dire dans une vision arrachée à la chair mortelle de l’homme.

Psaume 31 : 8 affirme à nouveau l’allégresse et la joie, mais « par ta grâce ». Dans la doctrine chrétienne, la grâce est la source du salut. Cette joie et cette allégresse ne sont accessibles que par le salut, jamais par notre être naturel ou notre volonté. Ce n’est pas du tout de la « pensée positive », ersatz sans durée.

Est-ce à dire que tout est joie et félicité dans la vie du croyant ? Que nenni ! Le verset 8b dit au contraire : « Car tu vois ma misère, tu sais les angoisses de mon âme ».

Ce n’est pas là une contradiction, mais plutôt une forme de théologie dialectique. Il y a l’allégresse et la joie données par Dieu par l’Esprit et, en même temps, la misère et les angoisses de l’âme humaine. Ce qui donne du prix à cette allégresse, c’est justement qu’elle se manifeste alors même que les difficultés continuent d’exister. Une religion formelle ne peut nullement procurer cela. Nous sommes ici au seuil d’une mystique de la grâce. La clé de cette porte est la foi.

Le verset 9 donne le résultat final de cette séquence en deux actions :

  • -ne pas être livré à l’ennemi,
  • -Mettre les pieds au large.

Dieu ne supprime pas les difficultés de nos vie et n’aplanit pas nos sentiers. Mais il ne permet pas que nous soyons dans les mains de l’adversaire. Celui-ci, ou ceux qui le servent, n’ont aucun pouvoir sur nous. Cette promesse est capitale, car elle permet de relativiser toutes les épreuves, même la mort.

Dieu assure la sécurité de ses enfants dans leur marche, c’est le sens de « mettre les pieds au large ». Il nous évite les pièges du chemin, les fosses creusées par l’ennemi pour que nous y tombions – un des leitmotivs des psaumes, les pierres qui sont occasion de chute. C’est encore une promesse qu’il nous appartient de vérifier par l’expérience.

Conclusion

Je crois qu’il est intéressant de retenir la composition de la séquence que nous venons d’étudier :

Prière d’intercession du juste attaqué – Réponse surprenante de Dieu – Chant et louange à Dieu – Promesse de sécurité pour le croyant.

Si nous appliquons cela au contexte actuel de la France du Covid19, nous devons y trouver des encouragements extraordinaires

Jean-Michel Dauriac – Juin 2021

Annexe : les versets sur le sac et la cendre

Esther 4:3 Dans chaque province, partout où arrivaient l’ordre du roi et son édit, il y eut une grande désolation parmi les Juifs ; ils jeûnaient, pleuraient et se lamentaient, et beaucoup se couchaient sur le sac et la cendre.

Esaïe 58:5 Est-ce là le jeûne auquel je prends plaisir, Un jour où l’homme humilie son âme ? Courber la tête comme un jonc, Et se coucher sur le sac et la cendre, Est-ce là ce que tu appelleras un jeûne, Un jour agréable à l’Eternel ?

Daniel 9:3 Je tournai ma face vers le Seigneur Dieu, afin de recourir à la prière et aux supplications, en jeûnant et en prenant le sac et la cendre.

Matthieu 11:21 Malheur à toi, Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïda ! car, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre.

Luc 10:13 Malheur à toi, Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïda ! car, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre.

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Une oeuvre à double face: sur Haendel l’Européen de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille

Voici le cinquième opus de l’auteur consacré à un des grands maîtres de la musique occidentale, dite « classique ». Après Mozart, Bach, Beethoven et Schubert, c’est donc Haendel qui est l’objet de l’attention de cette musicologue épanouie.

Michèle Lhopiteau a créé un genre d’ouvrage, dont elle maîtrise maintenant parfaitement la construction. Ce qu’elle écrit ne relève pas de la biographie, genre dans lequel le résultat est souvent des énormes pavés exhaustifs et lassants que ne peuvent achever que des mordus ou des clients sous prescription, c’est-à-dire des étudiants. Ce n’est pas non plus une étude savante, musicologique au sens universitaire du terme, genre qui brille souvent par ses termes techniques abscons et ses études pour « happy few ». Il faut donc user du terme « essai musical » pour être le plus clair possible. Le genre de l’essai laisse à son auteur une grande latitude, tant dans le choix de ses thèmes que dans la forme littéraire, et c’est bien ce qui convient à notre auteur (-e ou autrice ?). Je reviendrai ci-dessous sur le choix des thèmes. Quant à la forme, elle est un savoureux mélange de musicologie jamais pédante – ce qui est déjà un exploit -, de considérations biographiques et d’analyses musicales, sans oublier les anecdotes personnelles et les petits jugements personnels glissés au passage, comme ça, un peu incognito. Le tout donne des ouvrages faciles à lire, que l’on a envie de poursuivre et dont on se souvient avec plaisir. C’est le cas de cet opus, comme des précédents (dont j’ai assuré aussi des chroniques au temps de leur parution). Les chapitres sont bien dosés et de longueur raisonnable (à l’exception des deux gros morceaux sur les opéras et les oratorios). Bref, c’est d’une lecture aisée.

Un autre atout de ces ouvrages est la qualité du livre en lui-même : ce sont de beaux objets, bien réalisés, avec des polices de caractères qui facilitent la lecture et une vraie couverture assez rigide, avec rabats. Ces rabats protègent les deux CD qui accompagnent la lecture. On dispose ainsi de 54 extraits d’œuvres éclairant la lecture. C’est un atout absolument capital et c’est aussi ce qui justifie le prix élevé (33€) du livre. Il faut ajouter que, dans cette réalisation, l’éditeur et l’auteur ont intégré 48 Qrcodes, renvoyant l’heureux possesseur d’un smartphone Androïd ou d’un Iphone de Apple, vers des extraits disponibles sur internet – enfin, quand vous avez passé la pub inévitable ! -, preuve tangible de modernité. N’ayant pas un de ces merveilleux appareils[1] qui changent la vie et bousillent les oreilles et le cerveau à long terme, je ne puis rien dire de ces carrés magiques, mais ils sont là et fonctionnent, Alléluia ! Les deux CD fournissent à eux seuls suffisamment de références pour approcher la création haendélienne, d’autant plus que, comme pour chaque volume, le choix est très bien fait.

L’essai est un genre littéraire qui suppose deux faits liés entre eux. Il s’agit, d’abord, d’une tentative d’aborder un sujet sous un ou plusieurs angles qui ne prétendent pas couvrir l’ensemble du problème, mais obéir à ce que l’on nomme pompeusement une problématique. L’auteur est le seul maître à bord et nul ne peut lui reprocher ses choix. Ensuite, l’essai est subjectif, présente une thèse et la défend : ce n’est pas un ouvrage scientifique neutre, même si nombre d’essais sont devenus des références sur leur sujet. Le livre de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille correspond parfaitement à cette définition.

Les angles d’attaque de ce Haendel l’Européen sont, à mon avis, au nombre de trois. Le premier, qui aura le dernier mot (la conclusion est faite sur cette idée démontrée), est contenu dans le titre : Haendel fut un musicien que l’on dirait cosmopolite pour son époque, voyageant et connaissant bien l’Europe occidentale, ce qui était rare en son temps. Le second angle de vue concerne sa vie de musicien : l’auteur veut prouver, et y parvient parfaitement selon moi, que Haendel n’a pas été du tout ce musicien « de cour » que l’on décrit généralement. Il fut toute sa vie un créateur indépendant, même s’il était très apprécié de la cour de Londres et qu’il composa de nombreuses œuvres pour des événements royaux. Le troisième et dernier point de vue soutenu est celui de ses goûts musicaux. Pour l’auteur, la vraie passion de Haendel fut, toute sa vie, l’opéra italien. Et je dois dire que la démonstration est claire et indubitable. Et pourtant c’est la partie la moins connue de son œuvre et la moins jouée de nos jours, même si les nombreux opéras italiens qu’il a composés ont été exhumés depuis le milieu du XXe siècle.

A partir de ces trois points de vue, Michèle Lhopiteau tresse son travail, parfois en les mêlant tous, parfois en s’attachant à l’un ou l’autre. Les voyages et séjours à l’étranger de Haendel sont évoqués en début d’ouvrage, avec précision et posent ainsi l’importance de l’Italie, où il séjourné quatre années et composé de nombreuses œuvres pour le public de ce pays. Il en gardera donc toute sa vie la passion de cette musique d’opéra et la mettra en œuvre tant que cela sera possible, même s’il n’a pu éviter son déclin et passer alors à la composition d’ouvrages anglais – langue qu’il parla toute sa vie avec un fort accent teuton –  et d’oratorios. L’auteur établit bien la chronologie des compositions qui font apparaître des périodisations nettes dans la vie du compositeur. Haendel, qui demanda et obtint la nationalité anglaise à la moitié de son existence environ, resta pourtant fondamentalement un saxon. Cela ne l’empêcha pas de prendre très glorieusement la succession de Purcell, sans aucun titre officiel, comme grand compositeur des souverains. Mais cette tâche ne le rendit jamais dépendant de la Cour et c’est avec ses autres compositions qu’il gagna très confortablement sa vie. Il a cependant le très rare privilège d’être enterré à Westminster, près des puissants de ce royaume.

C’est, évidemment, l’analyse musicale et la thèse de l’auteur sur le tropisme opératique italien de Haendel qui est la plus originale. Il faut dire que ce n’est pas du tout l’image officielle de ce compositeur, identifié d’un côté à ses musiques officielles (Watermusic ou autres fêtes royales) et de l’autre au prodigieux oratorio Le Messie. Il aurait donc composé uniquement des musiques circonstancielles et des oeuvres chantées de type oratorio, principalement à base biblique. C’est évidemment très réducteur et le lecteur de cet ouvrage ne pourra plus du tout adhérer à ces clichés. Haendel a composé de la musique instrumentale variée, tant pour le clavecin, dont il était un joueur émérite, que pour des petites ou grosses formations, accordant une place importante aux vents. Il est l’inventeur du concerto pour orgue. On peut donc dire qu’il a touché, avec une égale réussite à tous les genres connus à son époque. Mais, selon Michèle Lhopiteau, sa vraie passion, depuis la jeunesse est l’opéra italien, qui régnait, au début du XVIIIe siècle sur l’Europe. Il aurait composé sa première œuvre de ce type à 18 ans, quand il était claveciniste à Hambourg. Son long séjour en Italie l’a amené à composer une belle série d’opéras sur des livrets en italien, dont certains écrits par des prélats de haut rang. Lorsqu’il quitta ce pays pour revenir en Allemagne puis s’établir à Londres, il garda cette passion et écrivit une collection pléthorique d’opéras italiens, chantés par des divas et chanteurs enrôlé à prix d’or pour venir en Angleterre. L’auteur en recense 42 de sa composition ! Ces œuvres connurent, pour la plupart, un grand succès public à Londres et firent sa fortune. Mais la mode passa et vers 1750 l’opéra italien cessa d’intéresser les Anglais. Haendel s’adapta, mais puisa dans ce corpus énorme d’airs et de chœurs pour les réemployer dans ses œuvres anglaises : ainsi Le Messie est une grand œuvre de recyclage des arias italiennes antérieures. Il faut souligner un des caractères forts que l’auteur dégage : la qualité extraordinaire de mélodiste de ce compositeur ! Sans en connaître les titres, nous connaissons en effet pas mal d’airs de sa plume que le cinéma ou la télévision, voire la publicité ont repris. De ce point de vue, les titres des deux CD sont exemplaires, et l’on se trouve plus d’une fois à chantonner ces airs qui nous reviennent.

Est-ce à dire que ce livre est parfait ? Eh bien, non ! Si l’ensemble nous conquiert et atteint son but, je ferai un reproche double. Les chapitres 6 et 10 sont trop longs et finissent par lasser  même le lecteur bien disposé, comme moi. En fait, ces deux chapitres souffrent du même défaut pour la même raison. Le chapitre 6 est titré L’opéra italien : la passion de toute une vie et le chapitre 10 Les 18 oratorios de Georges Frédéric Haendel., soit les deux formes les plus aimés de Haendel. Michèle Lhopiteau a été victime à la fois de sa passion et de l’abondance de ses sources. C’est un risque permanent quand on fait de la recherche. Elle avait visiblement rassemblé une somme d’informations sur ces deux genres et s’est trouvée, au moment de la rédaction, dans l’impossibilité de faire des choix et d’éliminer des informations qui lui semblaient capitales. Mais l’accumulation linéaire de présentation de ces opéras et oratorios aboutit à une lassitude, car c’est toujours selon le même schème que cela s’effectue. Il s’agit donc d’un double problème : celui du tri des données et de la variation des présentations, les deux allant ensemble. Si elle avait éliminé certains opéras et s’était concentrée sur les plus marquants, on aurait évité la répétition à l’identique qui provoque l’ennui. D’autre part, je reste persuadé qu’il vaut toujours mieux une approche thématique qu’une approche linéaire chronologique. Il y avait quelques grands thèmes qui s’imposaient : le problème des chanteurs et chanteuses, les salles et structures où faire jouer ces opéras, le financement et les recettes, et enfin les oeuvres elles-mêmes, qu’on aurait pu évoquer sous quelques points communs, comme l’imbécilité des livrets et leur absurdité, la technique de Haendel (arias et chorus) et son art de la composition – et parfois de la reprise de travail d’autres compositeurs ! Une présentation sur cette base aurait été nettement plus dynamique. On pouvait adopter un plan du même type pour les oratorios, dont la présentation souffre du même défaut que les opéras italiens.  On aurait par contre bien apprécié une liste des opéras italiens et des oratorios dans les annexes. C’est ici le seul reproche majeur que j’ai à faire sur ce livre. En cas de réédition, je ne peux que conseiller à l’auteur de reprendre ces deux chapitres. Elle sait parfaitement faire cela, car elle a mis en œuvre cette démarche dans son chapitre 11 où elle compare Bach et Haendel.

Ce cinquième volume est donc une belle réussite et vient augmenter une collection de grande qualité qui mérite d’être dans la bibliothèque de tout mélomane ou de tout individu curieux.

Jean-Michel Dauriac – mars 2022


[1] Je suis resté au Blackberry avec son clavier physique et sa 3G+, c’est dire mon archaïsme coupable !

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Tu es mon essentiel – Méditation de sortie de l’arche n° 18

La version audio est là:

Introduction :

Nous vivons actuellement un moment très particulier, qui a d’ailleurs été à l’origine de ces méditations. Le monde est parcouru par une épidémie virale, baptisée Covid 19, portée par un virus de la famille de celui de la grippe, qui perturbe et effraie la population mondiale. Les dirigeants des divers pays réagissent très différemment, mais partout la peur se fait sentir : en France, le gouvernement a pris des mesures très sévères en mars 2020, en confinant sa population à domicile, et en fermant la plupart des commerces, lieux de culture et de sport. Pour justifier ces mesures, il s’est appuyé sur la distinction nouvelle et théorique entre commerces et activités essentiels et commerces et activités non essentiels[1]. Je ne souhaite pas, dans ce cadre, discuter ce choix, mais m’en servir comme point de départ de cette méditation. Qu’est-ce qu’être essentiel à l’humain et qu’est-ce qui nous est essentiel ?

Le point de départ, une fois n’est pas coutume, ne sera pas un texte biblique, mais le refrain d’un chant protestant dont nous usons dans nos cultes et rassemblements.

« Je chanterai gloire à l’Eternel,

Je chanterai louange à son nom,

Je chanterai Dieu, mon essentiel,

Je chanterai en l’honneur de son nom. » (recueil J’aime l’Eternel, vol. 3, n° 910)

Je retiendrai la troisième affirmation : « Je chanterai Dieu, mon essentiel ».

De l’essentiel au non-essentiel

Commençons par rappeler de quoi nous parlons :

  • Est essentiel ce qui appartient à l’essence ou à la nature propre d’une chose. Il faut donc en venir à ce qu’est l’essence d’une chose.
  • Le grec Ousia désigne l’essence (mais aussi la substance, quasi- synonyme), ce qui fait d’une chose ce qu’elle est. On peut parler de la nature d’une chose. L’essence se définit par des caractéristiques propres à chaque objet ou être.

Sans entrer dans un cours de philosophie, il faut donc se demander en quoi nous pourrions affirmer que Dieu nous est essentiel. Il faut également compléter cette interrogation en l’élargissant : qu’est-ce qui est essentiel à l’être humain ?

Tout ce qui ne rentrera pas dans ces éléments de l’essence humaine sera donc de fait non-essentiel.

Nous rentrons ici dans le vif du sujet, car la question de l’essence est première pour la pensée philosophique. Pour simplifier, il existe deux conceptions antagonistes de l’essence humaine.

  • La conception athée et matérialiste, qui a son origine chez les penseurs atomistes grecs antiques, comme Démocrite, dit : l’homme est un assemblage d’atomes (on dirait aujourd’hui de cellules), donc d’abord de matière (chair, sang, os, eau…). Au XXe siècle, les existentialistes athées précisent la définition (voir Heidegger ou Sartre) : lisons ce court extrait de l’œuvre qui a rendu Jean-Paul Sartre célèbre, L’existentialisme est un humanisme :

« L’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après […] L’homme n’est rien, il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera faitAinsi il n’y a pas de nature, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. »

Cette conception écarte donc à la fois l’idée d’un Dieu créateur et d’une nature humaine spécifique (cela rejoint la position de Karl Marx). L’homme est ce qu’il se fabrique à partir de lui-même, en tant qu’être vivant. On résume cela par la maxime suivante, souvent proposée aux candidats au baccalauréat en composition de philosophie : « L’existence précède l’essence » ».

  • La conception métaphysique, spiritualiste et/ou chrétienne est le strict contraire : « L’essence précède l’existence ». Il faut se garder de réduire aux seuls chrétiens cette catégorie, même si, en Occident, ils ont été en position dominante. Il existe tout un courant idéaliste, depuis Platon, qui travaille à définir et légitimer une essence humaine ou une nature humaine. Ce courant est par contre non-matérialiste, quelles que soient ses positions.

Pour centrer sur la foi chrétienne, il faut rappeler que la nature humaine est définie dès le début de la Genèse au chapitre 1 : 26-27 :

« 26   Dieu dit : Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance, pour qu’ils dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre.

27  Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa. » (version NBS)

D’après ces deux versets, il y a dans l’humain une part de Dieu, ce que les mots « image » et « ressemblance » décrivent clairement. De plus, le propos est répété au verset 27 et en Genèse 5 : 1-2. Il s’agit donc d’une notion capitale qui justifie la répétition. Il faut ajouter l’affirmation du psalmiste en psaume 8 : 5-8 :

« 5  Tu en as presque fait un dieu : tu le couronnes de gloire et d’éclat ;

6  tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ; tu as tout mis sous ses pieds :

7  tout bétail, gros ou petit, et même les bêtes sauvages,

8  les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, tout ce qui court les sentiers des mers. » (version TOB)

L’homme n’est pas divin (« tu en as presque fait un Dieu »), mais il y a du divin en lui. Et comme nous savons par Genèse 3 :22-24 :

« 22  L’Eternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.

23  Et l’Eternel Dieu le chassa du jardin d’Eden, pour qu’il cultivât la terre, d’où il avait été pris.

24  C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. » (version Segond 1910)

 il n’y a pas eu de seconde création, après la désobéissance et l’expulsion du jardin d’Eden, cette nature partiellement divine est encore celle de l’homme et de la femme.

L’essence de l’homme, selon le Dieu biblique, est en partie divine, ce qui autorise donc théologiquement à chanter : « Je chanterai Dieu, mon essentiel ». Dieu est inscrit dans l’essence humaine. Ce qui ne signifie nullement que l’homme ne puisse radicalement nier Dieu.

Mais il faut compléter cette définition de l’essence humaine. L’homme est aussi un corps et une pensée (ou une âme). Ce qui est absolument nécessaire à la vie de l’homme est son essentiel. L’air, l’eau, la nourriture, le sommeil et la relation sociale sont donc aussi des caractères de l’essence humaine par le corps. Tout ce qui aide l’homme à penser est également nécessaire ; s’il en est privé, il devient un animal de type supérieur – voir l’exemple des « enfants sauvages » et le film de François Truffaut qui porte ce nom.

Au total, l’essence de l’homme est au minimum bipartite : une essence corporelle qui a ses besoins vitaux, et une essence spirituelle qui a besoin de Dieu et du travail de la pensée : c’est la culture au sens intellectuel.

Tout ce qui ne peut entrer dans ces deux catégories est non-essentiel ou superflu, au sens vital et existentiel. L’humain a besoin de se nourrir, de respirer, de se protéger du chaud et du froid, des bêtes sauvages, de ne pas vivre seul et de parler et penser ; ce qui inclut l’art sous toutes ses formes et les rencontres avec ses semblables. L’homme pour exister n’a pas besoin de grosse berline allemande, de gadgets chinois, d’armes de guerre… A vous de compléter la liste très longue de tout ce qui est non-essentiel.

Cette distinction implique a minima une réflexion sérieuse sur le mode de vie humain. On aurait pu espérer que deux mois de confinement imposé permette une certaine réflexion. Il est malheureusement à craindre que cette espérance soit déçue en ce qui concerne la grande majorité des Français.

Dieu, mon essentiel

Lecture de base : Psaume 18 : 2-6 (version NEG)

« 2  (18-3) Eternel, mon rocher, ma forteresse, mon libérateur ! Mon Dieu, mon rocher, où je trouve un abri ! Mon bouclier, la force qui me sauve, ma haute retraite !

3  (18-4) Je m’écrie : Loué soit l’Eternel ! Et je suis délivré de mes ennemis.

4  (18-5) Les liens de la mort m’avaient environné, Et les torrents de la destruction m’avaient épouvanté ;

5  (18-6) Les liens du séjour des morts m’avaient enlacé, Les filets de la mort m’avaient surpris.

6  (18-7) Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Eternel, J’ai crié à mon Dieu ; De son palais, il a entendu ma voix, Et mon cri est parvenu devant lui à ses oreilles. »

Ce texte, attribué au roi David, est tiré d’un psaume qui a la particularité d’être deux fois dans la Bible. En effet, on peut lire le même texte (à quelques détails près) en 2 Samuel 22 (tout le chapitre). Il s’agit d’un des plus beaux psaumes du psautier . C’est le début que nous venons de lire. Il y a clairement deux thèmes qui se succèdent : les versets 2-3 décrivent la place que Dieu tient dans la vie de David, alors que les versets 4 à 6 montrent comment l’homme peut crier vers Dieu face à son plus grand ennemi, la mort.

J’ai choisi les deux premiers versets comme exemple de formulation du caractère essentiel de Dieu pour l’homme. Pour en saisir toute l’importance, il faut revenir sur le verset 1 qui donne les circonstances de rédaction de ce psaume (voir aussi 2 Samuel 22 :1) :

« 1  Du chef de chœur. Du serviteur du SEIGNEUR. De David, qui prononça pour le SEIGNEUR les paroles de ce chant, le jour où le SEIGNEUR l’eut délivré de la main de tous ses ennemis et de la main de Saül. » (version NBS)

Cette proclamation vient après la délivrance de David de tous ses ennemis, y compris Saül, qui voulaient tous le mettre à mort. C’est cela qui explique le contenu des versets 4 à 6, où le mot « mort » est répété trois fois. David a vu la mort venir et le cri de sa prière a conduit Dieu à le délivrer. Qu’y-a-t-il de plus essentiel à l’humain que la vie et la mort ? Il faut relire le livre de l’Ecclésiaste (Qohélet) pour comprendre ce qu’elle représente pour le sage. Lire Eccl. 2 :16-17 ; 3 :22 ; 9 :3, etc… La mort est la question essentielle de l’être humain, celle qu’il affronte depuis l’origine, sans pouvoir apporter une réponse satisfaisante à ses questions sur le sujet.

L’essence de la vie humaine est celle d’un être mortel. Est-ce à dire que c’est la seule caractéristique de l’homme, sa seule essence ?

Pour les tenants de la conception athée et matérialiste, c’est un fait : l’homme naît et vit pour mourir, donc pour revenir au néant. C’est ce qu’on a appelé l’absurde en philosophie du XXe siècle. Sartre en parle, mais c’est Camus qui l’a le mieux illustré et a su magnifier cette question dans des chefs d’œuvre comme La peste ou La chute. L’homme sans Dieu a comme essence la mort promise.

Et le croyant ?

Il n’échappe pas à la mort, car elle frappe tous les humains, sans exception, même le Messie de Dieu, Jésus. La mort est donc constitutive de l’essence humaine, au moins, dit la Bible, depuis la désobéissance d’Adam et Eve (relire le chapitre 3 de la Genèse). Mais, à côté de cette finitude inévitable, il existe une autre chose essentielle au croyant, c’est Dieu. Et nous revenons aux versets 2 et 3 du psaume. David exprime avec des images ce qu’est Dieu pour lui : une rocher (ou un roc), une forteresse (ou une citadelle), un libérateur, un bouclier, un sauveur et une retraite (ou un rempart). Nous pourrions étudier chacun de ces mots, car ils désignent chacun un des rôles de Dieu pour David. Contentons-nous de remarquer que tous ont en commun l’idée de protection et de sécurité, l’idée de salut. L’ensemble dresse un portrait de Dieu très positif : Dieu est celui qui protège la vie. Il est l’antidote à la mort. Dès lors il devient la composante positive de l’essence humaine. L’essence de l’homme est à la fois la mortalité et la protection de la vie. Mais les deux ne sont pas sur le même plan. La mort détruit le corps humain, par l’arrêt des fonctions vitales. La vie que Dieu est surpasse la mort par le salut. La mort est un moment, certes effrayant, mais bref. La vie de Dieu est éternelle, elle a vaincu la mort. Ce qui permet à Paul cette exclamation si célèbre :

« 55  O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » (version Segond 1910)

Citons aussi le prophète Esaïe, chapitre 25, verset 8 :

« 8  il anéantira la mort pour toujours ; le Seigneur DIEU essuiera les larmes de tous les visages ; il fera disparaître de toute la terre le déshonneur de son peuple — c’est le SEIGNEUR qui parle. » (version NBS)

Et encore un autre prophète, Osée, chapitre 13, verset 14 :

« 14  Je les libérerai du séjour des morts, je les reprendrai à la mort. Mort, où sont tes pestes ? Séjour des morts, où sont tes épidémies ? La pitié est cachée à mes regards ! » (version NBS)

L’essence de Dieu en nous, c’est le triomphe de la vie sur la mort, sans la supprimer. Dès lors, nous comprenons que Dieu nous est essentiel, car lui seul nous fait échapper à l’absurde de la conception matérialiste.

Conclusion :

Au plan spirituel, il n’y a que deux questions essentielles : la mort et Dieu. Le psaume 18 nous montre que Dieu a vaincu la mort. Si elle demeure, elle n’est plus pour le croyant qu’un moment d’une vie qui change de nature. Toute autre chose est donc non-essentielle face à cette essence humaine.

Jean-Michel Dauriac – mai 2021.


[1] En fait, cette distinction n’est pas neuve, elle appartient à l’économie, et a été élaboré dans la théorie des besoins, par divers penseurs de cette disciplines.

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