Retrouvez l’interview de Renaud Leblond par J.M Dauriac, à la fin de cet article, dans le cadre des Foulées Littéraire, salon du livre sportif de Lormont, vendredi 25 novembre 2022.
Vous connaissez Alfred Nakache?……….
Vous non plus ?
Voici un échange qui pourrait se retrouver très souvent prononcé entre vous et vos amis. Ce n’est pas un message codé, c’est une interrogation tout ce qu’il y a de plus légitime. Si vous m’aviez posé cette question cet été, j’aurais aussi répondu : « Non… Ce nom ne me dit vraiment rien », à part le fait qu’il sonne évidemment comme un nom juif et ressemble à celui d’un personnage de La vérité si je mens. Pourquoi donc faudrait-il connaître Alfred Nakache ? La réponse à cette question apparemment incongrue est apportée brillamment par le livre Le nageur d’Auschwitz, de Renaud Leblond[1].
Alfred Nakache est un français d’origine juive, né en Algérie française, en 1915 et mort en France, en 1983. Particularité : nageur de haut niveau[2], qui obtint plus de vingt titres de champion de France, fut recordman du monde, d’Europe et de France à plusieurs reprises sur 100 et 200 m, participa aux Jeux Olympiques de 1936 et de 1948 à Londres. Il fut professeur de sport.
Mais Nakache ne fut pas un nageur talentueux comme les autres. Il est resté comme le « nageur d’Auschwitz ». Et c’est sur cette période de sa vie que Renaud Leblond a construit son roman. Disons-le de suite, c’est un très beau livre, en dépit de la noirceur de son sujet, supposée par le titre. L’auteur a su tirer de l’ombre un personnage que seuls les spécialistes connaissaient et en faire un portrait terriblement humain.
Le jeune Alfred a une peur phobique de l’eau. C’est sur cela que débute le roman. Malgré l’existence d’un splendide bassin, à Constantine, sa ville natale, le jeune garçon n’en goûte guère l’avantage. Jusqu’au jour où il va y voir nager deux jeunes athlètes venus s’y entraîner. Ceux-ci sauront tellement l’impressionner qu’il se mettra à l’eau et découvrira la joie de nager. A partir de ce moment, situé en 1928, la natation va devenir la passion de l’adolescent et l’eau son élément. Il est doté d’une musculature impressionnante et d’une volonté hors du commun. Très vite il s’impose en force dans les bassins et glane les victoires en Algérie. Il sera envoyé en métropole en 1934 pour donner sa pleine mesure au niveau national. Mais entre-temps, il aura rencontré la jeune Paule Zaoui, juive elle aussi, d’une famille de commerçants constantinois. La femme de sa vie ! Elle le rejoindra en métropole quelques temps plus tard, ils se marieront en 1937, elle deviendra, elle aussi, professeur de sport. Ils auront une petite fille, Annie, en 1941. Ecrite ainsi, leur vie est assez ordinairement banale. Ce qui est loin d’être banal, c’est le contexte historique et social de cette jeunesse.
Alfred Nakache, années 1930
La France des années 1930 est entrainée dans les convulsions politiques qui balafrent l’Europe et en font, en 1939, le continent noir des totalitarismes (nazisme, fascisme, franquisme, stalinisme, sans citer les « petites » dictatures). Les idées nauséeuses du nazisme font de plus en plus d’émules dans notre pays. L’antisémitisme monte lentement et inexorablement dans la société française. Les bassins des piscines n’en sont pas épargnés. Alfred N. est un être joyeux, sympathique, qui sait créer l’amitié autour de lui. Mais ses performances suscitent la jalousie. Notamment celle d’un très beau et bon nageur, jusque là roi incontesté de la brasse, que Nakache va détrôner sans appel. Ce nageur s’appelle Jacques Cartonnet, surnommé « Carton » dans le milieu de la natation. Ce bourgeois parisien va vouer une haine tenace à Nakache, dans et hors des bassins. Cartonnet est antisémite et adhère aux idées de l’extrême-droite. Quand le régime de Pétain s’installe, il devient un collaborateur actif, rédacteur de la feuille de chou haineuse et raciste Je suis partout, tristement célèbre pour ses articles odieux contre les juifs et tous les « dégénérés » dénoncés par les nazis. Nakache sera une victime de ce climat. Il sera radié de la fonction publique, comme sa femme[3] et se retrouvera sans emploi, ce qui va, entre autres raisons, le pousser à émigrer à Toulouse, où il sera accueilli à bras ouverts par le club Les Dauphins (TOEC), ses dirigeants, son entraineur et l’encadrement. Mais Carton le poursuit de toute sa haine et, engagé dans la milice, il devient le responsable de la Jeunesse et des Sports de la Haute Garonne. Après moultes péripéties que je ne veux pas dévoiler ici, il dénoncera Nakache à la Gestapo. Celui-ci, avec sa femme et sa fille, est arrêté en décembre 1943.
La suite est tristement connue : passage à Drancy, dans ce centre de tri infâme, puis départ en convoi ferroviaire n°66 du vingt janvier 1944, au départ de la gare de Bobigny, destination : la Haute-Silésie polonaise, un camp du nom d’Auschitz-Birkenau, qui restera dans l’histoire comme le plus horrible des camps d’extermination nazi. A l’arrivée, sur la fameuse rampe, a lieu le tri. On sépare la famille Nakache : Paule et Annie vont être emmenées dans un camion, Alfred, reconnu par un SS est affecté à l’infirmerie du camp. C’est la dernière fois qu’Alfred voit les deux amours de sa vie.
C’est ici que le talent de l’auteur intervient. Il a fait le choix de ne pas traiter l’histoire de cette jeunesse sur le mode chronologique. Il va découper l’épisode d’Auschwitz en chapitres qui seront distillés entre ceux de la vie antérieure du couple. Si cela surprend pour le premier de ces épisodes, le lecteur s’habitue vite à ce procédé, et celui-ci s’avère tout à fait judicieux. Il permet de faire, au final, de ce livre un ouvrage optimiste. Non qu’il gomme l’indicible, mais sa dilution permet au lecteur de ne pas sombrer dans la noirceur.
Nakache survivra à Auschwitz et à la « marche de la mort » que les nazis ont imposée aux détenus lorsqu’ils ont détruit le camp. Il rejoindra Buchenwald, où il sera libéré par les Alliés, alors que sa mort avait été annoncée par la presse française quelques temps auparavant. Il nagera à nouveau et ira donc aux J.O de 1948. C’est là qu’il mettra un terme à sa carrière de nageur. C’est le moment que Leblond choisit pour terminer son récit. Car l’auteur n’a pas voulu livrer une biographie factuelle de la vie d’Alfred Nakache. Il a choisi délibérément de faire un récit romancé de la période 1928-1948, celle où se forge la légende de Nakache. Ce livre est bien un roman ; l’auteur a inventé des dialogues et des scènes, mais elles sont toutes appuyées sur la vie de son héros, elles visent à combler la froideur d’une biographie, en lui donnant de la chair et du sang. Alfred est un être joyeux, il est généreux et empathique, on dirait aujourd’hui « solaire ». Pour moi, je préfèrerais dire qu’il est l’incarnation de l’homme jeune et heureux qu’a chanté Albert Camus dans Noces. Nakache est un héros camusien, victime d’un monde absurde, mais il ne se laisse pas détruire. Il nous donne, par l’intermédiaire du romancier, une formidable leçon de vie[4]. Celle d’un déporté capable d’aller chercher un couteau dans les eaux glauques des bassins du camp et de le déposer en le portant dans sa bouche aux pieds de l’officier supérieur nazi qui avait inventé cette épreuve abominable. Celle d’Alfred Nakache qui, avec la complicité attentive de ses codétenus, ira nager, les dimanches de l’été 1944, dans un bassin de rétention du camp[5] et retrouvera, malgré tout, quelques instants, cette sensation si importante pour lui, de l’eau qui glisse sur sa peau. Symboliquement, et c’est capital, il est mort en nageant, un jour de 1983, alors qu’il s’apprêtait à effectuer sa traversée quotidienne de la baie de Cerbère, où il avait élu domicile.
Un beau et bon livre est un livre qu’on lit avec passion, mais aussi un qui ne s’effacera pas de notre mémoire[6] et deviendra une borne de notre vie de lecteur et d’être humain. Le livre de Renaud Leblond est de ceux-là. Lisez-le de toute urgence.
[3] Abolition par le gouvernement de Vichy de la législation antérieure sur la nationalité française, avec effet rétroactif immédiat, ce qui est absolument contraire aux principes du droit français. Ces lois anti-juifs les privent de la nationalité française, acquise depuis 1932, et les interdisent de travail dans la fonction publique, où ils étaient nombreux (professeurs, instituteurs, magistrats…). Ils sont révoqués.
[4] il faut, après avoir lu le roman, aller voir le très beau documentaire consacré à Alfred Nakache : https://www.youtube.com/watch?v=CxwWa8XgbPo – Christian Meunier, Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz, 2001.
[5] Avec un autre jeune déporté juif, Noah Klieger, qui survivra aussi aux camps et deviendra un grand journaliste sportif en Israël, notamment correspondant de l’Equipe et autre grands journaux français. Il est mort en 2018.
[6] Il faut signaler la réussite du graphisme de la couverture qui réussit à symboliser l’essentiel du livre avec un grande économie de moyens : une piscine dont les lignes d’eau sont séparées par des barbelés !
Georges Bernanos (1888-1948) reste bien méconnu aujourd’hui. S’il fut une grande voix, consultée même par De Gaulle après la Libération, il a été recouvert par la masse des publications survenue depuis sa disparition, en 1948. Il serait injuste de dire qu’il est tombé dans l’oubli, mais il n’est vraiment connu que dans certains milieux, comme les catholiques un peu rebelles ou les milieux politiques de la marge (aussi bien les anarchistes que la droite dure – ceci à cause de son monarchisme jamais renié). Il présente le cas, assez rare, d’un écrivain venu tard à la fiction, en 1926, à 38 ans, ce qui est canonique en littérature où il n’est de vrai talent que jeune, selon le petit milieu germanopratin. Et qui n’a écrit qu’une petite dizaine d’œuvre dites « romanesques ». Son premier livre, Sous le soleil de Satan est un véritable coup de tonnerre éditorial, la naissance d’un monolithe de l’écriture. On peut dire, sans forcer la note, qu’il est avec Céline et son Voyage au bout de la nuit, paru en 1932, un des rénovateurs du style du XXe siècle. Style âpre, rugueux, souvent à la limite de la lourdeur, un style de cogneur, illuminé de clairières poétiques, un style imagé qui arrache l’adhésion par sa puissance et sa persévérance au combat. Je renvoie le lecteur à mes critiques sur certains de ses ouvrages, notamment Journal d’un curé de campagne. Mais, à côté d’une œuvre littéraire qui divise, Bernanos est un formidable essayiste et un pamphlétaire inspiré, à la voix souvent prophétique. Ses écrits non-fictionnels sont rassemblés en deux forts volumes de la Pléiade. On y trouve aussi bien ses livres engagés, comme Les grands cimetières sous la lune ou La France contre les robots, que d’innombrables articles de presse. On y entend souvent une voix qui a eu raison trop tôt, ce qui est le propre des prophètes (confer Jacques Ellul ou André Gorz). Ce qui nous ramène au livre présenté ici.
Robert Colonna d’Istria (né en 1956) est, avant tout, un auteur corse qui écrit sur la Corse. Ce Bernanos est donc une sorte d’exception dans sa production. J’y vois, en reprenant la belle expression d’Emil Cioran, un « exercice d’admiration ». Le néophyte y apprendra l’essentiel de ce qu’un honnête homme (cela a-t-il encore un sens d’employer cette expression que bientôt plus personne ne comprendra ?) doit savoir sur ce grand auteur polémiste. Il a choisi le plan chronologique, qui est le plus facile à réaliser et le plus aisé à suivre pour les lecteurs, mais qui manque de profondeur et amène, forcément, à des répétitions ou à des omissions. Mais c’est déjà une critique formaliste d’intellectuel universitaire !
Dès le début, il pose son cadre, l’admiration :
« Je n’oublierai jamais mon émotion à la lecture du Journal d’un curé de campagne. Je me rappelle à quel point ce livre m’a bouleversé. » p. 9
Je serais mal venu de reprocher cela à l’auteur, tant j’ai d’admiration pour ce roman, sans doute le plus grand de Bernanos. C’est donc le point de départ de ce travail sur l’auteur. Qui est-il pour lui ? Il donne un élément de réponse un peu plus loin dans son chapitre introductif :
« Cassandre moustachu ? Ezéchiel ? Ou, respectueusement, Antigone ? Peu importe, le monde moderne a été regardé par un homme qui avait conservé une simplicité enfantine et qui avait une foi absolue. » p. 18.
Cette courte citation contient les trois thèmes qui seront tressés par Colonna d’Istria dans son livre : le prophétisme, l’esprit d’enfance et le monde moderne. Le tout sous-tendu (on devrait d’ailleurs dire ici sur-tendu) par « une foi absolue ».
Car, nul ne comprendra Bernanos, l’homme et l’œuvre, s’il n’accepte que son moteur soit la foi chrétienne. Les débuts du livre sont consacrés à l’enfance et la jeunesse de Bernanos, années fondatrices qui le construisirent. Elles sont d’une belle qualité synthétique. L’enfance reconnue et gardée, c’est celle de l’Artois, dans le village de Fressin, la connaissance du milieu des paysans et de la nature rude de ce pays. On sait que l’on retrouvera ce décor dans les deux chefs d’œuvre de Bernanos : Sous le soleil de Satan, où la campagne et le climat sont des personnages à part entière de la lutte spirituelle de l’abbé Donissan, et Journal d’un curé de campagne, où les quelques mois de ministère du jeune curé sont vécus dans ce milieu humide et froid, au milieu de paysans à demi païens. La formation spirituelle est celle d’un catholique élevé dans une famille bourgeoise. Il a toujours eu la foi et n’a jamais eu besoin d’une crise existentielle pour la trouver.
« Dire de Georges Bernanos qu’il était un croyant, qu’il avait la foi, qu’il a été profondément chrétien, dire que ces attitudes-là ne l’ont jamais quitté, de son adolescence à la fin de sa vie, c’est, bien évidemment, dire l’essentiel de ce qu’il a été. » p. 40.
Voilà donc posé la plus importante clé pour comprendre la vie et l’œuvre de G. Bernanos. Mais ce christianisme n’est pas du tout prisonnier d’une religion et de ses dogmes. Il met en avant la vie et sa vérité à l’épreuve du quotidien. Il écrit, par exemple, cette phrase sans appel :
« Je n’éprouve aucune gêne à déclarer qu’un ouvrier communiste de bonne foi, prêt à se sacrifier pour une cause qu’il croit juste, est infiniment plus près du Royaume de Dieu que les bourgeois du siècle dernier qui faisaient travailler douze heures par jour, dans leurs usines, des enfants de Dix ans. » (Nous autres Français) p. 57.
C’est cette honnêteté qui le fera apprécier même par des gens qui ne sont pas de son bord. Oui, Bernanos a été un disciple de Maurras, séduit par ses idées sur la France, comme des millions de jeunes en France. Serait-ce plus infamant que d’avoir idolâtrie Staline comme un phare de la pensée humaine, ou d’avoir fait de Mao Zedong un prophète sans égal ? Pour moi, nullement. D’autant plus qu’il a rompu avec Maurras quand l’Eglise l’a condamné. Mais il est toujours resté monarchiste, par une sorte de fidélité à son histoire. Tout en sachant qu’il n’avait aucune chance de voir la monarchie revenir sur le sol de France. Une autre de ses fondations est son expérience de la guerre de 14. Colonna d’Istria écrit :
« On ne simplifie pas beaucoup en écrivant que la guerre de 14 est à la base de toute l’oeuvre de Bernanos Certes aucun livre n’est, à proprement parler, consacré à cette guerre […], mais la guerre est à la base de l’œuvre de Bernanos en ceci qu’il y a été en contact avec un absolu, dans le malheur, dans la souffrance, dans la misère, le sacrifice et que c’est à l’aune de cet absolu, pendant le reste de sa vie qu’il va regarder le monde, sans comprendre que la vie puisse continuer comme si cet absolu n’existait pas. » p. 65.
La guerre, donc, vient s’ajouter à l’esprit d’enfance comme matrice de toute la pensée de Bernanos. Ces deux sources l’amènent à sonder le climat spirituel de son temps et en percevoir le vide. Car c’est là son combat principal : la défaite de l’esprit dans ce monde moderne. Il ne cessera de pourfendre cette pauvreté spirituelle, jusqu’à la fin de sa vie. Il attribua d’ailleurs la défaite française et l’arrivée du pétainisme et de la collaboration comme un fruit de ce dessèchement spirituel. Il rejoint là l’analyse de Marc Bloch dans L’étrange défaite.
« Ce qui marque Bernanos, c’est l’incroyable vide de l’après-guerre, vide spirituel, moral et même, en dépit de l’agitation superficielle qu’on pouvait observer, vide intellectuel. » p. 81.
Il ne changera pas d’avis au fil des ans. Les textes écrits au Brésil durant ses années d’exil volontaires ont été regroupés sous un titre évocateur : La révolte de l’esprit – Ecrits de combat (1938-1945). Sa plume aura combattu jusqu’au bout contre la montée de l’insignifiance et du matérialisme consumériste dont il a parfaitement anticipé la venue.
La deuxième partie est une analyse des grandes œuvres, de leur contexte, de leur réception et e la vie de l’auteur dans ces moments. Je ne développerai pas cet aspect, qu’il vaut mieux laisser découvrir au lecteur. Colonna d’Istria ne cache pas la difficulté d’accès de certains textes, comme les trois derniers romans publiés. Il souligne également la bataille politique de Bernanos, pour que la France relève la tête après l’humiliante parenthèse des années 1940-44. Mais, au fond, il ne croit guère à un renouveau de ce côté-là, même s’il a de l’estime pour le général de Gaulle et son amour profond de la France. Seule une renaissance spirituelle chrétienne peut rendre à la France son âme. De 1945 à sa mort en 1948 il continue donc à crier dans le désert, souvent incompris et raillé, d’autant plus que le communisme offre une espérance de substitution et que Moscou devient une seconde Rome pour les intellectuels français. Il achève sa vie dans une certaine solitude d’idées.
Ce livre est une bonne introduction à la pensée et à l’œuvre de Bernanos, même si je continue à penser qu’un plan thématique eût mieux servi la cause bernanosienne, même en conservant une première partie biographique et chronologique. Il n’a pas été réédité en collection de poche, mais se trouve encore en neuf et beaucoup en occasion, sur le net. Si vous ne connaissez pas Bernanos, il faut le lire, car sa lecture est aisée et sa démarche synthétique sans être squelettique.
Nous voici parvenus à la fin de ce cycle de méditations. Comment conclure ce parcours de réflexion biblique ? Il m’a semblé qu’il fallait clore par un propos général, intemporel et existentiel. La lecture du psaume 49, qui se démarque assez nettement des thèmes habituels des psaumes du premier et deuxième livre, m’en offre la matière. Le propos n’a pas pris une ride et parle aujourd’hui comme hier à tout être humain qui réfléchit.
Quel est le point commun à tous les humains, hormis leur constitution physique ? C’est la certitude que tous connaîtront la mort, issue commune et universelle de toute vie. C’est tout le sujet du psaume 49, sur lequel nous allons méditer. Ce psaume parle de la « même sortie pour tous », entendez sortie de la vie et du corps humain. Peut-être est-ce, finalement, la vraie sortie du confinement que de quitter un corps dont nous apprenons assez vite à connaître les limites et les incapacités, sans parler, avec l’âge qui avance, les inéluctables affaiblissements et altérations. Considérons maintenant la démarche du psalmiste. Nous ferons la lecture du psaume par morceaux successifs. J’userai de la version révisée Segond, dite La Colombe.
Introduction : appel à l’écoute (versets 2 à 4)
« 1 ¶ (49-1) Au chef des chantres. Des fils de Koré. Psaume. (49-2) Ecoutez ceci, vous tous, peuples, Prêtez l’oreille, vous tous, habitants du monde,
2 (49-3) Petits et grands, Riches et pauvres !
3 (49-4) Ma bouche va faire entendre des paroles sages, Et mon cœur a des pensées pleines de sens.
4 (49-5) Je prête l’oreille aux sentences qui me sont inspirées, J’ouvre mon chant au son de la harpe. »
L’auteur apostrophe les auditeurs-lecteurs. Ce qui va suivre concerne tous les humains, sans exception, de tout âge – petits et grands -de toutes conditions – riches et pauvres. C’est un message universel que présente l’auteur.
Il précise, de plus, que ce qui sera dit possède deux qualités importantes : la sagesse et le sens. Nous savons que l’Orient antique était terre de sages et de paroles de sagesse. La Bible en contient plusieurs livres : Job, Proverbes, Ecclésiaste, Psaumes, et dans les Deutérocanoniques, la Sagesse et le Siracide. C’est une grande partie de la littérature antique que la littérature sapientiale, car on peut y rattacher toute une série d’écrits philosophiques grecs et romains. La sagesse est une aide précieuse pour la vie (et la mort) de l’homme, n’en déplaise aux propos désabusés de l’auteur de l’Ecclésiaste-Qohélet.
Ces paroles seront « pleines de sens ». On peut trouver qu’il y a là une redondance. Mais si c’est le cas, c’est pour renforcer l’attention du lecteur. Le sens, dans une première acception, c’est ce qui donne la direction, qui aide à s’orienter dans sa marche.
Nous devons donc être prêts à trouver de la profondeur dans ce qui va être dit.
Thème 1 : Fausse sécurité, illusion et doute (versets 7 à 13)
« 6 ¶ (49-7) Ils ont confiance en leurs biens, Et se glorifient de leur grande richesse.
7 (49-8) Ils ne peuvent se racheter l’un l’autre, Ni donner à Dieu le prix du rachat.
8 (49-9) Le rachat de leur âme est cher, Et n’aura jamais lieu ;
9 (49-10) Ils ne vivront pas toujours, Ils n’éviteront pas la vue de la fosse.
10 (49-11) Car ils la verront, les sages meurent, L’insensé et le stupide périssent également, Et ils laissent à d’autres leurs biens.
11 (49-12) Ils s’imaginent que leurs maisons seront éternelles, Que leurs demeures subsisteront d’âge en âge, Eux dont les noms sont honorés sur la terre.
12 (49-13) Mais l’homme qui est en honneur n’a point de durée, Il est semblable aux bêtes que l’on égorge.
13 (49-14) Telle est leur voie, leur folie, Et ceux qui les suivent se plaisent à leurs discours. »
Dans ces six versets, deux sous-thèmes sont entrecroisés : le rôle des richesses et des biens et la fin inévitable.
Le rôle des richesses est au cœur des versets 7 à 9. Le verset 7 montre que l’opulence produit deux attitudes chez les riches : la confiance et l’orgueil. Le nanti place – même malgré lui – sa foi (car foi veut dire confiance étymologiquement) dans ses possessions, car il pense qu’il pourra se sortir de toutes les situations difficiles avec elles. Au plan de la vie terrestre, et dans notre contexte actuel d’un capitalisme hégémonique et sans retenue – il est vrai que l’argent (ou les biens matériels qu’on acquiert avec) permet de tout acheter, ou presque. Il n’est pas besoin ici d’insister longuement, mais nous savons, par la simple observation du quotidien que, de l’éducation à la santé, en passant par le travail et l’impunité judiciaire, tout s’achète, il suffit de mettre le bon prix dans la balance. Cette certitude rend donc les possédants confiants, pour leur présent et leur futur.
L’orgueil découle d’un excès de confiance et d’une analyse comparative avec les pauvres. Là aussi, il faut être bien ignorant ou aveugle, pour ne pas voir l’arrogance que donne la richesse. Ceci n’est pas une nouveauté de notre époque. Tous les récits historiques, depuis l’Antiquité, témoignent de l’assurance méprisante des puissants, lesquels sont toujours confondus, avec le temps, avec les riches. Ce qui caractérise notre époque, c’est la dimension de cet orgueil qui semble n’avoir aucune limite[1].
Quelle est la conséquence de ces richesses ? L’idée que tout est achetable.
Versets 8 & 9 : or, le psalmiste pose une première incapacité : celle de payer à Dieu le prix de leur rachat[2], celui de leur âme, au prix beaucoup plus élevé que toute leur fortune. C’est une impossibilité : l’homme, même le plus riche du monde, ne peut effectuer le rachat de son âme. Le matériel ne rachète pas l’immatériel, car ce sont deux catégories étrangères, quoi qu’en aient cru les hommes et les religions.
La conséquence est décrite au verset 10 : pas de vie éternelle et la fosse dans la terre pour tous. Principes non-négociables, que tout vivant appréhende très vite, par l’expérience, dès ses jeunes années.
Le verset 11 enfonce le clou : la mort frappe aussi bien le sage que le sot. La sagesse ne sert pas à éviter ou à vaincre la mort, elle sert seulement à s’y préparer[3].
Verstes 12 & 13 : Une des illusions humaines les plus persistantes est celle de la transmission des biens et de leur permanence. Cette illusion est d’autant plus forte que l’humain a un statut social élevé. Bien qu’il se sache mortel, il cultive ce rêve de voir son nom subsister par ses œuvres et ses monuments. Il s’agit là d’un vieux trait anthropologique, constaté dès l’Antiquité. Mais c’est un leurre, et le psalmiste le dénonce très crûment au verset 13 : le statut social ne dure pas plus que la vie et la fin de l’homme est « semblable aux bêtes qu’on égorge », comparaison radicale qui ne laisse aucun espoir. Car comme le dit le livre de l’Ecclésiaste, chapitre 3, versets 19 et 20 : « Car le sort des humains et le sort de la bête ne sont pas différents ; l’un meurt comme l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité.
20 Tout va dans un même lieu ; tout provient de la poussière, et tout retourne à la poussière. »
On pourrait avancer que l’histoire retient les noms des grands hommes. Ceci aussi est un leurre : l’histoire est une construction humaine qui suit des modes intellectuelles. Tel individu célèbre aujourd’hui demain sera tombé dans les poubelles de l’histoire à jamais. Rien ne résiste à la mort.
Thème 2 : le riche n’est pas du tout enviable (versets 17 à 20)
« 16 (49-17) Ne sois pas dans la crainte parce qu’un homme s’enrichit, Parce que les trésors de sa maison se multiplient ;
17 (49-18) Car il n’emporte rien en mourant, Ses trésors ne descendent point après lui.
18 (49-19) Il aura beau s’estimer heureux pendant sa vie, On aura beau te louer des jouissances que tu te donnes,
19 (49-20) Tu iras néanmoins au séjour de tes pères, Qui jamais ne reverront la lumière.
20 (49-21) L’homme qui est en honneur, et qui n’a pas d’intelligence, Est semblable aux bêtes que l’on égorge. »
Le verset 17 peut nous surprendre, avec son expression « ne sois pas dans la crainte ». Pourquoi serions-nous effrayés par l’enrichissement d’autrui ? En raison de cette illusion humaine que le renom et les grands biens (ou le pouvoir aujourd’hui) assureraient une sorte de survie post-mortem. On peut imaginer une crainte de cette inégalité, même face à la mort. Eh bien, elle est sans aucune raison !
Les versets 18 et 19 ramènent à la réalité toute nue : « car il n’emporte rien en mourant… » C’est ce que Job a réalisé dans son épreuve. Nous venons nus au monde et nous partons nus. « On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard » me disait ma grand-mère, en parlant des riches propriétaires terriens de son village. Voici le bon sens populaire. Tout le bonheur vécu, toutes les louanges terrestres cessent brutalement pour tous. Et la fin est universelle : « Tu iras néanmoins au séjour de tes pères..» (verset 20). Voilà la seule certitude qui nous unit tous et qui égalise toutes les conditions sociales. Bill Gates, Jeff Bezos, Elon Musk, François Pinaud… tous iront dans cette fosse des générations. Et là, tous auront le même destin : « ils ne reverront jamais la lumière. » Il n’y a donc d’avenir assuré que les ténèbres éternelles de la fosse et la putréfaction
L’auteur conclut en reprenant le verset 13, mais en lui ajoutant un élément : « L’homme qui est en honneur, et qui n’a pas d’intelligence, Est semblable aux bêtes que l’on égorge.», au verset 21 C’est l’intelligence qui fait la différence. Elle ouvre la possibilité d’une autre fin. Mais le psaume se termine là, nous n’en saurons pas plus. Cependant la réponse existe, elle est sous nos yeux.
Thème 3 : la mort peut être vaincue (verset 16)
Si on lit rapidement ce psaume, on risque de passer à côté de la réponse de Dieu, que suggère « le pas d’intelligence » que nous venons de considérer ci-dessus. Ce verset 16 est comme une bombe d’espérance au milieu de ce texte désabusé sur la mort.
« (49-16) Mais Dieu sauvera mon âme du séjour des morts, Car il me prendra sous sa protection. »
Alors que l’auteur vient d’enfoncer le clou dans tout le début du texte, la fosse est l’issue commune, la « même sortie pour tout le monde », comme j’ai titré cette méditation. Et voici maintenant que celui qui parle croit fermement qu’il sera sauvé du séjour des morts. C’est le mot schéol qui est employé en hébreu. Ce n’est pas l’enfer, qui est une notion inconnue du judaïsme. Le schéol est le lieu où va l’homme qui a rendu son dernier soupir, et là, plus jamais ils ne verront la lumière.
Il y a donc une espérance post-mortem dans la foi de l’ancienne alliance (ou première alliance). La Bible nous donne quelques exemples d’hommes qui ne sont pas passés par le schéol : Melchisédek, Hénoch, le prophète Elie… La version juive de la Bible (version du rabbinat français sous la direction de Zadoc Kahn) traduit ainsi ce verset :
« Toutefois Dieu délivrera mon âme du cheol, quand il lui plaira de me retirer… »
Notons que la seconde partie du verset diffère car ici elle ouvre sur une notion de temps indéterminé.
Ce que dit le psalmiste, c’est qu’il sera délivré (ou sauvé) du schéol. Il ne séjournera donc pas à jamais dans ce lieu de néant et d’obscurité. Mais nous n’en saurons pas plus sur ce qu’il adviendra de l’homme ainsi sauvé.
Si nous étendons rapidement notre réflexion à la Nouvelle Alliance, il s’y découvre plus de précisions.
1 Corinthiens 15 : 3 « Je vous ai transmis, avant tout, ce que j’avais aussi reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ;
4 il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures… »
rappelle le rôle du Christ dans ce salut. Paul affirme sa résurrection et donc, par lui, le pardon des péchés pour tous – c’est le fameux rachat évoqué dans le psaume 49. En croisant les différents textes eschatologiques du Nouveau Testament, que je ne peux pas reprendre ici, il apparaît que le Messie fera un retour en gloire et instaurera alors son royaume sur la terre, afin de vaincre définitivement la mort. Après quoi aura lieu ce que la Bible appelle la « fin des temps » ; là aussi je ne puis développer. Lisons Apocalypse 21 : 1 à 4 :
« 1 ¶ Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus.
2 Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux.
3 J’entendis du trône une forte voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux.
4 Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. »
Pour ce qui concerne notre thème d’aujourd’hui, c’est le verste 4 qui est capital : Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. Il ne s’agit plus ici d’une intervention divine sur tel ou tel homme de foi du peuple juif, mais d’un changement total de paradigme : la mort n’est plus, et avec sa fin disparaissent les peines et les douleurs de hommes.
Cette courte mise en perspective du Premier et du Second testament permet de mesurer toute l’importance de l’œuvre accomplie par Jésus-Christ à la croix et par la résurrection.
Conclusion
Tout ce que le psalmiste a écrit sur le terme de nos vies et l’inanité des richesses et de leur amour demeure. Ce qui a changé, c’est la dimension du salut. Le verset 16 du psaume ouvrait la porte à un salut individuel exceptionnel ; l’espérance nouvelle en Christ ouvre ce salut à tous et annonce que la mort sera définitivement vaincue. C’est ce que Paul affirme en 1 Corinthiens 1 :18 :
« 18 Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu. »
Ici est le saut de la foi, la coupure radicale entre le raisonnement humain et la logique de la foi. Depuis deux mille ans cette question divise l’humanité : Quel est notre choix ?
J.M Dauriac – octobre 2022.
[1] Considérons, par exemple les patrons des GAFAM et leur hubris financière et politique.
[2] Voici le texte de la note de la NBS, Nouvelle Bible Segond, dans sa version d’étude, sur le sujetd u rachat dans la Bible, notion majeure que je n’ai pas le temps de traiter ici :
Rédemption : Le vocabulaire religieux de la rédemption est d’abord employé dans l’Ancien Testament en un sens concret. Il s’agit de la reprise, du rachat, du dégagement ou de la libération d’objets ou de personnes qui sont chargés d’une obligation, d’une condamnation ou d’un engagement (sacrés ou profanes).
C’est la racine hébraïque g’l qui correspond généralement, dans la présente traduction, aux mots rédemption, rédempteur, et plus rarement au verbe apparenté rédimer; elle est aussi rendue par reprendre (#Jér 31:11). Elle est très proche, quant au sens, de la racine pdh, souvent traduite par libérer ou dégager (notamment dans le cas des premiers-nés ou des esclaves, #Ex 13:12; Ex 21:7,29; Ex 34:20; Lé 19:20; Lé 27:27; No 3:46; No 18:15). On peut aussi en rapprocher kpr, qui fournit le vocabulaire de l’expiation* et dont un dérivé, kopher, signifie également rançon (cf. #Ps 49:8).
Les termes apparentés à g’l relèvent à l’origine du droit familial. Le go’el ou rédempteur est celui qui a un droit (et dans une certaine mesure un devoir) de rédemption (ge’oulla) en faveur d’un proche parent. Il peut exercer un droit de préemption pour empêcher un bien foncier ou immobilier de sortir du patrimoine familial ou l’y ramener (#Lé 25:23-34; Jér 32:7; Ru 4:4), mais aussi libérer un des siens tombé en esclavage (#Lé 25:47), plus généralement le protéger ({==> NBS_Notes « Ru 2:20 »}; #Ru 3:9), voire venger sa mort (c’est la fonction spécifique du go’el ha-dam, le rédempteur du sang*, que limite partiellement l’institution des villes de refuge en {==> NBS_Notes « No 35:12 »}ss; #De 19:6,12; Jos 20:3,5,9; cf. #2S 14:11). Il assure la succession de son proche parent et peut recevoir, par exemple, une indemnité à sa place (#No 5:8; cf. #1R 16:11). En #Lé 27:13 la rédemption semble consister, pour un propriétaire, à reprendre son propre bien en annulant la consécration de celui-ci (voir saint*, sainteté, sanctification).
Les termes apparentés à g’l (notamment go’el, rédempteur; cf. #Ge 48:16; Ex 6:6; Ex 15:13; Esa 41:14; Esa 43:1,14; Esa 44:6,22; Esa 47:4; Esa 48:17,20; Esa 49:26; Esa 52:3; Esa 54:5,8; Esa 59:20; {==> NBS_Notes « Esa 63:4 »}, #Esa 59:9,16; Jér 50:34; Ps 19:14 (19:15); #Ps 69:19; Ps 72:14; Ps 74:2; Ps 77:16; Ps 78:35; Ps 103:4; Ps 106:10; Ps 107:2; Ps 119:154; Job 19:25; {==> NBS_Notes « Pr 23:11 »}; en parallèle avec ntsl, délivrer, en #Ex 6:6; Mi 4:10), comme les dérivés de pdh (notamment pour la sortie d’Egypte, assimilée à l’affranchissement de l’esclave; cf. {==> NBS_Notes « Ex 8:19 »}; #De 7:8; De 9:26; De 13:6; De 15:15; De 21:8; De 24:18; 2S 4:9; 1R 1:29; Esa 29:22; Esa 35:10; Jér 15:21; Ps 25:22; Ps 26:11; Ps 31:6; Ps 34:22 (34:23); #Ps 44:26 (44:27); #Ps 55:19; Ps 69:19; Ps 71:23; Ps 78:42; Ps 111:9; Ps 119:134; Ps 130:7; Job 5:20; Job 6:23; Job 33:28; Né 1:10; 1Ch 17:21; en parallèle avec délivrer en #Esa 50:2), peuvent dire l’action de Dieu en faveur de son peuple, collectivement, ou des siens pris individuellement (en #Esa 35:9; Esa 51:10; Jér 31:11; Os 13:14 les deux racines hébraïques sont employées en parallèle). Dans cette rédemption l’image du prix payé est parfois présente (#Esa 43:3), mais plus souvent elle passe à l’arrière-plan, quand elle n’est pas explicitement exclue (#Esa 52:3; cf. #Esa 45:13; comparer le cas de Jonathan en #1S 14:45, où dégager traduit pdh).
Dans la Septante (LXX*), ce sont souvent les dérivés du verbe lutroo qui correspondent à g’l et à pdh. Dans le Nouveau Testament ils décrivent l’œuvre que le Christ a accomplie pour les siens: une rédemption, ou une délivrance (#Ro 3:24; Tit 2:14; Hé 9:12,15; 1P 1:18), lue comme l’accomplissement des espérances d’Israël nourries de la méditation sur l’Exode (#Lu 1:68; Lu 2:38; Lu 24:21). On peut en rapprocher d’autres termes grecs, comme ceux de la famille de rhuomaï, délivrer (d’un mal ou d’un malheur, #Mt 6:13; Lu 1:74; Ro 7:24; Ro 15:31; 2Co 1:10; Col 1:13; 2Th 3:2; 2Ti 3:11; 2Ti 4:17; 2P 2:7,9; terme apparenté pour libérateur en #Ro 11:26) et de eleutheroo, libérer (#Ro 6:18,22; Ro 8:2,21; Ga 5:1).
Dans certains textes, cette rédemption est conçue à la façon d’un rachat, obtenu moyennant une rançon( grec lutron, antilutron), à savoir le don fait par le Christ de sa propre vie (#Mr 10:45//; #1Ti 2:6; 1P 1:19). Les dérivés du verbe agorazo (qui rappelle l’agora, la place du marché), suggèrent sans doute une représentation analogue (cf. #1Co 6:20; 1Co 7:23; Ga 3:13; Ga 4:5; Ap 5:9; Ap 14:3). Entendue au sens précis de rachat ou dans celui, plus large, de délivrance, la rédemption est présentée à la fois comme une réalité advenue dans l’expérience chrétienne (#Ep 1:7; Col 1:14) et comme une perspective d’avenir, objet de l’espérance des fidèles (#Ro 8:23; Ep 1:14; Ep 4:30; cf. #Lu 21:28).
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[3] Cf le mot de Montaigne : « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».