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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Une brève histoire de l’avenir – Jacques Attali: intelligent, vain et dangereux!

une brève histoire de l’avenir

Attali Jacques 423 pages – 2006 – Fayard

Je tiens Jacques Attali pour une des intelligences les plus fines de notre époque en France, et ceci sans tenir compte de son pedigree absolument époustouflant de bête à concours (ENA, Polytechnique, IEP). Je suis toujours estomaqué lorsque je l’entends répondre à une interview par la pertinence de ses analyses et leur originalité contextuelles. Je comprends évidemment très bien que François Mitterrand ait souhaité s’attacher ses services, lui qui était, bien plus qu’un autre, capable de déceler la supériorité d’un esprit. Ce que je vais dire maintenant de ce livre ne modifie en rien mon opinion, mais je serais malhonnête si je laissais l’admiration dicter cette critique.

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Ce livre est intelligent, vain et dangereux à la fois. J’essaierai, moi qui n’atteint pas le brio intellectuel de l’auteur, de dire pour quoi un agrégé de province ose évancer cet avis.

Intelligent d’abord. Ce n’est pas une tautologie de dire qu’un homme intelligent écrit un livre intelligent. Mircea Eliade, autre esprit supérieur du XXème siècle, écrivait dans une chronique intitulée « Despre geniul »[1] (en français « A propos du génie ») qu’il était frappé de ce que des esprits géniaux dans leur domaine pouvaient formuler en dehors de celui-ci des stupidités colossales dignes du crétin de base. Il en concluait que le génie était spécifique à une activité mais n’incluait pas que l’ensemble de la personnalité et de ses production soient toutes géniales. Peut-être Jacques Attali est-il un exécrable jardinier et un piètre bricoleur… Mais quand il nous livre « Une brève histoire de l’avenir », il nous fait cadeau (moyennant 20 €) d’un ouvrage qui pose une question universelle et intemporelle: quel temps fera-t-il demain?

Evangile de Matthieu, chapitre 16, versets 2 & 3 : « Jésus leur répondit : « Le soir, vous dîtes : Il fera beau, car le ciel est rouge ; et le matin : il y aura de l’orage aujourd’hui, car le ciel est d ‘un rouge sombre. Vous savez discerner l’aspect du ciel et vous ne pouvez discerner les signes des temps ! »

Depuis que l’homme a commencé à s’hominiser il veut connaître son avenir. Et depuis lors il ne sait pas qu’il augmente ainsi son malheur. Mais ceci est une autre histoire Qu’un auteur prolifique, reconnu pour la valeur de ses analyses se laisse aller au plaisir prophétique, il n’y a là rien de plus normal, surtout quand il est, comme Jacques Attali, initié à la pensée juive dont la symbolique et le prophétisme sont deux des mamelles. Tout homme qui commence à posséder des outils d’analyse, qu’ils soient pragmatiques (l’aspect du ciel) ou conceptuels (les signes des temps) se livre régulièrement dans ses conversations ou controverses amicales à cet exercice prédictif. Le plus souvent sur des points très précis et à court terme, usant de la méthode intuitive de l’extrapolation. C’est ici que nous retrouvons Jacques Attali. Il parfaitement compris l’intérêt intellectuel (comme mathématique) de cette méthode à laquelle ont recours de nombreux métiers. Il s’en sert donc comme support de sa démarche, laquelle est expliquée selon le principe qu’il a découvert en travaillant sur l’Andalousie et Averroès: d’abord en quelques mots présenter le thème du livre « Pour leur [nos enfants et petits-enfants] laisser une planète fréquentable, il nous faut prendre la peine de penser l’avenir, de comprendre d’où il vient et comment agir sur lui: C’est possible: l’Histoire obéit à des lois qui permettent de la prévoir et de l’orienter. » Il reprend ensuite en quelques lignes puis en quelques pages, ce qui constitue l’avant-propos. Si l’on était mauvaise langue, on dirait que c’est ce que les journalistes ont lu de son livre pour en rendre compte Le vocabulaire principal nouveau y est mis en situation (hyperempire, hyperconflit, hyperdémocratie, infra-nomades, ubiquité nomade, objets nomades, intelligence universelle, relationnelle;..); une bonne partie de ce vocabulaire vient d’ailleurs des livres antérieurs et en particulier de « L’homme nomade ». Cet avant-propos est clair, pédagogique, précis et personnel, bref intelligent. On y trouve cette remarquable qualité, sans doute la plus grande pour un penseur, l’art de la synthèse. Autre idée importante: l’avenir se construit avec et sur le passé. Donc cette brève histoire de l’avenir commence par un survol historique classique. Et là, surprise, quel est le thème choisi par Attali? Non pas une géopolitique comme il semblerait logique qu’il le fasse, mais une brève histoire du capitalisme. Ce qui signifie clairement que l’auteur pense que la géo-économie est décisive dans l’histoire du monde, soit dans une position marxiste, ce qui surprendrait chez Jacques Attali, soit dans une analyse libérale privilégiant le poids de l’économie et consacrant donc la faiblesse, voire la mort du politique. La suite du livre confirme largement cette seconde hypothèse. En ce qui concerne la technique utilisée pour présenter cette brève histoire du capitalisme, Jacques Attali choisit de raconter la succession des neufs « coeurs » du processus qui l’a constitué, autour de neufs villes décisives, soit Bruges,Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York et Los Angeles. Chaque « coeur » établit une forme du capitalisme qui met en avant un progrès et une technique: par exemple, Venise s’ouvre aux élites étrangères et en tire son succès, ce que l’auteur appelle « une leçon pour l’avenir ». Le but de ce rapide survol est donc de dégager les « leçons pour l’avenir » du passé capitaliste. C’est une partie intéressante, allègre et synthétique; certes on pourrait argumenter et discuter les choix ou la chronologie choisis, mais telle quelle cette démonstration est assez cohérente. Mais à l’issue de cette lecture, je me suis fait une réflexion très précise: il eût été élégant de rendre à Braudel ce qui lui appartient. Car la démonstration doit tout aux « économies-monde » et aux « villes-mondes » de l’historien français, comme les notions de « coeur », milieu ou périphérie. Le lecteur, même cultivé, qui ne connaît pas Braudel attribuera à Jacques Attali ces outils, les trouvera géniaux et augmentera ainsi la taille de la statue du commandeur. Je trouve cette omission grave, et peut-être signifiante… De ce rappel bref du passé, l’auteur sort donc des outils qui seront réutilisés dans les parties suivantes consacrées à l’avenir, mais pas toujours très explicitement, ce qui nuit à la rigueur de la démonstration. Les 150 premières pages du livre sont donc une histoire classique, du passé. Ensuite commence le prédictif, déroulé en quatre temps: la fin de l’Empire américain et les trois « vagues » de l’avenir, l’hyperempire, l’hyperconflit et l’hyper démocratie. Le principe de durée obéit grosso modo à l’analogie des ères géologiques: chaque partie nouvelle est deux fois plus courte ou presque que la précédente. Ce qui obéit à la difficulté croissante de l’exercice et à sa crédibilité décroissante. Car plus on avance dans le futur et moins cela devient crédible. C’est ici que l’on atteint le second caractère de ce livre.

« Vanité des vanités, tout est vanité et poursuite du vent » écrivait l’auteur du Qohélet, livre de la bible juive. Mais il y a des degrés dans la vanité; pour parodier notre auteur du jour, je dirais qu’il y a une infra-vanité et une hyper vanité. Ce gradient emporte le lecteur au fur et à mesure qu’il avance dans la lecture de l’ouvrage. Certes, on n’atteint jamais le ridicule achevé du livre d’Alexandre Adler, « J’ai vu finir le monde ancien », où une sorte de sommet indépassable semble vaincu. Mais une fois la dernière page tournée et malgré la doxologie finale que je ne peux résister au plaisir de citer, le lecteur regrette que l’auteur se soit ainsi fourvoyé dans une fausse bonne idée et il regrette encore plus de l’y avoir suivi; mais on ne quitte pas un livre en cours, même s’il naufrage, il y a des principes de lecture!

« Immense chantier dont chaque élément constitue, à lui seul, une réforme majeure, en France comme ailleurs.

Si les futurs dirigeants de notre pays apprennent à comprendre les lois de l’Histoire [tiens, revoilà les « signes de temps »!] et analysent clairement les trois vagues de l’avenir, ils sauront faire en sorte qu’il soit encore possible de vivre heureux en France et d’y mettre en oeuvre un idéal humain fait de mesure et d’ambition, de passion et d’élégance, d’optimisme et d’insolence.

Pour le plus grand bénéfice de l’humanité » page 423

Amen!

Mais avant d’en arriver à ce vibrant appel hugolien, il aura fallu lire des hypothèses de plus en plus absurdes au fur et à mesure de l’avancée de la pagination. La « fin de l’empire américain » est non seulement crédible, mais elle est dans la logique de tout ce que l’Histoire nous apprend effectivement. Pas besoin d’un talent médiumnique pour l’annoncer, elle est déjà en marche sous nos yeux. Ce qui en sortira est effectivement en grande partie lié à l’évolution récente d’un hypercapitalisme sans contrepoids. Là aussi, de très nombreux ouvrages traitent fort bien de cela et bien mieux que ce livre-ci: je songe en particulier au livre de Michel Beaud « Le basculement du monde »[2], sérieux et moins porté sur l’emphase du voyant. Mais c’est après cette partie que les choses se gâtent vraiment. Là, Jacques Attali enfile la tunique pourpre d’un Nostradamus aux petits pieds et camoufle le ridicule de ses pensées sous un lexique bourré de néologismes qui ne font pas longtemps illusion quand on les soumet à une analyse conceptuelle serrée. Ainsi « l’hyperempire » n’est que la forme évoluée de la globalisation, les « ubiquités nomades » ne sont rien d’autres que NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), les « infra-nomades sont les « lumpen-prolétaires » de Marx, etc, etc… Il y a donc ici une procédé clair visant à camoufler la vanité de la tentative derrière une sémantique de pseudo-spécialiste, un peu comme Régis Debray (tiens, un autre « poulain » de Tonton!) et sa « médiologie », affligeante de banalité. Ainsi il n’y aurait pas assez de mots dans notre belle langue pour que ces grands esprits puissent à l’aise exprimer leurs idées! Cela s’appelle de la cuistrerie, et ce n’est pas très glorieux. Mais c’est sur le fond que l’exercice révèle le plus son caractère inutile: d’hyperempire en hyper démocratie, on glisse de plus en plus dans le futile, le troisième thème représentant une sorte d’horoscope pseudo social-libéral qui frise parfois la nullité Deux ou trois exemples de la profondeur de pensée:

« J’appelle ici biens essentiels [expression novatrice attalienne soulignée par les caractères italiques] ceux auxquels chaque être humain doit avoir droit pour mener une vie digne, pour participer au bien commun » page 386.

« Le principe essentiel sera donc l’accès au bon temps. » page 387, lequel, vous ne vous en doutiez pas est effectivement ce que nous appelons tous le bon temps, mais pas en italique!

Il définit aussi pour nous le concept de « bien commun » qui est « ..la protection de l’ensemble des éléments qui rendent possible et digne la vie: climat, air, eau, liberté, démocratie, culture, langues, savoirs… » page 383. Soit tout simplemen la Terre et la culture humaine, deux vieux mots trop usés! Et cela continue avec ces magnifiques néologismes que sont donc les « infrahumains » et les « transhumains ».. A propos, quel est le sexe des « transhumains »? Mais hormis ces mots définis et redéfinis par de tels tissus de banalités, il n’y a qu’une glose vide porteuse d’aucun vrai projet de société. Et c’est là que le mot vanité prend tout son sens. Ce propos est vain car il n’a pas de contenu réel. C’est le « relationnel », c’est à dire l’humanitaire et les oNG qui seront porteurs de l’avenir du monde. On retrouve la pensée de « géants intellectuels » de notre pays, comme André Glucksman ou Pascal Bruckner, qui sont les plus esprits les plus puissants de leur rue, au moins! Si vous voulez faire passer un bon moment à vos convives lors d’un dîner mondain, lisez-leur quelques pages du chapitre sur l’hyperdémocratie; succès assuré. Si vous voulez leur filer les jetons et plomber l’ambiance, préférez le chapitre sur l’hyperconflit, assez gore. Enfin si vous avez des « déclinologues » à votre table, le chapitre sur la France, in fine les fera s’esbaudir de contentement! Mais au delà du caractère creux de tout ce qui concerne les trois formes futures évoquées, je trouve ce livre dangereux.

Dangereux, non pas comme « Mein Kampf » ou « Le protocole des Sages de Sion », bien sûr! Un danger soft et peut-être vain d’ailleurs! Je me situe ici au plan des idées qui sous-tendent le livre. Que Jacques Attali n’ait jamais été un dangereux révolutionnaire, comme son camarade Régis Debray, tout le monde le sait. Mais qu’il veuille à tel point nier le poids du politique dans l’histoire est presque émouvant, psychanalitiquement parlant! Au sortir de ce livre, vous ne saurez absolument pas si les bonnes idées sont à droite, à gauche, au centre ou ailleurs, vous ne saurez d’ailleurs rien sur le cadre institutionnel, les rapports de force, les luttes de classe, les révoltes, les trahisons, les innovations sociales… Cela n’existe pas pour monsieur Attali qui est au-dessus des partis et du Politique. Le « relationnel » est la solution. Et qu’est-ce que le relationnel, mesdames et messieurs? C’est tout simplement le nouveau nom attalien de l’altruisme ou de l’amour du prochain, selon les conceptions du monde. Il suffira que l’humanité ait eu les jetons un bon coup pour qu’elle s’en remette aux sentiments bons, généreux, altruistes… qui nous habitent tous en masse. Les transhumains comme les infrahumains, tous bons et tous copains! Voilà l’avenir qu’il a vu pour nous car « le poète voit toujours plus loin que l’horizon » comme le disait si bien ce vieux stalinien d’Aragon! Mais cette occultation de toute idée politique est en fait une manoeuvre volontaire pour que le capitalisme dont l’auteur décrit les méfaits ne soit pas attaqué dans ses fondements! Le premier impensé de ce livre est donc la politique. Etrange pour quelqu’un qui fut le conseiller du Prince, au sens machiavélique le plus pur du mot! Mais il y a un second impensé encore plus net dans ce livre, c’est la Terre et ses ressources. Tout se passe, quand on lit attentivement ce livre (et je l’ai fait!) comme s’il n’y avait aujourd’hui aucun problème d’énergie à l’horizon, pas de réchauffement climatique, pas de pollution, pas de morts industrielles dues aux modes de travail et de fabrication des produits, etc… Rien. Le néant. Le monde se fait, se défait et se reconstruit dans un univers isotropique. Et là, monsieur Attali, c’est carrément criminel! Car vous êtes trop intelligent et trop inséré dans les réseaux mondiaux, avec PlaNet Finances, par exemple pour ne pas savoir que l’avenir se joue d’abord là, dans le traitement que nous infligeons au monde sensible. Là, votre livre est dangereux plus qu’il n’est vain, car il entretient la double illusion que l’avenir du monde sera a-idéologique et sans soucis environnementaux, alors que si les orientations mondiales, nationales et locales ne changent pas radicalement, il sera peut-être déjà trop tard à la fin du XXIème siècle pour une bonne partie de l’humanité, et encore un fois les pauvres (les « infrahumains » de votre monde a-politique!).

Ecrire un tel livre quand on a votre intelligence et votre expérience du monde est une petite infamie. Si vous lisez ces lignes, je vous lance un défi: contactez-moi, rencontrons-nous et parlons. Et si vous le voulez écrivons ensemble un autre livre, un où les voix se confronteraient pour dire les divergences de vue. Comme vous je ne suis l’homme d’aucun parti politique, un petit homme qui essaie de préserver sa liberté de pensée dans un monde et une société française où tout formate les esprits pour le grand esclavage consumériste suicidaire global. Ne me dîtes pas que vous avez renoncé à changer l’avenir que ce capitalisme ignoble nous prépare!

Jean-Michel Dauriac



[1] In « Fragmentarium » livre de poche collection « biblio-essais », n° 4256

[2] Le basculement du monde , Michel Beaud, La Découverte poche – Paris

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Affinity quartet live, ça déménage au 440 de Mérignac!

Samedi soir 10 mars 2007, le quartet Affinity se produisait dans un bar à musiques de Mérignac, le « 440 ». Pour un Bordelais moyen, aller à Mérignac un samedi soir écouter de la musique c’est comme aller en province pour un Parisien. Ils y sont donc assez rares, ce qui laisse la place aux autres et c’est pas plus mal.

Ambiance sympa, avec un véritable accueil et surtout un authentique coin non-fumeur, ce que j’apprécie grandement (vivement octobre 2007 qu’on en finisse avec la fumasserie passive!). Autre bon point, ça commence à l’heure! On n’est plus habitué, à force de poireauter des dizaines de minutes, ce qui fait boire un peu plus, c’est toujours bon pour le comptoir! mais très mauvais pour le respect du spectateur. Car l’exactitude n’est pas qu’une convention bourgeoise voire royale, mais une authentique forme de courtoisie envers ceux qui se sont déplacés pour écouter. Et tant pis pour les retardataires!

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adresse de leur site : http://affinityquartet.free.fr/index.htm

Deux sets denses de standards sur base rythmique funk et latino, mais subtilement variée. On débute par « Caravan », histoire de se chauffer sans trop de risques et de donner des gages au public. Puis on embarque dans des morceaux moins connus, tant au point de vue du tempo que des rythmes. Affinity assure vraiment. On sent la complicité de longue date et tout cela baigne dans l’huile de scène. Chacun prend ses chorus avec entrain et sans barguigner: basse, piano, et saxo; le seul qui ne chorusera pas c’est le batteur (Philippe Valentine), mais de fait, si l’on est attentif à son jeu, et je l’étais, assis à deux mètres de lui, il est clair qu’il choruse tout le temps, à sa façon. Un vrai spectacle à lui tout seul. L’écouter et le regarder permet de comprendre comment faire parler une batterie. J’admire surtout la grande précision rythmique et le dosage des frappes. Avec un tel batteur, il est facile d’avoir l’impression de voyager dans un wagon pullman. Ce qui permet aux trois autres larrons de s’en donner à coeur joie à tour de rôle. Francis Fontes assure la tenue du piano de manière très efficace et subtile, notamment dans les accompagnements toujours structurants mais jamais lourds. A la basse, Dominique Bonadei est celui qui assure la coordination de l’ensemble. Il prend ses tours avec autorité et jubilation comunicatives. Jeu de basse très dynamique, sans perdre le caractère mélodique, chose assez rare pour être signalée. Aux sax ténor ou soprano, Hervé Fourticq asssure la chaleur cuivrée du son. Ce n’est pas un coltranien, de toute évidence, et ce n’est pas un reproche, simplement un constat. Il y a des influences des grands saxophonistes mainstream dans son jeu, à la fois rapide et précis. La mélodie est toujours là dans le chorus, à fleur de rythme. L’alternance des deux instruments permet d’éviter l’uniformité. J’ai songé plusieurs fois à Stan Getz en l’écoutant ou alors au Sonny Rollins et Coltrane des années 1950. Je dois avouer que c’est exactement le style de jeu que j’aime. Donc, j’ai beaucoup apprécié ses interventions.

Le deuxième set se termine en feu d’artifice par une très longue version de « Manteca » qui nous laisse scotchés sur nos chaises. Je repars avant le boeuf – j’aime pas vraiment les bovins musicaux! – en emportant pour moi tout seul des bouffées de morceaux dans le silence automobile de ma nuit banlieusarde (putaing voilà une vraie phrase littéraire comme on aime dans les médias). So long et plus si affinity!

J.M. Dauriac, le lendemain .

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La maison du retour (J.P. Kauffmann)

La maison du retour

J.P Kauffmann Nil éditions 2006 296 p

Peut-on dire d’un livre qu’il est gracieux sans que cela soit immédiatement compris comme une minoration ? Ce livre a de la grâce. Le contraire de la lourdeur, de la mécanique et de l’écriture au kilomètre.

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Il ne s’agit nullement d’un roman, comme le titre pourrait le laisser croire. Je n’ai pas lu les autres livres de Kauffmann (mais je vais sans doute revenir sur mes pas en la matière), et cependant j’ai l’impression que de puis « Le bordeaux retrouvé », son premier livre après sa captivité, dont il nous livre la genèse et le décor d’écriture, il ne fait que creuser le même sillon, comme tout « auteur » tel que les « Cahiers du cinéma » ou « Télérama » les définissaient en leur temps. Mais fait-on autre chose qu’arriver ? comme le chantait si bien Jacques Brel ? Ce n’est donc pas un roman. Ce n’est pas un essai non plus, il n’y a la aucune place pour un raisonnement et une démonstration thématique. Et pourtant elle y est, solide mais tacite. Peut-être est des mémoires ? Je dirais plutôt que c’est un récit de reconstruction, tout à la première personne. Les écrits que je préfère sont ceux-là : les auteurs ne se dérobent pas derrière ce vous impersonnel de l’université ou ce « on qui est un con » comme le rappelle Kauffmann au détour d’une page. Tu écris, alors signe de ton nom, à la pointe de ton bic ou de ton Mont-Blanc, les mots que tu faits naître.

J.P Kauffmann raconte un récit en trois ou quatre mouvements. J’appellerais d’ailleurs assez volontiers ce livre « Concerto pour survivan, maison de campagne et personnages classiques ». J’ai en effet été sensible à la construction musicale de l’ouvrage, à ces échanges permanents entre lui et les autres, réunis en orchestre complet ou en duo, triplette… Thème de l’œuvre résumé parfaitement par le titre. Au retour de ces trois années de captivité au Liban, dont toute la France se souvient encore, il lui est impossible de recommencer comme avant. Il est convalescent comme il l’écrit et doit gérer ce retour. Il cherche alors la maison qui va être ce lieu de retour au monde, faute de ne jamais pouvoir être un retour à la normale. Et il la cherche finalement dans l’endroit le plus improbable apparemment : les Landes de Gascogne.

Le premier mouvement est la quête de la maison. Exposé du motif et échange mélodique à trois voix : Jean-Paul, sa femme Joëlle et le marchand de biens local, Lapouyade. Une partie très british par son humour pince-sans-rire. Le personnage de Lapouyade évolue au fil des reprises du thème, prend de l’épaisseur, du mystère et finit par devenir un des leitmotfs du livre. Et comme dans les bons drames, c’est au moment le plus inattendu, alors que nous n’espérons plus que LA maison choisit son nouveau propriétaire. « Les Tilleuls », une ancienne maison de maître inhabitée depuis la seconde guerre mondiale où elle a servi de lupanar de luxe à l’armée allemande. Pourquoi elle ? Parce que c’était elle simplement… évidence spirituelle et magnétique.

Le second mouvement pourrait être titré à la Berlioz : « Castor et Pollux refondent Les Tilleuls ». C’est la période originelle, fondatrice, celle dont on sent bien qu’elle fut la préférée et la meilleure de l’auteur. Il s’installe dans cette maison en chantier et «surveille » les deux ouvriers portugo-landais qui retapent le lieu sous la conduite d’un ami architecte, Urbain, un autre des leitmotifs du livre, qui sera d’ailleurs croisé à la fin avec Lapouyade dans une sorte de choral polyphonique conclusif ouvert. L’homme blessé se réconcilie avec cette nature landaise et avec ses semblables fréquentés à dose homéopathique. Un beau mouvement où Haydn et Virgile sont les refrains onsédants du rite quotidien. Et puis un jour la nouvelle tombe : les travaux sont terminés.

Troisième mouvement : «Et la maison devint familiale… ». Ce qui aurait pu être le énième discours sur le retour au vert d’un bourgeois cultivé urbain est transcendé. Et c’est là qu’est atteint le style « gracieux » qui fait effectivement songer autant à Haydn qu’à Mozart. A aucun moemnt il n’est question d’une « résidence secondaire », de fiestas entre copains, de « décompresser de la vie trépidante de la ville ». Grâces soient rendues à Jean-Paul Kauffmann de nous éviter cela. Par contre il sait comme je l’ai rarement lu traduire les états d’âme de l’homme mûr face à son passé, aux livres, aux lieux et aux autres hominiens. Le repas de crémaillère peut devenir un texte à étudier en classe, si l’on étudiait encore vraiment la littérature au lycée ! Il y a du Stendhal dans ces pages ! Corrosion du propos habillé de mots si légers et de phrases si ciselées que l’on peut passer à côté sans la voir, un peu comme le reste de blockhaus qui jouxte « Les Tilleuls ». On peut investir un lieu, lui prêter son âme, mais il garde avant tout la sienne. Il faut savoir trouver les mots, les images pour traduire cela. Kauffmann l’a fait et réussi.

Quatrième mouvement : « Et l’homme se retourna sur les années passées aux Tilleuls ». Seize années plus tard il entame le final. Il est plus grave, une sorte d’adagio que je qualifierais de « mahlérien ». Les thèmes des autres mouvements sont repris, tissés, enrichis. Les voix du chœur entrent en jeu. La cathédrale résonne de la vie retrouvée, mais pas la même. Magnifique exercice de pudeur et de dévoilement mêlés. Lapouyade et Urbain reviennent, enrichis des Voisins ; un petit rappel du second mouvement fait entendre finement et brièvement les hautbois de Castor et Pollux. Et tout s’embrasse doucement dans l’air final que j’ai envie d’appeler « le chant du métier de vivre ». Quel beau texte ! Je me permets de le reproduire ci-après. S’il ne devait rester que cela de ce livre ce serait une grande réussite déjà ! Mais déjà la note dernière meurt doucement dans un murmure.

On sort de ce livre en appesanteur, comme séparé du monde, exactement comme l’auteur se définit lui-même, spectateur reculé mais non absent. Les livres gracieux sont rares, raison de plus pour se les conseiller dans un bouche à oreille gourmand. De plus, c’est une évidence mais il faut la formuler : les Landes sont le support principal de ce concerto intimsite. Et pas les Landes des stakhanovistes du kilométrage qui n’y voient efffectivement que pins ennuyeux et maïs aquavores. Non, les Landes d’Arnaudin, Manciet et Fénié, celles qui ne livrent qu’après de longs préliminaires et une cour patiente, les Landes secrètes que Lapouyade et Urbain personnifient à merveille dans ce récit.

Un bien beau livre, comme dirait ma concierge qui écrit des critiques dans « Gala » !

J.M. Dauriac

Quelques extraits :

Il est beaucoup question des livres et de la lecture dans cet ouvrage, car J.P. Kauffmann a tenu le coup lors de sa détention grâce aux quelques livres qu’il a pu obtenir. Mais son rapport à la lecture est ensuite devenu beaucoup plus distant pour ne pas dire faible.. Il écrit :

« L’épineuse question des livres, jamais résolue se pose à tout Occidental alphabète autour de la cinquantaine qui pendant toute une vie accumule des bouquins et répugne à s’en séparer. Les résidences secondaires sont justement faites pour cela : desserrer la pression de cette force qui menace et rassure. Un moyen élégant de les mettre en maison de retraite. On leur fait de temps à autre une visite, on se persuade qu’on garde le contact. » page 113

Un aphorisme élégant :

« Ce qu’on espère est toujours plus beau que ce que l’on conquiert. » page 201

Une belle explication culturelle référentielle :

« Je me souviens de ce passage de « Rhizome » [de Gilles Deleuze et Félix Guattari] montrant que « l’arbre a dominé la réalité occidentale et toute la pensée occidentale » et que le rhizome, système auquel obéit le bambou, s’oppose à ce modèle. Voilà peut-être l’explication : je suis un Occidental indécrottable, incapable de concevoir la richesses et la complexité de la structure rhizomique, propre à l’Orient. Chaque matin, armé d’une cisaille, je m’attaque aux bambous. » page 209

A propos de la propriété et de la richesse, alors qu’il vient d’acquérir une parcelle de plus pour protéger sa maison des constructions potentielles :

« Ce qui est souvent déplaisant chez les gens riches, c’est la présomption possessive. Ils sont convaincus que tout est réglé, qu’ils jouissent pleinement de leurs richesses, que leur bonheur dépend de ce qu’ils possèdent. D’avoir du bien les persuade qu’ils sont bien. A trop pratiquer l’auto-suggestion, ils deviennent pathétiques ou odieux. » page 243.

Et pour finir, le choral évoqué plus haut sur le métier de vivre :

« En dépit des menaces, mon existence est portée plus que jamais par le désir de vivre, de sentir, de regarder. Surtout de regarder car je suis devenu un spectateur irrassasiable du monde. Cette disposition, je la dois à la maison dans la clairière. Aux Tilleuls, j’ai pris conscience de cette évidence : être vivant suscitait en moi une joie invincible. Maintenant la course des jours s’accélère, la carcasse geint, l’esprit se dégrise, la parole rabâche, mais l’âme garde intacts son ardeur et son élan vital. Rien ne peut résister à une telle alacrité.

La vie est-elle un métier ? J’ai lu avec passion le journal de Pavese, « Le métier de vivre » qui s’interrompt le 27 août 1950 avec le suicide de m’écrivain dans une chambre de l’hôtel Roma à Turin. Me livre se termine ainsi : « Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus. »

Pourtant il a inscrit cette phrase : « L’unique joie au monde c’est de commencer. » Ce monologue sans faits, sans anecdotes, presque sans noms de personne est admirable.


Vivre. A l’évidence, Pavese n’avait jamais eu la vocation (n’a-t-il pas écrit un recueil de poèmes intitulé « Travailler fatigue » ?). J’aime ce métier. Malgré la violence et la vulgarité de ces « sombres temps », le principe vital est plus ardent que jamais. Le métier de vivre est pourtant pénible. On s’y éreinte. C’est souvent répétitif. Mais pour rien au monde je ne renoncerai au charme douloureux de ma condition d’homme.

Un regret cependant : à peine a-t-on acquis quelque compétence qu’il faut partir. L’emploi est beaucoup trop provisoire, c’est vrai, mais il me procure souvent de l’allégresse. Pas l’allégresse du travail bien fait car il estimpossible d’exercer ce métier avec compétence. Ce sont néanmoins ces moments-là que je désire retenir.

Je sais qu’il ne faut pas trop s’attacher : « Celui qui aime sa vie la perdra » assure l’apôtre Jean. » pages 277-278.

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