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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Le non-lieu géographique (A propos des gares du TGV Est)

Le non-lieu géographique

 

le TGV fait un bref arrêt dans une gare nouvelle de la ligne Est, la plus récente à l’heure où j’écris. “Lorraine TGV” est son nom.

 

La vision et l’usage de cet endroit me suggèrent quelques réflexions de géographe et de citoyen français

 

En premier lieu, on ne dessert plus une ville mais une région. Nous trouvons là une des conséquences de l’obsession de la vitesse et des contraintes chrono-techniques du train rapide. Les voies doivent aller le plus rectilignement possible afin de permettre ces vitesses de 330 km par heure et bientôt plus. En conséquence, l’essence du tracé est la vitesse, la platitude et l’espace disponible. Cela est grandement lié à l’espace rural. A ce stade-là, la ville est contraignante, mal pratique. Elle doit donc systématiquement être évitée sur les nouvelles lignes, sauf quand elle est un terminus. De là découlent les deux créations de la ligne est, “Lorraine TGV” et “Champagne-Ardennes TGV”. Les usagers et les collectivités doivent se débrouiller à rejoindre et raccorder le lieu de passage dicté par la contrainte chrono-technique. Apparaît donc ici clairement un clivage net entre la Grande Vitesse et le reste du transport ferroviaire. Les trains ordinaires vont d’une ville à l’autre, s’arrêtent dans des gares urbaines qui portent des noms de quartiers (Saint Jean, Matabiau, Montparnasse…) . Les TGV sont des concepts de transport, avec ce que les aménageurs appellent “l’effet tunnel”, déjà expérimenté avec la présence d’autoroutes sans échangeurs. La cicatrice du paysage ne lui rend rien au plan humain. Les sociétés locales vient passer à toute allure TGV et voitures. Rien ne me frappe plus que ces badauds des ponts enjambant les autoroutes qui regardent filer un fleuve métallique qui leur est inutile et étranger. Mais l’obsession de la chronophagie est satisfaite. Bordeaux-Paris en 2 h 30 minutes ou Strasbourg-Paris en 2 heures! Voici les slogans des camelots de la politique, de l’immobilier ou de la culture. Pendant ce temps de plus en plus compressé, les voies de desserte  ferroviaires locales ou régionales sont fermées ou s’enfoncent dans l’archaïsme  technique, la vétusté et le retard (discutez-donc avec les usagers réguliers des T.E.R.!)Mais le TGV se vend (plus ou moins bien!) à l’export, pas le TER! Cette situation découle donc d’un faisceau de logiques où l’homme est assez singulièrement absent. Et peu à peu toute la vie de nos “élites” s’organise sur ce schéma spatio-temporel. TGV le matin – réunion de travail à Paris- TGV soir. Et le lendemain Avion- séminaire à Prague – Avion. Kérosène et bla-bla. Illusion d’efficacité. Coupure et mépris du petit peuple rivé à sa misérable bagnole, mobylette ou rame de métro. Nous  voyons bien ici l’inversion du processus structurant: au commencement (béréchit…) l’homme créa les transports pour le servir et faciliter sa vie moderne. Puis, peu à peu d’abord, et très brutalement ensuite, le système de transport a créé le travail qui lui convenait et l’homo navigans qui va avec. On peut dire la même chose des télé-conférences et de l’ordinateur. Bilan: des gares nulle part.

 

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Et j’en viens au second point de mon propos. Ces gares sont des non-lieux. Il faut alors faire resurgir la langue-mère, le grec et on obtient u topos, avec le u privatif et le mot grec qui désigne le lieu. Cela vous dit quelque chose? Bien sûr! C’est l’origine du mot fabriqué par Thomas More dans son livre “Utopia”, qui décrit la vie idéale dans une île qui n’existe pas, d’où son nom. Ce titre a eu une grand fortune (plus que son auteur exécuté quelques années plus tard pour des raisons peu claires) et a fini par devenir le nom commun qui désigne à la fois l’idéal, l’irréel et l’irréalisable. Le XXème siècle aura été celui de la mise en oeuvre d’utopies totalitaires et diverses, nazisme, communisme, maoïsme…Il sera de bon ton après 1989 et la chute du bloc soviétique de décréter l’utopie mortifère et forcément totalitaire, en même temps que sa fin, pour notre plus grand bonheur. Mais qu’est-ce que ce non-lieu qui s’appelle “Lorraine -TGV”, sinon une utopie? Débarrassée cette fois de toute notion d’idéal et d’irréel. Ce non-lieu existe, en pleine campagne lorraine, entre Metz et Nancy, au milieu des prairies à bovins, des champs de blé et de colza et des villages lorrains groupés, aux jolis toits de tuiles en terre cuite. Un double quai, des halls métalliques et des humains migrants poussant leurs valises à roulettes vers les escalators les portants jusqu’aux bus qui les raménent vers leurs frères humains et leurs agglomérats d’habitats. Temps de l’arrêt: environ 3 minutes. Un non-lieu d’une tristesse peut-être prophétique. Ce qui était de la science-fiction au siècle dernier est déjà notre quotidien et annonce un futur dont nous savons déjà qu’il sera technicisé à outrance ou ne sera plus. Le non-lieu peut devenir la nouvelle norme, il l’est déjà partiellement. Les gigantesques aéroports sont plantés eux aussi dans le désert: voyez l’aéroport “Dallas-Fort Worth” ou pire Nagoya et son aéroport-île artificielle. Il est acquis qu’un  aéroport est artificiel. Il en sera bientôt de même pour une gare ou un port maritime. Couplons cette logique du non-lieu avec celle du “non-humain” ou du trans-humain” et nous avons une perspective assez effrayante d’un avenir à la “Blade Runner”. Voyons à échelle locale comment peu à peu la grande distributions déshumanise les grandes surfaces. Dans un avenir très proche, plus de caissières, plus aucun personnel dans les rayons, des caméras partout. Encore plus cauchemardesque, l’invention du “drive” pour aller faire ses courses. Des clics sur internet et ensuite un saut à l’entrepôt où un être humain (pour l’instant, mais c’est une tâche aisément robotisable) charge en moins de 3 minutes votre marché, et voilà l’affaire! Il ne faut pas être bien malin pour comprendre que d’ici peu un R2D2 dédié viendra pousser votre commande au ras de votre coffre. Notre vie de citoyens se résumera alors à des séries de non-lieux divers dont la ville contemporaine n’est que le plus subtil. même le vote, dans ces démocraties formelles, qui sont des totalitarismes techniques, se fera par internet. Petit à petit, l’homme efface de sa vie les rencontres physiques, soit symboliques comme le vote, soit triviale, comme l’échange marchand. Et l’on met en place des “réseaux sociaux” qui sont de pitoyables ersatz pour ados, enfantés par la technique et plus du tout par le désir, seul moteur vivant de notre espèce.

 

Conclure, ici, serait-ce baisser les bras et se soumettre? J’écris ce texte dans mon fauteuil de TGV première classe Strasbourg-Bordeaux. Je suis donc bénéficiaire-usager de ce TGV, mais aussi complice de cette déshumanisation qui ne dit pas son nom. Peut-être n’y-a-t-il ni problème ni solution? S’il y a solution, elle est tout sauf simple et surtout pas individuelle. Mais dès que le mot “collectif” est prononcé, l’impuissance d’une part et la peur collectiviste d’autre part inhibent toute action. Ainsi il faudrait se résigner à ces non-lieux et à cette non-humanité en gestation. Non, mille fois non. “Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le” dit le livre du Qohélet dans la Bible. Ma vocation d’humain est la liberté et la sociabilité Voilà le programme de lutte.

 

Jean-Michel Dauriac – 16 juin 2012

Article paru dans la revue « L’écologiste n° 38 – octobre-décembre 2012

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Le site du magazine est là: http://www.ecologiste.org/

 

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Le changement, c’est quand?

Le changement, c’est quand?

 

Introduction

 

Depuis 200 ans  environ (1789), la pensée du monde établit le changement comme composante du Progrès. Le changement est investi d’une valeur positive (comme le progrès) et sa permanence rejoint le système de la société de consommation. Il faut donc changer pour être dans le mouvement de l’Histoire et aller vers toujours plus de Progrès. Nous avons là une rupture avec une certaine fixité des temps anciens.

 

Nous allons nous poser quelques questions à partir de l’actualité récente qui a mis le changement sur le devant de la scène, depuis la campagne électorale de ce printemps. Le recours au « changement » a un côté magique ou miraculeux..

 

Quel est  ce changement dont on nous parle aujourd’hui ? (retour rapide sur l’actualité des six derniers mois)

Quelle est sa réalité de fond ?

Quel est le rôle du changement dans la foi chrétienne ?

Est-il compatible avec le changement laïc évoqué aujourd’hui ? Ou bien y-a-t-il conflit ?

 

Partie I : « Le changement, c’est maintenant »

 

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Le thème est en fait politique et au plus haut niveau, celui de la Présidence de la République.

 

En 2007, Nicolas Sarkozy a fait campagne sur la « rupture » et a gagné. En 2012, François Hollande a fait campagne sur « le changement » et a gagné.

Les Français sont donc sensibles à cette idée de changement et de progrès, au moins dans le discours politique. En votant pour ces hommess, nous sommes complices de cette demande ou promesse de changement ou de rupture.Aujourd’hui, six mois après l’élection, que pouvons-nous observer ?

 

Avant

Après

Nicolas Sarkozy

François Hollande

Le « bling-bling » : Fouquet’s, Yacht Bolloré,

Vacances aux Etats-Unis…

Tulle et le rassemblement place de La Bastille

Star-system : Ray Ban, grosse montres, comportement « people » : mise en scène de l’idylle et mariage avec Carla Bruni, image sportive…

Normalitude et discrétion familiale désirée (pas toujours obtenue)

Avion présidentiel et mise en scène des déplacements

Voyages en TGV ou voiture

Une idée et une déclaration par jour ; omniprésence médiatique (hyperprésidence)

Effacement et retrait par rapport au gouvernement (hypoprésidence)

Expulsion des Rom

Expulsion des Roms

Taxes et impôts en augmentation prévue

Taxes et impôts en augmentation prévue

Vie difficile des Français modestes

Vie difficile des Français modestes

 

 

Bien sûr tout cela existe, mais relève purement de l’anecdotique, de la communication, alors qu’on veut nous y faire voir une symbolique forte. Or, un symbole est porteur de sens. A nous de nous demander quel est le sens profond de ceci.

 

Face à ces faits, que peut et doit faire le chrétien ?

 

En premier lieu, je crois qu’il est capital de ne pas se laisser abuser et manipuler par ce jeu des apparences, mais de regarder au fond.

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En mai 1981, au lendemain du 10, Jacques Ellul écrivait dans son billet journalistique régulier : « 10 mai 1981 : rien d’important. ». Bien évidemment, il y avait là une part de provocation liée au caractère du personnage, mais on aurait tort de s’en arrêter là. Car ce que pressentait Ellul et ce qu’il voulait dire aux hommes et femmes de ce temps, et particulièrement aux chrétiens, c’est que rien de capital pour eux ne résidait dans le changement à la tête de l’Etat. Et l’avenir allait très vite lui donner raison, ce que l’histoire a établi clairement depuis.

Dans la vie politique actuelle, tout est affaire de communication et de façade.

Ainsi les salaires du Président et des ministres ont été réduits ostensiblement à la baisse de 30%. Mais Nicolas Sarkozy avait augmenté son salaire de 140% en arrivant à l’Elysée et les députés s’étaient votés une augmentation de 100% !  La réduction médiatique est donc une farce qui laisse des revenus augmentés de 110 et 70%. A comparer aux augmentations de tous les salariés depuis 5 années !

 

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« Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ». Cette belle phrase est tirée du roman « Le guépard » de Guiseppe Tomasi de Lampedusa, aristocrate sicilien qui l’a écrite en 1958. L’important est l’illusion.

 

Ecclésiaste 1 : 9-10a

 

« 9  Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

10  S’il est une chose dont on dise: Vois ceci, c’est nouveau! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.

11  On ne se souvient pas de ce qui est ancien; »

 

Partie II Changement de société

 

Le changement devient un but mercantile affiché sans pudeur :

         Passer de l’Iphone 4 à l’Iphone 5…

 

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         Installer Windows 7 en lieu et place de la précédente mouture dont nous exploitons 5 à 10% des capacités !

 

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         Acheter la Citroën DS4 ou la nouvelle « nouvelle Clio » alors que notre voiture fonctionne très bien…

 

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Ici, tout est affaire de gain matériel dans le secteur économique. Les firmes de nouvelle technologie sont les plus expertes dans cette manipulation de l’opinion. La publicité est l’outil de base, sous la forme d’un véritable matraquage médiatique sur tous supports.

 

La société est soumise à une pression de changement incessant qui nous est présentée comme absolument nécessaire et vitale :

         Changer la mort : un projet de loi sur l’euthanasie active ;

         Changer la famille : urgence absolue du « mariage pour tous » selon la belle formule de promotion ;

 

1 . Mais pourquoi changer la loi Leonetti ?

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pour éviter d’affronter le sens ou le non-sens de la souffrance et de la mort. Cette loi contient tous les principes suffisants à permettre une mort douce et sans souffrance. Elle n’est pas utilisée, car pas promue, le lobby de l’euthanasie ne veut pas d’elle.

2 . Pourquoi cette famille qui est à la fois recomposée, monoparentale, homosexuelle… ? Pour contourner le problème social de fond de l’autorité, de l’éducation, des relations de génération, du devenir des personnes âgées… Pourquoi promouvoir un « mariage » alors que celui-ci est largement critiqué et boudé depuis plus de trente ans ? Posons-nous ces questions et nous trouverons un début de réponse. Pourquoi vouloir créer un modèle familial dont on évacue les mots « père » et mère » pour les remplacer par « parent1 » et parent2 » ? Si ce n’est pour ne pas voir en face l’évidence de ce qu’est une famille et la filiation.

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La course au changement est en fait une façon d’éviter de parler du fond en jetant en pâture des débats superficiels et une course en avant vers toujours plus de pseudo-liberté. Il s’agit aussi de s’affranchir de toute contrainte créationnelle dans une illusion de toute-puissance sur soi-même.

 

 

Mariage pour tous : quels enjeux

 

Voici les points de vue des communautés juives et chrétiennes sur le projet de mariage étendu aux couples homosexuels :

Grand Rabin de France
Fédération Protestante de France
Conférence des évêques de France
Evangéliques
  et avec les commentaires de Louis Schweitzer

 

 

Partie III Quel changement promeut la foi chrétienne ?

 

 

 

Le changement du Christ a plusieurs caractères :

  1. il est profond et modifie radicalement l’individu : Romains 12 :1 « transformés »

 

« 1  Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. 

2  Ne vous conformez pas au monde présent… »

  1. Il a un caractère d’absolue nécessité : Jean 3 :3 « Il ne peut »
  2. Il n’a rien à voir avec celui de nos sociétés : Romains 12 :1 « monde présent » & Actes 2 :40 « génération perverse »

« 40  Et, par beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les exhortait,  en disant: Sauvez-vous de cette génération perverse. »

  1. Ce changement peut avoir un effet immédiat : Luc 23 :43 « Aujourd’hui tu seras »

« 43  Jésus lui répondit: En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

5.      Ce changement est porteur de fruits visibles : Matthieu 7 : 17 à 20

« 17  Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre produit de mauvais fruits, 

18  Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. 

19  Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. 

20  C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. »

 

Quand ce changement personnel (qu’on nomme conversion dans le christianisme) a eu lieu, il peut alors avoir des effets sociaux : Actes 2 :41 à 47

 

« 41  Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés; et en ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes. 

42 ¶ Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. 

43  La crainte s’emparait de chacun, et il se faisait beaucoup de prodiges et de signes par les apôtres. 

44  Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun. 

45  Ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient (le produit) entre tous, selon les besoins de chacun. 

46  Chaque jour avec persévérance, ils étaient au temple d’un commun accord,  ils rompaient le pain dans les maisons et prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de coeur; 

47  ils louaient Dieu et obtenaient la faveur de tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Église ceux qui étaient sauvés. »

 

L’Eglise Première ne change pas les gens, elle ne les convertit pas. Elle est le fait de gens changés qui se réunissent pour approfondir leur changement personnel. C’est ce témoignage qui porte du fruit (verset 47), mais c’est le Seigneur qui ajoute.

 

 

 

 

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Jésus, la Foi, le Doute & Nous


 

 

Prologue :

 

§        4 termes intimement liés, avec 4 majuscules car plutôt des notions (ou des concepts) que de simples faits. Nous sommes ici dans els fondements de la foi chrétienne.

§        Jésus et non Jésus-Christ ou le Christ. ici c’est l’incarné-homme qui me parle et m’aide à penser ma vie. Nous allons nous intéresser à ce qui nous est commun, l’humanité de l’homme de Nazareth, l’enfant de Marie et Joseph.

§        Foi et Doute sont un couple inséparable, soit pour se combattre, soit pour se nier mutuellement. « La foi bannit craintes et doutes » disait un petit choeur de mon enfance. Nous allons aborder ici la délicate question du doute au sens large, par ailleurs très peu abordée dans les sermons évangéliques.

§        Nous et non moi, car je suis convaincu que cela nous concerne tous, nous touche tous. Il ne s’agit pas de traiter le doute comme une maladie honteuse ou une passion néfaste que l’on cache du mieux que l’on peut. Si cela nous touche tous, la réponse est aussi avec tous et pour tous.

 

Regardons la vie de Jésus en 3 moments décisifs. Comparons avec la vie de certains croyants dans l’histoire. Et voyons ce que cela veut dire pour nous aujourd’hui.

 

Nous aurons 3 lectures de l’Evangile qui articuleront ces trois phases.

 

A / La foi agissante dans l’action.

 

Lecture : Marc 5 :22-23 & 35-42

 

« 22  Alors vint un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, qui le vit, se jeta à ses pieds

23  et le supplia instamment en disant: Ma fillette est à toute extrémité;  viens, impose-lui les mains, afin qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. 

………

35 ¶ Il parlait encore, lorsque survinrent de chez le chef de la synagogue des gens qui dirent: Ta fille est morte; pourquoi importuner encore le maître? 

36  Mais Jésus, sans tenir compte de ces paroles, dit au chef de la synagogue:  Sois sans crainte, crois seulement. 

37  Et il ne permit à personne de l’accompagner, si ce n’est à Pierre, à Jacques et à Jean, frère de Jacques. 

38  Ils arrivèrent à la maison du chef de la synagogue, où Jésus vit qu’il y avait du tumulte et des gens qui pleuraient et poussaient des cris retentissants. 

39  Il entra et leur dit: Pourquoi ce tumulte, et ces pleurs? L’enfant n’est pas morte, mais elle dort. 

40  Et ils se moquaient de lui. Alors, il les fit tous sortir, prit avec lui le père et la mère de l’enfant, de même que ceux qui l’avaient accompagné,  et entra là où se trouvait l’enfant. 

41  Il saisit l’enfant par la main et lui dit: Talitha koumi, ce qui se traduit: Jeune fille, lève-toi, je te le dis. 

42  Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher; car elle avait douze ans. Ils en furent hors d’eux-mêmes, (frappés) d’un grand étonnement. » 

 

 

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                                             La Résurrection de la fille de Jaïre de Santi di Tito (1536-1603)

 

Nous sommes dans le ministère de Jésus, plutôt au début, en Galilée.

Il apparaît publiquement depuis peu et il doit « faire ses preuves », au milieu d’un peuple habitué aux prophéties et aux miracles.

 

Il a déjà guéri auparavant des malades, des démoniaques, un lépreux, un paralytique…

 

Là, notre récit présente une énième demande de guérison (verstes 22 & 23), avec un caractère d’urgence et une malade très jeune. Puis l’intensité montre au verste 35, avec l’annonce de la mort de la jeune fille. Et là, Jésus est confronté à la mort, soit un pas de plus dans son pouvoir et son ministère.

 

Nous constatons qu’il ne doute nullement (verste 36) et qu’il a des paroles fortes pour Jaïrus : « N’aie pas peur, crois seulement ».

 

Il est donc question doublement de la foi :

§        Celle de Jésus, qui n’est pas altérée, même si elle entraîne les lazzi (verset 40).

§        Celle de Jaïrus, qui est requise et stimulée.

 

Nous connaissons la suite du récit, qui n’est pas aujourd’hui notre sujet : Jésus « réveille » la jeune fille, la mort est vaincue.

Jésus est ici en marche dans son ministère. Il va d’une ville à l’autre, prêche, guérit, marche et se repose peu. De temps à autres, l’Evangile nous le montre se retirant pour prier. Il n’y pas de répit, pas de temps morts. Ce temps du ministère est celui de la pleine activité de Jésus, il maîtrise autant que faire se peut, les évènements et les faits. Pa s place pour le doute. Une vraie communion avec le Père, dans l’action.

 

Nous avons aussi dans nos vies ces années d’actions dans répit. Celles où nous nous formons, nous travaillons, nous construisons une famille ou une carrière, nous sommes engagés dans des œuvres profanes ou spirituelles. Tout va bien. Il n’y pas là place pour la moindre interrogation .

Ecclésiaste 9:10  « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le; car il n’y a ni activité, ni raison, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas. »

Le mouvement recharge la batterie, comme dans les voitures hybrides. Nous avançons, Dieu bénit notre vie et notre action. Nous surmontons les oppositions, les accidents de la vie, les difficultés matérielles ou professionnelles…

Le doute, le découragement, l’abandon nous paraissent coupables et indignes d’un chrétien.

 

Mais la vie n’est pas linéaire, et il serait extrêmement dangereux de faire de ces moments le modèle perpétuel. Jésus va expérimenter autre chose.

 

B / Le temps des interrogations et de l’incertitude.

 

Marc 14 :32 à 40 :

 

« 32 ¶ Ils allèrent ensuite dans un lieu nommé Gethsémané, et Jésus dit à ses disciples: Asseyez-vous ici pendant que je prierai. 

33  Il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il commença à être saisi d’effroi et d’angoisse. 

34  Il leur dit: Mon âme est triste jusqu’à la mort; restez ici et veillez. 

35  Puis il s’avança un peu, se jeta contre terre et pria que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui. 

36  Il disait: Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. 

37  Il revint vers les disciples qu’il trouva endormis, et il dit à Pierre:  Simon, tu dors! Tu n’as pas été capable de veiller une heure! 

38  Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation; l’esprit est bien disposé, mais la chair est faible. 

39  Il s’éloigna de nouveau et pria en répétant les mêmes paroles. 

40  Il revint encore et les trouva endormis; car leurs yeux étaient appesantis.  Ils ne savaient que lui répondre. »

 

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                                            Le Christ au Mont des Oliviers – Sandro Botticelli (1445-1510)

 

 

Ce texte sur Gethsémané est très fort. Je pense à cette belle chanson des frères Chefneux, du début des années 1970 : « Les roses de Gethsémané »

 

« Les roses de Gethsémané

Ont vu mon Sauveur pleurer

Les roses de Gethsémané

Ont vu ses larmes couler…. » 

 

Jésus, ici, n’est plus dans l’action. Il est dans le retrait, la solitude et la prière (mais pas la même que celle que nous avons mentionné plus haut).

 

Le verset 33 est terrible :

 

«  Il commença alors à éprouver de la frayeur et des angoisses »

 

Les 2 verbes grecs sont presque synonymes ; il y là double dose de peur. Ce Jésus qui disait à Jaïrus : « N’aie pas peur », est frappé à son tour par la peur intense : l’angoisse, l’effroi, on n’est pas ici dans la petite crainte…

Peu importe ici la raison. Qu’il ait peur d’accomplir jusqu’au bout son destin n’est pas central dans notre démarche de ce jour. Ce qui nous intéresse et nous rend Jésus si proche de nous, c’est cette angoisse, cette frayeur. Qui peut se vanter de n’avoir jamais connu cela ? Assurément celui-là se ment à lui-même.

 

Jésus est à un moment crucial de sa vie, au sens étymologique du terme : il peut refuser cette « coupe » qui le ménera à la croix ou il peut la boire. Il en connaît le goût par avance. Sa prière n’est pas un refus, elle est une supplique à son Père pour qu’il change de projet et l’éloigne de son destin. ( lire le superbe livre de N. Kazantzaki, « La dernière tentation du Christ » qui est la plus belle évocation de ces moments que j’aie pu lire dans la littérature profane.).

 

L’angoisse est, de plus, doublée de la tristesse (verset 34). Et pas n’importe quelle tristesse : « une tristesse jusqu’à la mort », dont la formulation ambigüe ne change rien au fond.

 

Nous passons, touit le monde passe, dans sa vie humaine eyt spirituelle, par des moments « noirs ». Le nier ou le refuser n’est pas faire preuve d’une foi supérieure, mais se tromper soi-même. De nombreuses choses peuvent nous remplir de terreur : la maladie, le vieillissement, le chômage, la solitude, l’échec familial, sentimental ou professionnel, la peur de la mort…

Ceci est le commun de tous les hommes. Jésus n’y a pas échappé.

 

Ce qui apporte la note de lumière dans ce passage très sombre de l’Evangile est le verset 36b :

« non pas, moi, ce que je veux, mais, toi, ce que tu veux. »

 

La frayeur, la terreur, la tristesse sont notre lot à tous, mais notre planche de salut est de revenir à une parole de foi, c’est-à-dire de confiance, donc de soumission à la volonté de Dieu, car elle est le meilleur pour nous. (relisons 1 Jean chapitre 5).

 

Certes, le contenu de la « coupe » n’est pas changé, mais nous sommes alors aidés pour la boire et accomplir la volonté de Dieu.

 

Enfin arrive le troisième moment, qui est aussi le plus dramatique.

 

C / Le sentiment d’abandon, le doute total

 

Matthieu 27 : 35-38 & 44-50

 

« 35  Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort, afin que s’accomplisse la parole du prophète: Ils se sont partagés mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique. 

36  Puis ils s’assirent, et le gardèrent. 

37  On plaça au-dessus de sa tête une inscription indiquant le motif de sa condamnation: Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. 

38  Avec lui furent alors crucifiés deux brigands, l’un à droite, l’autre à gauche. 

……

44  Les brigands crucifiés avec lui, l’insultaient de la même manière. 

45  Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième heure il y eut des ténèbres sur toute la terre. 

46  Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte: Éli, Éli, lama sabachthani? c’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? 

47  Quelques-uns de ceux qui étaient là, l’entendirent et disaient: Il appelle Élie. 

48  Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge, qu’il remplit de vinaigre, il la fixa à un roseau et lui donna à boire. 

49  Mais les autres dirent: Laisse, voyons si Élie viendra le sauver. 

50 ¶ Jésus poussa de nouveau un cri d’une voix forte et rendit l’esprit. » 

 

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                                La Crucifixion de Nicola di Antonio d’Ancona (vers 1460)

Les fameuses dernières paroles du Christ, mises en musique avec quelle émotion par Haydn (et d’autres moins célèbres).

 

Dans ce récit, Jésus ne maîtrise plus rien du tout. Il n’a plus de choix ; il est cloué sur le bois infâme, condamné à une mort physique certaine. Le contenu de la coupe est bu jusqu’à la lie. Et Jésus pousse ce cri déchirant :

 

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », prononcé en araméen car c’était la langue que l’on parlait en Palestine à cette époque.

 

Ce n’est plus « Père », comme dans le récit précédent de Gethsémané, mais « mon Dieu ». La relation filiale est suspendue. Jésus est un homme qui hurle vers son Dieu, comme des milliers d’hommes ont dû le faire, dans les camps de la mort ou sur les bûchers de l’Inquisition, par exemple.

 

Là aussi, nous ne voulons pas entrer dans l’herméneutique de ce passage, ce ,n’est pas notre propos. Ce qui résonne en nous est ce sentiment violent et ultime de l’abandon total.

Les cieux sont fermés et plus rien ne répond à notre prière, à notre voix, à notre foi qui paraît sans objet. Jésus en est là, ramené à notre condition humaine sans Dieu. N’ayons donc pas honte de passer ou d’être passé par ces moments-là. Jésus rend le dernier soupir dans ces conditions. C’est apparemment un échec. Les brigands à ses côtés se moquent de lui. Nous savons, là aussi, la suite de l’histoire, dont nous sommes les bénéficiaires. Pierre fait un récit raccourci saisissant dans son sermon de Jérusalem à la Pentecôte : Actes 2 :31 à 33.

 

Romains 8:18  J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous.

 

Et ce moment affreux où tout semble vain et vide nous ramène à al foi et au « Crois seulement » conseillé à Jaïrus. La foi c’est aller contre la logique humaine, comme Abraham :

 

Romains 4 : 18  Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi le père d’un grand nombre de peuples, selon la parole: Telle sera ta descendance.

13  Il ne faiblit pas dans la foi

 

Sommes-nous seuls à connaître ces temps de doute absolu ?

 

D/ 4 exemples de croyants dans l’histoire :

 

§        Martin Luther, le grand réformateur, a lutté contre la peur de l’enfer et le doute des années durant dans sa cellule de moine, avant de trouver la réponse dans l’Epitre aux Romains, cette cathédrale de la foi (voir Romains 8 :1). Il a fini par vaincre el doute et la peur, mais la lutte fut terrible et longue. Il ne s’est pas découragé et Dieu lui a donné un grand destin.

§        Mère  Thérésa, la religieuse albanaise des bidonvilles de Calcutta, a laissé un livre de souvenirs où elle raconte, entre autres choses, ses années de sécheresse spirituelles, de vide, où Dieu n’était plus rien pour elle. Cela a beaucoup surpris les lecteurs catholiques de ce livre, car le saint ne peut douter, selon la légende de l’Eglise. Or, c’est tout le contraire. Le saint (évangélique) est celui qui ne se laisse pas terrasser par le doute et le vide . relisez le Psaume 23 et de nombreux psaumes de David.

§        L’Abbé Pierre a relaté également de tels moments dans ses derniers livres où il a ébranlé la statue du saint que l’on était en train de lui bâtir de son vivant.

 

Il vaut mieux crier comme Jésus que faire l’autruche et nier ces difficultés.

 

Marc 9 : 23  Jésus lui dit: Si tu peux… tout est possible à celui qui croit. 

24  Aussitôt le père de l’enfant s’écria: Je crois! viens au secours de mon incrédulité! 

 

Pour finir, parlons de Thomas ; le disciple le plus minorisé et ridiculisé (après Judas, bien sûr), surtout dans les milieux évangéliques où il fait souvent office de repoussoir et de contre-exemple. Moi, j’aime bien Thomas, car ce n’est pas Superman, mais il ne se conduit pas moins bien que Pierre et son triple reniement. Et pourtant…

 

Jean 20 : 24 à 29

 

24  Thomas, appelé Didyme, l’un des douze, n’était pas avec eux, lorsque Jésus vint. 

25  Les autres disciples lui dirent donc: Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit: Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. 

26 ¶ Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, et debout au milieu d’eux, il leur dit: Que la paix soit avec vous! 

27  Puis il dit à Thomas: Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté; et ne sois pas incrédule, mais crois! 

28  Thomas lui répondit: Mon Seigneur et mon Dieu! 

29  Jésus lui dit: Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru! 

 

Relevez le verset  27c

« et ne sois pas incrédule, mais crois ! »

 

Thomas est le plus ordinaire, celui qui a besoin de signes et de preuves. Cela ne signifie pas qu’il fût un apôtre mineur. La Tradition dit de lui qu’il a ensuite évangélisé les Mèdes, les Perse et jusqu’à l’Inde où serait sa tombe. Soit, entre autres le pays qu’un autre homme du doute, Jonas, avait ramené à al repentance.

 

Epilogue :

 

La foi, le doute, l’abandon, l’angoisse, la tristesse, Jésus les a vécus. Prétendons-nous être plus « saints » et « spirituels » que Jésus ?

 

Il n’y a pas de foi solide dans l’épreuve remportée sur le doute ; il n’y pas de présence et de communion avec Dieu et nos frères dans l’expérience de l’abandon ; il n’y pas de vraie soumission sans interrogation, voire sans révolte.

 

Relisons ou lisons le très beau livre de Jacques Ellul : « La foi au prix du doute ».

 

Vivre la foi chrétienne est tout sauf une petite vie peinarde et sans à-coups .

 


Dimanche 13 mai 2012

 

 

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