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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

La Colombe et l’Olivier – Méditations de confinement 8

Lectures de base : Genèse 6 : 9 et 11 – 7 :23-24 – 8 : 11-16 – 9 :1.

6 :9 et 11. « Noé était un homme juste et intègre. […] La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence. »

7 :23-24. « Dieu effaça tous les êtres qui étaient à la surface de la terre : ils furent effacés de la terre. Il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. Les eaux grossirent sur la terre pendant cent cinquante jours. »

8 :11-16. « La colombe revint à lui sur le soir, elle tenait dans son bec une feuille arrachée à l’olivier. Noé sut ainsi que les eaux avaient baissé sur la terre. Il prit encore patience sept autres jours, puis il lâcha la colombe. Mais elle ne revint plus à lui. L’an 601, le premier du 1er mois, les eaux avaient séché sur la terre. Noé écarta la couverture de l’Arche : il regarda, et voici au la surface du sol avait séché. Le second mois, le 27ème jour du mois, la terre était sèche.

Alors Dieu parla à Noé en ces termes : Sors de l’arche, toi, ta femme, tes fils et tes belles-filles. » 

9 :1. « Dieu bénit Noé, ainsi que ses fils, et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre. » (version Segond révisée)

La version audio est là:

Quand le gouvernement français a instauré le confinement, j’ai aussitôt pensé à l’histoire de Noé. Car je savais qu’il y aurait une sortie du confinement et c’est elle qui m’a renvoyé à Noé. Théoriquement, nous y sommes, puisque la semaine prochaine, à partir du lundi 11 mai, les mesures les plus contraignantes cesseront. Nous allons sortir de l’arche où nous avons vécu durant 8 semaines. C’est moins long que Noé et sa tribu, puisque, si l’on suit le texte biblique, leur séjour a duré près de 11 mois. Mais avouons que nous voyons arriver la libération avec plaisir.

Que peut nous apprendre l’histoire de Noé ?

Une remarque théologique ; peu importe que cela se soit passé exactement comme c’est écrit ou que ce soit un mythe (ce sont les deux positions possibles en théologie) : cela ne change rien au message que Dieu a voulu transmettre à l’humanité.

Voyons le cadre et les personnages : ch. 6, verset 9, nous trouvons une description morale qui est quasiment la même que celle utilisée pour caractériser Job – je vous renvoie à la méditation 6 – : « Noé était un homme juste et intègre dans son temps. » Donc Noé est un homme comme Dieu les aime, un homme droit.

En face et autour de lui, le verset 11 nous décrit un monde qui ressemble pas mal au nôtre : « La terre était corrompue devant Dieu, la terre était pleine de violence. » Evidemment, la formulation désigne les hommes, car la terre ne saurait ni se corrompre ni exercer la violence avec volonté. A nouveau, le Bien contre le Mal, l’homme intègre seul face à une société mauvaise. Dieu choisit de garder le bien et de détruire le mal.

Passons à l’action décrite. Nul besoin de revenir en détail sur ce qui arrive. Noé reçoit de Dieu des instructions pour construire un grand bateau, y embarquer  des spécimens de tout ce qui vit dans l’air et sur la terre, y stocker des provisions pour sa famille et attendre le signal de Dieu pour fermer les portes. Notons que Dieu parle – il ne nous est pas dit de quelle manière – à l’homme intègre qui suit sa loi, c’est une constante de la Bible.

Commence alors le déluge : le verset 11 du chapitre 7 dit cela en termes très poétiques : « … toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s’ouvrirent. » Et c’est parti pour des mois de pluie battante. Tout est submergé, plus aucune topographie n’est visible. Les versets 23 et 24 de ce même chapitre 7 nous donnent le résultat : extermination de toute vie sur terre et dans le ciel, ne subsiste que la vie aquatique. Plus de cinq mois de submersion totale.

Transposons à ce que nous vivons : depuis maintenant plus de cinq mois (ou peut-être plus), ce virus inconnu est apparu en Chine et, peu à peu, par le jeu des voyageurs, il a submergé le monde, comme la pluie pour les contemporains de Noé. La menace d’une extermination massive de la population humaine est bien réelle. Si on laissait courir le virus, ce serait une fraction énorme de la population qui disparaîtrait. Le Covid-19 est notre déluge. Combien de temps avant que les eaux baissent ? Nous n’en savons absolument rien, pas plus que Noé ne le savait.

Le déconfinement lent de Noé. Le chapitre 8 raconte un déconfinement très progressif. Noé voit bien l’eau baisser, mais il ne voit pas apparaître le sol. Alors il fait des tests : d’abord il lâche le corbeau, qui va et vient, puis ne rentre pas. Puis il envoie la colombe. Il y aura trois tests avec elle. Au deuxième test, elle ramènera une feuille d’olivier. Au troisième test, elle ne revient pas.

Comment là aussi ne pas faire le  parallèle avec notre situation. On nous parle de première et de deuxième vague, de pic, puis de plateau. Tout ce que décrivent les chapitres 7 et 8 de la Genèse. Il faut être sage et patient, c’est ce qu’on nous demande avec insistance. Les tests sont la clé du déconfinement, vous l’avez entendu comme moi. Pour Noé aussi, ils furent ce qui lui a permis de savoir qu’il pouvait « ôter la couverture de l’arche » pour laisser l’air et la lumière  pénétrer. Soyons prudent comme Noé. Attendons le signe de l’olivier, ce double symbole de la paix revenue avec la colombe. Il y aura une fin à cette « guerre sanitaire », l’olivier sera le vaccin ou le traitement. Mais tant qu’il n’est pas revenu avec la colombe, pas question de quitter nos abris sans assurance.

Le « retour à la normale ». 8 : 15-16 et 9 :1. Dieu a envoyé le signe de l’olivier, puis il a parlé à Noé et donné l’ordre de sortie. Cet ordre est donné car au chapitre 8, verset 14, il est dit : « Le second mois, le vingt-septième jour du mois, la terre fut sèche. » Nous devons attendre que la terre soit sèche, que toute trace de cette inondation virale ait disparu. Jusque là, pas question de revenir à la vie d’avant.

D’ailleurs le récit nous confirme bien qu’il y a un nouveau départ, selon ce  que Dieu souhaite. Le chapitre 9 est le compte-rendu d’une nouvelle alliance entre Dieu et la famille de Noé. Dieu s’engage à ne plus produire de déluge et donne le signe de l’arc-en-ciel. Lisez le contenu de cette alliance dans tout le chapitre 9 jusqu’au verset 19. C’est bien une base nouvelle que Dieu pose. Il ne revient pas à la condition d’Adam en Eden, mais il modifie la vie, dans le sens d’un respect plus grand et d’une responsabilité accrue. Il est demandé à Noé et aux siens de peupler cette terre : voici la mission première, peupler et remplir la terre.

Alors, tout est bien qui finit bien ? Pas tout à fait. Si l’histoire s’arrêtait en Genèse 9 :19, ce serait ce que les Américains appellent une « happy end », un beau conte moral. Mais il y a les versets 20 à 24 de ce chapitre.

La première cuite de l’histoire biblique. 9 :20-24. Ces cinq versets douchent notre enthousiasme. Noé plante de la vigne, en tire du raisin et fait du vin, et il se saôule. Et comme toutes les personnes ivres, il fait n’importe quoi. Il se dénude dans sa tente. Son fils Cham le voit et va le dire à ses deux frères Sem et Japhet.

Nous avons alors cette scène très cinématographique, qui prouve le grand talent du rédacteur : les deux garçons rentrent à reculons dans la tente, en portant le manteau de leur père et le recouvrent, sans voir sa nudité. Il faudrait une méditation entière pour étudier ce moment. Ce que je veux retenir pour nous est plutôt l’enseignement que l’on peut en retirer.

Dieu a conclu une nouvelle alliance avec les hommes, posé un cadre de respect de la vie (9 :2-11). Tout pourrait repartir à zéro. Mais voilà, Noé a réussi, il est heureux et il fait la fête, seul, et perd le contrôle. Il perd alors sa dignité devant son fils. Cet homme juste et intègre offre une image de lui très dégradante, malgré toute la grandeur de ce qu’il a  fait avant.

Nous venons de faire la démonstration que le peuple français pouvait respecter des règles très dures. Mais ne risquons-nous pas de finir comme Noé, et pour fêter la liberté retrouvée, perdre la tête. La nudité est ici le symbole de la vulnérabilité, pas de l’innocence édénique. Ivre, Noé redevient un homme ordinaire, qui peut être très fragile. Soyons donc rusés comme le serpent et prudents comme la colombe, en ces moments où l’ivresse de la liberté peut faire tourner la tête à notre peuple.

Il est dommage que cette belle histoire de Noé finisse sous la double faute du père et du fils. Elle est là non pour nous dire qu’il est fatal que cela finisse ainsi, mais pour nous exhorter à veiller sur notre intégrité, à garder notre dignité d’enfant de Dieu. La  vraie joie n’a pas besoin de l’ivresse pour exister.

Il faut que nos vies soient orientées par la colombe et l’olivier dans la prudence et la sagesse. L’apôtre Paul a pu dire : en « Ephésiens 5:18 Ne vous enivrez pas de vin : c’est de la débauche. Soyez, au contraire, remplis de l’Esprit » . Ce n’est pas le vin qui est mauvais – il est le sang du Christ dans la Sainte Cène -, c’est son abus. Tout est dans la mesure et la tempérance.

Jean-Michel Dauriac – 10 mai 2020

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Un autre Stefan Zweig ?Sur Pas de défaite pour l’esprit libre – Ecrits politiques 1911-1942

– Stefan Zweig – Paris, Inédits – Albin Michel – 2020 –350 pages, 22,90 €

A la sortie de ce livre, au début de cette année 2020, plusieurs articles le saluèrent comme il se doit : Stefan Zweig est un, si ce n’est l’écrivain le plus vendu dans le monde. Toute sortie d’un inédit est attendue et saluée. A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un copieux volume comme celui-ci. Il rassemble tous les articles qualifiés par les éditeurs de « politiques » écrits et/ou publiés entre 1911 et 1942, date du suicide de l’écrivain. Il offre donc un survol de plus de trente années qui permettent de juger vraiment de cet aspect de l’œuvre de cet auteur.

La plupart des articles que j’ai lus reprenaient en fait, je m’en suis rendu compte seulement à l’achat et à la lecture du volume, les éléments de langage de la préface de Laurent Seksik qui ouvre le livre et de l’avant-propos de la traductrice, Brigitte Cain-Hérudent[1]. Cet écrivain a connu un réel succès avec son livre Les derniers jours de Stefan Zweig, adapté en pièce de théâtre, jouée à Paris par des acteurs célèbres (Patrick Timsit et Elsa Zylberstein) ; il a récidivé en adaptant pour le théâtre Le monde d’hier. Cette célébrité et visibilité médiatique explique que les journalistes aient, très paresseusement repris son point de vue, qui ne peut qu’être favorable à Zweig, c’est une évidence. Voici une preuve de plus, s’il en était besoin de la paresse et du grégarisme de la profession (dans sa grande majorité, bien sûr, car il existe des journalistes qui « font le métier »).

Pourquoi ces précisions, avant même de parler du livre lui-même ? Par déontologie et honnêteté intellectuelle. J’ai lu avec attention cette préface. Elle est de très bonne qualité. Mais comme toute préface, elle conduit le lecteur à choisir une entrée, celle du préfacier, au détriment de la liberté supposée de l’esprit du lecteur ; c’est pourquoi je lis le plus souvent les préfaces après avoir lu le livre, et que je préfère les postfaces. Dans ce cas précis, on peut dire que tout a été fait pour que les lecteurs adhèrent à la thèse du préfacier. Quelle est-elle ?

Le mieux est de le laisser parler directement :

« On croit tout savoir de l’écrivain. Pourtant les textes rassemblés dans ce recueil vont dévoiler une facette méconnue de l’homme : le penseur.

Il est de coutume de réduire la pensée zweigienne à un ersatz de pacifisme teinté d’humanisme.[…]

Mais ces textes apportent surtout un éclairage radicalement nouveau sur la vie du Viennois en battant en brèche tout ce que l’on croyait savoir sur l’action d’un homme. C’est le mythe du non-engagement de Zweig qui est ébranlé. […]

Les pages de cet ouvrage incitent à une révision de l’accusation[2]. »

Tout lecteur sérieux aura compris à la lecture de ces lignes que cette thèse est ce qu’on appelle en rhétorique une thèse secondaire, dérivée d’une thèse première qu’elle vise à détruire ; c’est en réalité une anti-thèse. Elle a le mérite d’enoncer, au moins de manière édulcorée la thèse principale : Stefan Zweig a traversé sa vie en évitant assez soigneusement de s’engager, ce qui était contraire à sa nature profonde. Il a été un spectateur lucide et talentueux, pas un véritable acteur. C’est cette thèse que ce livre doit démolir, ou au moins, comme l’écrit Seksik, « l’ébranler », ce qui est moins ambitieux.

Les chroniqueurs, soit par paresse, soit par peur de se distinguer des louanges unanimes qui habillent Zweig et son œuvre, ont repris les éléments de la préface et les ont aménagés à leur petit sauce, comme le fait un élève intelligent qui plagie ou copie sur une autre source. C’est petit, très humain et, au final insignifiant, car la plupart des lecteurs passionnés se moquent de leurs opinions comme d’une guigne. Ces chroniqueurs écrivent d ‘abord pour leurs collègues, ensuite pour les auteurs et, enfin pour le petit public professionnel qui s’en nourrit (libraires, professeurs de lettres et de langues, étudiants avancés…), le grand public les ignore purement et simplement. Ce grand public, par contre lira la préface, et aura ainsi au moins l’intégralité de l’anti-thèse proposée.

Puis le lecteur entamera la lecture de ces textes, de taille, de sujets et d‘intérêt très variables. C’est le propres des éditions complètes d’offrir ce bric-à-brac qui ravit les spécialistes. Le lecteur ordinaire, dont je suis, s’ennuie parfois à lire certains textes ; C’est ici le cas des textes courts, qui sont souvent des réponses à des enquêtes ou des demandes de journaux. Un choix sélectifs sur la qualité les aurait éliminés : je n’en parlerai plus. Il reste ensuite une grosse trentaine de textes notables. Il n’est évidemment pas question d’en faire le tour ici, je laisse cela à quelques thésards qui vont se jeter là-dessus sur injonction professorale. Essayons de considérer les buts de ces textes. Pour ce faire nous les regrouperont en grandes familles, qui correspondent aux préoccupations constantes de Zweig, que nous connaissons déjà par ses biographies et  ses propres souvenirs.

Selon les dates, on peut identifier quelques grands groupes : la traductrice de ces textes – la traduction est très bonne – en donne d’ailleurs le contour dans son avant–propos. Mes conclusions de lecteur rejoignent les siennes. Il y a d’abord, chronologiquement, à partir de 1911, des textes qui parlent des livres, en tant que bibliophile ou professionnel du livre.. Ce sont des textes brillants, érudits même, qui s’adressent à un public de connaisseurs. Il ne saurait évidemment s’agir de textes politiques au sens plein du terme, à moins que l‘on considère que le plaidoyer pour des livres à prix modiques soit un combat culturel engagé ! La deuxième famille regroupe les textes liés à la guerre et à l’après-guerre. Un certain nombre de ceux-ci relève du travail du soldat Zweig et ne sont donc pas du tout politiques mais fonctionnels. Il faut reconnaître que Zweig sait rendre intéressantes les dites-commandes par son style et sa finesse. Plus intéressant sont les textes qui parlent du pacifisme. Zweig, dans la lignée de son ami Romain Rolland, a professé ce pacifisme tout au long de sa vie. Nous retrouvons donc dans ces pages un engagement connu, qui ne saurait que confirmer le portrait classique. Il fallait un  certain courage en ce temps-là pour soutenir ce point de vue, nous le portons au crédit de l’auteur. Mais il n’y a là rien de bien nouveau. Le pacifisme a été le seul engagement défendu par Zweig et que l’on lui a reconnu, depuis fort longtemps. Ce n’est pas rien, mais il faut ajouter que ce ne fut pas un militant actif, il ne fut pas emprisonné, comme les tolstoïens le furent en Russie. Certains de ces textes décrivent l’ambiance, en France ou en Suisse, dans l’immédiat après-guerre. Ils peuvent s’appuyer sur des livres, comme ceux consacrés à Barbusse. Cette veine pacifiste est la plus importante de ce recueil, sans surprises.

La troisième catégorie de textes est celle consacrée à la « question juive ». Elle apparaît plus tard,  à partir du début des années 1930, liée à la montée du nazisme. C’est le lot le plus intéressant, car il lève un peu le voile sur une facette peu connue de Zweig. On le savait opposé à tout nationalisme, et donc au sionisme. On a avancé que son statut d’apatride relevait d’une forme d’engagement contre le nationalisme. C’est possible. Dans les articles ici rassemblés, nous découvrons un Stefan Zweig qui affirme sa judéité et sa solidarité inquiète avec les juifs du monde germanophone (Allemagne et Autriche). Plusieurs textes sont des projets organisationnels, qui n’eurent pas de suite, mais nous permettent de saisir sa pensée. Toute la fin de ce recueil est constitué par ce genre de textes, soit un gros tiers. C’est donc une préoccupation constante de l’écrivain. Il en vient d’ailleurs à reconsidérer son opposition au sionisme face à la situation des juifs en Allemagne et Autriche, en soutenant l’idée du foyer juif en Palestine. Il faut donc porter au crédit de Zweig ce second engagement, moins connu que le pacifisme.

Enfin, nous devons signaler une espérance dans un projet européen. Zweig croit à une Europe de l’Esprit, même après l’horreur de la Grande Guerre. Mais son Europe est celle d’une élite, pacifiste et sensible, que les années 1930 vont complètement subvertir. Un des plus beaux de ces textes, sans doute même le plus beau est « L’unité spirituelle de l’Europe ».

A titre personnel, mon préféré est affublé d’un titre pour le moins intrigant, « Les pêcheurs au bord de la Seine ». Un beau texte sur l’accoutumance à toutes choses qui se répètent, une belle leçon historique pour nous inciter à ne pas juger trop vite les hommes hors de leur contexte.

Que penser de ce livre ? Littérairement parlant, il n’y a rien à redire, c’est formellement  très bien écrit, peut-être même plus réussi que les fictions, car les sujets se prêtent moins aux emphases que les oeuvres d’imagination. Nous retrouvons toute la finesse viennoise qui enchanta les lecteur du Monde d’hier. Stefan Zweig est un intellectuel de haut vol. Ce recueil n’a nul besoin de nous faire découvrir le penseur ; c‘est même une ambition stupide et insultante. Comment un grand écrivain et biographe comme lui ne serait-il pas un penseur de premier plan ? Il n’est nul besoin de réviser un jugement qui n’existait pas en l’état. La lecture des ces articles nous apprend toujours quelque chose grâce à l’érudition de Zweig.

Sur l’engagement de l’écrivain, je crois très sincèrement que cette publication en modifie pas beaucoup le portrait de l’écrivain. Il n’a jamais été le militant d’une quelconque cause. Ses seuls combats sont de plume, et encore à fleurets mouchetés. Ainsi, on est surpris par la modération de ses propos à l’égard du nazisme et d’Hitler, y compris dans le dernier texte, « Hartrott et Hitler », écrit en 1942 et qui sera publié après le double suicide de l’écrivain et de sa femme. Zweig n’est pas Péguy, il était incapable de l’être. Il ressort de ces écrits qu’il a toujours gardé cette distance bourgeois viennoise, si délicieuse en 1890, mais totalement inadaptée au monde barbare des années 1930. Zweig a été durant les années 1919-1942, un homme du monde d’avant. Il y a un abus de langage à nommer ce recueil « écrits politiques », comme à espérer qu’il en sortirait une figure engagée de l’écrivain.

J’aurais aimé que les paresseux critiques littéraires se livrent à cette analyse de fond, au lieu de plagier les auteurs impliqués dans cette publication, dont je respecte, sans les partager, les points de vue sur l’homme Zweig. Je m’y suis essayé, sans doute avec moins de virtuosité que ces mêmes chroniqueurs auraient pu déployer, mais avec le désir de rester honnête avec un écrivain que j’apprécie.

Jean-Michel Dauriac

Le 23 avril 2020


[1] Traductrice qui, dans la note1 de la page 23, justifie l’importance de son travail dans la réévaluation de Zweig, ce qui est tout à fait exact.

[2] Pages 13,16 et 17.

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Se souvenir de Lanza Del Vasto

Lanza del Vasto

Ou l’expérimentation communautaire

Frédéric Rognon

Collection Les précurseurs de la décroissance

Le passager clandestin – 2013

Il fut une époque, pas si lointaine pour moi, mais préhistorique pour les millenials, où le nom de Lanza del Vasto sonnait comme un étendard de contestation : c’était le temps de la Guerre du Vietnam, de la Guerre Froide et du Larzac. Il existait des ennemis de la paix et du bonheur très clairement identifiés : les Russes, les Américains, les Militaires… Un homme à la longue chevelure blanche animait ces foyers de sa présence bienveillante et prônait la non-violence, sur les principes de son maître Gandhi. On l’invitait à la radio et à la télévision, il publiait des livres. ? Ô tempora, ô mores, comme on disait chez les Romains ! Il suffit de regarder la télévision et d’écouter la radio pour mesurer le poids de l’absence de telles personnes. Le vide sidéral qui s’épanche partout est le miroir d’une époque sans combats autres que contre le gluten, les vaccins ou la 5G (mais on veut bien avoir la 4G quand même !) C’est peu dire que nous avons le droit, dans ce cas précis d’être un peu nostalgiques.

Frédéric Rognon, philosophe et auteur de ce livre

Le petit livre de Frédéric Rognon s’inscrit dans une collection qui entend présenter des « précurseurs de la décroissance ».  Objectif vraiment légitime tant cette génération a tendance à ignorer tout ce qui ne twitte pas et ne passe pas sur You Tune. Eh oui, il y eut des hommes qui, bien avant l’orgie consommatrice de notre temps ont entrevu l’avenir et son risque et l’ont dénoncé, voire combattu. Le mot « décroissance » n’existait pas, à peine dans le grand public le mot « croissance » était-il en usage. On parlait alors de progrès , de développement ou autre mot-valise. Mais derrière ces mots se cache toujours la même chose : le toujours plus. Lanza del Vasto , dès la fin des années 1930 forme, en Inde, lors de son séjour chez Gandhi, le projet d’une communauté fondée sur les principes gandhiens, mais en Europe. Il lui faudra une dizaine d’années avant de pouvoir lancer la première de ces communautés, qui prendra le nom de l’Arche (à ne pas confondre avec le mouvement de Jean Vannier qui porte le même nom, et qui est postérieur). Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur raconte, en une cinquantaine de pages, la vie et l’œuvre de Lanza del Vasto, personnage de roman. Ce n’était nullement un traine-savate, mais un intellectuel de haute volée, philosophe de formation, né dans une famille aristocratique cosmopolite européenne. Lui qui aurait pu connaître une vie oisive de nanti a choisi de vivre et de faire l’apologie du travail manuel et de l’agriculture naturelle. Il  a écrit énormément et laisse une œuvre importante, mais aujourd’hui tombée dans l’oubli.

Lanza Del Vasto et son épouse, Chanterelle

On trouve, dans la seconde partie de ce petit livre, des extraits choisis dans cette œuvre imposante. La sélection, très intelligente, car faite par quelqu’un qui a vécu à l’Arche et en connaît toute la philosophie, permet de découvrir des perles et donne envie d’aller directement à la source : la lecture finie, je me suis rué sur les sites de  livres d’occasion et j’ai commandé plusieurs ouvrages, tous indisponibles ou presque aujourd’hui.

Lanza del Vasto a pensé une société sans pouvoirs, sans violence et sans excès. Il a fait l’apologie de l’auto-suffisance agricole, de la frugalité heureuse et de la culture festive. Ses principes, il ne els a pas inventés mais puisées dans deux sources, dont il ne cite d’ailleurs qu’une : Gandhi et Tolstoï. Si Gandhi est revendiqué comme maître, la pensée de LDV est marquée, jusque dans ses expressions, par Tolstoï, mais celui-ci est, très bizarrement absent de ce que j’ai pu lire. Sans doute, déjà dans les années 1930, quand il découvre la non-violence, c’est à travers Gandhi car la chape soviétique et marxiste est tombée sur la pensée de Tolstoï. Mais Gandhi lui-même doit la base de ses idées au prophète russe. IL faut donc rétablir l’arbre généalogique de cette famille de penseurs.

Lanza Del Vasto, comme Tolstoï ou Gandhi, revendique d’être un croyant ; dans son cas un catholique fervent. Toute son œuvre est habitée par une spiritualité chrétienne et il ne faut surtout pas l’ôter de la pensée de Del Vasto, sinon il ne reste rien qu’une pratique un peu niaise. Ce livre permet de ne pas tomber dans ce piège et de saisir l’ensemble de la vision de l’auteur. Pour finir, je vous offre une des citations cueillies dans cette lecture :

« Ne perds pas ton temps à gagner ta vie.

Gagne ton temps, sauve ta vie. […]

Ne proteste pas contre ce que tu désapprouves. Passe-t-en. »

Les plus anciens auront reconnu la base d’un des slogans muraux de mai 68, « Ne pas perdre sa vie à la gagner ». Mais la pensée de Lanza del Vasto vaut beaucoup plus que ce qu’on appelé la « pensée 68 ». Découvrez-là en lisant ce livre réussi.

Jean-Michel Dauriac

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