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Le Blog à Jean-Mi ! Posts

Le geste d’Eve – Henri Troyat

J’ai lu – 1974 (1re édition, Flammarion, 1964)

Tout petit volume de 127 pages, ce livre est un recueil de nouvelles. Tout le monde sait que Troyat est né russe, avant de devenir un grand écrivain français et un immortel de l’Académie française. Les Russes sont des maîtres de la nouvelle, cet art si difficile. Beaucoup considèrent que Anton Tchekhov en est le prince. Mais il ne faut pas oublier tous les autres écrivains de talent qui ont excellé dans cet exercice. Citons seulement quelques-uns d’entre eux : Ivan Bounine, Léon Tolstoï, Alexandre Soljenitsyne ou Nicolas Gogol. Troyat ne dépare pas cette liste.

Henri Troyat

Bien sûr, Henri Troyat est surtout connu pour ces cycles romanesques de grande envergure (Les héritiers de l’avenir ou Les semailles et les moissons, par exemple) ou ses biographies très détaillées (son Tolstoï est excellent !). Il est assez aisé d’imaginer que la nouvelle est une récréation, une pause entre deux romans. Mais ce n’est pas un aspect mineur de son œuvre : il en maîtrise totalement l’art.

Il n’y a pas, à proprement parler, de thème commun à ces courts textes. Cependant, il faut noter que sur les neuf nouvelles, cinq s’achèvent par la mort du protagoniste . Il y a donc une dominante tragique. Et pourtant ce n’est pas ce que l’on retient de ces récits. C’est plutôt l’absurde et le ridicule qui l’emportent, incarnés par des héros médiocres qui meurent médiocrement. Tous ces récits sont contemporains, datés de la décennie 1960. Les personnages sont des « Français moyens », comme on le disait alors, à une ou deux exceptions sociales près.

Dans ces récits, le fantastique peut faire irruption à tout moment, ce qui ne peut que surprendre les lecteurs français cartésiens, pour lesquels H. Troyat n’est pas un auteur de littérature fantastique, mais un auteur « sérieux ». C’est, encore une fois, oublier son atavisme russe. Les Russes ont un rapport au surnaturel (nom religieux du fantastique) très différent du nôtre. Ils l’acceptent comme un fait inexplicable, mais pas impossible, alors que pour nous inexplicable veut dire impossible. Lisez, si vous en avez l’occasion, les contes populaires de Léon Tolstoï, vous y trouverez la démonstration de ce que je dis ici. Chez Troyat, le fantastique surprend d’autant plus qu’il n’est pas du tout annoncé par un climat, des indices ou des analogies. Il arrive brutalement, souvent pour mettre un terme à l’histoire – c’est le cas de trois nouvelles, Les mains, Bouboule et Faux marbre. Il provoque d’ailleurs plutôt le rire ou le sourire que la peur ou la perplexité. Comment pleurer ou être effrayé lorsqu’une vieille fille manucure trouve enfin son bonheur et épouse l’homme qui la rendra heureuse et que, dans une pirouette finale, l’auteur nous fait découvrir ses pieds à sabots, comme dans Les mains,

Plusieurs récits mettent en scène la petitesse des vies humaines et leur course absurde à la sérénité introuvable à  ras-de- terre. C’est le cas de Le carnet vert, forme de folie dérivée de la cupidité, ou de Vue imprenable, sur la misanthropie et l’esprit obsessionnel. Quant à la nouvelle qui donne son titre au recueil et qui est présentée en dernière position, elle illustre bien la force du rêve et de l’autosuggestion, que le réel détruit imparablement.

Voici donc l’exemple parfait de la lecture récréative qui convient pour se détendre, pour voyager intelligent ou simplement s’éloigner du quotidien. Troyat a cet art sûr qui nous captive dès les premières lignes et ne nous lâche qu’au point final, avec regret. Lisez ces nouvelles, le livre se trouve pour trois fois rien sur la plus grande bouquinerie du monde, Internet, ou, par hasard, en fouillant dans une armoire à livres, comme moi.

Jean-Michel Dauriac – Les Bordes – Août 2023.

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Quand les fondements sont détruits, que faire ?

   Prédication du 6 août 2023

Introduction

Il y a quelques semaines, le président E. Macron a parlé, à propos de certains événements dans nos villes françaises, d’un temps de « décivilisation « , ce qui n’a pas manqué de susciter d’abondantes réactions prévisibles, tant positives que négatives, selon les positions politiques défendues. Il y aurait donc un temps de civilisation et un autre de décivilisation. Tous les historiens, les archéologues, les anthropologues et même les sociologues sont d’accord sur le fait qu’une civilisation est un processus.

En 1919, l’écrivain et penseur Paul Valéry écrit, dans un livre titré La crise de l’Esprit, la phrase suivante, sujet de bien des devoirs d’histoire et de philosophie :

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »

La Première Guerre mondiale venait d’apporter la preuve sanglante que la brillante civilisation européenne pouvait s’autodétruire. Nous avons eu depuis ce temps de nombreuses autres preuves de cette capacité.

Une civilisation obéit à trois temps que l’on peut repérer partout dans le temps et l’espace de l’histoire du monde :

  1. Une naissance et une croissance qui la mènent à atteindre un plus haut niveau technique, moral et social que l’état antérieur.
  2. Un « plateau », plus ou moins long, où cette situation demeure assez stable, tout en évoluant.
  3. Une chute, lente ou brutale selon les circonstances, que l’on peut nommer « décadence », « effondrement » ou, ici, « décivilisation ». Au terme de ce processus, il peut ne rester que des pierres de la plus brillante des civilisations. La Rome antique, les Mayas, l’Empire mongol sont des exemples connus de ce processus.

Nous sommes, nous autres, Français du XXIe siècle, les membres de la civilisation gréco-judéo-chrétienne occidentale, née à Athènes, 500 ans avant Jésus-Christ. C’est un fait indéniable.

Lisons maintenant notre texte du jour, dans le Psaume 11, au verset 1 à 3 :

« 1 Au chef des chantres. De David. C’est en l’Eternel que je cherche un refuge. Comment pouvez-vous me dire : Fuis dans vos montagnes, comme un oiseau ?

2 Car voici, les méchants bandent l’arc, Ils ajustent leur flèche sur la corde, Pour tirer dans l’ombre sur ceux dont le cœur est droit.

3 Quand les fondements sont renversés, Le juste, que ferait-il ? »

C’est le verset 3 qui sera le sujet de ma prédication :

Quand les fondements sont renversés, Le juste, que ferait-il ? 

Comment interpréter ce texte d’un point de vue de la vie chrétienne pratique ?

On peut proposer une réflexion sur trois attitudes possibles, qui devrait nous aider pour notre propre comportement dans le monde contemporain et la société française.

Le temps de la déploration et du renoncement

Quels sont les fondements renversés ou détruits dont parle notre texte ? Les psaumes du premier livre du recueil (1 à 41) contiennent de très nombreuses allusions à cette ruine des fondations. David est l’auteur de la plupart de ces poèmes, et il écrit souvent sous le coup d’événements dramatiques pour lui. Il s’agit donc du reflet poétique et spirituel d’une vie humaine sous tous ses aspects.

Ainsi le psaume 3 est lié à la révolte de son fils Absalom, qui veut le renverser et s’asseoir sur le trône. Voir 2 Samuel ch. 15-18. Voyons les versets 1 & 2 de ce psaume :

« 1 Psaume de David quand il fuyait devant son fils Absalom. (3-2) Éternel, qu’ils sont nombreux mes adversaires ! Nombreux ceux qui se lèvent contre moi !

2 (3-3) Nombreux ceux qui disent à mon sujet : Point de salut pour lui auprès de Dieu ! (Pause.)»

La menace est bien réelle et la vie de David est menacée, une fois encore.

Le psaume 10 débute aussi par la description d’une situation dramatique. Lisons les versets 1 à 4 :

« 1 Pourquoi, ô Eternel ! te tiens-tu éloigné ? Pourquoi te caches-tu au temps de la détresse ?

2 Le méchant dans son orgueil poursuit les malheureux, Ils sont victimes des trames qu’il a conçues.

3 Car le méchant se glorifie de sa convoitise, Et le ravisseur outrage, méprise l’Eternel.

4 Le méchant dit avec arrogance : Il ne punit pas ! Il n’y a point de Dieu ! — Voilà toutes ses pensées. »

On pourrait multiplier les exemples à l’envi. Pour David, les fondements représentent à la fois la protection-bénédiction de Dieu et un peuple qui marche avec Dieu, dans l’obéissance à la Loi. C’est sa conception du monde, celle qui découle du fait qu’il est né dans une des tribus du peuple hébreu, élu par Dieu.

Chaque civilisation développe sa conception du monde, l’ordre qui est positif et sur lequel elle fonde son existence. Rome était fondée sur un régime politique élitiste, avec des catégories sociales nettes : les patriciens, la plèbe, les esclaves et les autres métèques, le tout cimenté par le culte de l’Empereur comme religion civique. Quand cet édifice s’est lézardé, peu à peu les fondements se sont effondrés. Le christianisme n’a pas pu remplacer cet ordre ancien et a accouché d’une nouvelle civilisation au VIe siècle : la chrétienté occidentale.

Le Moyen Age européen était une société avec trois ordres reconnus : ceux qui faisaient la guerre (les nobles et les seigneurs = bellatores en latin), ceux qui travaillaient (les serfs et les paysans et artisans = laboratores) et ceux qui priaient (les moines et les religieux =  oratores). Ces ordres étaient quasi imperméables et l’édifice était dominé par l’Eglise Catholique Romaine et le Pape. Quand les Seigneurs ont voulu s’affranchir de la tutelle de l’Eglise, les fondements de la chrétienté catholique ont commencé à se fissurer. La Réforme protestante a porté le coup fatal. Un nouvel ordre social a remplacé la chrétienté, c’est l’humanisme et le rationalisme, dont nous vivons peut-être la fin.

Quels sont les fondements sur lesquels nous sommes souvent en train de pleurer. Le « C’était mieux avant » est aussi vieux que l’homme. Nous avons des témoignages écrits fiables de la déploration lointaine des temps antiques, y compris dans la Bible. Les Grecs, les Romains, les Assyriens, les Egyptiens… ont tous laissé des traces de cette déploration.

Le judaïsme se construit sur la nostalgie du jardin d’Eden, sur la mémoire de Jérusalem (voir le très célèbre psaume 137 : « Sur les bords des fleuves de Babylone… ») et sur l’attente d’un messie glorieux. Le christianisme reprend cette base et construit deux extrêmes de l’histoire humaine, au début de la Torah et à la fin du Nouveau Testament : la chute en Eden et le péché originel qui ouvrent la Genèse ; l’établissement de la Jérusalem Céleste, qui clôt l’Apocalypse de Jean. Et entre les deux, les croyants passent leur vie à déplorer l’état de péché du monde et à rêver d’une Eglise idéale qui n’a jamais existé. Et, au nom de ces doctrines, nous jugeons de même le monde où nous vivons comme sans fondations et voués à l’errement du péché. Souvent, nous nous en tenons là. Ce faisant, nous reproduisons le plus souvent des discours récurrents que la littérature chrétienne nous fournit en abondance. Est-ce que la déploration nostalgique fait avancer les choses et corrige la situation ?

Bien évidemment, non. Mais nous nous y plaisons beaucoup et en restons là. Nous sommes les victimes d’un monde qui va à la perdition et de frères et sœurs qui n’arrivent pas à bien vivre l’Eglise.

Si nous en restons là, notre vie est bien triste. Déplorer seulement, c’est abandonner. C’est renoncer à toute lutte.

Le temps de l’analyse et de la réflexion

Le constat de déploration/condamnation est une étape nécessaire. C’est la prise de conscience que les événements sont négatifs, que les fondements sont mauvais ou ruinés, que la vie des hommes n’est pas bonne. C’est un acte de lucidité indispensable.

Luc 15 : 11-32 nous narre une histoire très célèbre chez les chrétiens, sous le nom discutable de « parabole du fils prodigue ». Inutile de la résumer, tout le monde la connaît. Ce fils cadet brûle sa vie et sa part d’héritage, jusqu’à devenir misérable. Ce sont les versets 17-19 qui nous sont utiles dans le cadre de notre réflexion.

« 17 Rentré en lui-même, il se dit : Combien d’employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je péris à cause de la famine.

18 Je me lèverai, j’irai vers mon père et lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ;

19  je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes employés. »

Le verset 17 relève de la déploration et de la plainte. Il est misérable et affamé, et sa condition est pire que celle des travailleurs de son père. Il a raison dans son contexte. Il pourrait en rester là et mourir de faim avec son ressentiment et son apitoiement sur lui-même.

Mais aux versets 18-19, il se livre à une analyse lucide et fait 2 constats :

  1. Il a fauté contre son père ;
  2. Il est juste bon à être traité comme un serviteur.

Sa déploration l’a amené à poser un diagnostic sur sa propre situation, et à la décrire sans aucune complaisance.

Que faisons-nous de notre déploration et du constat d’un monde misérable et/ou d’une chrétienté insatisfaisante ? Nous avons seulement deux options :

  • Soit nous nous enfermons dans cet état, et nous ne pouvons que devenir amers et aigris et, donc, faire fuir ceux qui sont autour de nous.
  • Soit nous formulons un diagnostic lucide à partir de cet état de fait.
  • Le monde autour de nous va mal, sans doute bien plus mal qu’il y a 50 ou 60 ans, ou même 40 ans. Pourquoi va-t-il si mal ? Parce qu’il avance sans repères sûrs, car il les a détruits assez systématiquement : l’éducation, l’autorité et la discipline, le travail, l’éthique et la fraternité vont de moins en moins bien. C’est au nom d’une pseudo liberté et d’un faux-progrès que tout cela est accompli, et les hommes se laissent berner par la propagande omniprésente (relire J. Ellul et son traité sur la propagande). Jésus lui-même, à son époque, a comparé les israélites comme des « brebis qui n’ont pas de berger » (Matthieu 9 : 36), preuve que cet état a été perçu à toutes les époques de crise.
  • L’Eglise du Christ, parfaite pour le Père et le Fils, est décevante vue par les hommes. C’est là aussi un constat récurrent. Une grande partie de la prédication de Jésus fustige les religieux de son temps, pharisiens, sadducéens ou zélotes. L’Eglise est, ici-bas, sur la terre, une institution humaine où le Saint-Esprit a parfois du mal à souffler. Les scandales sexuels catholiques sont les faits actuels les plus scandaleux, mais les dérives des télévangélistes américains le sont tout autant, et l’hexagone nous offre de piteux exemples de communautés chrétiennes ou de conducteurs indignes, de sentinelles endormies, d’ignorants heureux… C’est un fait que les Eglises sont imparfaites. Pourquoi donc ? Parce qu’elles persévèrent à rester humaines, au lieu d’être le temple du Saint-Esprit.

Les diagnostics sont donc posés. Qu’allons-nous en faire maintenant ?

Le temps de refonder, redresser les fondations

Nous en arrivons à la question qui nous implique personnellement : « Le juste, que fera-t-il ? » (On peut aussi user du conditionnel : « Le juste, que ferait-il ? »), ce qui permet d‘envisager toutes les situations.

Nous avons vu deux attitudes possibles jusqu’alors, la déploration et le constat lucide. En rester là serait faire preuve d’impuissance. Il nous faut donc poser cette question : Le juste, que peut-il faire ?

On peut dire déjà que la question elle-même est un premier pas. Se demander ce que nous pouvons faire, en tant que chrétiens, pour rétablir des fondations, c’est envisager qu’il y ait une possibilité d’action.

Bien sûr, je peux me sentir légitimement impuissant, incapable face à leur de la destruction. Je suis un simple être humain bien ordinaire, sans pouvoirs politiques, financiers ou éthiques. Je suis désarmé. Et pourtant, je sens intuitivement que je dois agir.

Je ne suis pas le sauveur du monde ni le superhéros capable de changer le cours de l’histoire. (Qui le peut vraiment ?). Reconnaître mes limites est un premier pas.

Ce constat doit m’amener à revenir à la source évangélique, au Christ. Celui-ci a souligné devant ses disciples, à plusieurs reprises, l’importance de la foi. La foi est la confiance en Christ, là où est la vie du croyant. C’est elle qui nous singularise par rapport à tous les autres hommes vivant sans repères ni fondements. C’est d‘abord d’elle que nous devons vivre intérieurement, avant d’agir extérieurement.

Galates 2 :20 affirme cette identité :

« 20 Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ, qui vit en moi ; ma vie présente dans la chair, je (la) vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. »

Cette position en Christ change tout. Elle est une assurance et une lutte de chaque jour contre l’incrédulité et le doute. Galates 3 : 26-27 nous

«  26 Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Christ-Jésus :

27 vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. »

Nous sommes donc fils de Dieu en Jésus-Christ. Dès lors, c’est dans cette filiation que nous devons agir, car c’est la position du juste (voir les textes de Romains sur la justification par la foi dans le chapitre 5).

Philippiens 4 : 13 va encore plus loin :

« 13 Je puis tout par celui qui me fortifie. »

Nous avons potentiellement tout pouvoir, à l’image de Dieu en Jésus-Christ. Si je puis tout, je n’ai plus aucune excuse pour rester inactif. Ce « tout » ouvre la porte infinie de la foi et de la vie en Christ.

Quelle action mener ?

Dans les deux épîtres à Timothée, l’auteur (Paul ou son école) emploie à trois reprises l’expression « bon (ou beau)  combat » – grec kalos strateias, littéralement la belle expédition militaire -, selon l’école Segond, beau étant plutôt dans la TOB. Voir 1 Tim. 1 : 18 ; 6 : 12 et 2 Tim. 4 : 7.

1 Timothée 1:18  « Mon fils Timothée, je te recommande ce commandement, que conformément aux prophéties qui auparavant ont été faites de toi, tu t’acquittes, selon elles, du devoir de combattre en cette bonne guerre ;

1 Timothée 6:12  Combats le bon combat de la foi ; saisis la vie éternelle, à laquelle aussi tu es appelé, et dont tu as fait une belle profession devant beaucoup de témoins.

2 Timothée 4:7  J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. »

Le beau et bon combat est, clairement celui de la foi. Cette expression montre clairement que le croyant est un soldat du Christ, il doit mener une lutte militaire, celle du bien contre le mal.

Face à des fondements ruinés, le beau et bon combat est celui qui vise à rétablir des fondations solides, ce qui ne va pas sans risques, évidemment.

Le livre de Néhémie, au chapitre 4 décrit le combat pour reconstruire les murailles de Jérusalem. Nous voyons bien ce que ce récit nous dit symboliquement. Le peuple de Dieu doit refonder la cité de Dieu. Cela se fait par le travail de terrain et par l’intelligence de l’organisation. Les adversaires se sont ligués pour faire échouer cette refondation. Mais ils ont échoué, face à la persévérance et à la veille des juifs.

6 (3-38) Nous avons rebâti la muraille, et toute la muraille fut achevée jusqu’à la moitié de sa hauteur. […]

13 (4-7) C’est pourquoi je plaçai, dans les enfoncements derrière la muraille et sur des terrains secs, le peuple par clans, avec leurs épées, leurs lances et leurs arcs. […]

16 (4-10) Depuis ce jour, la moitié de mes serviteurs travaillaient à l’ouvrage, et l’autre moitié tenait en main les lances, les boucliers, les arcs et les cuirasses. Les chefs étaient derrière toute la maison de Juda.

17 (4-11) Ceux qui bâtissaient la muraille et ceux qui portaient ou chargeaient les fardeaux travaillaient d’une main et tenaient une arme de l’autre ;

18 (4-12) ceux qui bâtissaient avaient chacun son épée attachée aux reins, et ils travaillaient ainsi. Celui qui sonnait du cor se tenait près de moi.

19 (4-13) Je dis aux grands, aux magistrats et au reste du peuple : L’ouvrage est considérable et étendu, et nous sommes dispersés sur la muraille, éloignés les uns des autres.

20 (4-14) Rassemblez-vous auprès de nous, à l’endroit d’où vous entendrez le son du cor ; notre Dieu combattra pour nous.

21 (4-15) C’est ainsi que nous poursuivions l’ouvrage, la moitié d’entre nous la lance à la main depuis le lever de l’aurore jusqu’à l’apparition des étoiles.

22 (4-16) Dans ce même temps, je dis encore au peuple : Que chacun passe la nuit dans Jérusalem avec son jeune serviteur ; faisons la garde pendant la nuit et travaillons pendant le jour.

23 (4-17) Et nous ne quittions point nos vêtements, ni moi, ni mes frères, ni mes jeunes serviteurs, ni les hommes de garde qui me suivaient ; chacun n’avait que ses armes et de l’eau. »

Nous ne pouvons pas accepter les évolutions qui bafouent l’esprit de l’Evangile. Nous devons faire connaître nos oppositions et nos positions. Face à la question de la fin de vie, à la procréation, à la question des identités sexuelles, au bricolage génétique, nous devons, à notre niveau, faire entendre nos voix. Ce qui ne signifie pas que nous devons rester figés sur la lettre du texte biblique, mais en défendre l’esprit. Et comment le faire, si nous sommes ignorants des positions bibliques et chrétiennes ? Cela nous demande un effort d’étude et d’argumentation évangélique.

Matthieu 5 : 14-16 nous décrit notre rôle :

« 14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ;

15 et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.

16 Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. »

Il s’agit d’éclairer la maison et les hommes. Agir ainsi, c’est rebâtir inlassablement les fondations que l’Adversaire veut détruire. Il ne s’agit pas de grandes proclamations à des foules, mais du témoignage constant affirmé parmi nos frères humains.

Refonder, c’est parler, mais c’est aussi agir pour la justice et la vérité. Le beau et bon combat est là. Défendre ce qui est juste et vrai dans la pensée de Dieu, pour aujourd’hui, et non adopter des positions biaisées qui fleurissent de nos jours. C’est militer aux côtés de ceux qui défendent des causes justes, être solidaire des petits, des faibles et des pauvres. Je refonde la justice et la vérité quand je défends l’opprimé, le persécuté, l’exploité ou le discriminé. Je refonde par la foi et par l’amour du prochain.

Conclusion

Bien des générations de chrétiens ont vécu des temps de décadence, de confusion et d’effondrement de leurs sociétés. La tentation est alors forte de se borner à la condamnation et à la déploration, qui sont un abandon de poste.

Cherchons à comprendre les raisons de ces situations, avec notre intelligence et avec le Saint-Esprit. Car toute situation a deux aspects : un côté humain, rationnel ou non, et un côté spirituel (ou mystique), que seul l’Esprit peut saisir. Mais ne nous résignons jamais à ce constat lucide d’effondrement.

Agissons et parlons en fils de Dieu en Jésus-Christ. Soyons présents au monde comme acteurs et comme témoins de la Bonne Nouvelle du Royaume. Luttons jusqu’à nos dernières capacités. Il n’y a pas d’âge légal de la retraite spirituelle, elle n’existe tout simplement pas. Alors nous pourrons faire nôtres les propos de Paul en 2 Timothée 4 : 7 :

« J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. »

Amen

Jean-Michel Dauriac – juillet 2023. Les Bordes.

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Indécence urbaine – Pour un nouveau pacte avec le vivant – auteur : Guillaume Faburel

Paris, éditions Climats, 2023, 22 €.

Enfin ! dirais-je. C’est la première fois que je lis un livre de géographe qui explicite clairement le problème urbain mondial, avec ses conséquences à court et long terme, alors que pendant près de trente ans j’ai tenu ce discours lucide devant mes étudiants de Classe Prépa. Guillaume Faburel est professeur d’études urbaines à l’Université Lumière Lyon 2, et enseigne aussi à Sciences Po Lyon et Paris. Si j’en crois ce livre, il est le loup dans la bergerie. Ce livre fait suite à deux autres ouvrages antérieurs dont j’aurais l’occasion de reparler un peu plus tard.

Le titre m’a attiré d’emblée, car il est très juste. C’est effectivement le fait que la ville manque totalement de décence dans la société actuelle, tant en France qu’au niveau mondial. Rappelons que la population mondiale n’est devenue majoritairement urbaine qu’en 2007, selon les statistiques officielles. Le taux d’urbanisation[1] actuelle serait estimé à 56,9% en 2022, selon l’ONU. On peut donc dire qu’à l’échelle de la planète la ville est encore faiblement dominante en population. Mais il en est tout autrement en termes de pouvoir et de richesses. Là, sa supériorité est écrasante. C’est d’autant plus vrai si l’on considère les pays occidentaux les plus riches. Même dans un pays rural et agricole comme la France, le phénomène urbain est devenu dominant à tous égards. Dans son ouvrage, Guillaume Faburel aborde la question à l’échelle mondiale, tout en jouant sur des jeux de zoom, dans le cadre des exemples abordés. Il est indéniable qu’il possède une grande connaissance du fait urbain actuel. Toutes ses assertions sont sourcées et étayées. 

Le projet est explicité en partie dans le sous-titre : Pour un nouveau pacte avec le vivant. Il laisse bien entendre la nécessité d’une refondation. C’est la démonstration de cette nécessité qui constitue la première partie de l’ouvrage, dont le titre est référentiel et résonne avec l’actualité littéraire de l’été : L’insoutenable légèreté de l’être urbain[2]. Dans le contexte intellectuel, technique et politique de la punique dominante, il semble incongru de s’attaquer à la ville, surtout à la grande ville. En effet, la doxa rabâchée sans interruption par les politiques, élus locaux, penseurs de cour et universitaires-vassaux est que l’avenir de l’humanité est dans la métropole, laquelle est parée de toutes les vertus. Ne lui doit-on pas le terme d’« urbanité », désignant la qualité de civilisé et de cultivé depuis l’époque romaine ? La ville est le lieu où s’épanouit la culture sous toutes ses formes, par opposition à la rusticité un peu bestiale des campagnards, ces « ploucs » ignares. La ville est le lieu de l’innovation : il est notoire que tout ce qui compte y a été inventé, et même si c’est faux, rien ne vaut la répétition d’un mensonge pour en faire une vérité. La ville est le lieu où se crée la richesse – la crise de 1929 en est le plus fabuleux contre-exemple ! – qui doit « ruisseler » sur les campagnes, si tout va bien. La ville est le lieu de la proximité humaine, donc des contacts, de la fête, des échanges… Et tant pis si Michel Sardou a chanté « dans les villes de grande solitude ». La ville d’aujourd’hui serait, de plus, devenue le lieu écologique par excellence, celui de la sobriété collective et de la lutte contre le réchauffement climatique. J’arrête là cet enfilage de clichés répétés à satiété dans tous les cercles de pouvoir et de communication.

La France des métropoles, telle qu’enseignée dans les lycées: propagande diffuse!

Dans les quatre premiers chapitres de son livre, G. Faburel démolit consciencieusement ces légendes, en adoptant le ton du pamphlet. C’est d’ailleurs le seul qui soit à la hauteur de la morgue et de l’indécence des urbains et de leurs promoteurs idéologiques. Je ne reprendrai pas ici le détail de sa démonstration, mais elle s’appuie sur des données précises, chiffrées et émanant des meilleures sources ou études. Soulignons qu’il ne s’agit pas d’une démolition intégrale qui entend supprimer le fait urbain, mais de la destruction d’une idole moderne. Car la ville a sa raison d‘être et son utilité, nul ne le conteste, et pas du tout l’auteur. Mais il montre fort bien que cette utilité n’a de sens que si elle est équilibrée par rapport aux autres milieux, ce qui n’est plus du tout le cas dans les pays les plus développés, lesquels, hélas !, servent de modèles aux pays émergents. Au sein de son exposé, l’auteur incorpore des témoignages divers qui sont autant de contrepoint au discours dominant. Cela va de la cantalienne contrainte d’aller en ville pour travailler, aux couples revenant à la campagne ou aux extraits de documents divers. Au terme de ces 130 premières pages, la fragilité réelle des grandes villes est démontrée, autant que l’escroquerie de certains discours promotionnels. Mais si on en restait là, ce ne serait qu’un pamphlet de plus, comme tant de penseurs de gauche savent en produire. Fort heureusement, il y a une seconde partie.

La seconde partie est titrée « Habiter autrement la Terre », donc nous propose de réfléchir à un changement radical de vie. Le début de la démarche commence par un constat édifiant : toutes les enquêtes effectuées depuis une vingtaine d’années montrent qu’une majorité de personnes souhaitent vivre hors des grandes villes. Et ce serait une grave erreur de croire qu’il s’agit d’un fait récent. G. Faburel cite une enquête de 1965, dans laquelle 65% des Français disaient déjà leur désir de voir la taille des villes limitées et reprocher son caractère inhumain à la vie urbaine (page 146). De fait, les mouvements démographiques attestent des nombreux départs des métropoles. Les aires urbaines croissent seulement par leurs périphéries. Le confinement lié à la pandémie de Covid19 a bien montré la limite de supportabilité des modes de vie concentrationnaires des grandes villes françaises. Il existe de nombreuses raisons de quitter la grande ville, que Faburel étudie successivement, comme les problèmes écologiques – qui vont totalement à rebours des discours officiels -, ou les problèmes de prix du foncier. Certes, ces désirs de départ ne se concrétisent pas, le plus souvent ou, s’ils aboutissent, ils donnent des néoruraux ou des rurbains pétris de la mentalité urbaine, en décalage avec leur nouveau milieu. Mais cela dit que le malaise est profond.

Partir, certes, mais pour aller où ? La question est d’importance.  Comme je l’ai dit plus haut, il est impossible de renoncer à la ville. Mais on peut imaginer un nouveau système urbain, construit sur d’autres standards, tirés de l’observation de terrain. G. Faburel avance une taille optimale de 30 000 habitants pour la ville désirable. Pour ma part je soutiens un seuil plus bas aux alentours de 20 000 habitants, soit la taille d’une ville comme Libourne. Mais il va bien plus loin en proposant un modèle d’autonomie, foncé sur la production vivrière et donc, sur la mise à disposition de terrain cultivable, soit des jardins de 200 à 1200 m² pour l’autonomie légumière d’une famille. Ceci implique évidemment un retournement de tendance absolue, avec une occupation du sol qui revient à la campagne ou à la France des faibles densités, la fameuse « diagonale du vide ».

Un village isérois, absurdement inclus dans la métropole de Grenoble.

De cette proposition découle alors un nouveau mode d’organisation spatiale et sociétale. Faburel appelle cela « l’horizon biorégional ». La biorégion se définit à la fois par un cadre géographique physique et des activités humaines. Il s’agit de trouver un équilibre entre écologie et production, entre autosuffisance et échanges. L’auteur n’esquive pas le problème induit capital, celui du système politique adéquat. Bien entendu, le centralisme jacobin technocratique s’avère non seulement obsolète, mais aussi nuisible. Il faut procéder à un « déménagement du territoire », dont on comprend bien qu’il prend le contrepied du fameux « aménagement du territoire », création gaullienne inspirée de l’après-guerre et des travaux de Jean-François Gravier. Ce sont les hommes et les femmes qui doivent bouger et choisir leurs lieux et leur gouvernance. Le seul régime possible est bien celui de l’autogestion, soit en réalité le retour à un anarchisme communautaire et municipaliste. Si je ne puis qu’approuver la logique de cette démonstration, il faut bien admettre qu’elle est parfaitement utopique. Faburel cite en exemple le Chiapas. Mais on sait avec quelles difficultés se maintient ce projet et je vois mal la transposition en France, avec pour base les communautés diverses existant en Ardèche ; Lozère ou autre Ariège, comme le propose l’auteur. Mais il faut lui reconnaître le grand mérite d’avancer des propositions concrètes, quand la plupart des critiques de gauche se bornent au pamphlet et à l’incantation nostalgique.

Ce livre est une lecture roborative, qui contraste avec les discours consensuels mensongers sur les vertus de la métropolisation et la propagande qui entraine les masses à se concentrer de plus en plus, dans le monde comme dans notre pays.

Guillaume Faburel, professeur d’Université à LYON2

L’ouvrage n’est pas exempt de défauts. Un des plus agaçants est certains tics de langage. L’auteur abuse, par exemple, du terme « réempaysannement » ou « réempuissantement ». Ce type de néologisme est malheureusement un tic de langue révélateur du moule universitaire contre lequel l’auteur se dresse explicitement et véhémentement (tout en en vivant). Au fil de la lecture, j’ai été souvent hérissé par ces termes inutiles. On peut les retirer du texte sans dommage.

Un autre défaut, spécifiquement universitaire, est l’accumulation d’un appareil de notes pléthorique. Il y a quasiment quarante pages de références ! C’est absolument insupportable pour le lecteur sérieux comme moi, qui ne peut s’empêcher d’aller vérifier. La lecture est hachée et perd donc beaucoup de son efficacité. Je sais bien que l’affichage massif de références est une preuve d’érudition et de recherche, très apprécié dans le microcosme de l’Université. Mais il ne faut pas croire leurrer le lecteur averti : il sait bien qu’il est impossible d’avoir lu tout cela et qu’il est là face à ce qui peut être de la cuistrerie. Une solide bibliographie sélective terminale aurait largement suffi et aurait permis de réduire les notes aux compléments vraiment utiles.

Ces remarques critiques ont pour but d’aider l’auteur à alléger le livre et à le rendre vraiment lisible par le grand public curieux, car ce n’est pas en restant dans le petit gotha universitaire que ces idées pourront faire des petits. Tel quel, il reste un ouvrage précieux à lire et à faire connaître.

Jean-Michel Dauriac – Août 2023.


[1] Pourcentage de la population qui vit en zone urbaine.

[2] Le romancier tchèque-français Milan Kundera, auteur du célébrissime livre qui porte ce titre, est mort le 11 juillet 2023, à Paris.

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