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Encore un de ces livres achetés lors d’une promotion du Livre de poche, chez mon libraire d’Aigurande, pour faire vivre le petit commerce local. Je n’aurais sans doute jamais acquis ce livre s’il y avait eu un choix plus large. Mais c’est la règle du jeu, et aussi l’occasion de découvrir des titres qui sortent de ceux de mon spectre habituel.
Je connais Barbara Cassin en tant que philosophe contemporaine, mais je n’avais lu que des textes courts écrits par elle ; j’ignorais même qu’elle avait intégré l’Académie française. Le livre était mince, je me suis dit qu’il ferait une excellente lecture de dépannage – vous savez, le livre qu’on emporte dans certaines circonstances où l’on craint de devoir attendre ou de s’ennuyer.
Au bout d’une vingtaine de pages, j’ai failli abandonner, je dois l’avouer. Peur de perdre mon temps. J’ai cependant persévéré, en grande partie à cause des deux phrases extraites de la presse, qui étaient reproduites sur la quatrième de couverture. D’après elles, il y avait un sens à retirer de cette lecture. Je suis finalement allé au bout. Sans déplaisir, je dois le reconnaître. Car l’ouvrage contient des épisodes de vie intéressants, et que je suis, par nature, curieux de tout ce qui touche à l’humain.
Qu’est-ce que ce livre ? A vrai dire, un objet littéraire non identifiable. Ni autobiographie, ni essai, ni mémoires, il touche un peu à tout. On en apprend finalement un peu sur l’auteure, sur sa famille, sur son parcours humain et intellectuel, qu’il faudrait sans doute qualifier d’anticonformiste selon les critères actuels, mais qui ne l’est pas du tout en regard de sa génération. En effet, Barbara Cassin est le type parfait de la soixante-huitarde. Certes pas par son parcours politique, car je ne crois pas qu’elle n’ait jamais eu réellement de convictions en ce domaine. Mais elle en est le parfait exemple au plan sociologique et moral.
Fille de bourgeois, elle grandit sans soucis matériels, dans un milieu favorisé. Elle choisit de faire de la philosophie un peu par défaut. Elle rate huit fois l’agrégation de philosophie, mais se retrouve professeur d’université en fin de course. Elle tient un discours moral plus que flottant, qui se pare de termes datés pour cacher son évanescence. A-t-elle des convictions philosophiques ? A la lecture de ce livre, impossible de le savoir. Elle ne porte pas dans son cœur les grands Allemands Kant et Hegel, mais ignore le marxisme et semble, là aussi flotter sur des approches variables. En réalité, elle n’a de convictions que philologiques. Son domaine, c’est le grec ancien et les études de textes comparés. Et ici s’arrête vraiment son intérêt. Elle a pourtant publié des dizaines de livres, mais il ne s’en dégage aucune unité réelle, sauf la langue, la parole et les mots. Bref, que le lecteur curieux de philosophie passe son chemin, il ne trouvera rien de vraiment passionnant et neuf dans cet opuscule. Il lira quelques moments de vie juxtaposés et quelques rencontres. Plutôt léger comme contenu.
Et j’en viens à deux remarques perfides. La première est que c’est vraiment le comble du conformisme, pour une soixante-huitarde, de se faire élire à l’Académie française, ce cénacle symbolique de la plus belle tradition conservatrice française. Mais on touche là à un autre aspect que ce livre révèle : un ego surdimensionné et une haute idée d’elle-même. Ce qui ne rend pas le personnage vraiment attachant. On a envie de dire : « pauvre petite fille riche qui s’ennuie ». J’en viens à ma seconde perfidie. Ce livre aurait-il pu être publié si madame Cassin n’avait pas été académicienne ? Je réponds catégoriquement « non ». Ce recueil est un petit foutoir, sans aucune construction et, qui plus est, mal écrit. Je n’ai pas compté les phrases bancales, les tournures maladroites, les libertés coupables… Mais après tout, son style c’est peut-être ça.
Ai-je perdu mon temps en lisant ce petit livre ? Un peu, mais pas tout à fait, car j’ai pu me faire une idée assez précise de la personne et de l’auteure, et y lire jusqu’à la caricature la marque de cette époque faussement révolutionnaire que fut mai 1968. Il n’est cependant pas du tout certain que ce livre reste dans ma bibliothèque, il va certainement rejoindre une boîte à livre.
Jean-Michel Dauriac – Les Bordes – août 2023.
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