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Le christianisme-maison des premiers temps – Sur L’Église à la maison de Marie-France Baslez

L’Église à la maison de Marie-France Baslez

Paris, Éditions Salvator, 2021, 20 €, 201 pages.

J’aimerais vous présenter ici deux outils fort utiles pour approfondir le rôle des maisons particulières et des maisonnées qui les peuplaient, dans l’enracinement et le développement du christianisme des temps originels.

Marie-Françoise Baslez - Babelio

En 2021, est paru, quasiment à titre posthume un livre de Marie-Françoise Baslez, L’église à la maison. M.F. Baslez était bien connu des lecteurs du trimestriel Le monde de la Bible et du monde universitaire travaillant sur l’histoire antique. Professeur des Universités, il fut aussi membre du comité de rédaction de ce magazine de référence et y écrivit de nombreux articles. Son livre offre la double qualité du sérieux universitaire et de la rédaction dans un style aisé à lire, qu’elle a sans nul doute appris dans sa collaboration de longue durée avec le monde de la revue, car ce n’est pas à l’université que l’on peut apprendre à écrire ainsi.

Le sujet est connu depuis près de 2 000 ans, car il est la base de départ de ce nouveau monothéisme greffé sur le judaïsme, qu’on appellera christianisme par référence à son initiateur – et non son fondateur -, Jésus-Christ, soir Jésus le Messie. En effet, une lecture un peu attentive du Nouveau Testament permet de découvrir que le nouveau culte, après l’expulsion de ses tenants des synagogues, n’a pu exister et se répandre qu’à partir des maisons de particuliers, car il était clandestin et fut souvent persécuté et les maisons étaient un abri discret.  Nous savons que ce modèle des églises de maison est celui qui sert dans les pays où le christianisme est aujourd’hui persécuté (Pays musulmans rigoristes et islamistes, dictatures communistes et monde indien). Spontanément, les chrétiens en reviennent à ce qui fut la matrice des deux premiers siècles.

L’auteure nous brosse d’abord, à juste titre, un portrait de la maison et de ses habitants dans l’Empire romain, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais pour parler de la situation romaine, il faut repartir de la conception grecque de la maison, l’oikos.

« La maison des Grecs est à la fois le lieu où l’on habite, mais aussi le patrimoine qui lui est attaché et qui fait vivre, une exploitation agricole familiale, plus ou moins autosuffisante, aux périodes les plus anciennes. Avec le développement de l’urbanisation et des échanges commerciaux, elle devint le cadre d’une petite ou moyenne entreprise familiale – un atelier de tisserands comme l’oikos d’Aquilas et de Priscilla, des fabricants de tente, auquel Paul s’intégra à Corinthe (Actes 18 :3), une boutique ou un magasin comme la maison de Lydie, investie dans le négoce de la pourpre (un commerce de luxe) à Philippes (Actes 16 :14-15) – si bien que le concept grec d’oikos intégra la notion plus générale de gestion et de participation communautaire. L’économe (oikonomia) est née en Grèce comme un mode d’organisation et de valorisation de l’oikos, la maisonnée, qui continuait de fournir un modèle à l’époque néotestamentaire. » P. 24-25.

Cette longue citation permet de bien saisir l’ampleur des fonctions de la maison, qui n’est pas, comme chez nous aujourd’hui simplement le lieu d’habitation. Une idée de ce modèle peut être fournie par les artisans et commerçants du monde rural, où le travail est souvent réalisé dans le même cadre que l’habitation. Dans l’optique chrétienne, le choix évangélique des croyants de s’appeler « frères » et « sœurs » renvoie aussi à l’idée de famille et à une maisonnée.

« Reste que pour l’opinion publique du IIe siècle, la déclaration de fraternité des chrétiens est apparue comme un phénomène spécifique que les contemporains ont ressenti comme suffisamment nouveau. » P.33.

M.F Baslez remet en question le lien entre églises de maison et persécutions qui auraient amené à une crypto-Église. La structure de maison est en effet antérieure aux premières persécutions. Elle correspond de fait à une bonne adaptation à la société romaine et hellénique. L’auteure précise qu’elle n’a pas connaissance d’intrusion policière dans les maisons. Ce qui se passait durant les périodes de persécution se déroulait à l’extérieur, dans les prétoires. La liberté de culte domestique était globalement assurée, comme la liberté de réunion. Sans doute l’image traditionnelle est-elle influencée par la lecture des Évangiles et les menaces juives sur Jésus.

« La marginalisation des premières églises n’est pas plus évidente que le confinement des premières maisonnées chrétiennes. » P.42.

Il faut donc, pour rester fidèle à la vérité historique, renoncer à la mythologie de la clandestinité – à l’inverse de ce qui se passe en zone contemporaine de persécution. Il faut donc lire attentivement les deux premiers chapitres de ce livre, qui remettent bien des clichés en question.

Quand elle définit ainsi le cadre, l’auteure aborde alors des thématiques sociales. Elle consacre ainsi un très beau chapitre à la femme, sous le titre La maisonnée, fabrique de féminisme ?  Certes elle ne nie pas les propos de l’apôtre Paul et la marginalisation des femmes dans l’institution ecclésiale, mais elle établit le fait que cela n’était pas « dans les gènes » originels, mais a découlé d’une prise de pouvoir ecclésial au moment où les communautés s’établissaient plus clairement.

Elle traite ensuite de la délicate question de l’esclavage, liée très fortement à la maisonnée. Elle fait une synthèse réussie entre les faits historiques et la pratique chrétienne. L’esclave ne doit pas être vu comme un prisonnier maltraité, ceci relève en grande partie de la mythologie liée à Spartacus et à la révolte des esclaves. La société était organisée pour utiliser au mieux ces hommes et ces femmes, en valorisant leurs qualités. On sait qu’il y avait des esclaves marchands, gestionnaires, musiciens, poètes et même philosophes ! il nous faut donc nous débarrasser de nos préjugés moraux qui découlent d’une culpabilité historique liée à notre propre traite des noirs. Il ne faut pas non plus projeter nos pensées sur un univers éloigné de nous par deux mille années de civilisation et culture. Paul n’a pas préconisé la libération des esclaves, on le lui a assez reproché –que ne lui a-t-on pas reproché d’ailleurs ! -, sans connaître le plus souvent la situation de l’époque. Ce que le christianisme apporte de révolutionnaire est la fraternité et la sororité. Le maître, la maîtresse et l’esclave, femme ou homme, sont frères et sœurs en Christ et cette nouvelle relation passe avant toute chose. Le souci de Paul était l’Église, pas l’ordre social de l’Empire !

« L’autre objectif de Paul était de renforcer la cohésion d’une Église de maisonnée, devenue une communauté de frères en Christ après le baptême des uns et des autres. » P. 86.

La pratique antique était que la maisonnée avait la religion du paterfamilias, le maître de maison. Donc, lorsqu’un maître se convertissait au christianisme, sa maisonnée entière était baptisée et devenait chrétienne. Le but de Paul était que cet ensemble fonctionne comme une église fraternelle. On connaît l’Épitre à Philémon, à propos de son esclave en fuite qui s’est converti et que Paul lui renvoie en tant que frère. L’apôtre a agi sur les deux statuts, esclave et maître, pour les rendre compatibles avec la fraternité évangélique. Il ne faut pas sous-estimer le poids politique d’une telle décision : Paul désirait ardemment donner des gages de fidélité et sécurité aux autorités, pour que la foi chrétienne puisse se développer sans heurts. Il n’était donc pas question que les maisonnées chrétiennes deviennent des lieux d’asiles pour des esclaves en fuite. C’est tout le sens de cette action et de cet écrit de Paul. En conclusion de ce chapitre, M.F. Baslez écrit :

«  Les communautés chrétiennes réfléchirent davantage à l’idée de service mutuel et de rachat qu’à une théologie de la libération. Surtout, la pensée chrétienne ne se borna pas à rappeler l’égalité des hommes et des femmes devant Dieu, elle tendit aussi à prendre des positions libérales qui privilégiaient la personne plutôt que le statut – ce qui ne pouvait être sans effet dans la pratique des maisonnées. » P. 93.

Cette analyse me semble tout à fait raisonnable et historiquement informée ; elle doit nous permettre de ne pas nous laisser enfermer dans des polémiques stériles et nous éviter de porter une culpabilité millénaire imaginaire.

Les chapitres suivants élargissent la focale au-delà de la seule maison, en mettant celle-ci en jeu avec les migrations et l’organisation progressive de l’Église jusqu’à son institutionnalisation romaine. Elle montre qu’il existait des réseaux d’oikos, souvent liée aux diasporas, phénomènes très répandus autour de la Méditerranée. Le christianisme n’a eu qu’à se couler dans ce système. La lecture des fins d’Épitres est extrêmement utile pour comprendre ce réseau. Mais l’auteure montre également que le christianisme s’est répandu dans des milieux où l’oikos n’était pas de mise, comme celui de l’armée ou des marchands itinérants. Se pose aussi la question de l’évangélisation des campagnes. En effet, le christianisme originel est un fait urbain ; Paul va de ville en ville et écrit aux communautés de ces agglomérations. Les campagnes furent donc au départ ignorées, puis, par la suite, évangélisées à partir des villes selon un modèle centre-périphérie. Les notables des maisonnées urbaines possédaient en effet souvent des villas à la campagne où ils passaient une partie de l’année, à la belle saison. Ce furent souvent les points de départ des communautés rurales. Il ne faut pas non plus sous-estimer, écrit l’auteure, le rôle des relégations et déportations liées aux disgrâces et persécutions. Bref, la campagne apparaît, dans ce schéma, comme ayant été dépendante des villes pour la découverte du message chrétien, alors même qu’elles rassemblaient l’immense majorité des habitants. L’Église institutionnelle corrigera cela et fera du monde paysan une base de sa croissance.

Un chapitre est consacré à l’Église en réseaux, Église synodale.  Longtemps, il n’y eut pas ou peu de centralité en christianisme.

« L’organisation matérielle de la communication chrétienne a été pour beaucoup l’œuvre des Églises de maisonnée. Elle utilisa des supports très variés –  tablettes, rouleaux, parchemins, livrets (codex), feuillets – mais la diffusion, la copie et la conservation des manuscrits étaient toujours restées une affaire privée. » P. 128.

Il semble que ce soient constitués des réseaux de proximité dont les villes assuraient la coordination par le biais de leurs évêques. Des rencontres régulières virent le jour, sous le nom de synodes régionaux ou locaux. C’est lors de ceux-ci qu’étaient débattus les sujets urgents ou problématiques. Cette pratique apparaît à la fin IIe siècle, en Asie Mineure, en lien avec les conflits doctrinaux d’interprétation.

À L’heure du choix personnel aborde la question des appartenances en fonction des choix de doctrine. Dès le début du christianisme, nous savons que des discussions sérieuses et parfois rudes eurent lieu, pour trancher des prises de position divergentes en matière de compréhension du message du Christ. Le Nouveau Testament en porte attestation, notamment dans le livre des Actes des Apôtres où l’ouverture de la prédication et l’offre de salut aux païens va mettre en péril les communautés premières, dont celle de Jérusalem. Ce qu’on a appelé improprement le « concile de Jérusalem », narré en Actes chapitre 15, met Paul en présence des responsables de la communauté chrétienne de cette ville, lesquels continuent à fréquenter le temple, en parallèle avec les rencontres chrétiennes. Mais en réalité, le premier débat dont nous ayons trace est évoqué dans le chapitre 11 du même livre et concerne Pierre, qui a baptisé toute une maisonnée, celle de Corneille à Césarée. Par la suite, la pratique de telles réunions se généralisa dans l’ensemble du monde chrétien, car les lectures de la doctrine de Jésus étaient multiples et souvent opposées.

« On comprend dès lors que le IIe siècle ait été pour les communautés chrétiennes une période d’effervescence théologique. Dans les Églises locales déjà particulières, se développèrent des opinions à nouveau particulières que leurs inventeurs soumirent à discussion, d’abord sur place, puis à travers leurs réseaux jusqu’à Rome. Ce qu’on appelle aujourd’hui une « hérésie » selon une typologie qui associe à l’altérité, l’erreur et l’exclusion, était originellement, d’après l’usage courant du terme grec, un regroupement volontaire par affinité au sein de la philosophie grecque et du judaïsme. Il se fondait sur une « option » doctrinale particulière, déterminant souvent un mode de vie. Au IIe siècle, une « hérésie » n’était pas encore définie comme une erreur dans l’absolu par référence à des textes préexistants, elle se construisait et se déterminait au rythme des confrontations et des débats. » P. 140.

On ne saurait mieux dire. Les chrétiens choisissaient donc d’abord leur option de croyance, puis organisaient leurs vies en fonction de celle-ci. M.F. Baslez évoque à ce propos les ruptures familiales qui en découlaient. Elle donne plusieurs exemples précis dont nous avons connaissance par la littérature de l’époque ou par les Pères de l’Église (changement de nom, de lieux de vie…).

Le dernier chapitre montre comment l’on est passé progressivement de l’Église de maisonnée à l’Église de ville ou à la paroisse. Le facteur premier de cette évolution, qui eut lieu au milieu du IIIe siècle, st la croissance démographique du nombre des chrétiens. Les maisons en pouvaient plus accueillir tout le monde. Par ailleurs, une tolérance envers les chrétiens leur permit de disposer des mêmes droits que les autres associations légales, et donc de disposer du droit à un local pour leurs membres. En 313, l’Édit de Milan, pris par Constantin, met fin aux persécutions et reconnaît deux types de biens :

« En 313, à la fin des persécutions, les édits de restitution pris en faveur des Églises distinguèrent deux catégories juridiques de « lieux de réunions » : les uns étaient la propriété individuelle de chrétiens, les autres étaient « juridiquement » la propriété « corporative » des Églises.

Les communautés ecclésiales relevaient donc à cette date du droit commun des associations, même si le christianisme restait frappé d’un interdit. » P. 172.

À partir de l’édit de Théodose faisant du christianisme la religion de l’Empire (380-392), la maisonnée perd son statut alternatif et s’efface devant les églises de cités et de campagne. La période originelle est bien terminée, à tous égards.  Mais cela ne marquera pas la disparition concrète de communautés de maison, qui ont toujours permis aux marginaux ou contestataires de la foi catholique romaine de pratiquer discrètement selon leurs convictions. Il est à noter que les grandes confessions ont remis les maisons dans le système ecclésial, que ce soit le catholicisme ou les divers protestantismes, mais avec, le plus souvent, un cadrage institutionnel ou un représentant du clergé. De même faut-il signaler le retour du synode comme sujet de réflexion, avec la mise en place d’une année consacrée à cette réflexion par le pape François.

Voici donc un livre assez court qui contient beaucoup d’informations vérifiées et qui permet de remettre les choses à leurs places. Je ne saurais trop en recommander la lecture.

Un hommage-complément :  Le monde de la Bible n° 241

En Juin 2022, cette revue de référence pour le grand public a réalisé un dossier La maisonnée berceau du christianisme, qui offre cinquante pages d’articles sur ce thème. Huit articles en constituent le sommaire, dont certains reprennent le contenu du livre évoqué ci-dessous, amis sous une autre formulation. Voici les titres de ces articles.

Ce numéro a été conçu en résonnance avec le livre de Marie-France Baslez, L’Église à la maison. Celle-ci fut une collaboratrice au long cours de cette revue et a formé nombre des rédacteurs d’aujourd’hui de ce magazine. Le rédacteur en chef, Benoît de Sagazan, lui rend hommage en ouverture dudit dossier. Je ne reprendrai pas le contenu de ces articles. Disons qu’ils complètent fort bien le livre et offrent en plus des illustrations de très belle qualité, ainsi que des indications de lectures qui complèteront la très fournie bibliographie du livre, présentée par chapitres traités. On peut se procurer ce numéro sur le site de la revue :

https://www.mondedelabible.com/boutique/ebooks-revues/

L’ensemble des deux sources donne une bonne culture générale sur ce thème majeur de l’histoire du christianisme.

Jean-Michel Dauriac – décembre 2022

Published in les critiques religion et spiritualité

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