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Petit livre de sagesse monastique – Henri Brunel

Paris, La Table Ronde, collection Les petits livres de Sagesse, 1999.

Le marché du livre est tellement vaste aujourd’hui que même un grand lecteur et passionné ne peut connaître toutes les collections, y compris dans ses domaines de prédilection. Il faut donc accepter soit de demeurer dans l’ignorance soit de s‘en remettre au hasard. Fréquentant beaucoup les sites de bouquinistes en ligne, y compris les ressourceries spécialisées et les gros sites du genre, je suis maintenant le destinataire de certains mails de promotion, notamment lors des soldes destinés à dégager du stock et de la place. C’est ainsi que j’ai acquis ce petit ouvrage, dans un lot de livres de spiritualité très varié. Et, ce faisant, j’ai découvert qu’il y avait eu une collection de petits ouvrages appelée Les petits livres de la sagesse chez l’éditeur La Table Ronde. C’était à la fin du XXe siècle et au tout début du présent siècle. Les thèmes abordés étaient très hétéroclites allant des Paroles de fées aux livres bouddhistes, en passant par divers aspects de la mystique catholique.

Ce volume, court, comme tous ceux de la collection (135 pages) présente les grands ordres monastiques historiques, en l’occurrence ici les Chartreux, les Bénédictins et les Cisterciens-Trappistes. L’auteur est un chrétien catholique fervent et fidèle qui ne cache pas son admiration pour les sujets de son ouvrage.

Le moine est, depuis l’origine, hors du monde et limité au sein de ce qu’on nomme « la clôture » du monastère. Car il s’agit ici des moines cénobites et semi ermites, ce qui exclut un certain nombre d’ordres bien connus, comme les Dominicains ou les Franciscains.  Il s’agit du versant le plus radical du monachisme, sans doute né en Egypte au IV siècle et répandu ensuite dans toute la chrétienté (qui n’a pas le monopole de cette pratique). Il faut bien reconnaître que l’imaginaire populaire actuel sur les moines est très limité et caricatural : on songe à une publicité télévisée sur le fromage « Chaussée aux moines » ou aux illustrations des divers camemberts. Le moine est donc décrit comme un ripailleur, buveur et au teint très coloré. Or, ceci est exactement aux antipodes de ce que ce livre nous permet d‘apprendre sur la vie monastique. L’auteur, qui a séjourné chez tous les ordres monastiques dont il traite, nous donne le régime ordinaire des monastères. On n’y fait pas du tout bombance ! Et surtout, les repas ne sont pas des fiestas bruyantes et animées. Le plus strict est chez les Chartreux, qui mangent dans leur cellule et très frugalement. Même chez les Bénédictins ou Trappistes, le repas est moment d’écoute de la lecture de la parole ou de quelque œuvre édifiante (chez les Bénédictins, on relit sans cesse, par morceaux, la Règle du fondateur, Saint-Benoît). D’où vient donc cette réputation de noceurs qu’ont les moines ? Sans nul doute de leurs adversaires et des excès médiévaux de certains religieux. Le cliché s’est installé et il a la vie dure.

Non seulement le moine ne fait pas ripaille, mais il mène une vie extrêmement monotone, très répétitive. H. Brunel donne, pour chaque ordre, l’emploi de temps de la journée. Le lecteur pourra, à juste titre trouver ce rythme insoutenable, tant les prières et offices sont nombreux, le record appartenant aux Chartreux, dont la vie semble, vue de l’extérieur être un enfer ! Si le rythme est un peu assoupli chez les Bénédictins et Trappistes (ils peuvent avoir une vraie nuit, courte, mais suffisante), il y a de quoi faire peur à un homme du XXIe siècle. Et pourtant, si nous prenions la peine de mettre sur le papier nos propres emplois du temps, nous serions sans doute assez surpris de leur densité ! C’est donc bien la nature du programme plus que son rythme qui est en cause. Nous vivons dans un monde tellement éloigné du monde spirituel qu’une vie organisée par lui nous semble un carcan insupportable. Le moine a fait le choix, très réfléchi – car il dispose d’un long temps avant de s’engager définitivement – d’une vie centrée sur Dieu. Personne ne l’y a contraint et personne ne l’y maintient de force. Voici une chose très difficile à saisir pour la grande majorité des gens. Le moine a fait le choix de servir Dieu à plein temps, de lui offrir sa vie entière. Nous ne sommes pas scandalisés par des stars ou des chefs d’entreprise qui vouent leur existence à leur travail ou à leur passion, mais nous avons du mal à accepter le choix du moine. Ceci, en fait, nous parle de nous-mêmes , de l’engrenage de nos vies dans le matérialisme le plus stérile, de la perte de toute vie spirituelle digne de ce nom.

Car c’est un des mérites de ce petit ouvrage de nous donner à connaître la vie spirituelle des moines et la spécificité de chaque spiritualité monastique. Il y a quantité de chemins qui mènent à Dieu, il est donc normal qu’il y ait diversité des voies monastiques. Le chemin le plus abrupt est celui de la spiritualité des Chartreux. Ce sont des ermites, qui vivent ensemble leur solitude, sans un mot et en évitant les rassemblements superflus. Il faut une âme forte pour devenir Chartreux. Cette voie n’est vraiment pas accessible à n’importe qui. Les voies Bénédictines ou Cisterciennes rénovées par la Trappe sont plus douces, bien que très encadrées. Les Bénédictins et les Trappistes vivent assez intensément le travail, qui est une part de leur vocation. Les Bénédictins ont une spiritualité qui peut se résumer en trois mots forts : la foi, l’humilité et l’obéissance. Vertus évangéliques par excellence, qui sont ici poussées à leur tension maximale. Chez les Trappistes, qui sont des Bénédictins réformés, le travail manuel est un moyen important de sanctification. Pour tous ces moines, le but est de se dépouiller au maximum de la nature charnelle pour vivre la communion avec Dieu. La clôture du monastère leur permet de ne viser que ce but. Sont-ils pour autant inutiles au monde extérieur ? Sûrement pas, car ils prient sans cesse pour le monde et, chez les chrétiens, la prière est le moyen par excellence d’agir pour le salut du monde. Par leur travail, ils produisent des marchandises qu’ils vendent pour permettre la vie de la communauté. C’est aussi un moyen de rencontrer le monde séculier. Si le moine vit hors de la société médiatique, il ne vit pas dans l’autisme ; il évite simplement cette surinformation narcotique, qui n’est qu’un aspect de la propagande mondaine. Si nous nous soumettons à l’expérience de vivre quelques jours sans internet et sans téléphone portable, nous oublions très vite l’agitation du monde et ses fausses urgences. Mais, nous y retournons très vite, soit par obligation, soit par ignorance d’une autre voie, soit par peur d’un vide qui nous obligerait à l’introspection. Le moine, lui, a tout son temps. L’introspection, il la vit au quotidien, mais dans la perspective évangélique de l’humilité et de la quête du Royaume de Dieu.

Ce petit livre a une double fonction : la première est évidente, essentielle, il s’agit de faire connaître les ordres monastiques catholiques sous leur vrai jour. La seconde est beaucoup moins évidente, mais elle ne peut manquer d’exister : il s’agit de nous questionner sur notre propre existence, sur ce qui la porte et vers quoi elle nous porte. A titre personnel, je pense que je ne serais pas capable d’être moine dans un de ces ordres réguliers. Mais les connaître, pouvoir un jour rencontrer des moines, comme cela m’est arrivé plusieurs fois, échanger sur la façon de vivre la foi, tout cela est d’un apport capital pour un laïc qui souhaite le rester, tout en visant une vraie vie spirituelle et mystique.

J’ai dévoré ce petit ouvrage avec un grand plaisir. Je ne peux que le conseiller, sachant toutefois qu’il faut avoir un minimum de soif spirituelle et de curiosité sur ce qui nous est étranger pour aller vers lui. On n’y découvrira pas des surhommes, mais des croyants qui ont choisi de se vouer à leur vie de foi, ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils ne connaissent pas le doute ni l’angoisse, qu’ils ne peuvent souffrir dans leur vocation. Ils sont simplement là comme des témoins d’un engagement radical au service du Christ. On peut les admirer sans els comprendre ou les approuver, mais on ne saurait les ignorer ou les caricaturer.

Jean-Michel Dauriac – Les Bordes, juin 2024.

Published in les critiques religion et spiritualité

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