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Catégorie : les livres: essais

Que faire des cons?

De Maxime Rovère

Critique de Frédéric Rodriguez

Entre le petit con et le grand con, il y a une multitude de cons (le pire étant le con dangereux, le gros con, le méchant con, celui qui va au bout de sa connerie, jusqu’à devenir nuisible pour la santé de son entourage, et puis y a le con-nard, ou la con-nasse, ce qui revient au même). Cela dit, je l’avoue, il m’arrive parfois d’être un peu con sur les bords. Qui ne l’est pas aux yeux des uns ou des autres ? Connerie et folie, même diagnostic ? (on pourra toujours lire Eloge de la folie si l’on souhaite creuser la question). Question de point de vue en tout cas mais aussi de perspective, de conscience personnelle et donc de remises en cause diverses et variées. Cela dit, dans nos jugements, ne nous faisons pas trop de mal, hein, ça serait un peu… con. Il suffit d’avoir conscience de sa connerie (que celle-ci soit nuisible, dangereuse ou, mieux, sans conséquence fâcheuse) et de changer (d’autres diraient se repentir ou se réformer). Dès lors, le con, qui est-il ? Et la conne, qui est-elle ? L’éventail de la connerie est si large (d’autres diraient qu’elle est illimitée) qu’il semble impossible d’étudier tous les cons à la fois. Il y a les cons assis sur leurs certitudes, qui refusent de douter ; mais il y en a d’autres qui rejettent tout et qui doutent même de la vérité ; et il y en a encore qui se foutent des deux premiers groupes, qui d’ailleurs se foutent de tout, même des drames qu’on pourrait éviter. Le con est celui ou celle qui manque de respect envers les autres. Celui qui méprise ou regarde de haut ses congénères quand ceux-là sont démunis et faibles. Bref, celui qui n’est pas bienveillant de nature (je ne parle pas de la bienveillance édictée en valeur absolue, ni de la propagande et des palabres hypocrites de certaines autorités, mais bien d’une nature qui ne s’imposera pas, par ailleurs). Le con est surtout celui ou celle qui accable, fatigue, avance sans préavis et justifie ses gestes par un « c’était plus fort que moi ». Mais dès qu’il pense, crée, dessine, joue d’un instrument, lit, etc., bref quand il regarde plus loin que le bout de son nez, l’Homme ne deviendrait-il pas moins con des fois ?

Avant d’aller plus loin, un petit diagnostic est donc nécessaire et ce livre du philosophe Maxime Rovere publié par Flammarion en 2019 est une petite bouffée d’oxygène (écrivain et historien de la philosophie, Rovere a enseigné à l’ENS de Lyon ; il a d’ailleurs écrit un bouquin sur l’auteur de l’Ethique, Le Clan Spinoza, que j’ai également lu mais que je trouve moins réussi ; et là, je termine L’école de la vie qui est délicieux). Le con (ou la conne) se distingue donc du fait qu’il insiste un peu trop sur sa différence : il s’observe avant tout, connait tout, vous fait savoir qu’il a tout vu, sa conne- essence est épuisante. Il est ridicule parfois. Sa science sérieuse et ses croyances sont les seuls qui soient valables, souvenez-vous de Bouvard et Pécuchet (Flaubert). Il peut être méchamment prosélyte, inélégant (qui ne sait pas « élire », ne sait pas choisir). Il ne sait pas dire non et refuse toujours. Grossier et vulgaire, il manque de recul et de distanciation (il n’a pas l’esprit critique et n’accepte pas la contestation). Il est manipulateur et manipulable, et si on le critique, il se vexe, boude, ne prend rien avec suffisamment de distance. Son anticonformisme n’est qu’apparence, sa critique de la bourgeoisie fait de lui un bourgeois (« la triste intelligence » d’Harry dans Le Loup des Steppes), et puis ce sont toujours les autres qui sont cons, jamais lui, jamais elle. Bref, le con, ça n’est pas Charlot dans Les Temps Modernes. Le con, c’est le triste sire, le clown de service, l’obséquieux qui aime le Pouvoir. C’est le pantin ou le snob qui ne se sent plus pisser, qui n’a que l’apparence de la force mais qui s’aplatit devant elle (il l’aime tellement, l’apparence de la puissance). Au-delà de ces catégorisations faciles, le con ne pense pas à deux fois, et ne sait pas trouver les mots justes, ni faire de l’humour, ni se taire ni s’arrêter quand c’est nécessaire (ferait bien de tourner sa langue sept fois dans la bouche). Sinon, bien sûr, ne nous arrive-t-il pas, les uns et les autres, de déconner et de dire des conneries de temps à autre ? Par contre, faire, des conneries (question de degré), ça peut être dramatique.

Quand on vous prend pour un con, là aussi, c’est rageant (pauvre Villeret dans Le dîner de cons). Entre moqueurs et courtisans, le fossé est alors très mince. Mais ce sont surtout les conséquences de la connerie qui font le plus de dégâts (collectivement d’abord, individuellement ensuite, ou l’inverse). Le conditionnement pour se comporter comme des cons, voilà bien le problème. Et si la connerie a l’apparence de la connaissance (ou de la conne essence), elle est ignorance, le bien plus souvent. C’est aussi un manque d’amour, nous dit Rovere, une absence d’humanité, une intolérance à la différence. Cela ne signifie donc pas que tous les cons se valent. ll y a plusieurs degrés dans la connerie. « Mais c’est hélas une société malade qui produit aussi des cons en pagaille ». Ce ne sont pas seulement les cons qui détruisent tout et se détruisent par là-même (les conditions de la vie sociale et professionnelle, les conditions d’une vie familiale apaisée et sensée, etc.). C’est aussi la société toute entière qui donne ce sentiment d’autodestruction, d’absurde, faut bien le reconnaître (relire L’homme révolté d’Albert Camus, et même, plus près de nous, La fabrique du cré-tin de Jean-Paul Brighelli ou La fabrique des pervers par Sophie Chauveau). Con dangereux, con destructeur, con-strictor, con-quistador… Un prédateur. Un dominant. Il faut l’identifier rapidement pour s’en protéger. Le titre, forcément, est très accrocheur. Il pourrait en rebuter quelques-uns. Dommage. Aspect commercial ? Au final, comme le dit très justement Marie-Claude Sawerschel (voir son délicieux commentaire) Maxime Rovere donne à lire une étude brillantissime sur le sujet. Fallait oser ! Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ? (Audiard). Je n’irai pas jusque-là. Je veux seulement dire que c’était risqué de publier pareil ouvrage : ça aurait pu être un flop, or, c’est tout le contraire. C’est brillant, intelligent et humain. On connaissait quelques citations de Frédéric Dard (1). Avec le bouquin de Rovere, on en retiendra d’autres (2).


(1) « Les cons me blessent, me contraignent, me ligotent, me flagellent, m’ulcèrent, me démoralisent, m’irritent, m’endorment, me conspuent, m’oppriment, me dépriment, m’usent, me défèquent, m’engluent, me ruinent, m’embrigadent, m’écrasent, me crucifient, me baisent, me volent, me violent, m’accidentent, m’assassinent, me font alternativement suer et ch…, m’obligent, me vilipendent, me rognent, me bafouent, m’emplâtrent, m’épouvantent, me vieillissent, me profanent, me cocufient, m’éclaboussent, me soûlent, m’amputent, me saignent, me noircissent, me font voter, m’étatcivilent, m’inculquent, m’enc…, me gauchissent, me droitisent, et surtout – ô combien surtout ! – immensément surtout : me fatiguent et me re-refatiguent un peu plus chaque jour, m’emmerdent jusqu’à la désintégration finale. Qu’à la fin je leur porte plainte contre, à tous ! Au tribunal de Dieu, du diable ou de mes fesses. » (extrait de son livre, Les Con, notez l’absence du « s », puisqu’il s’agit d’un nom propre ; ce livre s’inscrit un peu dans la veine des San Antonio, c’est donc plein de verve et d’humour). Je ne sais pas si Frédéric Dard aurait aimé le bouquin de Rovère. Sans doute que oui. Audiard aussi (même si question de style, entre Rovère et Dard, ça n’est pas comparable, puisqu’avec le premier, on n’est pas dans la farce piquante, mais plutôt dans un manuel d’éthique interactionnelle, une étude ne manquant pas de recul et de distanciation par ailleurs). On peut commencer à lire si on est lycéen (c’est même recommandé quand on est élève en classe de terminale et que l’on suit des cours de philo). Le bouquin vient d’être publié en édition de poche (Que faire des cons, chez Champs Flammarion).

(2) C’est déjà ça, même si certains et certaines pourront toujours se reconnaître ici et là. Maxime Rovere donne par ailleurs pas mal de remèdes et de solutions (avec des exemples concrets) dans nos interactions avec les cons. Voici quelques passages croustillants : par exemple, « le con ou la conne se définissent, du fait d’un comportement que nous estimons inadéquat, comme des êtres que nous identifions, même momentanément, comme situés à un degré inférieur d’une échelle morale où, sans être parfaits, nous nous situons nous-mêmes – dans notre effort à tous pour devenir des êtres humains accomplis ». « D’ailleurs, qui sait définir ce qu’est un être humain accompli ? ». « La disparition des cons savants va de pair avec la prolifération des cons d’expérience » (page 56). « Au même titre que l’existence des cons, l’existence de la haine, de la colère, etc., doit être accueillie non comme une erreur, mais comme un fait. Vous allez donc non seulement devoir faire avec l’existence du salopard qui refuse de récompenser vos efforts même par un geste qui ne lui coûterait rien, mais vous allez en plus devoir survivre aux émotions qu’il vous inspire. Pour travailler correctement, il faut d’ailleurs inverser les choses : d’abord leur régler leur compte à vos émotions ; ensuite, on s’occupera de ce salaud. » (page 62) « Ce qui définit les cons : ils rendent les accidents inévitables / ils nous accablent, ils ne nous laissent pas tranquilles, ils s’obstinent » (page 12 et 68), etc., etc. A lire, quitte à y revenir pour méditer. 

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La paternité spirituelle en questions et réponses

De la paternité spirituelle et de ses contrefaçons

Pavel Syssoev –

123 pages, 12 €

Le lundi de Pentecôte 1973, je me suis converti au christianisme, que je connaissais depuis ma tendre enfance, mais qui n’était que la religion de mes parents. Ce soir-là (il était près de minuit), j’ai répondu « oui » à l’appel que Dieu m’a adressé par la voix d’un de ses ministres, le pasteur-évangéliste-chanteur Gérard Peilhon. Ce n’aurait pu être qu’un intermédiaire occasionnel entre Dieu et moi, mais il n’en fut. Rien. Gérard a été un de mes deux pères spirituels, me conseillant et m’encourageant, tant qu’il fut en mesure de le faire, et toujours avec l’amour du Christ. Je sais donc par ma vie ce qu’est un père spirituel. Mais je sais aussi que ce sujet est très rarement abordé dans la vie des paroisses, en dehors de retraites ou séminaires spécialisés, réservés à une petit minorité de chrétiens, souvent des prêtres ou des pasteurs. Je n’ignore pas non plus que bon nombre de croyants ne connaissent pas cette notion ou alors seulement très vaguement, comme une notion cléricale.

Le livre du frère Pavel Syssoev, dominicain et philosophe, est donc fort bien venu, car il vient combler, en des termes très contemporains, une lacune doctrinale. En effet, si la notion est peu connue, la réalité pratique est importante. Evoquer la paternité spirituelle, c’est pénétrer dans le vécu de la transmission, de l’accompagnement, du conseil dans la vie spirituelle. C’est aussi  entrer dans la problématique de l’emprise, notion devenue très « tendance », dans la psychologie moderne, mais qui existe depuis les origines de l’humanité. Ce que nous livre l’auteur est en fait ce que l’on nommait jadis un traité. Le lecteur comprendra très vite, au fil des pages, qu’il est nourri d’expériences personnelles et de rencontres, dans le cadre de son ministère religieux.

« Derrière ces pages, il y a des visages singuliers et des histoires particulières » p.7.

Le préambule revient, à juste titre, sur le risque d’emprise. Il fallait bien dire que les scandales des abus sexuels ne sauraient occulter tout le travail positif effectué par les chrétiens auprès des âmes en recherche, jeunes ou moins jeunes. Dire que ces faits relèvent d’une subversion totale de la mission :

« Si l’emprise spirituelle est tellement monstrueuse, c’est parce qu’elle parasite un bien. » p. 8

Le frère Pavel a choisi un plan simple en quatre chapitres assez détaillés. En toute logique, il commence par définir ce qu’est la paternité spirituelle. Il enchaîne avec les différents types d’accompagnement, avant d’aborder les pathologies de la paternité spirituelle, pour conclure sur leurs racines et leurs traitements. On le voit bien, ce plan confirme le projet de réaliser un petit traité sur la paternité spirituelle.

Bien évidemment, je ne vais pas vous dévoiler le contenu de ce livre, dense, qui doit être médité et relu pour être assimilé. Car il parle à chaque croyant engagé, et chaque lecteur pourra en tirer profit pour sa propre mission et les situations où il devra accompagner et conseiller. Les dérives évoquées ne sont pas toutes condamnées par la loi et criminelles ; il en est de très subtiles, qui ne sont sans doute pas perceptibles par celui qui en est l’auteur.

J’aimerais souligner quelques aspects majeurs qui marquent une originalité certaine de l’ouvrage.

La première originalité est ecclésiale, dirions-nous, en termes théologiques. Nous savons que c’est la question de l’organisation de l’Eglise qui est la ligne de fracture majeure entre les Catholiques-Orthodoxes et les Protestants. Le clergé catholique est en situation exclusive sur les sacrements et a, de facto, acquis une position très dominante sur le peuple de Dieu de sa confession. En découvrant le titre de ce traité, j’ai immédiatement pensé qu’il s’adresserait aux prêtres, moines et diacres. Il leur est bien sûr destiné, car ils sont en position de vivre ce qui est décrit. Mais la grande force de l’auteur est de désamorcer ce piège d’exclusivité. Il parle à tout croyant né de nouveau.

« Néanmoins, le point sur lequel je veux insister est que la paternité spirituelle n’est nullement réservée aux clercs, elle vient avant tout de la fécondité du sacerdoce baptismal. » p.49.  

Et c’est la deuxième très bonne nouvelle : la nouvelle naissance est ici présentée comme l’entrée nécessaire en vie chrétienne. Ce que je ne peux qu’approuver vigoureusement, car le suis convaincu que sans cette expérience de retournement spirituel, il ne peut y avoir de vie chrétienne complète et épanouie. Citons l’auteur :

«  … il y a une nouvelle naissance, celle qui donne la vie divine. Un tel engendrement est une œuvre de l’Esprit qui s’accomplit en nous par l’action du Christ ressuscité. » p.18

Cette nouvelle naissance est ce qui nous introduit dans notre filiation divine, dans la fraternité avec Jésus-Christ et dans la paternité de Dieu. Là est la source de toute paternité spirituelle. Le fondement est dans ces éléments. Nul ne peut devenir père spirituel s’il n’est pas établi dans cette filiation, fraternité et paternité. C’est à partir de ce point que nous pouvons à notre tour engendrer des vies au salut. Mais ce ne sera jamais notre œuvre, mais celle de l’Esprit ; nous ne serons que des serviteurs. Tout chrétien est appelé à engendrer et donc, potentiellement, à faire oeuvre de paternité spirituelle. Les clercs le font par vocation et appel particulier, mais ils partagent ce travail avec les frères et sœurs de l’Eglise. Un théologien protestant ne peut qu’approuver ces propos.

Le deuxième point qui mérite d’être relevé concerne la question de l’homosexualité dans la perspective de la paternité spirituelle. Je sais grè au frère Pavel d’avoir osé aborder ce sujet, car il sent encore le souffre dans les diverses Eglises chrétiennes. Il pose la question qui dérange :

« Dans le régime chrétien, une personne dont l’affectivité aurait une structuration homophile, peut-elle vivre une véritable paternité spirituelle ? » p. 104

Je relève l’expression « régime chrétien », que je trouve très appropriée, car ce n’est pas l’affaire des Catholiques, mais de toute la sphère chrétienne. Il cite immédiatement après cette question, un article du Catéchisme de l’Eglise catholique (n° 2359) qui enjoint les homosexuels à la chasteté, comme chemin de perfection chrétienne. Il ne pouvait pas en être autrement, ceci est la position du magistère romain – et aussi celle de la grande majorité des chrétiens. Ce n’est pas ici le lieu de discuter de cette position. Ce qui est très intéressant dans le livre de P. Syssoev, c’est le fait qu’il reconnaît à une personne homosexuelle le droit et la légitimité à être un père ou une mère spirituels. Evidemment dans le respect de la chasteté et de la doctrine catholique. Je suis à peu près certain que cette position fera grincer des dents à de nombreux lecteurs. Accueillir les homosexuels oui, les laisser accéder aux sacrements, à la rigueur, mais admettre que certains peuvent faire œuvre de paternité spirituelle selon le dessein de Dieu, alors là, c’est trop ! Or, avoir cette position, c’est réduire le projet de Dieu, comme le dit l’auteur :

« – Nous sommes tous appelés à la sainteté. Le travail des vertus, la puissance de la grâce intégrent dans une création nouvelle ce que le péché a défiguré. » p. 106

Le verset de Paul est, à cet égard, incontournable :

« 2 Corinthiens 5:17 Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. (version Segond 1910). »

Le troisième aspect que je veux signaler est le spectre assez large des pathologie de la paternité spirituelle que l’auteur aborde. Elles ne sont pas toutes sur le même plan, certaines sont totalement destructrices, c’est le cas de l’emprise qui conduit aux abus sexuels sous toutes leurs formes. A ce propos, P.S. rappelle, fort judicieusement, que le crime pédophile ou sexuel n’est pas corrélé avec le célibat sacerdotal. Il faut le dire et le répéter, car la doxa progressiste anti-religieuse (surtout anti-catholique d’ailleurs, car très conpréhensive avec l’islam) pratique un amalgame réducteur. L’abus à caractère sexuel est une abomination légale et spirituelle, qui doit être dénoncée et condamnée à la fois par les Eglises et la République[1]. Mais cela ne représente qu’une part infime des prêtres et des dérives de la paternité spirituelle. Ce que dénonce ce livre est bien plus courant et doit être traité. Il cite ainsi le culte de l’efficacité et la perte d’humilité des pères déviants, mais aussi celui de la personne et les fausses attentes qui en découlent, lesquelles produisent frustration, sentiment d’échec, voire rejet de la foi. Il y ajoute l’abandon de l’enseignement aux enfants spirituels des vertus chrétiennes et, parfois, le mépris de la loi au profit de la route tracée par le père spirituel. Pour chaque déviation, il propose des remèdes appropriés, dont la base est dans la Bible. Il n’invente rien, mais remet en avant ce que Dieu a révélé aux hommes depuis fort longtemps.

Enfin, le dernier point que je mettrai en avant est l’encouragement à pratiquer l’accompagnement et le conseil. Mais pas n’importe comment. Pavel Syssoev insiste sur la nécessité d’une solide formation, qui peut être aussi bien autodidacte que reçue de l’extérieur (en pratique les deux se combinent). On ne peut s’improviser père spirituel, mais on doit y aspirer et se donner les moyens de le devenir et de vivre ce ministère avec succès et sérieux.

«  On ne peut pas former un accompagnateur en une vingtaine d’heures. Tout comme il est impossible de remplacer les chirurgiens-dentistes par des aides-soignantes, on ne peut pas répondre au besoin d’accompagnateurs par des formations-éclairs. » p. 60.

Voilà une affirmation qui va au rebours de la pratique des stages proposés par toutes les Eglises, où en une semaine ou quelques sessions de week-end, on fait de vous un « conseiller spirituel ». Ces stages ne sont pas inutiles, mais ils peuvent être dangereux, en laissant croire à ceux qui les ont suivis qu’ils sont équipés pour ce travail de paternité spirituelle. Il faut dire, avec beaucoup d’humilité, qu’on n’est jamais préparé vraiment, même au soir de sa vie. Cela fait maintenant 45 ans que je travaille pour l’œuvre de Dieu, j’ai fait beaucoup de lectures, des formations  et même suivi un cursus complet de théologie, jusqu’au doctorat, mais je ne prétends nullement être accompli en ce travail, tout au plus ai-je acquis des outils que je maîtrise. Je vis beaucoup de situations où l’on demande mon aide, mais il est des cas où je ne sait pas comment agir, où je n’ai pas de réponse. C’est alors seulement par le Saint-Esprit que je puis être le serviteur inutile de Dieu. La paternité spirituelle est un fait réel, mais elle est très exigeante et nous n’aurons pas des dizaines d’enfants spirituels dans une vie, même un prêtre ou un pasteur. Nous pouvons conduire bien des gens au pied de la Croix où ils vont se repentir et se convertir, mais nous ne serons pas leurs pères spirituels, simplement nous aurons été l’ouvrier dans le champ de Dieu. Ne confondons pas cela et la paternité spirituelle, qui est un acte dans la longue durée et qui engage toutes nos ressources. Ce livre sera une aide précieuse tout au long de notre travail.

Pour conclure, je veux redire que cet ouvrage est universel (donc catholique au sens que je préfère), écrit pour tout chrétien sérieux qui veut être utile à l’œuvre de Dieu dans ce monde. Il dépasse les limites dénominationnelles, et c’est très bien. Je laisse à l’auteur le mot de la fin, auquel je souscris totalement :

«  Il est frappant de constater dans l’histoire de la spiritualité, comment les amis de Dieu se reconnaissent et s’estiment souvent malgré leurs divergences de styles, d’écoles, d’opinions et de sensibilités. Ëtre sourd à cette symphonie revient à réduire l’insondable mystère de Dieu à une parcelle de son  rayonnement. » p. 41.

Jean-Michel Dauriac

Théologien protestant


[1] Dans ma longue vie d’enseignant de l’Ecole de la République (43 années acolaires), de 1974 à 2017, j’ai vu comment l’Education Nationale a longtemps couvert les actes pédophiles ou inappropriés, en mutant, au pire, les enseignants coupables. Elle a agi exactement comme le fit l’Eglise Catholique : elle a d’abord protégé ses serviteurs, ne prenant pas vraiment la mesure de la gravité de ces actes. On a jugé le cardinal Barbarin, mais aucun Recteur ou Inspecteur d’Académie. Et personne ne le remarque dans les médias dominants, pendant que l’on continue à s’acharner sur les prêtres. Si l’on veut être juste, il faut dire cela.

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Un autre Stefan Zweig ?Sur Pas de défaite pour l’esprit libre – Ecrits politiques 1911-1942

– Stefan Zweig – Paris, Inédits – Albin Michel – 2020 –350 pages, 22,90 €

A la sortie de ce livre, au début de cette année 2020, plusieurs articles le saluèrent comme il se doit : Stefan Zweig est un, si ce n’est l’écrivain le plus vendu dans le monde. Toute sortie d’un inédit est attendue et saluée. A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un copieux volume comme celui-ci. Il rassemble tous les articles qualifiés par les éditeurs de « politiques » écrits et/ou publiés entre 1911 et 1942, date du suicide de l’écrivain. Il offre donc un survol de plus de trente années qui permettent de juger vraiment de cet aspect de l’œuvre de cet auteur.

La plupart des articles que j’ai lus reprenaient en fait, je m’en suis rendu compte seulement à l’achat et à la lecture du volume, les éléments de langage de la préface de Laurent Seksik qui ouvre le livre et de l’avant-propos de la traductrice, Brigitte Cain-Hérudent[1]. Cet écrivain a connu un réel succès avec son livre Les derniers jours de Stefan Zweig, adapté en pièce de théâtre, jouée à Paris par des acteurs célèbres (Patrick Timsit et Elsa Zylberstein) ; il a récidivé en adaptant pour le théâtre Le monde d’hier. Cette célébrité et visibilité médiatique explique que les journalistes aient, très paresseusement repris son point de vue, qui ne peut qu’être favorable à Zweig, c’est une évidence. Voici une preuve de plus, s’il en était besoin de la paresse et du grégarisme de la profession (dans sa grande majorité, bien sûr, car il existe des journalistes qui « font le métier »).

Pourquoi ces précisions, avant même de parler du livre lui-même ? Par déontologie et honnêteté intellectuelle. J’ai lu avec attention cette préface. Elle est de très bonne qualité. Mais comme toute préface, elle conduit le lecteur à choisir une entrée, celle du préfacier, au détriment de la liberté supposée de l’esprit du lecteur ; c’est pourquoi je lis le plus souvent les préfaces après avoir lu le livre, et que je préfère les postfaces. Dans ce cas précis, on peut dire que tout a été fait pour que les lecteurs adhèrent à la thèse du préfacier. Quelle est-elle ?

Le mieux est de le laisser parler directement :

« On croit tout savoir de l’écrivain. Pourtant les textes rassemblés dans ce recueil vont dévoiler une facette méconnue de l’homme : le penseur.

Il est de coutume de réduire la pensée zweigienne à un ersatz de pacifisme teinté d’humanisme.[…]

Mais ces textes apportent surtout un éclairage radicalement nouveau sur la vie du Viennois en battant en brèche tout ce que l’on croyait savoir sur l’action d’un homme. C’est le mythe du non-engagement de Zweig qui est ébranlé. […]

Les pages de cet ouvrage incitent à une révision de l’accusation[2]. »

Tout lecteur sérieux aura compris à la lecture de ces lignes que cette thèse est ce qu’on appelle en rhétorique une thèse secondaire, dérivée d’une thèse première qu’elle vise à détruire ; c’est en réalité une anti-thèse. Elle a le mérite d’enoncer, au moins de manière édulcorée la thèse principale : Stefan Zweig a traversé sa vie en évitant assez soigneusement de s’engager, ce qui était contraire à sa nature profonde. Il a été un spectateur lucide et talentueux, pas un véritable acteur. C’est cette thèse que ce livre doit démolir, ou au moins, comme l’écrit Seksik, « l’ébranler », ce qui est moins ambitieux.

Les chroniqueurs, soit par paresse, soit par peur de se distinguer des louanges unanimes qui habillent Zweig et son œuvre, ont repris les éléments de la préface et les ont aménagés à leur petit sauce, comme le fait un élève intelligent qui plagie ou copie sur une autre source. C’est petit, très humain et, au final insignifiant, car la plupart des lecteurs passionnés se moquent de leurs opinions comme d’une guigne. Ces chroniqueurs écrivent d ‘abord pour leurs collègues, ensuite pour les auteurs et, enfin pour le petit public professionnel qui s’en nourrit (libraires, professeurs de lettres et de langues, étudiants avancés…), le grand public les ignore purement et simplement. Ce grand public, par contre lira la préface, et aura ainsi au moins l’intégralité de l’anti-thèse proposée.

Puis le lecteur entamera la lecture de ces textes, de taille, de sujets et d‘intérêt très variables. C’est le propres des éditions complètes d’offrir ce bric-à-brac qui ravit les spécialistes. Le lecteur ordinaire, dont je suis, s’ennuie parfois à lire certains textes ; C’est ici le cas des textes courts, qui sont souvent des réponses à des enquêtes ou des demandes de journaux. Un choix sélectifs sur la qualité les aurait éliminés : je n’en parlerai plus. Il reste ensuite une grosse trentaine de textes notables. Il n’est évidemment pas question d’en faire le tour ici, je laisse cela à quelques thésards qui vont se jeter là-dessus sur injonction professorale. Essayons de considérer les buts de ces textes. Pour ce faire nous les regrouperont en grandes familles, qui correspondent aux préoccupations constantes de Zweig, que nous connaissons déjà par ses biographies et  ses propres souvenirs.

Selon les dates, on peut identifier quelques grands groupes : la traductrice de ces textes – la traduction est très bonne – en donne d’ailleurs le contour dans son avant–propos. Mes conclusions de lecteur rejoignent les siennes. Il y a d’abord, chronologiquement, à partir de 1911, des textes qui parlent des livres, en tant que bibliophile ou professionnel du livre.. Ce sont des textes brillants, érudits même, qui s’adressent à un public de connaisseurs. Il ne saurait évidemment s’agir de textes politiques au sens plein du terme, à moins que l‘on considère que le plaidoyer pour des livres à prix modiques soit un combat culturel engagé ! La deuxième famille regroupe les textes liés à la guerre et à l’après-guerre. Un certain nombre de ceux-ci relève du travail du soldat Zweig et ne sont donc pas du tout politiques mais fonctionnels. Il faut reconnaître que Zweig sait rendre intéressantes les dites-commandes par son style et sa finesse. Plus intéressant sont les textes qui parlent du pacifisme. Zweig, dans la lignée de son ami Romain Rolland, a professé ce pacifisme tout au long de sa vie. Nous retrouvons donc dans ces pages un engagement connu, qui ne saurait que confirmer le portrait classique. Il fallait un  certain courage en ce temps-là pour soutenir ce point de vue, nous le portons au crédit de l’auteur. Mais il n’y a là rien de bien nouveau. Le pacifisme a été le seul engagement défendu par Zweig et que l’on lui a reconnu, depuis fort longtemps. Ce n’est pas rien, mais il faut ajouter que ce ne fut pas un militant actif, il ne fut pas emprisonné, comme les tolstoïens le furent en Russie. Certains de ces textes décrivent l’ambiance, en France ou en Suisse, dans l’immédiat après-guerre. Ils peuvent s’appuyer sur des livres, comme ceux consacrés à Barbusse. Cette veine pacifiste est la plus importante de ce recueil, sans surprises.

La troisième catégorie de textes est celle consacrée à la « question juive ». Elle apparaît plus tard,  à partir du début des années 1930, liée à la montée du nazisme. C’est le lot le plus intéressant, car il lève un peu le voile sur une facette peu connue de Zweig. On le savait opposé à tout nationalisme, et donc au sionisme. On a avancé que son statut d’apatride relevait d’une forme d’engagement contre le nationalisme. C’est possible. Dans les articles ici rassemblés, nous découvrons un Stefan Zweig qui affirme sa judéité et sa solidarité inquiète avec les juifs du monde germanophone (Allemagne et Autriche). Plusieurs textes sont des projets organisationnels, qui n’eurent pas de suite, mais nous permettent de saisir sa pensée. Toute la fin de ce recueil est constitué par ce genre de textes, soit un gros tiers. C’est donc une préoccupation constante de l’écrivain. Il en vient d’ailleurs à reconsidérer son opposition au sionisme face à la situation des juifs en Allemagne et Autriche, en soutenant l’idée du foyer juif en Palestine. Il faut donc porter au crédit de Zweig ce second engagement, moins connu que le pacifisme.

Enfin, nous devons signaler une espérance dans un projet européen. Zweig croit à une Europe de l’Esprit, même après l’horreur de la Grande Guerre. Mais son Europe est celle d’une élite, pacifiste et sensible, que les années 1930 vont complètement subvertir. Un des plus beaux de ces textes, sans doute même le plus beau est « L’unité spirituelle de l’Europe ».

A titre personnel, mon préféré est affublé d’un titre pour le moins intrigant, « Les pêcheurs au bord de la Seine ». Un beau texte sur l’accoutumance à toutes choses qui se répètent, une belle leçon historique pour nous inciter à ne pas juger trop vite les hommes hors de leur contexte.

Que penser de ce livre ? Littérairement parlant, il n’y a rien à redire, c’est formellement  très bien écrit, peut-être même plus réussi que les fictions, car les sujets se prêtent moins aux emphases que les oeuvres d’imagination. Nous retrouvons toute la finesse viennoise qui enchanta les lecteur du Monde d’hier. Stefan Zweig est un intellectuel de haut vol. Ce recueil n’a nul besoin de nous faire découvrir le penseur ; c‘est même une ambition stupide et insultante. Comment un grand écrivain et biographe comme lui ne serait-il pas un penseur de premier plan ? Il n’est nul besoin de réviser un jugement qui n’existait pas en l’état. La lecture des ces articles nous apprend toujours quelque chose grâce à l’érudition de Zweig.

Sur l’engagement de l’écrivain, je crois très sincèrement que cette publication en modifie pas beaucoup le portrait de l’écrivain. Il n’a jamais été le militant d’une quelconque cause. Ses seuls combats sont de plume, et encore à fleurets mouchetés. Ainsi, on est surpris par la modération de ses propos à l’égard du nazisme et d’Hitler, y compris dans le dernier texte, « Hartrott et Hitler », écrit en 1942 et qui sera publié après le double suicide de l’écrivain et de sa femme. Zweig n’est pas Péguy, il était incapable de l’être. Il ressort de ces écrits qu’il a toujours gardé cette distance bourgeois viennoise, si délicieuse en 1890, mais totalement inadaptée au monde barbare des années 1930. Zweig a été durant les années 1919-1942, un homme du monde d’avant. Il y a un abus de langage à nommer ce recueil « écrits politiques », comme à espérer qu’il en sortirait une figure engagée de l’écrivain.

J’aurais aimé que les paresseux critiques littéraires se livrent à cette analyse de fond, au lieu de plagier les auteurs impliqués dans cette publication, dont je respecte, sans les partager, les points de vue sur l’homme Zweig. Je m’y suis essayé, sans doute avec moins de virtuosité que ces mêmes chroniqueurs auraient pu déployer, mais avec le désir de rester honnête avec un écrivain que j’apprécie.

Jean-Michel Dauriac

Le 23 avril 2020


[1] Traductrice qui, dans la note1 de la page 23, justifie l’importance de son travail dans la réévaluation de Zweig, ce qui est tout à fait exact.

[2] Pages 13,16 et 17.

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