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Catégorie : les critiques

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Le goût fameux de l’authenticité: Un autre Pays t’attend de Jean Agogué

Il y a plusieurs manières pour un disque d’être bon. On peut le réécouter sans cesse car il nous flatte l’oreille. Il peut nous rappeler des moments de notre vie ou nous parler personnellement. La qualité de la musique ou des arrangements s’impose à nous de manière incontestable. Ce sont parfois les paroles des chansons qui sont bien troussées qui emportent notre adhésion. Peut-être a-t-on vu l’artiste sur scène et le disque nous rappelle-t-il alors un concert exceptionnel… Bref, les raisons sont multiples et je suis sans doute loin de les avoir toutes énumérées. Nos disques préférés ont tous de bonnes raisons de l’être.

 

 

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Le disque de Jean Agogué est un bon disque. Je l’ai su dès la première audition. Comme une évidence, il était clair qu’il allait trouver place dans mon panthéon personnel aux côtés de mes groupes de gospel préférés : Pâturages, Image, Les Témoins, Les Reflets, Pierre Lachat, John Featherstone… et tant d’autres. Je pourrais m’en tenir à l’argument d ‘autorité : ce disque est bon parce qu’il est bon, croyez-moi, je m’y connais un peu ! Je pourrais aussi dire qu’il est bon parce qu’il a pleins de qualités citées plus haut. Mais j’ai envie d’être sympa avec toi, ami lecteur ; je vais même te dire pourquoi il est si bon.

 

Si je dois commencer par la plus belle qualité de ce disque, je suis bien embêté, mais je vais être obligé de choisir. Je chois alors l’authenticité, qui est la pierre de touche de toute œuvre de création. Une œuvre ne peut nous toucher que si elle porte une part de vérité. Vérité de celui qui la crée autant que vérité de ce qu’il fait, dit, compose, chante… Je connais Jean depuis plus  de cinquante ans et ce disque lui ressemble totalement. Il est franc, comme lui ; Toute ce qui est dit ici est expérimenté, vécu. Quand Jean te dit que la vérité est en Jésus-Christ, il ne fait pas un sermon ou de la publicité : il te parle de ce qui a changé sa vie à jamais. Son disque ne peut pas parler d’autre chose. Il ne peut pas en parler autrement. Dès sa jeunesse, il a eu ce désir de témoigner par la chanson et n’a jamais cessé de le faire, restant un amateur persévérant. C’est d’ailleurs chez les amateurs que l’on a le plus de chance de trouver l’authenticité ; le métier aurait tendance à rendre habile et à transformer les gens.

 

Car une autre des qualités de ce disque est la fidélité. Comment un disque peut-il être fidèle ? Par le style musical. Dès le début, Jean fut folk. Et folk il demeure. Insensible aux modes et sans reniement, il continue à vénérer la guitare acoustique à cordes métal, la bonne Dreadnought des familles. Ce disque oscille entre des blues et la pure veine folk ou country. C’est une musique simple, qui ne prétend pas être plus que ce qu’elle est, une succession d’accords peu nombreux et très codifiés. Cette fidélité stylistique couplée avec l’authenticité donne un disque assez jubilatoire et très accessible.

 

Mais il ne faudrait pas limiter les qualités à ces traits quasi-moraux. C’est bien un disque de musicien et de chanteur ; un disque avec de vrais morceaux de vrais musiciens dedans. Jean a composé l’essentiel des musiques et pas mal de textes, secondé par son complice Thierry Bulant. Ce n’est ni niais, ni prétentieux, ni prêchi-prêcha. Ce sont des champs qui interpellent l’auditeur, qui lui parlent de sa vie, de ses questions, de sa quête – car tout le monde en a une – avec des mots d’aujourd’hui. Des chants de confiance en Dieu aussi. Qui ne peuvent qu’aider celui qui est ballotté par une vie difficile, car cette confiance lui est offerte ; elle est là, accessible immédiatement par un pas en avant qui se nomme la foi. Dans cette veine, citons « La main de l’Eternel » ou « Au plus noir de mes nuits ». Jean interpelle son semblable en recherche : « Chercheur d’éternité » ou « Même si » sont le reflet de nos attitudes et de nos errements. Quelques textes d’inspiration strictement biblique sont également inclus. Une belle version du si beau Psaume 23, « L’Eternel est mon berger ». Ou cette adaptation du poème de l’Ecclésiaste sur le temps, sobrement titré « Il y a un temps pour tout ».

 

Tout cela est mis en musique avec un groupe compact qui fonctionne bien. Une formation très seventies : un batteur (Rémi Maisonneuve), un bassiste (Christian Peyron), un pianiste-claviériste (Daniel Grail) et un guitariste électrique (Michaël Lubin), Jean assurant la guitare rythmique électro-acoustique. Les voix sont particulièrement bien posées, dans la tradition également des grands groupes de la pop music des années soixante-soixante-dix (Sophie Waysenson et Rémi Maisonneuve aux chœurs). C’est sobre, mais arrangé avec goût. Le tout est porté par une belle qualité de prise de son et un mixage fait par un ingénieur du son qui n’est pas sourd, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Les voix sont bien en avant et il n’y a pas besoin de tendre l’oreille pour deviner les paroles.

 

Tout cela réuni donne un disque de 12 chansons à la fois très cohérentes et différentes. Jean se paie même le luxe de faire chanter ses petits-enfants sur un morceau taillé sur mesure. Voici un beau disque qui procure la paix intérieure, loin du tumulte vain de notre société de superficialité. Un beau cadeau à faire autour de vous. Mais un conseil : n’offre pas le tien, il te manquerait très vite.

 

Jean-Michel Dauriac

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La sincérité suffit-elle à faire les grands livres ?

Le Royaume – Emmanuel Carrère – Editions P.OL. – 630 pages – 2014

 

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Voici donc le gros livre qui a fait le buzz de la rentrée littéraire française cette année.  Si vous n’êtes ni sourd, ni aveugle, ni analphabète et que vous regardiez un peu la télévision,  lisiez un peu le journal ou écoutiez un peu la radio, il est impossible que vous n’ayez pas entendu ce nom et ce titre. Pourquoi ? Difficile à justifier une fois achevée sa lecture. Par quel concours de circonstances ce pavé a-t-il aguiché les commentateurs et critiques et amené toute la presse nationale à interviewer l’auteur ?

 

Le sujet en lui-même apparaît au départ très peu porteur : un intellectuel écrivain raconte sa phase de catho intégriste et l’enquête qu’il mène vingt ans plus tard sur les évangiles et leurs auteurs-acteurs (ici Luc et Paul). Avouons que ce sujet n’a rien de bien passionnant pour le lecteur moyen de 2014. Des livres sur l’expérience religieuse, il y en a des dizaines, comme sont des dizaines de fort bons livres sur les rédacteurs et acteurs du Nouveau Testament (voir les catalogues des éditions du Cerf et Labor & Fides).

Le genre de ce livre est incertain : est-ce un roman d’autofiction,  une autobiographie déguisée, un livre d’enquête ou un essai ? A vrai dire tout cela à la fois et cependant rien d’abouti vraiment dans aucun des quatre styles. L’auteur parle à la première personne et n’avance pas masqué du tout. Certains passages seraient parfaitement intégrés dans des romans contemporains, d’autres sont des résumés presque bruts de livres savants. Le tout donne une impression de livre hybride qui se révèle bien lorsqu’il s’agit de le ranger dans les rayonnages d’une bibliothèque organisée. C’est une sorte d’OLNI (Objet Livresque Non-Identifié).

Reste l’écriture. Fluide, précise et même élégante souvent, elle est sans nul doute un atout de poids pour Emmanuel Carrère, qui a « du métier » : je me souviens de lui, journaliste débutant écrivant dans les pages de Télérama, l’hebdo culturel catho-bobo toujours en grâce chez les intellos. De ce métier il a sans nul doute gardé la méthodologie de l’enquête. Or, nous dit-il, ce livre devait initialement s’appeler « L’enquête », mais il a changé après avoir testé ce titre sur des amis qui n’en paraissaient nullement enthousiasmé. La lecture de ce pavé est extrêmement aisée, et je l’ai dévoré en quelques séances vespérales et nocturnes. Cette lecture est facilitée par une mise en page aérée et le choix d’une police de taille moyenne.

 

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Alors, une fois tous les côtés techniques évoqués, qu’en est-il vraiment du livre ?

 

J’avoue encore une fois ma perplexité au moment de figer sur le papier un avis ferme.

A la question : « est-ce un bon livre ? », je répondrai incontestablement « oui », puisque je l’ai dévoré en peu de jours et qu’il me tardait toujours d’en savoir plus.

A la question : « est-ce un grand livre marquant ? », je répondrai, pour l’instant, « non ». Je dirais pour m’en tirer d’une pirouette : « Ce n’est pas un grand livre, mais c’est un gros livre ». Mais je me rends bien compte de ce que cela peut avoir de railleur et, sans doute d’injuste. Car Carrère y a passé vraiment beaucoup de temps. Cela dit, si un écrivain médiocre livre un texte très mauvais au bout de dix années de sueur, faut-il l’apprécier uniquement pour sa longue gestation ? Bien sûr que non. Je vais donc m’efforcer ci-dessous d’expliquer pourquoi je le dis bon livre et non grand livre.

Premièrement, un grand livre est celui que nous avons et aurons envie de relire à coup sûr. Ainsi de « La guerre et la paix », « Crime et châtiment », « Le Grand Meaulnes » ou « Madame Bovary ». Je n’ai pas du tout envie de reprendre un jour « Le Royaume » spontanément, et si j’y reviens, ce sera à coup sûr pour des raisons de nécessité (étude comparative, critique ou autre).

Deuxièmement, un grand livre est un ouvrage où il n’y a rien à jeter. Ce n’est pas le cas de ce livre-ci. Certains éléments biographiques sont non seulement décalés et inutiles, mais parfois un peu laborieux. Ainsi des pages où Carrère décrit dans le menu le film pornographique déniché sur internet et argue de la sincérité de la jeune femme qui s’exhibe pour nous expliquer la sincérité de Luc l’évangéliste telle qu’il la ressent. Cela ne me choque nullement, ne m’amuse pas plus : je trouve la démarche tout bonnement ratée. De même, la première partie, « Une crise », de 130 pages environ, qui narre la vie de Carrère Emmanuel devenu bigot par le choc d’une parole évangélique reçue en Savoie, ne m’a pas convaincu dans sa durée. Quelques pages eussent suffi à nous faire comprendre où était l’origine de cette enquête qui est le cœur du livre. Enfin, je trouve que les deux grosses parties centrales « Paul » et « l’enquête » sont redondantes assez souvent, bien que le point de vue ait changé. Le livre aurait gagné en solidité à être plus concis. De mon point de vue, il y a au moins deux cents pages de trop.

Troisièmement, un grand essai est un livre qui fouille un champ et apporte du solide. C’est sur ce point que je serais le plus sévère avec Carrère. On a comparé son travail avec celui d’Ernest Renan et sa « Vie de Jésus ». J’ose croire que ceux qui ont écrit cela – et ils sont nombreux – n’ont pas vraiment lu Renan (dont le livre est très dense et long). S’ils l’ont fait, je doute de leur compétence critique ! Certes Carrère nous dit bien qu’il avait Renan à portée de main durant toute sa création, mais cela ne suffit pas à établir une sorte d’égalité entre les deux œuvres. En son temps, le travail de Renan fut un choc pour le public français auquel on offrait pour la première fois une synthèse critique de la théologie libérale allemande en train de se construire. Le sujet était absolument neuf et Renan le traite absolument en historien. Chez Emmanuel Carrère, il n’y a plus aucune nouveauté et la rigueur historique est passée en grande partie à la trappe, car ce n’est pas le vrai but du livre. Le contenu savant ainsi vulgarisé ne dépasse pas les connaissance exigées d’un bon étudiant de deuxième année en théologie protestante de la faculté de Strasbourg (et j’en parle en toute connaissance de cause). Ce qui nous est présenté est digne d’une bonne introduction au Nouveau testament et d’une histoire de l’Eglise simplifiée. Et Carrère a beau reformuler cela un peu comme un roman, l’affaire ne s’en arrange pas pour autant. C’est long, parfois simplet, et pas toujours digéré. Pourtant l’enthousiasme des critiques sur ce livre laisserait entendre que ce récit est à la fois original et très riche. Ce qui ne sert qu’à prouver l’ignorance des dit-critiques pour tout ce qui touche au domaine des « sciences de la religion », pour reprendre une appellation universitaire. Leur manque de connaissance leur a permis d’être abusés par un travail de synthèse moyen seulement. Ce qui n’enlève rien au talent d’écrivain d’Emmanuel Carrère ; mais j’aurais largement préféré lire « les aventures de Luc et Paul » que ce livre-ci.

 

Au final, le lecteur de cette critique comprendra mon embarras à finir par un jugement bien tranché comme on en attend un d’un texte de ce type. Ben non, je ne sais trop que dire. Ce n’est ni un mauvais livre, ni un grand livre, juste un livre correct qui me semble un peu raté car trop long et composite. Seul le temps peut rendre justice aux livres et les panthéoniser ou les enfouir. Je dois dire pour être complet que jusqu’à plus de la moitié du livre, j’étais très déçu et disposé à étriller ce « Royaume ». puis, en quelques lignes d’une sincérité émouvante, Carrère m’a totalement retourné. Allez lire ceci dans le chapitre 17 de « L’enquête », la troisième partie.  Retenons aussi le tout dernier paragraphe u livre, qui complète l’extrait évoqué juste ci-dessus :

«  Ce livre que j’achève là, je l’ai écrit de bonne foi, mais ce qu’il tente d’approcher est tellement plus grand que moi que cette bonne foi, je le sais, est dérisoire. Je l’ai écrit encombré de ce que je suis :un intelligent, un riche, un homme d’en haut : autant de handicaps pour entrer dans le Royaume. Quand même, j’ai essayé. Et ce que je me demande, au moment de le quitter, c’est s’il trahit le jeune homme que j’ai été, et le Seigneur auquel il a cru, ou s’il leur est resté, à sa façon, fidèle ».

Ces seules lignes rehaussent tout le livre. A un homme totalement sincère on peut reprocher ses erreurs et ses maladresses mais pas sa rouerie et sa suffisance. « Le Royaume » est incontestablement le livre d’un homme sincère et d’un bon écrivain. Est-ce suffisant pour sauver le livre ?

 

Jean-Michel Dauriac

22 novembre 2014 – Mériadec

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Les chanteurs populaires ne meurent jamais.- Pour Michel Delpech

Dimanche 3 janvier. Il est un peu plus de neuf du matin. Je vais faire ma virée dominicale à Aigurande, le bourg le plus proche de mon refuge creusois. Un circuit bien rodé : d’abord le boulanger-pâtissier, qui fait des gâteaux magnifiques à des prix à tomber par terre – deux petits Saint-Honoré et deux éclairs – puis l’achat de « La montagne », le journal local et du JDD (que je ne lis que lorsque je suis ici !) et de quelque livre ou revue. Enfin, le petit producteur de fromage de chèvre fermier auquel j’achète des pyramides cendrées superbes. En haut, en bandeau du JDD, un titre a accroché mon oeil : « Michel Delpech est mort hier ». mais je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir plus que ça. Il faut que je rentre et que je me mette à assembler deux meubles-coffres dans les petites chambres du gîte rural que nous aménageons doucement depuis plusieurs années.

On mange tard. Juste avant le repas, en prenant l’apéritif, je montre, sans un mot, la une du JDD à ma femme. Elle cherche l’article et commence aussitôt à le lire. Ce qui m’énerve un peu car je voulais être le premier à le faire. Je lève mon verre à Michel Delpech, en espérance chrétienne. J’ai beaucoup aimé son petit livre de témoignage paru récemment, « J’ai osé Dieu », où il disait sa foi et sa manière de la vivre.

 

 

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J’ai toujours aimé ce chanteur populaire par excellence. Les vrais chanteurs populaires sont rares. Seul le temps leur donne cette légitimité. Il s’en lève quelques-uns par génération. Il y eut les gang des quatre B (Brel, Brassens, Béart et Bécaud) et des 2F (Ferrat et Ferré), qui marqua toute la génération des années 1950-1960. Puis il y eut mai 68 et les seventies, sorte de crépuscule doré, insouciant et gai, dernière période de joie avant le marasme qui nous accompagne des années 1980 à ce jour. Quels sont les chanteurs populaires de cette période ? Johny Halliday, évidemment, l’inusable Charles Aznavour, le trop ignoré Serge Lama. Et survolant la vague insignifiante du yéyé, les deux Michel, Delpech et Sardou. Deux chanteurs qui parlent du peuple et au peuple. Deux parcours différents mais la même place dans le cœur de tout un peuple. Pourquoi a-t-on droit à cette dignité rare de « chanteur populaire » ? Sans nul doute parce qu’une personne, un artiste, un interprète, rencontre son époque et l’incarne, exprimant ce qui occupe et préoccupe les sans-voix, les gens ordinaires, les ménagères, les routiers, les lycéens… Bref, tout le petit peuple de France. Un chanteur populaire, c’est un morceau de l’identité française. Mais une identité qui ressemble à l’inverse exact de celle que veulent nous vendre nos pitoyables politiciens.

Delpech appartient à la légende du peuple pendant près de cinq décennies. Comme lui, il a connu la gloire, le succès, puis la grosse déprime des années 8 et le retour au premier rang des années 2000. Ses chansons ont toujours été diffusées, même quand il avait disparu des télés et des scènes. Une chanson de Michel Delpech, c’est comme un petit sismographe qui capte les ondes du moment. IL faut avoir eu quinze ans à la sortie de « Chez Laurette » pour comprendre à quel point cette chanson parlait de nous. Les bistrots de quartiers existaient en mobre et ceux qui se trouvaient non loin des lycées étaient nos refuges. Les patronnes jouaient souvent un rôle quasi-maternel. Le mien s’appelait «  Le bar du coin » – car il faisait un angle de rue – il a été mon refuge jusqu’au bac. Puis il a fermé avec la retraite de la propriétaire, remplacé par un éphémère commerce d’électro-ménager. « Chez Laurette », chaque fois que je l’entends, me parle de ce temps, comme « La bohême » d’Aznavour ou « La place des grands hommes » de Bruel pour d’autres générations.

Michel Delpech a enfilé les grands tubes comme des perles, avec une régularité métronomique, pendant plus de 10 ans.

Il y eut « Wight is Wight », période hippie des grands festivals ; le tant imité « Pour un flirt », l’hymne sans prétention à la République avec « Marianne », les chansons bucoliques avec « Le Loire et Cher », hommage sincère et sans mépris à la France rurale, ou bien « Les chasseurs », tranche de vie solognote.

Delpech écrivait ses textes. Tout n’était pas du niveau du prix Goncourt. Mais tout était sincère. Il n’y a jamais eu de morgue chez lui, même le succès venu. Il est comme Sardou, si mal jugé, parce que plutôt à droite. Mais Sardou, quel formidable thermomètre du pays ! Leurs textes ont en commun ce respect du public. Même une chansonnette doit respecter les destinataires. Pour ne pas l’avoir compris, tant de pseudo-artistes éphémères se sont carbonisés et peu de temps. Quelle belle chanson que « Quand j’étais chanteur ». Page d’autodérision tendre. On reconnaît une chanson de Michel Delpech en quelques mesures. Sa voix chaude et douce n’y est pas pour rien. Il y avait du crooner chez lui.

Qui dira que « Les divorcés » n’est pas criante d’authenticité ? Il faut un vrai talent pour synthétiser en trois couplets-refrains et trois minutes des tranches de vie qui sonnent à la fois justes et poétiques.

J’ai dans ma discothèque un double album vinyle d’époque, avec des chansons peu connues ou inconnues de Delpech. Il y là de véritable petites perles, travail sans prétention d’artisan, avec un tour de main très sûr.

Sans doute la chanson est-elles considérée – à tort – comme un art mineur. Mais elle a donné des artistes majeurs. Moi qui suis amoureux de cet art et m’y suis essayé toute ma vie, je suis encore et toujours émerveillé à l’écoute de Brassens, Ferrat, Barbara ou Renaud…

Voilà. Michel Delpech est parti. Le crabe a eu raison de son envie de vivre. J’ai un sentiment étrange, presque contradictoire : à la fois celui d’avoir perdu un grand-frère, qui va me manquer certains jours, et puis ce bonheur d’avoir toutes ses chansons. DE savoir qu’il ne vieillira pas, que sa voix ne se cassera pas – comme celle du malheureux Pierre Perret sur son dernier album -, que ses chansons nous viendront sur les lèvres ou sur la guitare comme un message de l’au-delà. Les chanteurs populaires, comme les chansons, ne meurent jamais.

Mais quand même, ce soir, à l’heure tardive où j’ai eu besoin d’écrire ces mots maladroits, j’ai le regard un peu humide.

 

Les Bordes, Creuse, le 3 janvier 2016-01-23

Jean-Michel Dauriac

 

Pour réécouter  le meilleur de ce chanteur populaire :

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disponible ici

 A lire pour mieux le comprendre :

 

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