Sauver les livres et sauver les hommes
Père Michaeel Najeeb
Grasset éditeur – 176 pages – octobre 2017 – 17,00 €
J’avais eu l’occasion de voir le frère Najeeb dans un reportage télévisé qui racontait comment il avait logé des chrétiens réfugiés dans un immeuble inachevé. J’avais trouvé cet homme lumineux, de cette lumière spéciale qui se dégage des hommes spirituels, de quelque religion qu’ils soient.
Dimanche 27 Novembre : nous sommes dans l’église Saint-Paul de Bordeaux, qui jouxte le couvent des Dominicains. Le père Najeeb est venu, à l’invitations de ses frères, animer deux rencontres avec le public. Le samedi soir il a présenté son livre ; le dimanche soir, il parle plus largement du sort des chrétiens d’Irak. Il est tout a fait comme je l’avais pressenti en le voyant sur mon écran de télévision. Petit, oriental dans son type, il parle un excellent français, où il pousse même la coquetterie à employer des expressions idiomatiques, comme « caresser la bête dans le sens du poil ». Il n’est pas besoin de l’écouter longtemps pour comprendre qu’il est animé d’une grand foi, de celles qui permettent de traverser les pires épreuves. Ce que les frères et sœurs chrétiens de cette zone vivent si intensément depuis l’été 2014, avec l’installation de DAECH et de son Califat autoproclamé. Il raconte du vécu, ce n’est pas une conférence savante sur les diverses branches des chrétiens orientaux – qui nous semblent si étranges vues d’ici – mais un témoignage, avec toute la force de conviction que cela comporte. Le public est conquis. Les questions suivent. Le frère répond posément et concrètement. Ensuite, il s’installe au fond de l’église et dédicace son livre, en prenant le temps de converser avec chacun de ceux qui se présentent. Cette rencontre m’a conforté dans mon souci fraternel et spirituel pour ces frères persécutés, qui sont les descendants des plus anciens disciples du Christ. Je repars avec un livre dédicacé et l’envie de prier encore plus pour ces femmes et ces hommes qui partagent la même foi que moi mais sont persécutés et menacés pour cela.
Le livre « Sauver les livres et sauver les hommes » est une collaboration de Michaeel Najeeb et d ‘un journaliste, Romain Guibert, spécialiste de l’international au magazine Le Point. C’est un petit ouvrage organisé en cinq chapitres dont quatre sont plutôt chronologiques. On y suit la progression de l’inquiétude des croyants dans cette plaine de Ninive face à l’émergence de cette organisation djihadiste extrémiste qu’est DAECH ou Etat Islamique. La vie de Qaraqosh, ville de 50 000 âmes, chrétiennes pour la plupart, est d’abord décrite dans une ambiance de fausse quiétude, qui se transforme vite en peur de l’inconnu. Car la réputation de DAECH le précède. Le livre fait bien ressentir cette montée effrayante face à l’ennemi, qui est ici, au sans théologique, un antéchrist. Que faire ? Les trois moines qui sont là savent qu’ils devront partir, ils en ont reçu consigne de leur hiérarchie. Mais quand. Et qu’emporter ? C’est là que survient le second fil de la trame du livre et du titre de ce récit. Le frère Najeeb a la passion des livres anciens, et plus largement des écrits anciens. Il a réussi à monter un atelier de numérisation et déjà sauvegardé des centaines de milliers de pages de vieux ouvrages dont le plus ancien est antérieur à l’An Mil. Il ne peut abandonner ces livres et son matériel. Il va alors tout mettre en oeuvre pour emballer et emporter son matériel et les livres anciens. Il aura le temps de faire cela avant l’arrivée des DAECH, comme il les appelle. Mais au moment de fuir, au milieu de ce qu’il nomme un « nouvel exode » face au « nouveau Pharaon » de DAECH, il reste des ouvrages, qu’il charge dans les deux voitures du couvent. Mais, alors qu’ils avancent au pas de l’homme sur une route de débandade, il est ému par la détresse de personnes âgées et familles mal en point. Il installe ces passager sur ses chers vieux livres et sauvent livres et hommes. Il nous fait ensuite partager la détresse de ces milliers de gens arrivés à Erbil, en terre kurde, qui dorment sur les trottoirs, dans les rares églises ; Il faut tout organiser ; c’est là qu’il obtient la mise a disposition de bâtiments inachevés que les réfugiés vont aménager tant bien que mal en espaces de vie. Le premier s’appelle « La vigne » et le second « L’espoir ». Après ce récit circonstancié, le frère nous raconte un peu sa vie, son enfance, sa passion pour les livres ; Il y voit la mémoire de l’humanité, et singulièrement, pour ses vieux ouvrages chaldéens, la preuve de l’ancienneté du christianisme dans cette vallée. On y apprend au passage que la cohabitation fut très souvent difficile au cours des temps et que depuis l’émergence de l’islam, les chrétiens sont de statut inférieur et discriminés . Ce n’est pas là-bas qu’il faut aller chercher un modèle de tolérance et d’égalité, et ceux qui hurlent au racisme anti-musulman en France devraient être plus prudent et surtout plus renseignés.
Ce n’est pas un écrit structuré d’écrivain. C’est le récit d’une vie et la mémoire d’un peuple qui se raconte. Il faut se laisser emporter par la vie qui sourd, même sous les ruines et savoir remercier le frère Najeeb de son témoignage. Tous les islamo-gauchistes de notre belle conscience françaises devraient avoir l’honnêteté de lire ce livre. Mais je garde un petit goût amer de l’épilogue. Car, le frère Najeeb le dit clairement, les chrétiens, dans leur immense majorité, ne reviendront pas à Qaraqosh ou ailleurs. Ils veulent partir, en Europe, aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, où ils savent qu’ils pourront vivre en paix et pratiquer leur religion sans peur. Qu’adviendra-t-il de l’araméen, leur langue maternelle, celle que parlait le Christ ? La question est en suspens. Le frère veut rester optimiste parce que la foi c’est « espérer contre toute espérance » selon la belle formule biblique. On peut légitimement être inquiet. En tous les cas, il faut aider de toutes les manières les chrétiens d’Orient, nos frères et sœurs dans la tourmente et ne pas laisser le flux de l’actualité les effacer de nos cœurs.
Les livres de témoignage sont essentiels pour le présent, afin de mobiliser l’opinion et de porter la cause des victimes en pleine lumière. Mais ils le sont aussi pour le futur, car ils attesteront de la barbarie de ces fanatiques et du martyre des chrétiens. L’histoire humaine est malheureusement jalonnée de ces stèles de papier. Et pourtant l’horreur ne cesse de revenir. Ne serait-ce pas cela que les chrétiens appellent le péché ?
Jean-Michel Dauriac
Comments