Éditions de l’institut biblique ; Nogent-sur-Marne. Date inconnue
Voici une autre perle trouvée dans la bibliothèque des anciens. Ce Précis d’Histoire de l’Église rappellera des souvenirs aux étudiants anciens de l’Institut de Nogent-sur-Marne et de la Faculté de théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine. En effet il rassemble le contenu des cours sur ce thème que J.M. Nicole a donnés pendant des décennies dans ces écoles. J’en ai entrepris la lecture par curiosité, je l’ai poursuivie et achevée par intérêt. En effet, dans un format de moins de trois cents pages, l’auteur réussit l’exploit de balayer vingt siècles d’histoire des Églises chrétienne. Le singulier du titre fait référence à l’Église universelle telle qu’elle est pensée dans le protestantisme, et non à l’Église romaine, qui se conçoit encore officiellement comme la seule Église.
Ce livre couvre donc les vingt siècles de l’histoire du christianisme à l’échelle de l’Europe. L’auteur a divisé ces 20 siècles en quatre périodes thématiques de durées inégales.
L’Église persécutée (30-313)
L’Église dominatrice (313-1517)
L’Église pendant le déclin du catholicisme (sans dates données, mais en réalité 1517 à nos jours)
L’Église missionnaire, 1792 à nos jours
On pourra bien sûr contester ce découpage, notamment les deux dernières parties. Mais il est tout à fait recevable d’un point de vue protestant. Si on considère ce découpage au plan spirituel, il correspond à des moments caractéristiques de la vie des communautés. La première période est celle de l’Église Primitive, celle donc d’un certain foisonnement et d’interprétations diverses, mais aussi celle sans doute la plus proche de l’esprit initial du christianisme. Elle s’achève au moment de l’Édit de Milan (313), qui est un édit de tolérance qui va permettre au christianisme de se développer ouvertement. Mais ce développement se paie au prix d’une collusion de plus en plus étroite avec le pouvoir impérial, jusqu’à l’édit de Théodose qui interdit les cultes païens, et fait donc du christianisme la religion officielle de l’Empire (387) . C’est le moment de l’institutionnalisation de la Grande Église, qui règnera sans partage sur la civilisation gréco-romaine occidentale pendant près de 12 siècles. C’est l’ère de la chrétienté. Le troisième moment est celui de la remise en cause de cette suprématie et la naissance d’une deuxième Église chrétienne en Occident, celle de la Réforme. Il y aura donc dès lors une double histoire, celle d’une résistance catholique romaine et celle d’une croissance protestante – c’est la lecture de l’auteur. C’est l’âge des confrontations en tous genres et celui de la montée du rationalisme. Le dernier âge est celui de la diffusion mondiale du christianisme. L’auteur démarre cette période en 1792, mais en fait elle débute en 1492, avec le début des Grandes Découvertes et les premières colonisations. C’est d’ailleurs sur cette périodisation que je suis en désaccord avec lui.
Pour chaque période, il offre une série de chapitres, souvent assez courts mais denses, qui correspondent bien au format d’un cours. Les périodes sont elles-mêmes divisées en sous-périodes qui éclaircissent bien l’approche. À la fin de chaque sous-période, il fait un récapitulatif chronologique de ce qui a été présenté. C’est très succinct mais très pédagogique. Ces aide-mémoire s’avèreront très utiles à tous ceux qui auront à parler d’un moment de l’histoire de l’Église ou, plus couramment, à tout chrétien qui aimera connaître l’histoire de sa famille spirituelle. On trouvera aussi des cartes de géographie historiques à diverses dates (200, 500, 768, …), afin de bien situer les lieux évoqués dans le texte. Très bonne idée, trop rare dans la plupart des livres de pensée ou d’histoire chrétienne, qui ignorent simplement l’espace géographique – alors qu’on trouve des cartes des voyages de Paul dans toutes les Bibles, à juste raison. Certes, ces cartes sont rudimentaires, mais elles sont d’une belle utilité. En annexe de l’ouvrage, une chronologie comparée des divers pays d’Europe par les souverains régnants. Et, très utile, un index des noms propres (lieux ou personnes), avec renvoi aux pages concernées. Bref, une conception intelligente vraiment adaptée à la transmission.
Je suis intimement convaincu que l’histoire de l’Église n’est pas une option réservée aux étudiants d’Instituts Bibliques ou de Facultés de théologie. Ceci constitue une des plus grandes erreurs d’appréciation des communautés chrétiennes contemporaines. Les fidèles n’ont aucune idée de la structuration chronologique de leurs confessions, si ce n’est par des lueurs ponctuelles venant des sermons ou autres rencontres. Les ministres du culte ne font aucune transmission générale de cette histoire ecclésiale. Ils n’ont pas compris, et leurs formateurs n’ont pas pu ou su leur faire comprendre, que cette histoire est en elle-même un outil d’édification spirituelle des croyants. En effet, qu’y-a-t-il de plus encourageant que les exemples de bénédictions passées et de plus utile que de connaître les erreurs des communautés qui nous ont précédés, car « il n’y a rien de nouveau sous le Soleil », comme le dit Qohélet. Pour les protestants et, plus encore les Evangéliques, il serait fort nécessaire de savoir que la foi chrétienne ne naît pas avec Luther, Calvin ou Billy Graham. Nous sommes des héritiers de toute la longue tradition chrétienne, avec ses erreurs, ses horreurs et ses grandeurs. Jacques Ellul ne dit rien d’autre dans son chef d’œuvre, La subversion du christianisme. Le livre de J.M. Nicole remplit fort bien cet office de mémoire collective. Mais il va au-delà.
Il cite des hommes et des femmes de Dieu qui ont joué un rôle important dans leur temps et leur lieu et montre ainsi que la vie de l’Esprit a agi sans cesse et partout, à travers des grandes personnalités et des illustres inconnus. Il rend ainsi justice à cette « nuée de témoins » que l’auteur de la lettre aux Hébreux évoque au début du chapitre 12. Ce faisant il nous enseigne par l’action que nous devrions bien plus conserver et transmettre la mémoire et le nom de nos devanciers, dans nos diverses églises locales. Cette mémoire sera utile aux générations futures pour s’édifier et mesurer la fidélité de Dieu. Mais, si nous avons nous-mêmes perdu ces traces, qui en fera la transmission? Toutes les églises devraient avoir des livres de mémoires et pas seulement des registres des sacrements. Les Juifs ont su faire ce travail de mémoire. Tout simplement parce qu’ils n’avaient que cela pour garder le cap. Nous, les Chrétiens, et, très singulièrement les protestants, et, encore plus particulièrement les Evangéliques, nous ressemblons à un peuple d’amnésiques.
Mais l’auteur fait aussi œuvre de vulgarisation théologique, en évoquant, au fil des temps, les doctrines concurrentes, les « hérésies » et les débats au sein de l’Église. Certes, ce n’est pas le but d’une histoire de l’Église de développer ces aspects, mais il y a cependant pas mal de connaissances simples à glaner dans un tel ouvrage. Bien sûr, le lecteur les goûtera d’autant plus qu’il aura un petit bagage doctrinal, mais cela n’est pas strictement nécessaire ; il s’agit vraiment d’un livre à destination du grand public curieux.
Un des gros atouts de l’ouvrage réside dans les nombreux documents textuels qui sont cités en fin de chapitre. Nous trouvons ainsi près de 90 extraits de textes les plus divers, qui sont aussi une bonne introduction à la littérature chrétienne. Les Pères de l’Église voisinent avec les textes ecclésiastiques, les confessions de foi, les Réformateurs, les hommes de réveil, les précurseurs de la Réforme, les Evangéliques… De quoi donner envie d’aller plus loin.
Vous l’aurez compris, ce livre est un très bel outil pédagogique, dont il est aisé de voir qu’il découle d’une expérience d’enseignant, car il offre une diversité d’approches qui est garantie d’intérêt. On pourra lui reprocher de s’arrêter au milieu du XXe siècle, mais il est assez aisé de trouver des sources pour la période récente. Même si je suis en désaccord sur quelques points de détail, je ne peux que le recommander à tous. Il faut avoir ce livre dans sa bibliothèque, il sera un point de repère utile. Par ailleurs, il donne une bonne culture générale sur l’Église catholique, avec une réelle recherche d’objectivité.
L’édition que je présente est une vieille édition trouvée dans la bibliothèque des anciens. Mais le livre est toujours disponible. Vous pouvez le trouver, sous cette couverture :
Il est bon de se souvenir des anciens serviteurs de l’Église et de transmettre leur mémoire. Les protestants n’ont pas de saints à canoniser, mais ils ont des hommes et des femmes de Dieu à faire connaître. Puisse ce petit article y aider.
J’avoue que je ne connaissais pas Gaston Racine, qui est plutôt de la génération de mes parents que de la mienne. Mais en cherchant sur cette immense bibliothèque qu’est internet, j’ai découvert qu’il s’agissait d’un homme de Dieu francophone (né en Suisse, travaillant en France, puis au Québec où il mourut à l’âge de 89 ans). Je mets ci-dessous un résumé de sa vie :
Gaston RACINE
Gaston RACINE, prédicateur évangélique, conférencier et écrivain. Il est né en Suisse dans le canton de Neuchâtel en 1917. De famille huguenote, il fut élevé dans un milieu très pieux, appartenant à une communauté issue du Réveil spirituel qui secoua une partie du protestantisme au XIXe siècle. Converti au Christ en 1931, à l’âge de 14 ans, hors de son contexte familial il fut arrêté en pleine jeunesse par la maladie. Il dut apprendre durant de longues années, à l’École de la souffrance, à renoncer à ses plans et à ses projets les plus chers, pour se soumettre simplement à la volonté divine.
Guéri et fortifié, il reçut l’appel au service de Dieu en 1936, lors de sa convalescence en Italie, par ces paroles du prophète Jérémie?: «?Ne dis pas?: je suis un enfant, . . . Je mets mes paroles dans ta bouche?» (Lire Jérémie 1.4-10)
Il a exercé pendant 70 ans un ministère évangélique dans des communautés diverses, dans des camps de jeunesse et dans des salles populaires en différents continents. Il a exercé un ministère pastoral et d’enseignement biblique dans divers pays du monde, accueilli dans les églises les plus diverses, à la découverte et à l’expérience de l’unité du corps de Christ. Les assemblées de France, Belgique, Suisse et Italie ont bénéficié tout particulièrement de son enseignement.
Dès 1947, il ne dépend d’aucune église particulière. À Nice, la fondation de l’assemblée du Refuge le 1er dimanche de décembre 1950 a été le départ d’un riche témoignage qui fut en bénédiction à beaucoup. Ce témoignage se poursuit encore aujourd’hui.
Tout en étant resté foncièrement attaché à la Bible et sans sombrer dans un syncrétisme religieux, Gaston RACINE est resté disponible pour témoigner de sa foi aux croyants et aux non-croyants de tous les milieux, catholiques, orthodoxes, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, hindouistes, rationalistes et marxistes.
Durant de nombreuses années, chaque mois, dans la rubrique Vie chrétienne, Doctrine et Vie, ses articles ont été en bénédiction à beaucoup. Mentionnons encore son ministère parmi les jeunes et les adultes dans les camps de l’Hermon, Genval, Vennes-sur-Lausanne, Poggio et les camps G.B.U.
Établi au Canada à partir de 1962, il habitera Montréal. Après son mariage avec Eva Arendt, il créera les camps Mahanaïm destinés aux jeunes gens et jeunes filles de 18 à 30 ans.
À Montréal, à l’aube du 27 février 2006, dans sa 89e année, le Seigneur a repris à Lui, son fidèle serviteur Gaston RACINE. Nous ne voulons pas exalter un homme, car toute la gloire en revient à Dieu. Gaston RACINE disait humblement qu’il n’était qu’une voix. Rendons grâces à Dieu qui a donné un serviteur à son Église. Que sa consécration et son témoignage de Foi soient un encouragement à aimer la Parole, à la faire connaître et à la vivre comme il nous l’a enseigné…
Extrait de la revue Servir en l’attendant. Article tiré du N°2. Mars-Avril 2006
De ces documents bien renseignés, il ressort que Gaston Racine est un homme de Dieu reconnu, qui a été animé d’une réelle vision de l’unité de l’Eglise et de la nécessité de témoigner sans cesse du Christ par nos vies et nos paroles. Il s’inscrit, historiquement dans la lignée des Eglises de Frères, mais les a quittées, car trop sectaires à son goût.
Le petit livre que je vous présente ici est un recueil de prédications publié par lui-même en 1958, alors qu’il réside à Nice et s’occupe d’un lieu d’aide et réunion, le Refuge. Ces prédications ont été apportées en 1954, et publiées à la demande certains auditeurs. Ce cycle porte sur un passage de l’Evangile, que je vous donne ci-dessous, dans la version de la NBS (Nouvelle Bible Segond), référence d’étude des Eglises protestantes. Matthieu 25:
« 31 Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur son trône glorieux. 32 Toutes les nations seront rassemblées devant lui. Il séparera les uns des autres comme le berger sépare les moutons des chèvres : 33 il mettra les moutons à sa droite et les chèvres à sa gauche.
34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; héritez le royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez recueilli ; 36 j’étais nu et vous m’avez vêtu ; j’étais malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus me voir. »
37 Alors les justes lui répondront : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ? — ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? 38 Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ? — ou nu, et t’avons-nous vêtu ? 39 Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous venus te voir ? » 40 Et le roi leur répondra : « Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela pour l’un de ces plus petits, l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
41 Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : « Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire. 43 J’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. »
44 Alors ils répondront, eux aussi : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim ou soif, étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, sans nous mettre à ton service ?45 Alors il leur répondra : Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous n’avez pas fait cela pour l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. »46 Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes, à la vie éternelle. »
L’ouvrage comporte une introduction détaillée – qui fut sans doute la prédication inaugurale de ce cycle – et six chapitres thématiques fondés sur les propos attribués au roi dans la parabole de Jésus.
Le postulat de Racine est que le Christ reste inconnu de très nombreux chrétiens, mêmes convertis et fidèles à leur communauté. Il distingue ainsi, sans le dire nommément entre la pratique religieuse et la vie de foi. Ce qui est un des éléments clés de la position des protestants évangéliques, toutes dénominations confondues. C’est souvent un point de séparation avec les Eglises protestantes historiques, luthériennes ou calvinistes, notamment les grandes Eglises nationales européennes. G. Racine va construire toute sa démarche sur la nécessité de vraiment connaître le Christ en nous, par la communion de l’Esprit. Il se situe dans la perspective de l’attente du réveil de l’Eglise. Cette notion, qui connut un grand succès du XVIIIe au XXe siècle, est aujourd’hui sortie du vocabulaire de la plupart des dénominations évangéliques, à l’exception des mouvements neufs et charismatiques. Le réveil est une attente fondée sur une certaine lecture du Nouveau Testament et des Prophètes de l’Ancien Testament. Les Eglises ont une tendance à l’assoupissement spirituel avec le temps. Et, périodiquement, naissent dans ces Eglises en train de s’institutionnaliser, des courants revivalistes, qui reprochent à leurs frères et sœurs de dormir et de ne pas être habités par la passion du service de témoignage. La plupart du temps, les courants de réveil donnent naissance à des scissions d’Eglise, les « assoupis » gardant la maison ancienne, et les « réveillés » partant fonder de nouvelles communautés plus conformes à celle de l’Eglise des premiers temps, telle que décrite dans les Actes des Apôtres. Puis les mouvements de réveil se calment à leur tour et deviennent des communautés installées et respectables, au sein desquelles naîtront bientôt des courants de réveil et …. L’exemple du pentecôtisme français et des Assemblées de Dieu de France illustre assez bien ce schéma. Gaston Racine a une autre interprétation du réveil, à laquelle j’adhère plus volontiers, car elle est beaucoup plus fondée sur les textes du Nouveau Testament. Voici ce qu’il dit :
« Le réveil, c’est Jésus pris au sérieux, c’est Jésus cru et obéi à la lettre, parce qu’aimé d’un grand amour. » p. 13
Le réveil est donc d’abord une attitude personnelle de foi, qui peut, si elle est partagée par toute une communauté, amener de grands mouvements de conversion et de retour à la foi. Mais, pour G. Racine, tout commence par chacun de nous. Et quand la prise de conscience d’un nécessaire réveil personnel est effectuée, se pose alors cette question :
« Mais comment vivre ici-bas pour le Christ ? » p. 18.
C’est tout l’enjeu de ces prédications : montrer comment véritablement vivre pour et avec le Christ. Et donc comment connaître enfin ce « Christ inconnu ».
« Les versets trente et un à quarante-six du chapitre 25 de Matthieu, nous font entrevoir un Christ inconnu, que les élus, même, n’ont pas conscience d’avoir vu ici-bas. » p.19.
Les messages qui suivent sont destinés à secouer les chrétiens dans leur confort religieux, leur apathie et leur propre justice. Ce sont des paroles de remise en question profonde, pas toujours très faciles à entendre. Mais on trouverait le même ton et les mêmes reproches chez tous les prédicateurs de l’histoire du christianisme animés d’un zèle ardent pour Christ : François d’Assise, Dominique de Guzman, Ignace de Loyola, Martin Luther, Wesley ou Finney, pour ne donner que quelques noms catholiques ou protestants.
Le fil conducteur est la parole du Roi (le Fils de l’Homme, ou Jésus de retour en gloire) :
« Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez recueilli ; 36 j’étais nu et vous m’avez vêtu ; j’étais malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venus me voir. »
J’ai mis en caractères gras les situations évoquées par la parole de Jésus, elles vont constituer chacune le sujet d’une prédication et, donc, d’un chapitre de ce livre. Mon propos ici n’est pas de résumer chaque chapitre, mais de vous inciter à vous procurer ce petit livre et à le lire attentivement. Il se trouve d’occasion sur le Net pour des prix très abordables.[1]
Je voudrais faire quelques remarques générales sur cet ouvrage, des remarques de lecteur expérimenté, de vieux chrétien concerné par ce message et de théologien-herméneute.
Le lecteur que je suis a une expérience certaine de ce genre de lecture, à savoir des livres anciens de théologie simple, d’édification et d’exhortation. Ce sont des genres très répandus dans les milieux protestants depuis des siècles, et on peut y trouver de véritables trésors, pour peu que l’on prenne la peine de rentrer dans la pensée des auteurs et d’accepter de lire des écrits dans un style souvent adapté à son époque, mais aujourd’hui désuet. Celui-ci correspond bien, par son style à deux traits d’époque : un style oral affirmé – l’auteur nous en prévient en préliminaire – qui reprend celui des prédications ; une forme religieuse d’écriture, très marquée par une connaissance très approfondie du texte des Ecritures, abondante en références scripturaires, très judicieusement ici données en bas de page. Mais aussi une façon très pastorale de s’exprimer, marquée par un héritage assumé plus ou moins consciemment. Le lecteur pressé, vivant seulement dans l’instant en sera sans nul doute perturbé et pourra renoncer. Il faut entrer dans cela comme on entre chez Rousseau ou Balzac et non chez des contemporains. Le registre est soutenu. Mais le souci de la simplicité et le désir d’être compris sont sensibles et l’emportent.
Le « vieux chrétien » est plus à même de saisir la valeur de ce livre. Qu’entends-je par ce terme ? Pas seulement qu’il s’adresse aux vieillards, amis qu’il parlera sans doute plus à ceux qui marchent sur le chemin du Christ depuis un certain temps. Nous le savons, les premiers temps d’une vie chrétienne, après la conversion ou le baptême, sont généralement des moments de plénitude et d’exaltation, c’est le temps où le bébé spirituel grandit à vue d’œil et se réjouit de la grâce de Dieu. Puis, avec le temps, viennent la redoutable accoutumance et la marche ordinaire, avec ses hauts et ses bas. Il faut avoir accroché ses pieds aux cailloux du sentier, souffert des griffures des ronces, senti la fatigue de la marche ou la lassitude de la routine pour accepter la rudesse des propos de Gaston Racine. Quand je lis ses diverses admonestations, correspondant aux états évoqués par le Christ (faim, soif, nudité…) ; je sais bien que cela correspond à des moments que j’ai vécus ou que j’ai partagés avec d’autres croyants. Nous savons que le « veillez et priez » du Christ, au jardin de Gethsémané, est sans doute le plus difficile des commandements à mettre en œuvre, car il demande une attention de tous les instants. Je sais bien que j’ai laissé parfois le Christ nu et affamé, à travers u ses créatures sur mon chemin, que j’ai lâchement tourné la tête ou pleutrement cherché des arguments intellectuels raisonnables pour ne pas faire œuvre d’amour. Ces jours-là, le Christ m’était inconnu.
Enfin, je dois partager avec vous mes remarques sur l’aspect théologique et herméneutique de ce livre. Je suis en accord total avec l’orientation générale de cet ouvrage. L’auteur affirme qu’il faut lire les paroles de Jésus en lien avec son retour et le jugement final de tous les hommes, « les vivants et les morts ». Il développe au cours de ses prédications l’avertissement donné par le texte et que nous avons reproduit au début. Il en fait un objet d’interpellation pour les chrétiens ; d’après lui, ce texte ne s’adresse pas aux incroyants seulement, mais à tous, mais en deux temps : les versets 34 à 40 sont clairement pour ceux qui ont été les « brebis du Seigneur », alors que les versets 41 à 46 sont pour les « boucs », ici image des incroyants. Jusque-là, le texte est plutôt encourageant pour les chrétiens, qui sont distingués des impies. Mais, comme le fait G. Racine, il faut bien entendre quel est le prix de cette distinction : « Amen, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela pour l’un de ces plus petits, l’un de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Toute son argumentation repose sur cette affirmation et même, dirais-je, sur une seule expression de cette phrase : dans la mesure où.
C’est seulement si nous avons agi ainsi que nous serons reçus dans notre héritage (verset 34). Il est donc vital, au sens premier du terme – c’est la vie éternelle qui est en jeu -, de vivre cette vie-là. Racine dit d’ailleurs « vivre le Christ de cette manière ». Jusqu’à ce point, tout va bien, nous sommes en accord total. C’est sur sa démarche interprétative – son herméneutique, en langage théologique – que je suis réservé. En effet, il oscille sans cesse dans ses messages entre deux visions, distinctes, dont l’une vient, me semble-t-il, parasiter la clarté de son propos. J’espère arriver à exprimer ces deux positions clairement, car elles sont souvent très étroitement mêlées dans son propos et, en lisant rapidement, on pourrait ne pas percevoir ce hiatus.
Le protestantisme dispose de la double liberté du sacerdoce universel et du libre examen de la Parole dans sa lecture et son enseignement de la Bible. C’est une liberté inappréciable, mais aussi une responsabilité immense : celui qui prêche ou enseigne communique des pensées qui sont souvent très diverses d’un prédicateur à l’autre sur le même passage. C’est à l’auditeur de faire jouer son esprit critique, au plan spirituel, selon le conseil de Paul :
1 Thessaloniciens 5:21 « Mais examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon ; »
C’est donc l’Esprit-Saint, présent en chaque croyant baptisé, qui nous permet d’éprouver ainsi les paroles humaines et de retenir ce qui est inspiré tout en oubliant ce qui ne l’est pas. Les catholiques romains n’ont pas ce souci : ils ont une autorité suprême, le « vicaire du Christ », le pape, qui dit ce qui est bon et ce qui est hérétique[2]. Le protestant, toutes officines confondues, tient beaucoup à ce privilège analytique. Mais il l’engage. Il faut, en effet, qu’il dispose des moyens personnels de juger. De plus, la contrepartie est que la pluralité des interprétations est la règle[3]. Tout cela pour dire que les remarques qui vont suivre ne sont pas un rejet de l’interprétation de G. Racine au nom de je ne sais quelle orthodoxie évangélique imaginaire, mais une critique de méthode.
Quand on lit le passage-support à ces prédications, l’accent est mis sur la phrase que je viens de rappeler ci-dessus, qui est la conclusion de la première partie du discours du roi, celle adressée aux brebis. Il est donc rappelé, parfois très vigoureusement, aux fidèles qu’ils ont des devoirs d’assistance, et pas seulement entre eux, mais aussi avec le prochain lambda, le pécheur décrit par les évangiles. C’est ce que l’expression « dans la mesure où vous avez fait cela pour l’un de ces plus petits, l’un de mes frères,… » laisse clairement entendre. Il faut donc y voir un appel à l’engagement humanitaire et social dans les différents secteurs d’assistance : aide alimentaire, accompagnement humain, soins aux prisonniers… Ce que les protestants ont en effet mis en œuvre de manière assez efficace, avec des organisations du type de l’Armée du salut ou la Cimade, sans oublier le Diaconat. Mais il est nécessaire de rallumer sans cesse la flamme, et ce passage de l’évangile est un très bon support pour cela. G. Racine s’inscrit dans cette perspective et « secoue » fraternellement ses lecteurs, pour les inciter à agir et à ne pas se satisfaire d’une confortable petite vie religieuse.
Mais, et c’est là que les choses se compliquent, il y ajoute une autre interprétation, qu’il mélange à celle évoquée ci-dessus. Il s’appuie alors sur les formules à la première personne du singulier qui ponctuent ce discours : « J’ai eu faim…J’ai eu soif… J’étais étranger… J’étais nu… J’étais malade… J’étais en prison. » Soit six états de détresse à soulager. L’auteur va alors développer ces états douloureux dans la vie du Christ, à partir des évangiles. Sur la présentation qu’il fait, je n’ai rien à reprocher, car tout est fondé scripturairement. Le problème vient de l’enchevêtrement des deux interprétations qui se produit parfois. Je dis parfois, car il parvient dans certaines de ses prédications à éviter le chevauchement et présente successivement les deux approches. C’est lorsqu’il n’y parvient pas que les choses sont un peu confuses et que lecteur ne sait pas exactement quoi faire de ce qui lui est dit. C’est le cas du commentaire sur le « j’étais seul », par exemple. Il part du « j’étais étranger » et le transforme en « j’étais seul », ce qui est un peu différent. Il examine les différents aspects de sa solitude, dans sa famille, sa ville, son pays, dans la prière, devant ses juges, sur la croix… Certains aspects sont peu convaincants, comme la solitude dans la prière ou dans sa ville. Mais surtout, à la fin de ce chapitre, il ne revient pas à la lecture active pour le croyant et nous laisse donc sur notre faim.
Cependant, tout s’éclaire dans l’ensemble du propos et, le livre terminé, nous avons bien reçu le message du Christ. Nous savons qu’il faut le laisser vivre en nous, afin que nous ressentions la douleur d’autrui et que nous nous engagions pour l’assister.
Ce petit livre (une centaine de pages) pourrait être qualifié, au sens précis du terme de lecture « édifiante ». Il peut nous aider à nous construire dans notre vie chrétienne, voire, à nous reconstruire, si nous sommes tombés dans la routine religieuse. Il ne faut pas accepter le sens dévalorisé et moqueur du terme « édifiant », qui fait que l’idée même d’édification disparaît du vocabulaire des pasteurs et des prédicateurs d’aujourd’hui, qui ont peur d’être « ringards » en l’utilisant. Le mot de la fin sera donc laissé aux deux apôtres Pierre et Paul, qui nous donnent ce conseil, auquel ce livre peut nous aider :
1 Thessaloniciens 5 : 11 C’est pourquoi exhortez-vous réciproquement, et édifiez-vous les uns les autres, comme en réalité vous le faites.
1 Pierre 2 : 5 et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d’offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ.
Jean-Michel Dauriac, Les Bordes, 1-2 avril 2023
[1] A titre d’exemple, au moment où je rédige cet article, le livre est en vente sur le site Ebay à 3 ,90 € ou sur Chez Carpus (libraire d’occasion évangélique de la région de Lille), au même prix.
[2] C’est, du moins, la théorie ecclésiale officielle. On se doute bien que le contrôle de toutes les paroles est impossible, encore plus de nos jours qu’auparavant.
[3] En pratique, nous savons bien que s’est dégagée, au fil des temps, une sorte de canonicité des interprétations, souvent transmise de génération en génération, qui agit un peu comme la norme catholique, mais plus souplement et discrètement.
Milena Agus (trad. Françoise Brun) – Liana Lévi collection piccolo – 8,50 €
Vous cherchez un roman pour vous évader du quotidien, sans verser dans la fantasy ou le policier ? N’allez pas plus loin, il est là ! J’ai déjà chroniqué cette auteure, pour Terres promises, dont je disais le plus grand bien. Je ne vais que conforter cet avis, après la lecture de ce petit livre.
En un peu plus de cent pages, Milena Agus, nous fait pénétrer dans la vie de trois sœurs, trois comtesses, vivant aujourd’hui à Cagliari, la capitale de la Sardaigne, dans un ancien hôtel particulier défraîchi, dont elles ont dû vendre une partie par appartements. C’est un monde enfui que tentent de prolonger les trois sœurs, Maddalena, Noemi et la Comtesse Ricotta, dont nous ne connaîtrons que ce surnom. C’est elle, la plus jeune des trois, ainsi surnommée en raison de sa maladresse – je rappelle que la ricotta est un fromage frais italien, très inconsistant, aussi faible que les mains de cette femme – qui est l’héroïne de ce roman. On dirait qu’elle appartient à la famille des « perdants magnifiques » (du nom d’un roman, assez illisible, de Léonard Cohen), ceux qui semblent voués, quelles que soient les circonstances, à une forme d’échec. Cette femme, qui doit être assez jolie, a un enfant retardé, Carlito, auquel personne ne veut parler, mais elle n’a pas gardé le père, qui le prend deux fois par semaine. Sa vie sentimentale est un fiasco total, tout autant que celle de sa sœur ainée, Noemi, magistrate célibataire qui ne réussit pas à trouver l’amour. La troisième sœur, Maddalena, est mariée à Salvatore ; ils s’adorent et font l’amour à tout bout de champ, mais elle ne parvient pas à avoir d’enfant, ce qui est son désir le plus cher. Elles sont pauvres et vivent dans le souvenir de la gloire oubliée d’une famille anoblie au XIXe siècle, dont il ne reste que quelques meubles et de la vaisselle. Ajoutez à ce trio sororal une ancienne gouvernante, appelée la nounou, sans autre précision, et son neveu Elias, beau garçon solaire, un voisin plaqué par sa femme, et vous avez l’ensemble du casting de ce livre.
Milena Agus nous raconte une sélection d’épisodes, mettant tour à tour en scène chaque personnage, mais en gardant une prééminence à la maladroite Ricotta. Celle-ci, enseignante remplaçante en italien, ne parvient pas à se faire respecter par les élèves et ne termine quasiment jamais ses remplacements. Même sur le plan professionnel c’est un échec ! Mais Ricotta a une qualité exceptionnelle, qui provoque d’ailleurs la moquerie tant elle est à contre-courant de l’époque : elle est bonne, généreuse, serviable, désintéressée. Bien sûr, cela ne suffit pas à la rendre heureuse, mais elle est très attachante. Et durant tout le récit, nous allons suivre son rapprochement avec le voisin devenu solitaire, comme un lent apprivoisement, au sens de Saint-Exupéry. En parallèle, l’auteure nous fait vivre la liaison tumultueuse de Noemi et Elias, un peu rocambolesque, entre deux êtres qui ne situent pas l’amour au même niveau d’exigence, donc source de frustrations et de trous noirs. Maddalena tombe enfin enceinte, mais elle fait une fausse couche. Bref, la vie avec sa zone grise. Tout le talent de l’écrivain est de nous faire sourire avec ces tragédies du quotidien, car elle a un style qui dédramatise les péripéties, grandes ou petites. Elle sait donner, soudainement, le détail cocasse qui va faire sourire au milieu d’une scène qui pourrait être extrêmement triste. En effet, elle a deux qualités existentielles dans son travail : elle aime ses personnages et elle aime la Sardaigne, avec ses qualités et ses défauts, un peu comme Lampedusa aimait la Sicile du Guépard. Elle use du décor comme d’un personnage secondaire qui intervient pour aérer certaines scènes. Aucune vision misérabiliste, même de la pauvreté, acceptée comme un destin. Rien de moins politique que l’écriture de Milena Agus, ou alors au prix d’une lecture subliminale, comme si on faisait de Marcel Pagnol un critique marxiste de la Belle Epoque.
Lisant Milena Agus, je ne puis m’empêcher de faire le rapprochement avec un autre grand auteur italien contemporain, Erri de Luca. Ils ont tous les deux en commun d’aller à l’essentiel, de ne pas faire des livres boursouflés, mais des récits à l’os. L’important est l’intensité de la rédaction, pas le nombre de pages. Un autre point commun est cette fidélité au terroir, Naples pour de Luca ou la Sardaigne pour Agus. Elle s’assortit d’un réel amour pour les pauvres gens, les cabossés de l’existence. Ils écrivent tous deux des récits extraordinaires avec des gens très ordinaires. Il y a enfin un style personnel, immédiatement reconnaissable , malgré la traduction. Chacun a inventé sa langue, qui cadre parfaitement avec son univers. Certes de Luca est beaucoup plus politique, mais cela ne nuit pas à la chair de l’œuvre.
La comtesse de Ricotta pourrait être une charge contre des vitelloni[1]au féminin. Mais il n’en est rien. L’auteur évite tout ce qui pourrait rendre vraiment ridicules ces trois femmes, tout en n’occultant pas leurs défauts, leurs tensions et leurs attachements réciproques. On se souviendra longtemps de ce climat serein et un peu passéiste, alors même qu’on aura oublié le détail, même jusqu’au nom des personnages, car c’est finalement souvent ce qui nous reste d’une lecture des années plus tard. Seuls les bons livres laissent quelque chose.
Jean-Michel Dauriac – mars 2023
[1] Les Vitelloni est un des premiers films de Federico Fellini ; il y décrit des perdants magnifiques, des vrais bons à rien, avec une grande tendresse ironique.