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Catégorie : Bible et vie

Qui nous fera voir le bonheur ? – Méditation de sortie de l’arche n° 15

La version audio de cette méditation est ici:

Nous vivons une épreuve collective (ce que les hommes appellent « crise ») qui a et aura de très lourdes conséquences sur les populations du monde et, singulièrement, celles de pays les plus riches. Le président Macron a parlé de « guerre ». Je ne discuterai pas ici la valeur de cette métaphore. Mais on peut utiliser l’analogie au plan moral : la guerre, c’est le malheur, la tristesse, l’obscurité. En contexte de guerre, toutes les populations rêvent d’un après-guerre forcément heureux.

Les traumatismes seront multiples et souvent superposés : économique bien sûr, c’est ce qui est posé comme premier par nos dirigeants. Mais aussi scolaire chez les jeunes, psychologiques avec des troubles graves et durables (dépressions, suicides…), social, avec le chômage et la précarité.

David, dans le psaume 4, soumis aux attaques de ses semblables, rêve du bonheur.

Lecture : Psaume 4 : 7 à 9 (version NBS)

« Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous la lumière de ta face, SEIGNEUR !

7  (4:8) Tu mets dans mon cœur plus de joie qu’au temps où abondent leur froment et leur vin.

8  (4:9) Aussitôt couché, je m’endors en paix, car toi seul, SEIGNEUR, tu me fais habiter en sécurité. »

L’appel au bonheur (verset 7a)

Il est légitime de chercher le bonheur. C’est un des traits originels de l’homme. La Bible débute par le récit édénique, bonheur primitif de la créature. Dans la version Segond 1910, il y a 60 emplois du mot « bonheur » dans le texte, dont 5 seulement dans le Nouveau Testament. Les 5 références sont peu explicites et assez religieuses, alors que les 55 usages juifs antérieurs sont riches de sens. Relevons seulement quelques traits marquants :

  • Dieu prend plaisir au bonheur des hommes (Deutéronome 30 :9).
  • Le bonheur est lié à la grâce (Psaume 23 :6).
  • Il existe un bonheur terrestre existentiel, simple que Qohélet (l’Ecclésiaste) décrit fort bien (Ecclésiaste 3 :12 ; 8 :15).
  • Mais le bonheur biblique est cependant en Dieu (Ecclésiaste 8 :12-13 – Esaïe 42 :21 ; 66 :11).
  • Le bonheur a sa source dans la réflexion et l’intelligence (Proverbes 16 :20 ; 19 :8).

Chacun de ces traits mériterait une étude plus poussée, mais leur liste suffit à montrer le lien entre bonheur et Dieu. Quand David pose la question, il la pose pour la masse des hommes : « beaucoup » se posent cette question. Mais lui a déjà la réponse, comme le montre tout le psaume 4 et comme les versets 7-8-9 l’établissent.

Est-ce à dire que seuls ceux qui craignent Dieu, donc les croyants, ont accès au bonheur ? Sur le plan humain, cela semble absurde. Il y a tant de poèmes, de romans, de musiques, de tableaux… qui montrent le bonheur ! Si le bonheur est dans l’instant, alors oui, les hommes peuvent le connaître – et le perdre aussitôt après.

Si l’on passe au plan théologique, il n’y a alors aucun doute que seul le croyant fidèle peut connaître le bonheur, lequel s’inscrit dans la durée. Car ce bonheur biblique superpose deux aspects : celui, terrestre et concret, que décrit l’Ecclésiaste : manger, boire, se réjouir, aimer sa femme ; et celui qui est spirituel et repose sur la loi de Dieu (Esaïe 42 :21)

« 21  Le SEIGNEUR a pris plaisir, à cause de sa justice, à rendre la loi grande et magnifique. »

, qui est le guide pour une bonne vie. La crainte de l’Eternel est ce qui permet de marcher selon cette loi dans la durée des temps (Ecclésiaste 8 :12).

« 12  Le pécheur peut mal agir cent fois et prolonger son existence, je sais pourtant, moi, qu’il y aura du bonheur pour ceux qui craignent Dieu, parce qu’ils ont de la crainte devant lui ; »

Dans ce cadre de foi, la question de David peut aussi résonner en nous. Elle doit être comme un avertissement permanent. Qui nous fera voir le bonheur ? Il s’agit de ne pas se tromper de bonheur et de maître. Le vrai bonheur est en Dieu, par Jésus-Christ.

Voyons comment le poète sacré illustre ce bonheur.

Fais briller la lumière de ton visage sur nous (verset 7b)

La seconde partie du verset est la réponse à la question de la première partie.

Pour « voir le bonheur », il faut avant tout être éclairé, être dans la lumière. Dans la Bible, Dieu est associé à la lumière dès Genèse 1: 3 (1), qui est la première manifestation de la création. Nous trouvons en Apocalypse 22 :5 (2) , la dernière mention de la lumière qui est encore Dieu, lequel éclairera la cité céleste à jamais. Nous trouvons également un texte parallèle à celui de la Genèse dans le prologue de l’Evangile de Jean : au verset 4 du chapitre 1 (3), nous voyons que l’auteur établit l’équivalence entre vie et lumière des hommes.

1. « 3 ¶  Dieu dit : Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière. »

2. « 5  La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais. »

  • « 4  en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. »

Nous sentons bien par ces trois passages que la lumière est capitale dans notre histoire. Or elle est décrite comme émanant de Dieu. Les auteurs bibliques ne peuvent utiliser que les mots limités de leur vocabulaire. David reprend l’idée ancienne liée à l’histoire de Moïse : la face (ou le visage de Dieu). C’est ce que l’on appelle un anthropomorphisme, ce qui signifie une réduction, un retour à l’homme comme élément de comparaison. Bien évidemment, Dieu n’a pas de visage propre, ou alors il peut avoir tous les visages à sa disposition. Jésus nous a dit que Dieu était Esprit (Jean 4 : 24). Mais comment traduire cette idée d’une source de lumière irradiant sur nous ? Peut-être le soleil à son zénith ? Comme on ne peut regarder le soleil en face, on ne peut contempler cette lumière directement.

Ce que David associe au bonheur du croyant, c’est de recevoir la lumière sur nous (« fais briller »). Le bonheur, c’est d’abord de sentir cette chaleur et ensuite de voir clair. La lumière dissipe la ténèbre, elle permet d’identifier les obstacles et de les éviter. La lumière chasse la peur qui accompagne l’obscurité.

La lumière est le moteur de la vie sous toutes ses formes. Le bonheur du croyant est une vie que la lumière éclaire et fait prospérer.

La joie dans le cœur (verset 8)

Ici nous atteignons un degré supérieur. La lumière peut être là, mais la vie peut être terne et monotone, triste et compassée. Ce que David veut obtenir de Dieu, c’est un bonheur joyeux.

La joie est très présente dans la Bible. On trouve 298 occurrences du mot dans la version Segond 21. Or, sur ces 298 usages, 212 sont dans la Bible juive, le Premier Testament, et surtout dans les Psaumes et les livres prophétiques.

Le judaïsme est une religion joyeuse : le courant hassidique en a même fait sa spécialité, par le chant et la danse devant l’Eternel. Le christianisme parle de la joie, puisqu’elle est dans l’Ecriture, mais il faut avouer qu’il a beaucoup de mal à la vivre. Le poids des rites et une image erronée du péché, une crainte de Dieu mal comprise, un certain mépris du corps, tout cela explique que la joie soit évoquée souvent mais peu vécue[1].

« Un chrétien triste est un triste chrétien » disait le pasteur gallois Thomas Roberts. Sous cette forme de chiasme proverbial se cache une vérité de l’existence. Comment parler de la joie et la vivre, avec une tête d’enterrement ? Mais au fait, la joie, que peut-on en dire pour mieux la saisir ?

  • Elle est toute intérieure. C’est un état d’esprit ou un état d’âme. Elle peut ne pas se manifester extérieurement de manière démonstrative, mais ne peut s’incarner dans une triste figure.
  • Le siège de la joie est le cœur en termes bibliques, donc l’âme, le siège des sentiments et des émotions.
  • La joie est durable. En effet, elle ne doit pas être confondue avec la gaieté ou l’enthousiasme qui sont passagers et circonstanciels. La joie est la manifestation du bonheur ; comme lui, elle s’inscrit dans le temps. L’expression « joie passagère » est une sorte d’oxymore.
  • Elle est de nature spirituelle. David l’oppose au verset 8 à l’abondance de biens matériels qui faisaient la richesse de son époque. On peut extrapoler à partir de ce fait et dire que le matériel ne peut pas alimenter une vraie joie, mais plutôt une satisfaction égoïste de confort et de fausse sécurité.

Le croyant puise la connaissance spirituelle de sa joie dans la Bible. L’incroyant pourra relire Spinoza avec profit : il est le philosophe moderne qui en parle le mieux. On peut aussi lire avec profit Robert Misrahi et son livre sur le bonheur[2].

David trouve sa joie dans deux sources spirituelles : la lumière de la vie, dont la source est en Dieu, et la joie profonde et durable qui émane de Dieu et qu’il dépose en nos cœurs. L’homme n’est pas l’auteur de la vie, il la reçoit, comme la lumière de Dieu. Mais c’est à lui de savoir en faire son bonheur.

Au verset 9 nous trouvons la conséquence finale directe de ce bonheur trouvé en Dieu. Deux mots importants décrivent la situation de l’enfant de Dieu : paix et sécurité. C’est encore le Seigneur qui donne la sécurité, comme attestation du vrai bonheur. Les hommes ne peuvent livrer que des contrefaçons, comme le dit Jésus, dans son discours sur la fin des temps, et comme Paul le résume en 1 Thessaloniciens 5 : 3.

« Quand ils diront : « Paix et sécurité ! », alors la destruction arrivera sur eux à l’improviste, comme les douleurs de l’accouchement sur la femme enceinte, et ils n’échapperont en aucun cas. »

Ne nous trompons pas de source du bonheur, de la paix et de la sécurité.

Jean-Michel Dauriac


[1] J’entends déjà les critiques venant de toutes les confessions chrétiennes : comment puis-je dire cela ? Eh bien, tout simplement au nom de mon expérience de plus de soixante années de fréquentation des diverses communautés. Bien sûr je ne prétends nullement que cette attitude de retrait face à la joie concerne tous les chrétiens ; heureusement il y de beaux et grands contre-exemples. Je suis toujours frappé par la joie intense peinte sur les visages des moines et des moniales. Je connais l’enthousiasme charismatique et évangélique, mais je ne suis pas du tout certain qu’il soit la joie biblique dont nous parlons.

[2] Le bonheur, essai sur la joie, Robert Misrahi, Editions Cécile Défaut, 2010.

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« Secouez la poussière de vos pieds » – Méditation de sortie de l’Arche 14

L’enregistrement audio de la méditation est ici:

Nous allons aujourd’hui méditer sur des paroles de Jésus qui sont rapportées dans les trois Evangiles synoptiques. Une étude serrée devrait être menée comparativement sur les trois textes. Le format de ces méditations ne permet pas cet approfondissement. Mais rien en vous empêche d’effectuer ce travail, puisque je vais fournir les références précises des trois textes. J’ai retenu celui de Matthieu. Celui de Marc est très lapidaire et manque donc de précision. Celui de Luc est proche de Matthieu. Mais ce sont les formulation du premier Evangile qui ont motivé mon choix, nous allons le voir ci-dessous.

Lectures de base :

Marc 6 : 7-12

Luc 9 : 1-6 & 10 : 11-12

Matthieu 10 : 5-15.

«  5  Tels sont les douze que Jésus envoya après leur avoir donné les recommandations suivantes :

6  N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.

7  En chemin, prêchez que le royaume des cieux est proche.

8  Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

9  Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures,

10  ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture.

11  Dans quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous s’il s’y trouve quelqu’un qui soit digne (de vous recevoir), et demeurez chez lui jusqu’à ce que vous partiez.

12  En entrant dans la maison, saluez-la,

13  et, si la maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; mais si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne à vous.

14  Lorsqu’on ne vous recevra pas et qu’on n’écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.

15  En vérité je vous le dis : Au jour du jugement, le pays de Sodome et de Gomorrhe sera traité moins rigoureusement que cette ville-là. » Version La Colombe.

Les Evangiles nous rapportent deux envois en mission effectués par Jésus : d’abord les douze apôtres, puis un contingent de soixante-dix disciples. Nous ne savons pas quel intervalle de temps sépare ces deux missions, nous ne pouvons pas déduire de leur enchaînement en Luc qu’elles soient consécutives. Les formules qui nous intéressent aujourd’hui sont dans les deux ordres de mission.

La mission des douze

Elle est définie juste avant le passage que nous avons lu, en Matthieu 10 :1.  «  Puis (Jésus) appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. » C’est une mission centrée sur deux actions seulement :

  • -chasser les esprits impurs ;
  • -guérir toute maladie et toute infirmité.

On ne peut qu’être surpris par le but à la fois grandiose et très limité de cette mission. C’est une mission de « miracles », tels que les Evangiles les définissent : pratiquer ce que l’on appelle aujourd’hui l’exorcisme et guérir toutes affections des hommes (maladies et infirmités).

Il n’est nullement question du salut, du pardon des péchés, de la foi ou de tout autre aspect religieux. Jésus envoie des guérisseurs. Pourquoi limiter ainsi l’œuvre ?

La réponse première est dans la liste des douze que donnent les versets 2 à 4 du même chapitre 10. Ce sont des hommes simples, qui exerçaient des métiers manuels. Il n’y a là aucun scribe ni savant de la Loi. Leur seule référence est la religion de leurs pères et Jésus. Or, ils accompagnent Jésus et participent, en spectateurs le plus souvent, à ses actions. Le verset 35 du chapitre 9 nous donne le programme de Jésus : « Jésus parcourait toutes les villes et les villages, il enseignait dans leurs synagogues, prêchait l’Évangile du royaume et guérissait toute maladie et toute infirmité. »

Il enseigne dans les synagogues, il prêche l’Evangile (la bonne nouvelle) du Royaume et il guérit. Or, il ne demande aux douze envoyés que de guérir. Pas de prédication de la bonne nouvelle du Royaume : ils n’en savent pas encore assez sur ce message. Ils peuvent seulement mettre en œuvre le pouvoir que Jésus leur donne.

Leur mission est très cadrée : le verset 6 écarte tout contact avec les païens et les Samaritains. C’est donc uniquement vers les Juifs qu’ils sont envoyés. Ce n’est pas un travail missionnaire au sens propre, c’est une affaire interne, entre Juifs.

Mais en 6b nous trouvons une mention singulière, celle des « brebis perdues de la Maison d’Israël ». Ceci, évidemment, nous fait songer à la parabole du bon berger et de la brebis perdue. Mais, ici, comment faut-il comprendre cette mention ?

Les disciples ne visent-ils que les égarés ou, au contraire, tout Israël est-il brebis perdue ? D’après le texte de Matthieu, il ne nous est pas possible de le dire. Il semble cependant, d’après le verset 11, que toute ville ou village soit concernée. Jésus considérerait donc que tout Israël s’est éloigné de Dieu. En se positionnant ainsi, il manifeste une attitude prophétique, à l’instar des anciens prophètes de la Bible juive.

Au verset 7, nous voyons le seul élément de prédication qui leur est conseillé : « le Royaume de Dieu est proche » ; Luc dit : « Le royaume de Dieu s’est approché » (Luc 10 : 11b). On peut aussi traduire le « règne de Dieu », ce qui est peut-être plus parlant. Ce message est le message messianique de tous les prophètes antérieurs, notamment Esaïe. C’est l’événement qui doit être annoncé. Les disciples ne peuvent aller plus loin, ils n’ont pas encore la connaissance suffisante. Je dirais que cette mission est leur stage pratique de fin de troisième, le moment où les jeunes découvrent un métier dans une approche rapide.

Les douze marchaient avec Jésus et assistaient à son ministère, mais ils ne comprenaient pas grand-chose, ou en tout cas, n’avaient vraiment pas une formation suffisante pour aller au-delà de cette mission.

Concrètement, pour nous aujourd’hui, cet envoi limité peut être un encouragement : nul besoin d’avoir acquis grand savoir et expérience. Il suffit d’annoncer, que, par Jésus, le règne de Dieu s’est approché. Il faut susciter la curiosité ou la perplexité de ceux qui veulent bien nous recevoir et nous écouter. Pour en savoir plus, il faut alors les conduire à ceux qui savent, ceux qui ont côtoyé Jésus plus longtemps.

Acceptation ou rejet : que faire ?

Ce sont là les versets 11 à 15 de Matthieu qui nous intéressent. Jésus présente les deux accueils possibles et y prépare ses disciples.

  • -versets 11 à 13 : l’accueil est favorable. Vous noterez que Jésus considère ses envoyés comme des personnages importants. L’expression « digne de vous recevoir » le montre clairement. Ce n’est pas la noblesse des disciples qui est digne d’accueil, mais celui qui les envoie et le message qu’ils portent.  Nous-mêmes, disciples du Christ, nous avons ce statut de « dignitaires ». Il ne faut jamais galvauder le message de Jésus et la mission qui est la nôtre.
  • -Les versets 14-15 montrent un rejet ou une forme de mépris du message : « lorsqu’on n’écoutera pas vos paroles », la mission est, ici, en cette ville ou ce village, un échec. Malgré la puissance de Celui qui nous envoie et la Bonne Nouvelle du Royaume proche, il y aura toujours des refus. Ceci atteste de la liberté de conscience des hommes (au moins en apparence). Le message, nous le proposons seulement. Rien ne servirait de l’imposer, comme l’Eglise l’a fait dans certains périodes historiques et certains contextes. Grâce au texte de Luc 10 : 9 et 11, nous savons que dans les deux cas le « Royaume s’est approché ». Et il faut le dire, les hommes doivent savoir ce qu’ils rejettent, pas des disciples limités, mais le Royaume de Dieu.

Aux deux modalités d’accueil correspondent deux attitudes : rester chez ceux qui sont dignes de recevoir ou sortir de ce lieu en secouant la poussière de ses sandales.

Rester, c’est partager la guérison et le témoignage. Aux soixante-dix, Jésus dit (Luc 10 :7) de manger et boire dans cette maison (ou ce village). Jésus ajoute : « n’allez pas de maison en maison », ce qui semble condamner la pratique du porte-à-porte que certains chrétiens pratiquent intensivement. Pourquoi ?

Pour que ce soient les habitants, curieux, qui viennent vers les disciples. Ce sera leur choix et leur démarche, un acte de volonté.

N’oublions pas cet aspect, dans notre démarche d’évangélisation[1] ou de témoignage : non aller déranger autrui chez lui, mais le laisser librement et volontairement venir vers la source de la Parole de Dieu. Il nous suffit de faire connaître cette possibilité de la manière la plus adaptée.

Sortir des lieux de refus est un ordre de Jésus. Il ne sert à rien d’insister. Quand l’annonce a été faite de manière claire, le travail du disciple est accompli. Le reste est oeuvre de l’Esprit Saint et décision des femmes et des hommes qui ont entendu.

Mais il y a aussi la formule finale, « Secouez la poussière de vos pieds » (verset 14 de Matthieu). C’est le texte de Luc 10 :11 qui donne l’explication : « Nous secouons contre vous la poussière même de votre ville qui s’est attachée à nos pieds ; sachez pourtant que le royaume de Dieu s’est approché. » 

Il n’y aura plus rien de commun entre les disciples et ceux qui refusent de les accueillir et de les entendre. Cela signifie qu’il faut savoir passer à autre chose. Rien ne sert de persister, de revenir à la charge, d’argumenter et, parfois, de harceler le récalcitrant. Il a eu l’occasion de connaître le Royaume, il l’a refuse, c’est fini pour lui de la part du disciple. Il faut aller annoncer le Royaume à tous les autres ignorants, à toutes le autres brebis perdues[2].

Voici donc une  illustration, que nous pouvons méditer, sur notre travail d’envoyé, sur le message diffusé et sur l’attitude à adopter. Il y a bien sûr tout un travail d’adaptation à accomplir, mais les principes que j’ai évoqués ci-dessus demeurent intangibles.

Jean-Michel Dauriac – Avril 2021.


[1] Je continue à employer ce terme qui est considéré comme néfaste par certains, comme une preuve de prosélytisme agressif. C’est méconnaître son sens profond qui est « annonce de la Bonne nouvelle du Christ ». Il y a bien des façons de dire cela, mais c’est le cœur de la vie et de la mission  du chrétien. On peut « évangéliser » muettement, simplement en vivant au mieux les préceptes du Christ.

[2] Cela signifie-t-il que le salut est définitivement hors de portée de ceux qui ont refusé et même combattu l’Evangile ? Ce serait outrepasser le contenu du Nouveau Testament. Je pense à ce verset de Paul, en 1 Corinthiens 3:15 « Si l’œuvre de quelqu’un est brûlée, il en subira la perte ; lui, certes, il sera sauvé, mais comme au travers du feu. » La possibilité du salut demeure tant qu’il ya de la vie en l’humain.

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La vocation d’Abram – Méditations de sortie de l’Arche n° 13

Voici la version audio de cette méditation:

Nous allons encore une fois considérer une histoire de sortie et de départ. Celle-ci est très célèbre, car elle appartient en commun aux trois grands monothéismes, judaïsme, christianisme et islam. Il s’agit de ce qu’on peut appeler, au sens propre du terme, la « vocation[1] » de l’homme qui s‘appelle encore Abram. Cet épisode est devenu légendaire et, de ce fait, il est le plus souvent résumé à l’appel de l’Eternel adressé à Abram. Il est utile de se pencher sur le texte de la Genèse qui ouvre la biographie sélective du patriarche, car il est plus nuancé que la légende.

Lecture de base : Genèse 11 : 31-32 (version Bible de Jérusalem)

« 31  Térah prit son fils Abram, son petit-fils Lot, fils de Harân, et sa bru Saraï, femme d’Abram. Il les fit sortir d’Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan, mais, arrivés à Harân, ils s’y établirent.

32  La durée de la vie de Térah fut de deux cent cinq ans, puis il mourut à Harân. »

Le contexte de la vocation

Ce sont ici les deux derniers versets du chapitre 11, lequel sert de transition entre l’épisode de la Tour de Babel et le récit de la vie d’Abraham. Les versets 10 à 27 de ce chapitre présentent une généalogie des fils de Sem, peut-être le fils aîné de Noé (on ne sait pas vraiment si sa mention en premier est synonyme d’ainesse). Il est l’ancêtre des peuples dits « sémites », qui peuplèrent l’Arabie et le Proche-Orient. Donc l’ancêtre commun des Hébreux, des Arabes, Palestiniens, Syriens… Cham, son frère serait le père des Cananéens et des Egyptiens, Ethiopiens…, Japhet, le troisième fils serait à l’origine des peuples asiatiques du Moyen-Orient et des peuples de l’Occident européen.

Cette généalogie, comme la plupart de celles du Premier Testament a un but politique, celui d’établir les filiations ; c’est une pratique orientale classique, qui nous est étrangère. L’étude de détail de ces généalogies ne fait sens que pour l’exégète. Cependant, à la fin de cette liste, au verset 27, nous arrivons enfin à ce qui en est le but : introduire la famille d’Abram. Nous faisons alors connaissance avec Térah, le père, avec les trois fils, Abram, Nahor et Hâran, et avec son fils Loth.

Nous apprenons la mort de Hâran, : Loth est donc orphelin et, de fait, selon les coutumes de l’époque et du lieu, il est sous la protection de ses oncles. Ceux-ci se marient, on apprend le nom de leurs épouses : Saraï pour Abram et Mika pour Nahor – Mika est la sœur de Loth, donc la cousine de son mari. En trois versets, le décor est planté. Le verset 30 semble glisser un détail, au passage : Saraï était stérile, ce qui était un vrai problème dans la culture orientale où la mission de la femme était de procréer et de donner de préférence des fils. Nous savons combien de point sera important pour le devenir des trois religions dites Abrahamiques.

Maintenant que nous connaissons le contexte et les personnages, nous pouvons en venir à l’action décrite dans les versets 31-32.

La décision de Térah

Térah, le chef de famille – vous noterez le cadre patriarcal total : nous ignorons le nom de la mère – prend la décision de quitter sa ville natale, Our (ou Ur selon les graphies). Et il part avec Abram, Saraï et Loth.

Deux questions se posent immédiatement :

  • -pourquoi cette décision de partir ?
  • -Pourquoi Nahor et Mika ne sont-ils pas du voyage ?

Sur ces deux questions importantes, la Bible ne donne aucune réponse. Depuis des millénaires, les hommes religieux cherchent les explication et ils en sont réduits à des conjectures. Nous ne savons absolument rien de sûr de la cause du départ de Térah, car c’est bien SA décision et non celle d’Abram.

Il y a bien sûr un facteur déclenchant, mais il ne nous a pas été révélé. Ce qui compte est le fait brut : Térah s’exile volontairement loin d’une ville riche et prospère, capitale de la Mésopotamie de l’époque. Les motivations de Térah peuvent être économiques, politiques ou religieuses. Il peut fuir une crise de subsistance ou de travail, s’enfuir devant une invasion, ou partir loin d’une religion idolâtre qui le gêne. Il peut aussi avoir envie d’un nouveau destin. Nous n’avons pas la réponse, et il serait hasardeux de suggérer un appel religieux de Dieu adressé à Térah. Jusqu’à la mention de sa mort, rien ne nous sera dit.

Nous savons seulement qu’il partit pour se rendre au pays de Canaan, donc à l’étranger, chez les fils de Cham, parlant une autre langue. Là aussi, nous n’avons aucune lumière. Le pays de Canaan était un « bon pays », fertile et arrosé grâce aux montagnes intérieures de la Palestine. Mais Our était au cœur du double delta du Tigre et de l’Euphrate, donc dans un pays encore plus riche. Avouons notre perplexité.

Térah s’arrête à Hâran[2] (ou Charan dans certaines versions) et s’y installe avec sa famille. Il ne va donc pas au terme de son projet. Nous n’en savons pas plus. On peut avancer l’idée que Térah a été un instrument (conscient ou pas) dans le projet d’alliance de Dieu-Yahvé. Mais nous ne savons même pas s’il croyait en l’Eternel. Il peut représenter un type répandu dans la Bible : celui qui aide à la réalisation de la volonté de Dieu sans en être conscient. Ainsi en fut-il du prophète Balaam ou de Rahab la prostituée de Jéricho. Le résultat de la vie de Térah est là : il a emmené une partie de sa famille à Hâran, à des centaines de kilomètres de sa ville natale, il s’y est installé, il y a vécu un certain temps, il y est mort et enterré. Mais son fils Nahor et sa femme Mika ne l’ont pas suivi, la famille s’est donc scindée. Le contact ne sera rétabli qu’avec l’envoi du serviteur d’Abraham vers le lieu où vit Nahor, pour trouver une épouse de son sang à son fils Isaac (lire le chapitre 24 de la Genèse, qui ressemble à un conte oriental).

La vocation directe d’Abram

Lecture de base : Genèse 12 : 1-2 (version La colombe)

« 1 Yahvé dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai.

  • Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom ; sois une bénédiction ! »

Jusqu’ici nous n’avons vu Abram que dans une situation passive de fils, oncle et mari, qui suivait son père dans son départ d’Our. Certains commentateurs affirment que ce serait Abram qui aurait motivé le départ et choisi la destination de Canaan. La Bible ne permet nullement d’étayer cette interprétation et les sources sur Abram sont rares et incertaines, hors de la Bible[3]. Il faut donc s’en tenir à ce que dit le texte de Genèse 11 et 12.

Pour confirmer cette ignorance initiale d’Abram, nous disposons par contre d’un verset de la Lettre aux Hébreux, chapitre 11 verset 8 :

« 8  Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait. » Version Bible de Jérusalem.

Le texte nous dit bien : «  Il partit ne sachant pas où il allait. » Nous devons donc accepter de lire le texte dans  sa chronologie, avec des incertitudes.

  • L’appel à Abram est donné à Hâran.
  • Térah est mort et enterré dans cette ville.
  • L’appel concerne la mise en marche, mais ne dit rien sur la destination finale.
  • Abram avait alors 75 ans au moment de son départ (rappelons que son père Térah a vécu 205 ans – ch. 11 verset 32)
  • Il part en compagnie de son neveu Loth et de tous ses biens de nomade (troupeaux et serviteurs).

Le mot « Canaan » n’est pas dans l’appel initial de l’Eternel et n’est cité qu’au verset 5.

Abram part donc sur une simple injonction, avec très peu de renseignements. Notons que c’est l’Eternel qui parle directement à Abram. Jusque là, nous ne savons rien de la religion de Térah et ses fils. Mais, nés à Our, ils sont nécessairement polythéistes. Il en semble pas que Térah ait eu une révélation personnelle, ni qu’il fut un croyant en l’Eternel.

Le verset 1 du chapitre 12 est donc une première, celle de l’irruption du Dieu unique dans la vie d’Abram. Il nous faut admettre notre perplexité face à ce contact et à cette vocation.

Comment Dieu s’adressa-t-il à Abram ? Comment Abram réagit-il en entendant cette parole ? Cela nous ne le savons nullement.

Et c’est justement ce départ avec si peu de précisions qui est cité dans le verset 8 du chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux : « Par la foi, Abraham… », donc en faisant confiance à cette voix inconnue qui donne un ordre très vague. Bien sûr, cet ordre est assorti d’un promesse proprement incroyable par son ampleur (verset 2). Mais que vaut la promesse d’un Dieu inconnu ? Elle vaut uniquement par la confiance (c’est le même mot que la foi) qu’on met en elle. Prenons l’image du billet de banque, très présent et banal dans notre vie : ce n’est que du papier, et pourtant nous l’échangeons contre des marchandises bien réelles et de valeur. Et cela uniquement parce que nous avons confiance en ce billet, qui vaut ainsi « de l’or ». Ici est le saut de la foi.

L’exemple d’Abram est intéressant en ce qu’il nous montre que la foi est le déclencheur de toute marche avec Dieu. Ce n’est pas la précision de l’appel qui est décisive, pas plus que la grandeur de la promesse. C’est simplement le dit de Dieu. Il n’y a pas besoin d’avoir beaucoup de connaissances pour saisir la foi, ou pour se laisser saisir par elle. Jésus dit bien à ses disciples qu’il faut être ou devenir des petits enfants (Marc 10 : 14). Ce qui est important est d’entendre ce que dit la voix de Dieu. C’est la capacité d’écoute (la qualité de la recherche) qui est capitale.

Abram saisit par la foi cette vocation, très vague, mais glorieuse. Il n’a pas pour l’heure besoin d’en savoir plus. Il apprendra en marchant. Et cette marche va durer cent ans : Genèse 25 : 7-8.

« 7  La durée de la vie d’Abraham fut de 175 ans.

  • Puis Abraham expira. Il mourut après une heureuse vieillesse, âgé et rassasié (de jours), et il fut réuni à ses ancêtres décédés. » Version La colombe.

Relisez les chapitres 12 à 25 de a Genèse ; vous verrez qu’être un homme de foi ne protège pas des erreurs (donc du péché occasionnel), mais permet de toujours garder le contact avec Dieu. C’est la grande leçon d’Abraham pour nous.

Jean-Michel Dauriac, Mars 2021.


[1] Une vocation, au sens littéral est un appel réalisé par une voix. C’est donc exactement ce que vit l’acteur du récit de Genèse 12.

[2] Ce n’est pas le même mot que le nom du fils de Térah.

[3] La religion juive dispose de ce qui est appelé la « Torah orale », révélation complémentaire faite aux Hébreux au fil du temps. Mais le christianisme ne reconnaît pas cette source dans son canon.

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