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Catégorie : Bible et vie

Martin Luther King – La force d’aimer (préface de Sébastien Fath) Paris, Editions Empreinte temps présent – 2013 – 254 pages

Paris, Editions Empreinte temps présent – 2013 – 254 pages

Dans la série : « dans la bibliothèque de mon père »

J’avais dû lire ce livre, dans la foulée de l’assassinat de King, alors que j’étais adolescent : je ne m’en souviens pas du tout et peut-être ne l’avais-je même pas fini, car à ce moment-là de ma vie, j’étais plus intéressé par la littérature et la politique que par la religion, qui représentait le conformisme familial et, par le milieu évangélique où j’ai été élevé, la contrainte culpabilisante. Il aura donc fallu attendre cinquante années, pour qu’à l’occasion du tri et rangement de la bibliothèque paternelle, je décide de le lire vraiment.

La première des choses à dire est que je comprends évidemment pourquoi ce livre ne m’a pas marqué et m’a même ennuyé : il demande un minimum de maturité et d’expérience de la vie. Un adolescent français du début des seventies ne pouvait pas disposer de cette base, et ce livre devenait donc un objet incongru. Mon admiration pour MLK n’a pas suffi à me le faire lire, aimer et comprendre.

La deuxième remarque porte sur la nature du livre lui-même. Dans l’édition ancienne que j’ai (Casterman1964), la préface est écrite par le traducteur, Jean Bruls, prêtre catholique, ce qui est assez surprenant à cette époque, mais s’avère, avec le recul historique, un des premiers fruits du Concile Vatican II : les protestants n’étaient plus seulement des hérétiques à éviter ! Bruls présente ce qui constitue la matière de l’ouvrage, soit des sermons. On y retrouvera donc le style oratoire et des adresses directes à l’auditoire. Bien entendu, ces sermons ont été préalablement écrits et travaillés et passent ainsi fort bien la barrière de la publication. Dans la préface de MLK qui ouvre le livre, il dit sa réticence première à voir ses sermons publiés, mais aussi la réalité de la demande. Il met en contexte les textes et en fait une brève catégorisation. Ce livre n’est donc pas initialement pensé comme tel, mais il est un recueil constitué a posteriori. Et pourtant il possède une incontestable unité, qui atteste de la cohérence de la pensée de l’auteur autant que de ses convictions. Car ce livre est avant tout une proclamation chrétienne et évangélique. On y découvre au fil des chapitres, et en reconstruisant le puzzle personnel que l’auteur délivre par petits fragments, une existence marquée par la foi et l’engagement. Ce n’est pas le livre d’un super-héros – il faut lire le texte où il parle de la peur -, mais celui d’un homme qui met sa confiance en Dieu et fixe son modèle, Jésus-Christ. Ce livre de prédications est aussi, quand même, à son corps défendant, un livre théologique ; les pages où il parle de sa recherche entre libéralisme protestant et fondamentalisme sont fort intéressantes, autant que celles où il revient sur les dogmes chrétiens par l’exemple du vécu, notamment sur le pardon. Livre d’édification qui sera fort utile à tous les lecteurs, quel que soit leur degré de maturité dans la marche chrétienne. Il sera, par contre, plus difficile de le lire comme un livre profane, simple manifeste de la non-violence, car ce serait l’amputer de son fondement.

En troisième lieu, il faut revenir sur la pensée de MLK. Le monde médiatique moderne n’a pas son pareil pour réduire les choses complexes à leur plus simple expression, voire à leur caricature. ML King n’y a pas échappé et, un peu comme Che Guevara ou Nelson Mandela, il est devenu une sorte d’icône, au prix d’un appauvrissement considérable de sa réflexion-action. Bien sûr, la non-violence est la position qui l’a fait connaître au monde entier. Mais dans cette modalité de lutte, il n’est qu’un maillon de la chaîne qui promeut le refus de la violence. Qui le lira ici découvrira bien qu’il se présente comme un héritier : d’abord de Gandhi, dont les actions de masse l’ont vraiment impressionné. Mais aussi de Tolstoï et de Thoreau. Et surtout, par-dessus tout de Jésus de Nazareth, le modèle suprême des précédents. Or il y a une logique de progression. Tolstoï se convertit et devient l’apôtre de la non-résistance au mal, dont Gandhi fait la base de sa pensée. Celui-ci aura un échange de correspondance avec le grand Russe, pour lui exposer son projet de lutte pacifique. Il dira que son livre de chevet est Le royaume des cieux est en vous, livre de Tolstoï écrit au début des années 1890, qui est un vrai traité de refus de la violence par conviction évangélique. ML King admire Gandhi, qui est un presque contemporain, alors que les idées de Tolstoï sont tombées dans l’oubli. Mais à deux reprises le pasteur américain cite des extraits de Confession, le livre qui raconte l’expérience spirituelle de Tolstoï, écrit en 1881, et ML King ne doute pas qu’il ait vécu une vraie conversion au christianisme, il le dit clairement. Sa pensée est donc nourrie des grands prédécesseurs et il n’y a aucun doute qu’elle a, à son tour, influencé l’attitude de Nelson Mandela, dont tous les média omettent consciencieusement de signaler sa foi chrétienne protestante (méthodiste si je me souviens bien). Il y a donc bien un fil rouge de foi qui relie tous ces apôtres de la non-violence : ils ne le sont pas par un choix politique, mais par un choix moral et éthique tiré de leur christianisme.

Le quatrième point sur lequel je voudrais insister est la culture personnelle de Martin Luther King. Tout au long de l’ouvrage, presque dans chaque sermon, il cite des grands auteurs ou penseurs, allant de Shakespeare à Thoreau, en passant par Goethe, Tolstoï, Marx ou d’autres auteurs. Ses citations sont toujours pertinentes et fort bien choisies, elles rendent son discours plus percutant, en lui donnant une assise universelle, qui réconcilie blancs et noirs. Il connaît également fort bien la Bible – ce qui est tout à fait logique pour quelqu’un ayant fait des études de théologie – et les grands penseurs protestants de la théologie. Bref, il s’agit d’un homme cultivé, qui était parfaitement en mesure de dialoguer, sur le fond, avec n’importe quel interlocuteur de son temps.

Nous avons donc affaire là à un ouvrage important, qui dépasse le cadre temporel et spatial de son auteur, pour devenir une référence spirituelle et éthique universelle et intemporelle. En le lisant, j’ai songé aux recueils de sermons d’Albert Schweitzer, autre grande conscience du Xxe siècle. Comme chez l’Alsacien, on retrouve cette capacité à dégager l’essentiel du message du Christ et à l’installer hors du temps court. Voici un livre que j’offrirai dorénavant volontiers aux gens auxquels je voudrai faire du bien durablement, car il est un témoignage humain, donc proche de nous et fait la passerelle avec l’Evangile.

Pour terminer ce petit essai, je laisse la parole à Martin Luther King, pour situer l’enjeu de son combat :

«  L’amour est la puissance la plus durable du monde. Cette force créatrice, si admirablement exemplaire dans la vie de notre Christ, est l’instrument le plus puissant qui se puisse trouver dans la recherche par l’humanité de la paix et de la sécurité. On rapporte que Napoléon Bonaparte, le grand génie militaire, considérant ses années de conquêtes, fit cette remarque : « Alexandre, César, Charlemagne et moi avons construit des grands empires. Mais de quoi ont-ils dépendu ? De la force. Or, il y a des siècles, Jésus inaugura un empire bâti sur l’amour et de nos jours encore des millions d’hommes voudraient mourir pour lui. » Qui peut mettre en doute la véracité de ces paroles ? » (p. 73)

Jean-Michel Dauriac – Beychac et Caillau  – 28 décembre 2021

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Nous sommes les enfants du jour – Méditation de sortie de l’Arche n° 16

La version audio de cette méditation est ici:

Les enfants du jour – JM Dauriac – 2021

Je crois à la vocation chrétienne, au sens de ce mot que nous avons étudié à propos d’Abraham. Nul ne peut affirmer être du Christ sans y avoir été appelé d’une manière ou d’une autre. Paul parle de « vocation céleste » à propos des chrétiens, en Ephésiens 4 : 4 :

« Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation ; » (version Segond)

Cette vocation, pour laquelle, comme Abram, nous n’avons aucun mérite personnel nous met dans une position particulière, que la Bible appelle le « salut ». C’est à propos de cette position que nous allons méditer.

Lecture : 1 Thessaloniciens 5 :4-8.

« 4  Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur ;

5  vous êtes tous des enfants de la lumière et des enfants du jour. Nous ne sommes point de la nuit ni des ténèbres.

6 ¶  Ne dormons donc point comme les autres, mais veillons et soyons sobres.

7  Car ceux qui dorment dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent s’enivrent la nuit.

8  Mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, ayant revêtu la cuirasse de la foi et de la charité, et ayant pour casque l’espérance du salut. » (version Segond)

Au verset 1 de ce même chapitre, Paul déclare à ses correspondants que le « jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit ». C’est cela que nous retrouvons, au verset 4, lorsqu’il parle de « ce jour ».

« Le jour du Seigneur » dont il est question est un élément de la fin des temps, selon la terminologie du Nouveau Testament. Paul vient d’expliquer aux Thessaloniciens ce qu’il a compris de ce jour de résurrection : relisez 1 Thessaloniciens 4 : 13-18. Une première différence apparaît ici.

Le chrétien ne doit pas être surpris par ce jour. (verset 4).

L’image du voleur nocturne, toujours actuelle, suggère deux faits : d’abord la présence masquante de la nuit, qui cache hommes et choses, puis l’effet de surprise, car la nuit est le temps du repos et du calme. Toute irruption suscite à la fois la stupeur et la peur (voir méditation 15). Mais le croyant est prévenu qu’il y aura un « jour du Seigneur » et le croit fermement, et il l’attend, mieux, il l’espère. Par contre, « l’insensé », selon la Bible, lui, n’y croit pas. C’est donc pour lui une surprise effrayante. Vous noterez le contraste « jour du Seigneur » et « voleur dans la nuit ». Ce contraste arme tout le passage que nous avons lu. Paul manifeste cela en faisant usage du mot « ténèbre », comme caractéristique de ceux qui sont surpris.

La première différence est donc dans l’attitude face au « jour du Seigneur ». Ceux qui ne croient pas sont dans les ténèbres, ils ont refusé d’être éclairés, ils seront donc sans défense face au voleur nocturne, comme ils seront démunis en face du Seigneur. La seconde différence complète cette première distinction.

Enfants de la lumière et du jour (verset 5).

Ce verset contient de fait une double affirmation. La partie a est confirmée par la partie b. Deux couples antithétiques apparaissent ainsi : lumière/ténébres et jour/nuit. S’agit-il d’une répétition à fins pédagogiques ? Ce n’est pas rare chez Paul. Mais on peut aussi y voir deux aspects complémentaires. La lumière et les ténèbres renvoient à un aspect plus individuel. Il faut alors revenir au prologue de l’Evangile de Jean.

Les versets 5 et 9[1] définissent le rôle de la lumière : luire et éclairer. Luire, c’est être un point de repère, un espoir. Eclairer, c’est, dans la terminologie de Jean, ouvrir les yeux de l’homme. Or, cette lumière a un pouvoir extraordinaire dévoilé par les versets 12 et 13[2] : permettre de « devenir enfants de Dieu ». Donc lorsque Paul parle au verset 5 de notre texte des « enfants de lumière », nous pouvons le remplacer par «  enfants de Dieu ».

Faut-il séparer les ténèbres de la nuit ? Oui. Si nous voulons être prosaïque, nous pouvons remplacer « être dans les ténèbres » par « être dans le noir ». On peut être dans les ténèbres en plein jour, dans une grotte ou un local clos. Les ténèbres relèvent du particulier, la nuit du général et, bien sûr, il en est de même pour la lumière et le jour.

Etre un « enfant du jour », c’est demeurer dans un état où la lumière est partout. Elle ne luit plus et elle n’éclaire plus seulement dans les lieux de ténèbres. L’état normal est la pleine lumière. Le chrétien a comme état normal cette clarté qui l’entoure. Et même s’il est dans un lieu de ténèbre – je pense ici à une épreuve, un danger, une situation de détresse – la lumière luit pour l’éclairer. Il a à la fois le jour et la lumière. Par opposition ceux qui ne sont pas enfants de Dieu ont à la fois la nuit globale et des ténèbres particulières.

Cette destination conduit à des comportements également opposés.

Veiller dans la sobriété (versets 6 et 7)

A nouveau ici, Paul joue sur deux versets en opposition. Il analyse deux états distincts : le sommeil et l’ivresse.

Pour le croyant, c’est le verset 6 qui donne la conduite à tenir. Il s’agit de ne pas dormir. Nous savons que le sommeil est dans la Bible l’image de la mort. Le sommeil évoque ici une mort spirituelle. C’est un état qui nous prive de fait de la lumière et du jour. Paul nous encourage à veiller et à rester sobre. Il faut relire le récit de Gethsémané, en Matthieu 26 : 36-46, et s’arrêter sur le verset 41 :

« 41  Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation ; l’esprit est bien disposé, mais la chair est faible. » (Version Segond)

Les disciples dorment dans la nuit où Jésus est livré. Ils n’ont pas saisi la lumière. Paul peut nous encourager à ne pas dormir, car la résurrection a eu lieu et la lumière a lui, d’abord pour les disciples, puis pour tous les hommes.

La sobriété est un état de contrôle et de vigilance ; celui qui est sobre doit lutter contre la tentation de la boisson ou de toute autre stimulation ou drogue.

L’incroyant se laisse aller dans les paradis artificiels (l’inverse du verset 7). Il va à la facilité. L’ivresse pousse au sommeil. Spirituellement, toutes les inventions de l’homme pour ne pas faire face à la seule grande question existentielle du sens de la vie, sont des ivresses. Elle le maintiennent dans la mort de l’esprit au sein d’un monde sans lumière. La grande illusion du monde et de la civilisation a toujours été de masquer cette nuit par une  fausse lumière frelatée que seule l’ivresse permet de supporter. Le jour et la nuit sont bien deux états spirituels que tout oppose et ceux qui y vivent ne sont pas identiques.

L’espérance du salut

Paul conclut cet enseignement par un encouragement à mener le bon combat. Dans la première lettre à Timothée, nous trouvons trois fois cette injonction à mener « le bon combat ». Retenons 1 Timothée 6 :12 :

« 12  Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait une belle confession en présence d’un grand nombre de témoins. » (version NBS)

Ce combat se mène avec des instrument de protection, car c’est une lutte, parfois un corps à corps. La cuirasse de la foi nous protège des coups de l’adversaire, des flèches de l’incrédulité, du mensonge, de la haine…

Et c’est l’espérance qui coiffe notre tête, le lieu de notre intelligence et de notre raison. Il nous faut garder notre pensée dans la logique du salut offert par Christ.

Quel beau titre que celui d’« enfant du jour » ! Sachons en apprécier à la fois les privilèges que personne ne peut nous retirer et les devoirs qui l’accompagnent : la veille dans la sobriété.

Jean-Michel Dauriac


[1] « 5   La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » « 9  Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. » version Segond.

[2] « Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu,

« 13  (1-12) lesquels sont nés, (1-13) non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. » version Segond

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Qui nous fera voir le bonheur ? – Méditation de sortie de l’arche n° 15

La version audio de cette méditation est ici:

Nous vivons une épreuve collective (ce que les hommes appellent « crise ») qui a et aura de très lourdes conséquences sur les populations du monde et, singulièrement, celles de pays les plus riches. Le président Macron a parlé de « guerre ». Je ne discuterai pas ici la valeur de cette métaphore. Mais on peut utiliser l’analogie au plan moral : la guerre, c’est le malheur, la tristesse, l’obscurité. En contexte de guerre, toutes les populations rêvent d’un après-guerre forcément heureux.

Les traumatismes seront multiples et souvent superposés : économique bien sûr, c’est ce qui est posé comme premier par nos dirigeants. Mais aussi scolaire chez les jeunes, psychologiques avec des troubles graves et durables (dépressions, suicides…), social, avec le chômage et la précarité.

David, dans le psaume 4, soumis aux attaques de ses semblables, rêve du bonheur.

Lecture : Psaume 4 : 7 à 9 (version NBS)

« Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous la lumière de ta face, SEIGNEUR !

7  (4:8) Tu mets dans mon cœur plus de joie qu’au temps où abondent leur froment et leur vin.

8  (4:9) Aussitôt couché, je m’endors en paix, car toi seul, SEIGNEUR, tu me fais habiter en sécurité. »

L’appel au bonheur (verset 7a)

Il est légitime de chercher le bonheur. C’est un des traits originels de l’homme. La Bible débute par le récit édénique, bonheur primitif de la créature. Dans la version Segond 1910, il y a 60 emplois du mot « bonheur » dans le texte, dont 5 seulement dans le Nouveau Testament. Les 5 références sont peu explicites et assez religieuses, alors que les 55 usages juifs antérieurs sont riches de sens. Relevons seulement quelques traits marquants :

  • Dieu prend plaisir au bonheur des hommes (Deutéronome 30 :9).
  • Le bonheur est lié à la grâce (Psaume 23 :6).
  • Il existe un bonheur terrestre existentiel, simple que Qohélet (l’Ecclésiaste) décrit fort bien (Ecclésiaste 3 :12 ; 8 :15).
  • Mais le bonheur biblique est cependant en Dieu (Ecclésiaste 8 :12-13 – Esaïe 42 :21 ; 66 :11).
  • Le bonheur a sa source dans la réflexion et l’intelligence (Proverbes 16 :20 ; 19 :8).

Chacun de ces traits mériterait une étude plus poussée, mais leur liste suffit à montrer le lien entre bonheur et Dieu. Quand David pose la question, il la pose pour la masse des hommes : « beaucoup » se posent cette question. Mais lui a déjà la réponse, comme le montre tout le psaume 4 et comme les versets 7-8-9 l’établissent.

Est-ce à dire que seuls ceux qui craignent Dieu, donc les croyants, ont accès au bonheur ? Sur le plan humain, cela semble absurde. Il y a tant de poèmes, de romans, de musiques, de tableaux… qui montrent le bonheur ! Si le bonheur est dans l’instant, alors oui, les hommes peuvent le connaître – et le perdre aussitôt après.

Si l’on passe au plan théologique, il n’y a alors aucun doute que seul le croyant fidèle peut connaître le bonheur, lequel s’inscrit dans la durée. Car ce bonheur biblique superpose deux aspects : celui, terrestre et concret, que décrit l’Ecclésiaste : manger, boire, se réjouir, aimer sa femme ; et celui qui est spirituel et repose sur la loi de Dieu (Esaïe 42 :21)

« 21  Le SEIGNEUR a pris plaisir, à cause de sa justice, à rendre la loi grande et magnifique. »

, qui est le guide pour une bonne vie. La crainte de l’Eternel est ce qui permet de marcher selon cette loi dans la durée des temps (Ecclésiaste 8 :12).

« 12  Le pécheur peut mal agir cent fois et prolonger son existence, je sais pourtant, moi, qu’il y aura du bonheur pour ceux qui craignent Dieu, parce qu’ils ont de la crainte devant lui ; »

Dans ce cadre de foi, la question de David peut aussi résonner en nous. Elle doit être comme un avertissement permanent. Qui nous fera voir le bonheur ? Il s’agit de ne pas se tromper de bonheur et de maître. Le vrai bonheur est en Dieu, par Jésus-Christ.

Voyons comment le poète sacré illustre ce bonheur.

Fais briller la lumière de ton visage sur nous (verset 7b)

La seconde partie du verset est la réponse à la question de la première partie.

Pour « voir le bonheur », il faut avant tout être éclairé, être dans la lumière. Dans la Bible, Dieu est associé à la lumière dès Genèse 1: 3 (1), qui est la première manifestation de la création. Nous trouvons en Apocalypse 22 :5 (2) , la dernière mention de la lumière qui est encore Dieu, lequel éclairera la cité céleste à jamais. Nous trouvons également un texte parallèle à celui de la Genèse dans le prologue de l’Evangile de Jean : au verset 4 du chapitre 1 (3), nous voyons que l’auteur établit l’équivalence entre vie et lumière des hommes.

1. « 3 ¶  Dieu dit : Qu’il y ait de la lumière ! Et il y eut de la lumière. »

2. « 5  La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe, ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui les éclairera. Et ils régneront à tout jamais. »

  • « 4  en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. »

Nous sentons bien par ces trois passages que la lumière est capitale dans notre histoire. Or elle est décrite comme émanant de Dieu. Les auteurs bibliques ne peuvent utiliser que les mots limités de leur vocabulaire. David reprend l’idée ancienne liée à l’histoire de Moïse : la face (ou le visage de Dieu). C’est ce que l’on appelle un anthropomorphisme, ce qui signifie une réduction, un retour à l’homme comme élément de comparaison. Bien évidemment, Dieu n’a pas de visage propre, ou alors il peut avoir tous les visages à sa disposition. Jésus nous a dit que Dieu était Esprit (Jean 4 : 24). Mais comment traduire cette idée d’une source de lumière irradiant sur nous ? Peut-être le soleil à son zénith ? Comme on ne peut regarder le soleil en face, on ne peut contempler cette lumière directement.

Ce que David associe au bonheur du croyant, c’est de recevoir la lumière sur nous (« fais briller »). Le bonheur, c’est d’abord de sentir cette chaleur et ensuite de voir clair. La lumière dissipe la ténèbre, elle permet d’identifier les obstacles et de les éviter. La lumière chasse la peur qui accompagne l’obscurité.

La lumière est le moteur de la vie sous toutes ses formes. Le bonheur du croyant est une vie que la lumière éclaire et fait prospérer.

La joie dans le cœur (verset 8)

Ici nous atteignons un degré supérieur. La lumière peut être là, mais la vie peut être terne et monotone, triste et compassée. Ce que David veut obtenir de Dieu, c’est un bonheur joyeux.

La joie est très présente dans la Bible. On trouve 298 occurrences du mot dans la version Segond 21. Or, sur ces 298 usages, 212 sont dans la Bible juive, le Premier Testament, et surtout dans les Psaumes et les livres prophétiques.

Le judaïsme est une religion joyeuse : le courant hassidique en a même fait sa spécialité, par le chant et la danse devant l’Eternel. Le christianisme parle de la joie, puisqu’elle est dans l’Ecriture, mais il faut avouer qu’il a beaucoup de mal à la vivre. Le poids des rites et une image erronée du péché, une crainte de Dieu mal comprise, un certain mépris du corps, tout cela explique que la joie soit évoquée souvent mais peu vécue[1].

« Un chrétien triste est un triste chrétien » disait le pasteur gallois Thomas Roberts. Sous cette forme de chiasme proverbial se cache une vérité de l’existence. Comment parler de la joie et la vivre, avec une tête d’enterrement ? Mais au fait, la joie, que peut-on en dire pour mieux la saisir ?

  • Elle est toute intérieure. C’est un état d’esprit ou un état d’âme. Elle peut ne pas se manifester extérieurement de manière démonstrative, mais ne peut s’incarner dans une triste figure.
  • Le siège de la joie est le cœur en termes bibliques, donc l’âme, le siège des sentiments et des émotions.
  • La joie est durable. En effet, elle ne doit pas être confondue avec la gaieté ou l’enthousiasme qui sont passagers et circonstanciels. La joie est la manifestation du bonheur ; comme lui, elle s’inscrit dans le temps. L’expression « joie passagère » est une sorte d’oxymore.
  • Elle est de nature spirituelle. David l’oppose au verset 8 à l’abondance de biens matériels qui faisaient la richesse de son époque. On peut extrapoler à partir de ce fait et dire que le matériel ne peut pas alimenter une vraie joie, mais plutôt une satisfaction égoïste de confort et de fausse sécurité.

Le croyant puise la connaissance spirituelle de sa joie dans la Bible. L’incroyant pourra relire Spinoza avec profit : il est le philosophe moderne qui en parle le mieux. On peut aussi lire avec profit Robert Misrahi et son livre sur le bonheur[2].

David trouve sa joie dans deux sources spirituelles : la lumière de la vie, dont la source est en Dieu, et la joie profonde et durable qui émane de Dieu et qu’il dépose en nos cœurs. L’homme n’est pas l’auteur de la vie, il la reçoit, comme la lumière de Dieu. Mais c’est à lui de savoir en faire son bonheur.

Au verset 9 nous trouvons la conséquence finale directe de ce bonheur trouvé en Dieu. Deux mots importants décrivent la situation de l’enfant de Dieu : paix et sécurité. C’est encore le Seigneur qui donne la sécurité, comme attestation du vrai bonheur. Les hommes ne peuvent livrer que des contrefaçons, comme le dit Jésus, dans son discours sur la fin des temps, et comme Paul le résume en 1 Thessaloniciens 5 : 3.

« Quand ils diront : « Paix et sécurité ! », alors la destruction arrivera sur eux à l’improviste, comme les douleurs de l’accouchement sur la femme enceinte, et ils n’échapperont en aucun cas. »

Ne nous trompons pas de source du bonheur, de la paix et de la sécurité.

Jean-Michel Dauriac


[1] J’entends déjà les critiques venant de toutes les confessions chrétiennes : comment puis-je dire cela ? Eh bien, tout simplement au nom de mon expérience de plus de soixante années de fréquentation des diverses communautés. Bien sûr je ne prétends nullement que cette attitude de retrait face à la joie concerne tous les chrétiens ; heureusement il y de beaux et grands contre-exemples. Je suis toujours frappé par la joie intense peinte sur les visages des moines et des moniales. Je connais l’enthousiasme charismatique et évangélique, mais je ne suis pas du tout certain qu’il soit la joie biblique dont nous parlons.

[2] Le bonheur, essai sur la joie, Robert Misrahi, Editions Cécile Défaut, 2010.

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