La version audio de cette méditation est ci-dessous:
Nous allons méditer sur une toute petite phrase, juste un bout de verset de sept mots, mais ces sept mots sont parmi les plus connus des chrétiens ; ils appartiennent à l’imaginaire collectif du christianisme, des écoles du dimanche et des lectures familiales du soir. Mais ils ont encore quelque chose à nous dire dans notre voyage spirituel.
Lecture de base :
Lecture 1 : Luc 8 : 5 « Le semeur sortit pour semer sa semence. » version NBS.
Tout le monde, ou presque, chez les chrétiens, connaît ce début de la parabole dite « du semeur ». Elle est présente dans les trois Evangiles synoptiques. Son interprétation ne prête pas à confusion, puisque Jésus lui-même l’explique à ses disciples, après l’avoir prêchée à la foule (ch.8, versets 9 à 15 de Luc) Ce n’est pas à vrai dire le sens de cette histoire qui m’intéresse aujourd’hui, mai seulement son entame : « Le (ou un) semeur sortit pour semer ».
Notons d’abord la lourdeur de ce morceau de phrase qui réussit l’exploit de contenir trois fois la même idée en sept mots. Tout enseignant ne pourrait que déconseiller à un élève d’écrire une telle phrase, et pourtant elle est là, telle quelle, pour inaugurer l’histoire. Pourquoi ?
Parce que cette très courte phrase sujet-verbe-complément suffit à planter le décor de ce qui va suivre. On a l’acteur : un semeur ; on a l’action : celle de semer ; et on a l’objet de la semaille, sa semence !
Le semeur
Selon les traductions, on trouve « un » ou « le » semeur. Si l’on suit le grec, c’est « le ». mais si l’on veut étudier le sens des mots, l’article indéfini convient mieux.
En effet, « le » laisse entendre qu’il est unique. Or je crois que cette introduction parle au contraire d’un type humain et désigne donc n’importe quel membre de cette petite confrérie.
Il faut, en premier lieu, s’étonner de ce que Jésus ne dit pas « l’homme » ou « un homme », comme il le fait dans la plupart des paraboles. Il s’agit évidemment d’un choix délibéré. Si vous dites « Un homme sortit pour semer sa semence », la phrase n’a plus le même sens, elle peut même avoir un sens sexuel tout à fait conforme à la pratique biblique.
Celui qu’il met en scène n’est pas n’importe quel homme, c’est celui dont le métier est de semer. Nous avons, de nos jours, complètement perdu la notion de ces métiers agricoles millénaires. Depuis la Révolution agricole du XIXe siècle et la mécanisation des tâches, nous avons oublié que les hommes et les femmes faisaient à la main toutes les opérations aujourd’hui réalisées par des machines.
Il y avait des laboureurs, spécialistes de l’araire ou de la charrue, il y avait des semeurs, spécialistes des semailles, puis des faucheurs, spécialistes de la coupe des céréales à la faux ou à la faucille ; enfin, il y avait les moissonneurs, qui faisaient tout le travail de récolte. Il faudrait y ajouter le vigneron (le mot existe encore activement aujourd’hui, les bergers (terme générique pour celui qui prenait soin des divers animaux d’élevage).
Le semeur ne laboure pas, il intervient après le laboureur. Il maîtrise le geste ample qui lance la semence de manière à ce qu’elle atteigne tout le terrain. C’est d’ailleurs ce que montre la parabole (versets 5 à 8). De mauvais gestes gaspillent la semence et hypothèquent la future récolte.
Remarque : Le Nouveau Testament a repris au sens figuré les métiers agricoles, pour parler de l’annonce de l’Evangile.
Le laboureur est celui qui prépare le terrain, le nettoie, le retourne, ôte les pierres. C’est tout le travail préparatoire. On dirait aujourd’hui que c’est le travail social de l’Eglise ou la pré-évangélisation.
Le semeur vient ensuite mettre la semence en terre, nous allons y revenir.
Le faucheur intervient avant le moissonneur, son travail est juste de préparer les épis pour la récolte. Ce peut être le travail de tout croyant qui collabore à l’œuvre de Dieu.
Le moissonneur accomplissait un travail plus gratifiant, mais qui ne pouvait avoir lieu que grâce aux trois précédentes étapes. Le moissonneur met en gerbe, il écarte l’ivraie de la vraie céréale. Puis il fait le battage et sort les grains de leur enveloppe. C’est lui qui livre le produit pur, duquel on tirera la farine, le pain et la future semence.
Tout cela est œuvre collective, comme l’est l’œuvre de l’Eglise de Jésus-Christ.
Revenons au semeur. Jésus nous dit « un semeur sortit ». L’opération qui va enclencher le processus de la fructification ne peut être faite que par quelqu’un qui sait faire les bons gestes. Le semeur est peut-être un mauvais laboureur ou un piètre faucheur mais il a sa place par sa compétence précise. Dieu, qui s’est fait connaître à nous, nous a donné à chacun une fonction dans son champs. Il nous faut l’identifier pour ne pas faire ce que nous ne savons accomplir. Nous sommes complémentaires. C’est une autre façon de parler du corps de Christ.
1 Corinthiens 12 : 7 à 11 en est la description en terme ecclésial.
Sortit pour semer
Le semeur ne peut être opérationnel que dans le champs préparé. S’il reste chez lui, dans sa maison, dans son fauteuil, il ne fera rien, même s’il est le meilleur semeur du canton.
Il faut sortir. Ce verset nous renvoie à un double sens. En premier lieu, la mission apostolique de l’annonce de la Bonne Nouvelle, que Jésus a délivrée aux disciples, où il les a envoyés en « stage » pratique (mission des douze et des soixante-dix), puis les a ensuite eux-mêmes chargés de la suite (Matthieu 28 :19 & Marc 16 :15). Cette mission parcourt aussi toutes les Epîtres. En second lieu, nous pouvons le relier à notre existence propre, dans ce contexte de long confinement, mais aussi dans les communautés locales. Il faut sortir, quitter son confort, aller sous le soleil, la pluie, le vent, avancer difficilement dans un sol remué. L’évangéliste est la figure de celui qui sème, mais cela concerne tout croyant qui maîtrise cet art de la semaille, c’est-à-dire qui sait témoigner de manière diversifiée et intelligente, qui sait donner une parole biblique à bon escient et l’accompagner des mots justes, qui va faire une visite amicale, fructueuse, etc… L’appel d’Esaïe 6 : 8 retentit toujours.
Lorsque le semeur sort, il le fait avec un objectif précis : pour semer. Il ne se promène pas, ne chasse pas, ne cueille pas de fleurs ou de fruits, il sème. C’est sa mission, son ministère, sa vocation. On l’ a appelé pour cela, il est connu et reconnu pour son succès dans les semailles. Il nous faut savoir précisément ce que nous avons à faire. La foi chrétienne est une vie radicale : la semaille n’est pas un hobby, un petit loisir, mais l’identité du semeur. Il nous faut être littéralement habités par ce métier.
Sa semence
Ce complément d’objet peut surprendre et paraître redondant, voire pléonasmique. En réalité il n’en est rien.
Le possessif « sa » du texte original indique bien le lien entre le semant (c’est le mot qui est traduit par « semeur » et qui donne un sens plus actif encore) et la graine mise en terre. Il sait ce qu’il sème car c’est lui qui l’a sélectionnée ou qui l’a reçue. Tous ceux qui ont un jour jardiné savent l’importance de la graine : une semence de mauvaise qualité ne germera pas. (je parle ici d’expérience concrète). Or ici, nous savons, par la suite de la parabole que toutes les semences, sur tous les terrains, vont germer, sauf celles que les oiseaux ont mangées. Cette semence est donc la preuve de la qualité du semeur.
Quand nous sommes dehors (c’est-à-dire au milieu de l’humanité), nous ne pouvons pas nous permettre de répandre de la semence de mauvaise qualité. Il faut que nous puissions la garantir, donc que nous soyons sûre d’elle. Et comment être sûr de cette valeur sans en connaître la source. C’est ici que nous faisons la seconde lecture de notre méditation.
Lecture 2 : 2 Corinthiens 9 :10 « Or celui qui fournit de la semence au semeur et du pain pour la nourriture vous fournira la semence, la multipliera et fera croître le produit de votre justice. » version NBS.
En bon élève du rabbin Gamaliel, Paul cite un magnifique verset du prophète Esaïe, ch. 55 : 10-11.
« Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondé et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim ; ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet ; sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée. » version NBS.
Il en extrait ce qui est nécessaire à sa démonstration : c’est Dieu qui fournit la semence et le pain. Le croyant reçoit cette semence par l’Esprit, et elle devient alors sa semence propre. Mais le verset d’Esaïe nous indique encore plus clairement le secret de la valeur de cette semence : c’est la force de la Parole de Dieu, laquelle a toujours de l’efficacité et qui n’agit que dans le sens de la volonté de Dieu.
Or nous savons que, pour le chrétien, la Bible est Parole de Dieu. La semence a répandre est donc celle de la Bible, de l’Evangile. Nous n’avons rien à inventer, nous n’avons qu’à connaître et diffuser cette Parole. C’est d’ailleurs le sens que confirme Jésus dans son explication aux disciples (verset 11 de Luc).
Nous ne pouvons rien semer qui soit le fruit de notre seule pensée, fût-elle géniale. Le salut des hommes ne vient pas de Platon, de Kant ou de Marx, mais de la Parole de Dieu, le temps long de l’histoire nous le prouve bien. Luther, Calvin et tous les grands théologiens protestants, de même que les grands maître catholiques peuvent nous être utiles quand ils se font les interprètes et les guides dans la Bible. Ils sont des ouvriers dans l’œuvre et sèment aussi la Parole. Ne confondons pas la valeur des sources. Il existe une hiérarchie spirituelle : la Bible d’abord, puis les auteurs chrétiens travaillant la Bible, et ensuite seulement, les plus grands penseurs de l’humanité. Cette hiérarchie peut choquer le non-croyant, mais elle doit habiter le semeur.
Conclusion
Les quelques mots introductifs de cette parabole si connue nous ouvrent des horizons de réflexion touchant aussi bien à la vocation chrétienne (sommes-nous laboureurs, semeurs, moissonneurs ?) qu’à l’enseignement de l’Eglise et à la mission des croyants. Semons ce qui est devenu notre semence, éprouvée et reçue de la Parole de Dieu, nous serons alors inscrits dans la volonté de Dieu du salut de tous les hommes comme le disent Esaïe et Paul.
Jean-Michel Dauriac – Avril 2021 –
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