Skip to content →

Catégorie : les livres: essais

Un été avec Colette

Antoine Compagnon (de l’Académie française) 

Equateurs parallèles & France Inter, 2022, 14 €.

Chaque été, France Inter fait appel à un écrivain pour construire un feuilleton autour d’un auteur ou d’un thème. Ces émissions sont ensuite transformées en livre par leurs auteurs sous le titre générique « un été avec… ». Antoine Compagnon est un spécialiste de ce genre, ayant déjà livré Un été avec Montaigne, Un été avec Baudelaire et Un été avec Pascal. Le dernier, sorti en mai 2022 s’intitule Un été avec Colette.

Colette a été un écrivain très célèbre, et même populaire, dans les années 1950 et 1960. Elle avait alors gagné le titre de grand écrivain français et fut choisie pour donner naissance à moultes dictées de Cours Moyen et de Certificat d’étude, de leçon de grammaire dans les manuels, ainsi que des larges extraits dans les livres de lecture. Puis vint mai 1968 et son grand coup de balai, et Colette commença à tomber inexorablement dans un oubli progressif, du moins dans le vaste public scolaire et populaire. C’est un destin tragique qu’ont partagé avec elle François Coppée, Anatole France ou Erckhmann-Chatrian, pour ne pas citer Hector Malot. Ce phénomène n’a d’ailleurs rien à voir avec le talent de ces auteurs, c’est un simple phénomène de mode.

Mais Colette a connu un regain d’intérêt avec le néo-féminisme des années 2000, comme George Sand. Rappelons que les deux n’ont jamais revendiqué un quelconque féminisme, mais simplement la liberté et l’égalité de traitement. Ce livre s’inscrit dans ce regain de popularité.

Le propre de ces ouvrages est d’être structuré en courts chapitres thématiques, qui correspondent au format radiophonique. Ce qui rend le livre très facile à lire. L’ensemble constitue une biographie rapide qui dégage l’essentiel à connaître sur un auteur.

Gabrielle Sidonie Colette est une enfant de la Puisaye, petite région naturelle du Nord-ouest de la Bourgogne, non loin de l’entrée occidentale du Plateau de Langres. Pays humide de bocage, il offre un relief collinaire boisée dont les environs de Saint-Sauveur en Puisaye, village natal de Colette, sont un parfait exemple. C’est dans ce cadre rustique que vécut la jeune fille jusqu’à ses dix-huit ans, dans sa maison natale, aujourd’hui devenue Musée National. De cette origine, elle gardera un accent rocailleux et une passion pour la nature. Cette veine naturaliste en fera donc l’auteur de très belles descriptions campagnardes, parfaits textes de dictées républicaines.

Tout au long du livre, Antoine Compagnon déroule une existence qui fut multiforme, commençant par une vie de femme mariée exploitée dans son talent naissant d’écrivain, par son mari, Willy, qui signa la série des Claudine de son nom. Apprentissage de la vie parisienne, de l’écriture, de l’adultère de son époux… ces années ne sont pas d‘une folle gaîté. Quand Colette se sépare de son époux, elle inaugure ce qu’on pourrait appeler sa vie de saltimbanque et de femme libre – lisez celle des amours saphiques -, celle où elle se fera connaître par le scandale de sa poitrine dénudée sur scène et de ses amours féminines. Cette période dure quelques années seulement, mais elles ont contribué à la légende de Colette.

Peu à peu la jeune femme se range et devient une journaliste très appréciée et un écrivain dont la renommée ne cesse de grandir. Elle se mariera trois fois et finira révérée comme la grande prêtresse des lettres françaises, avec des obsèques nationales en guise d’adieu. Pour résumer elle est passé du scandale du music-hall à la respectabilité du jury Goncourt.

Compagnon sait choisir ses thèmes et s’appuie sur une bonne connaissance du travail de Colette, avec de très nombreuses citations qui émaillent son texte. Son travail est sérieux et agréable à lire, mais il manque totalement de recul critique, ce que le cadre feuilletonesque d’une radio nationale explique aisément.

En effet, la dernière page tournée, il faut bien avouer que mon sentiment vis-à-vis de Colette est très partagé. D’un côté, on ne peut que respecter ce beau parcours d’une femme qui n’avait en poche que le certificat d’études primaire et devint une des reines de notre langue. Mais, de l’autre, je n’éprouve aucune vraie sympathie pour ce personnage qui revendique d’incarner un égoïsme sourcilleux. On ne la sent jamais en communion avec le peuple et quelque grand idée que ce soit. Elle est un témoin, pas une actrice de la vie sociale et politique. Selon le mot de Desproges, elles est une artiste « dégagée ».

Il vous faut donc lire ce petit livre pour vous faire votre propre opinion sur Colette. Il constitue une très belle porte d’entrée sur le personnage et son œuvre.

Jean-Michel Dauriac – septembre 2022.

Leave a Comment

Influences gaulliennes

De Gaulle et les siens – Bernanos, Claudel, Mauriac, Péguy

Jacques Julliard ; Cerf, 2020. 12 €.

On sait que Jacques Julliard est un historien éminent et respecté, spécialisé dans l’histoire politique contemporaine, ce qui en fait un observateur avisé de notre société, comme le montrent ses chroniques mensuelles du Figaro. Le petit ouvrage que je présente aujourd’hui concerne un des héros de Julliard, le général De Gaulle. Car, bien qu’estampillé homme de gauche et socialiste, Julliard a, depuis quelques années, rejoint le camp des renégats qui osent critiquer sévèrement une gauche qui se renie et se retrouve exsangue de ses propres valeurs historiques. On pourrait retrouver un positionnement assez semblable chez Jean-Pierre Chevènement, dont j’ai par ailleurs chroniqué les mémoires.

Le choix de Julliard dans cet opuscule est de revenir sur quatre écrivains du XXe siècle qui ont incontestablement été important pour l’homme De Gaulle. Nul ne sera étonné de retrouver ici rassemblés quatre auteurs catholiques, ce qui correspond aux idées religieuses du Général. On sait à quel point Charles de Gaulle est l’incarnation d’une France fidèle à ses racines et à son histoire. Il rejoint ici ces quatre écrivains, tous connus pour leur amour de notre pays. Le contenu du livre ressemble plutôt à un cycle de conférences, chaque auteur bénéficiant d’un chapitre, une conclusion générale occupant le cinquième.

JJacques Julliard, fin connaisseur du XXe siècle

Julliard s’appuie évidemment sur de nombreuses citations du Général, mais aussi sur des faits historiques, pour étayer son propos. La première phrase livre situe l’enjeu :

« Charles de Gaulle détestait les intellectuels et vénérait les écrivains. » p.7

D’où le conflit avec Sartre et la complicité avec Malraux. Pour saisir ce choix il convient de ne pas oublier que de Gaulle est lui-même un écrivain reconnu, auteur d’une œuvre dense et profonde ( je renvoie mon lecteur à ma chronique de Au fil de l’épée). Il a compris, de par sa formation aux humanités classiques, que l’écrivain dévoile beaucoup plus du sujet qu’il traite que le meilleur des essais. Dans le choix fait par Julliard – tout à fait judicieux – nous avons affaire à des écrivains-penseurs, souvent engagés dans la lutte contre la bien-pensance de leur temps. La limite avec l’intellectuel est parfois très floue. Mais il reste le style !

Bernanos pour commencer. C’est d’emblée poser la question de l’antisémitisme et du maurrassisme. Ce n’est pas le cadre ici de revenir sur ce que fut l’antisémitisme « classique » de la droite française. Signalons seulement que, s’il est condamnable sans coup férir, il n’a rien à voir avec l’antisémitisme nazi ou russe, mortifère. C’est un antisémitisme culturel, sans nul doute influencé par l’antijudaïsme catholique. Ce que Bernanos reproche aux Juifs, c’est de ne pas être assez Français, mais d’être souvent d’abord juifs. De Gaulle n’a jamais été antisémite et ce n’est pas cela qui l’a attiré chez Bernanos. Fut-il maurrassien ? Nommément non. Mais on sait que Maurras exerça une influence bien au-delà de l’Action Française et que Mitterrand n’y fut pas insensible. Le point commun à Bernanos, Maurras et de Gaulle est l’amour passionné pour la France. Mais là où Maurras veut une France expurgé de ses étrangers et de ses juifs, Bernanos et de Gaulle veulent une France digne et aimée de tous ceux qui y vivent, quelle que soit leur origine. Ce qui a sans nul doute conquis le Général chez Bernanos est ce combat permanent contre la bêtise, la lâcheté et la petitesse. Ils avaient en commun cette exigence morale qui arme tous les romans de Bernanos et qui a porté tous les combats de De Gaulle. Mais, au-delà de cela se trouvait l’exigence spirituelle, celle de ne pas succomber à un matérialisme abêtissant, celle de cultiver la foi et la justice. Bernanos fut une influence dans le combat moral et spirituel.

En ce qui concerne Paul Claudel, la position défendue par Julliard est que le Général avait pour lui plutôt l’estime due à son statut de très grand auteur français qu’un attachement personnel. Ce qui les réunissait était donc plutôt l’appartenance au catholicisme de la grande tradition. Mais on ne saurait affirmer qu’il y eu un grande influence de Claudel sur la pensée gaullienne.

Le cas Mauriac est encore différent. Ils ont en commun le catholicisme, bien sûr, mais aussi un vécu de l’histoire des années 1930 à 1960, avec toutes les péripéties et drames qui les ont marquées. Mauriac a longtemps trouvé que le Général était trop à droite et l’a critiqué, notamment à travers la création du MRP. Il ne devient un inconditionnel qu’à partir de 1958 et du retour au pouvoir. Il sera, pendant dix ans, le pourfendeur des adversaires de De Gaulle. Celui-ci reconnaissait en Mauriac un écrivain de grand talent et était sans doute un peu intimidé par cette stature. De son côté, l’auteur girondin admirait surtout l’homme d’Etat chrétien. Ils se comprenaient sans nul doute, mais ne furent jamais des intimes, avec la même liberté de langage que Bernanos put avoir avec le Général.

Le véritable inspirateur du Général est bien Péguy. De Gaulle a reconnu, dans une conversation rapportée par Alain Peyrefitte :

«  Il sentait les choses exactement comme je les sentais. » p. 56.

Ce genre de confidence intime est extrêmement rare dans la vie du Général. Elle dénote sa relation particulière avec Charles Péguy, le seul de ces quatre auteurs qu’il n’a pas connu personnellement. Le Péguy qu’admire de Gaulle est le Péguy de la dernière période, le patriote catholique. Il est tout à fait clair que l’amour qu’ils ont pour la France est de la même nature. Il y a, pour les deux, une vocation particulière de la France, dans son histoire chrétienne. Jeanne d’Arc représente bien ce symbole du salut chrétien de la France, inspiration puissante du Général. Julliard présente aussi les valeurs négatives que les deux hommes partagent : la défiance envers l’argent et la politique. Bref, en terminant sa présentation par Péguy, Julliard nous offre le lien fort qui unissait les deux hommes.

La conclusion de Julliard porte sur l’esprit commun à ces auteurs et au Général : la résistance. Pas seulement au sens historique contemporain, mais au sens plus large de combat pour des idées et un esprit. Il a ajouté, pour l’édition présente une postface qui fait le bilan de l’évolution des soixante dernières années en termes de politique, de religion et de littérature. Très éclairant.

Celui qui lira ce livre en saura un peu plus sur la pensée de celui qui demeure comme le plus grand homme d’Etat de son siècle, mais il fut aussi un des plus secrets quant à ses convictions. On peut remercier Julliard de lever un peu le voile sur celles-ci.

Jean-Michel Dauriac, Beychac et Caillau, septembre 2022.

Leave a Comment

Une oeuvre à double face: sur Haendel l’Européen de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille

Voici le cinquième opus de l’auteur consacré à un des grands maîtres de la musique occidentale, dite « classique ». Après Mozart, Bach, Beethoven et Schubert, c’est donc Haendel qui est l’objet de l’attention de cette musicologue épanouie.

Michèle Lhopiteau a créé un genre d’ouvrage, dont elle maîtrise maintenant parfaitement la construction. Ce qu’elle écrit ne relève pas de la biographie, genre dans lequel le résultat est souvent des énormes pavés exhaustifs et lassants que ne peuvent achever que des mordus ou des clients sous prescription, c’est-à-dire des étudiants. Ce n’est pas non plus une étude savante, musicologique au sens universitaire du terme, genre qui brille souvent par ses termes techniques abscons et ses études pour « happy few ». Il faut donc user du terme « essai musical » pour être le plus clair possible. Le genre de l’essai laisse à son auteur une grande latitude, tant dans le choix de ses thèmes que dans la forme littéraire, et c’est bien ce qui convient à notre auteur (-e ou autrice ?). Je reviendrai ci-dessous sur le choix des thèmes. Quant à la forme, elle est un savoureux mélange de musicologie jamais pédante – ce qui est déjà un exploit -, de considérations biographiques et d’analyses musicales, sans oublier les anecdotes personnelles et les petits jugements personnels glissés au passage, comme ça, un peu incognito. Le tout donne des ouvrages faciles à lire, que l’on a envie de poursuivre et dont on se souvient avec plaisir. C’est le cas de cet opus, comme des précédents (dont j’ai assuré aussi des chroniques au temps de leur parution). Les chapitres sont bien dosés et de longueur raisonnable (à l’exception des deux gros morceaux sur les opéras et les oratorios). Bref, c’est d’une lecture aisée.

Un autre atout de ces ouvrages est la qualité du livre en lui-même : ce sont de beaux objets, bien réalisés, avec des polices de caractères qui facilitent la lecture et une vraie couverture assez rigide, avec rabats. Ces rabats protègent les deux CD qui accompagnent la lecture. On dispose ainsi de 54 extraits d’œuvres éclairant la lecture. C’est un atout absolument capital et c’est aussi ce qui justifie le prix élevé (33€) du livre. Il faut ajouter que, dans cette réalisation, l’éditeur et l’auteur ont intégré 48 Qrcodes, renvoyant l’heureux possesseur d’un smartphone Androïd ou d’un Iphone de Apple, vers des extraits disponibles sur internet – enfin, quand vous avez passé la pub inévitable ! -, preuve tangible de modernité. N’ayant pas un de ces merveilleux appareils[1] qui changent la vie et bousillent les oreilles et le cerveau à long terme, je ne puis rien dire de ces carrés magiques, mais ils sont là et fonctionnent, Alléluia ! Les deux CD fournissent à eux seuls suffisamment de références pour approcher la création haendélienne, d’autant plus que, comme pour chaque volume, le choix est très bien fait.

L’essai est un genre littéraire qui suppose deux faits liés entre eux. Il s’agit, d’abord, d’une tentative d’aborder un sujet sous un ou plusieurs angles qui ne prétendent pas couvrir l’ensemble du problème, mais obéir à ce que l’on nomme pompeusement une problématique. L’auteur est le seul maître à bord et nul ne peut lui reprocher ses choix. Ensuite, l’essai est subjectif, présente une thèse et la défend : ce n’est pas un ouvrage scientifique neutre, même si nombre d’essais sont devenus des références sur leur sujet. Le livre de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille correspond parfaitement à cette définition.

Les angles d’attaque de ce Haendel l’Européen sont, à mon avis, au nombre de trois. Le premier, qui aura le dernier mot (la conclusion est faite sur cette idée démontrée), est contenu dans le titre : Haendel fut un musicien que l’on dirait cosmopolite pour son époque, voyageant et connaissant bien l’Europe occidentale, ce qui était rare en son temps. Le second angle de vue concerne sa vie de musicien : l’auteur veut prouver, et y parvient parfaitement selon moi, que Haendel n’a pas été du tout ce musicien « de cour » que l’on décrit généralement. Il fut toute sa vie un créateur indépendant, même s’il était très apprécié de la cour de Londres et qu’il composa de nombreuses œuvres pour des événements royaux. Le troisième et dernier point de vue soutenu est celui de ses goûts musicaux. Pour l’auteur, la vraie passion de Haendel fut, toute sa vie, l’opéra italien. Et je dois dire que la démonstration est claire et indubitable. Et pourtant c’est la partie la moins connue de son œuvre et la moins jouée de nos jours, même si les nombreux opéras italiens qu’il a composés ont été exhumés depuis le milieu du XXe siècle.

A partir de ces trois points de vue, Michèle Lhopiteau tresse son travail, parfois en les mêlant tous, parfois en s’attachant à l’un ou l’autre. Les voyages et séjours à l’étranger de Haendel sont évoqués en début d’ouvrage, avec précision et posent ainsi l’importance de l’Italie, où il séjourné quatre années et composé de nombreuses œuvres pour le public de ce pays. Il en gardera donc toute sa vie la passion de cette musique d’opéra et la mettra en œuvre tant que cela sera possible, même s’il n’a pu éviter son déclin et passer alors à la composition d’ouvrages anglais – langue qu’il parla toute sa vie avec un fort accent teuton –  et d’oratorios. L’auteur établit bien la chronologie des compositions qui font apparaître des périodisations nettes dans la vie du compositeur. Haendel, qui demanda et obtint la nationalité anglaise à la moitié de son existence environ, resta pourtant fondamentalement un saxon. Cela ne l’empêcha pas de prendre très glorieusement la succession de Purcell, sans aucun titre officiel, comme grand compositeur des souverains. Mais cette tâche ne le rendit jamais dépendant de la Cour et c’est avec ses autres compositions qu’il gagna très confortablement sa vie. Il a cependant le très rare privilège d’être enterré à Westminster, près des puissants de ce royaume.

C’est, évidemment, l’analyse musicale et la thèse de l’auteur sur le tropisme opératique italien de Haendel qui est la plus originale. Il faut dire que ce n’est pas du tout l’image officielle de ce compositeur, identifié d’un côté à ses musiques officielles (Watermusic ou autres fêtes royales) et de l’autre au prodigieux oratorio Le Messie. Il aurait donc composé uniquement des musiques circonstancielles et des oeuvres chantées de type oratorio, principalement à base biblique. C’est évidemment très réducteur et le lecteur de cet ouvrage ne pourra plus du tout adhérer à ces clichés. Haendel a composé de la musique instrumentale variée, tant pour le clavecin, dont il était un joueur émérite, que pour des petites ou grosses formations, accordant une place importante aux vents. Il est l’inventeur du concerto pour orgue. On peut donc dire qu’il a touché, avec une égale réussite à tous les genres connus à son époque. Mais, selon Michèle Lhopiteau, sa vraie passion, depuis la jeunesse est l’opéra italien, qui régnait, au début du XVIIIe siècle sur l’Europe. Il aurait composé sa première œuvre de ce type à 18 ans, quand il était claveciniste à Hambourg. Son long séjour en Italie l’a amené à composer une belle série d’opéras sur des livrets en italien, dont certains écrits par des prélats de haut rang. Lorsqu’il quitta ce pays pour revenir en Allemagne puis s’établir à Londres, il garda cette passion et écrivit une collection pléthorique d’opéras italiens, chantés par des divas et chanteurs enrôlé à prix d’or pour venir en Angleterre. L’auteur en recense 42 de sa composition ! Ces œuvres connurent, pour la plupart, un grand succès public à Londres et firent sa fortune. Mais la mode passa et vers 1750 l’opéra italien cessa d’intéresser les Anglais. Haendel s’adapta, mais puisa dans ce corpus énorme d’airs et de chœurs pour les réemployer dans ses œuvres anglaises : ainsi Le Messie est une grand œuvre de recyclage des arias italiennes antérieures. Il faut souligner un des caractères forts que l’auteur dégage : la qualité extraordinaire de mélodiste de ce compositeur ! Sans en connaître les titres, nous connaissons en effet pas mal d’airs de sa plume que le cinéma ou la télévision, voire la publicité ont repris. De ce point de vue, les titres des deux CD sont exemplaires, et l’on se trouve plus d’une fois à chantonner ces airs qui nous reviennent.

Est-ce à dire que ce livre est parfait ? Eh bien, non ! Si l’ensemble nous conquiert et atteint son but, je ferai un reproche double. Les chapitres 6 et 10 sont trop longs et finissent par lasser  même le lecteur bien disposé, comme moi. En fait, ces deux chapitres souffrent du même défaut pour la même raison. Le chapitre 6 est titré L’opéra italien : la passion de toute une vie et le chapitre 10 Les 18 oratorios de Georges Frédéric Haendel., soit les deux formes les plus aimés de Haendel. Michèle Lhopiteau a été victime à la fois de sa passion et de l’abondance de ses sources. C’est un risque permanent quand on fait de la recherche. Elle avait visiblement rassemblé une somme d’informations sur ces deux genres et s’est trouvée, au moment de la rédaction, dans l’impossibilité de faire des choix et d’éliminer des informations qui lui semblaient capitales. Mais l’accumulation linéaire de présentation de ces opéras et oratorios aboutit à une lassitude, car c’est toujours selon le même schème que cela s’effectue. Il s’agit donc d’un double problème : celui du tri des données et de la variation des présentations, les deux allant ensemble. Si elle avait éliminé certains opéras et s’était concentrée sur les plus marquants, on aurait évité la répétition à l’identique qui provoque l’ennui. D’autre part, je reste persuadé qu’il vaut toujours mieux une approche thématique qu’une approche linéaire chronologique. Il y avait quelques grands thèmes qui s’imposaient : le problème des chanteurs et chanteuses, les salles et structures où faire jouer ces opéras, le financement et les recettes, et enfin les oeuvres elles-mêmes, qu’on aurait pu évoquer sous quelques points communs, comme l’imbécilité des livrets et leur absurdité, la technique de Haendel (arias et chorus) et son art de la composition – et parfois de la reprise de travail d’autres compositeurs ! Une présentation sur cette base aurait été nettement plus dynamique. On pouvait adopter un plan du même type pour les oratorios, dont la présentation souffre du même défaut que les opéras italiens.  On aurait par contre bien apprécié une liste des opéras italiens et des oratorios dans les annexes. C’est ici le seul reproche majeur que j’ai à faire sur ce livre. En cas de réédition, je ne peux que conseiller à l’auteur de reprendre ces deux chapitres. Elle sait parfaitement faire cela, car elle a mis en œuvre cette démarche dans son chapitre 11 où elle compare Bach et Haendel.

Ce cinquième volume est donc une belle réussite et vient augmenter une collection de grande qualité qui mérite d’être dans la bibliothèque de tout mélomane ou de tout individu curieux.

Jean-Michel Dauriac – mars 2022


[1] Je suis resté au Blackberry avec son clavier physique et sa 3G+, c’est dire mon archaïsme coupable !

Leave a Comment