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Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est mauvais, on est mauvais…

Dans la série « dans la bibliothèque de mon père »

A propos de Initiation Philosophique, par Emile Faguet, de l’Académie Française,

Paris, Hachette et Cie, 1912. 171 pages.

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Le lecteur sera sans doute très surpris en découvrant cette chronique d’un livre inconnu, paru au début du XXème siècle, d’un auteur qui, bien qu’académicien, n’est pas passé à la postérité. J’espère que cette surprise l’amènera à lire entièrement ce texte.

Circonstances de l’événement : mon père étant décédé il y a huit ans, j’ai enfin décidé de faire le tri dans ses affaires, à la demande de ma mère. J’ai, assez logiquement pour un intellectuel, commencé par la bibliothèque. Celle-ci m’était évidemment bien connue, puisque s’y trouvait en assez grand nombre des livres qui étaient miens et que j’avais prêté, de manière emphytéotique à mon père, sachant que je les retrouverai toujours. Ajoutons qu’un bon nombre d’ouvrages étaient à la fois dans sa bibliothèque et la mienne. Mais il faut ici dire un peu de la personnalité de mon père : il avait l’habitude, par foi chrétienne évangélique agissante, de beaucoup prendre soin de son « prochain » et, singulièrement des vieux chrétiens de la communauté protestante. C’est ainsi que tout naturellement, certains d’entre eux lui ont donné une partie ou tout de leur bibliothèque. Cela est confirmé par les noms portés sur les livres, ainsi que les dates les accompagnant parfois. Ainsi se trouvent dans cette bibliothèque un nombre élevé de livres anciens, au sens de non-contemporains directs. Le livre dont je vais parler aujourd’hui relève de cette famille de livres adoptés anciens.

J’ai une passion juvénile pour la philosophie, contrariée par la vie et ses aléas. Je me suis remis à lire de la philosophie vers l’âge de trente-cinq ans, et depuis, je n’ai jamais cessé. Mes études tardives de théologie reposent, en partie sur la possibilité d’étudier universitairement la philosophie, même si c’est sous un angle particulier. Ce volume titré Initiation philosophique m’a donc attiré. C’est un petit livre par le format (12×18.5 cm) et par la pagination (162 pages de texte). L’idée est intéressante : offrir dans ce volume réduit un survol de la philosophie (occidentale, car l’auteur n’en voit apparemment pas d’autre), des origines au début du XXème siècle. Le volume fait partie d’une collection de Hachette appelée « Collection des initiations ». Emile Faguet, l’auteur de notre livre, y a déjà signé une Initiation littéraire. J’émets l’hypothèse que l’ouvrage soit une commande de l’éditeur, ou une proposition formatée de l’auteur. Dans les deux cas, « la fonction crée l’organe ».

Qui est Emile Faguet ? Si vous posez la question à 100 personnes choisies aléatoirement dans la rue, il y a de très fortes chances que la totalité de l’échantillon choisi n’en sache rien. Et pourtant, Emile Faguet (1847-1916) a atteint un certain graal des auteurs, en intégrant l’Académie Française. Je vous invite à vous rendre sur la page qui lui est consacrée sur le site de cette vénérable maison :  (https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/emile-faguet). C’est un obscur normalien devenu professeur de poésie à l’université, donc un destin classique d’élève brillant de la France du XIXème siècle. Il faut que mon lecteur sache que le normalien (quelle que soit l’école considérée) n’est pas chois au concours pour briller par sa faculté créatrice et son talent. Il vaut mieux être un gros travailleur plutôt dans le moule. Sachant que quelques trublions arrivent à passer par le tamis du filet, tels Péguy ou Suarés. Faguet fut un exemple parfait de ces destins qu’on peut prophétiser lorsqu’ils ont vingt ans. Devenu un critique littéraire influent et bien introduit dans le réseau parisien, il fut donc élu en 1900 ( à 53 ans) au fauteuil 3 de l’Académie. La liste de ses œuvres, publiées à partir de 1883, est très longue, riche de dizaines de volumes, sur des sujets littéraires très inégaux. Ce livre sur la philosophie est une de ses dernières œuvres, publiée en 1912. Il meurt en 1916. C’est le livre d’un auteur chevronné et mûr.

Et pourtant ce livre est très mauvais. Non parce qu’il s’attaque à un sujet aussi vaste qu’un survol de la philosophie depuis son origine, mais parce qu’il cumule des défauts qui auraient empêché sans nul doute sa publication s’il n’avait été présenté par un académicien français.

Tout d’abord, pour parler vulgairement, il est « écrit avec les pieds ». Tout au long de sa lecture, combien de fois me suis-je arrêté sur une phrase pour la relire, tant elle était mal construite ou alourdie de répétitions ou de formules peu réussies. Il est inutile de prendre des exemples : il faudrait citer une bonne partie du livre ! Je reste très surpris que l’éditeur ait laissé passé cette rédaction médiocre et j’y vois une preuve de plus du rôle du réseau : quand on est du club, il est permis de publier n’importe quoi, alors que l’on refuse sciemment des auteurs talentueux inconnus.

Ensuite, sur le fond, je doute de l’esprit philosophique de Monsieur Faguet. Il rend compte de la philosophie de l’extérieur. Ses résumés sont dignes d’un élève sérieux de terminale de son époque (évidemment aujourd’hui, un élève de terminale serait bien incapable d’absorber tout cela), avec le manque de vision globale que l’on attendrait d’un tel ouvrage. Bien sûr, il y a des connaissances et des notions nombreuses, mais l’essentiel n’est pas dit ou rarement. M. Faguet n’a pas saisi les concepts qui distinguent les auteurs, de même qu’il est incapable de hiérarchiser les auteurs qu’il présente. A le lire, tous ceux qui sont cités dans ce livre sont des philosophes de même qualité. Or, il consacre des chapitres individualisés à certains penseurs (Socrate, Platon, Aristote ou Kant) alors que certains sont expédiés en quelques lignes (Berkeley, Reid ou Stewart). C’est bien qu’il y a une différence de contenu ! Mais cela n’est jamais abordé. On sent bien que sur certains auteurs son savoir est limité, livresque et incertain. Bref, un lecteur auquel ce livre est réellement destiné, à savoir un autodidacte ou un étudiant, risque fort de construire sur des bases flottantes.

Enfin, il faut parler de la structure du livre ; ou plutôt de la non-structure, tant le plan est éculé. Il aligne toute une série de chapitres chronologiques, des présocratiques à Nietzsche, sans aucun effort de regroupements thématiques. C’est le degré zéro du plan. Là aussi, l’éditeur porte sans nul doute une part de responsabilité, car il n’aurait jamais dû accepter cette organisation sans recherche.

Voilà donc un livre ancien qui atteste que la médiocrité a toujours existé et a eu pignon sur rue. Certes Emile Faguet est tombé dans les oubliettes de l’histoire littéraire. Il a cependant droit à un article dans Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Faguet .

Je trouve l’expérience de lecture des vieux livres oubliés fort intéressante, car elle nous met dans une situation critique dégagée de la pression médiatique de notre temps. Il n’y a  que le livre et nous. Soit il est réussi, soit il est mauvais, et peu importe la renommée de son auteur. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours eu, très tôt dans ma vie d’adulte, une démarche de recul historique sur toutes les productions artistiques. Le temps est un juge impartial et impitoyable : ce qui lui survit a des qualités qui méritent notre attention. Posons-nous la question, prospective et rhétorique, de savoir ce qu’il restera de bon de toute la production éditoriale présente et des livres que nous lisons. Si nous appliquons cette démarche, nous allons gagner un temps précieux pour aller à l’essentiel.

Jean-Michel Dauriac – avril 2021

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Guitare au féminin

Emilia Giuliani – Oeuvres complètes pour guitare – Tactus – 2020. 2 cd (67’32 & 70’05).

Ce disque permet de mettre le projecteur sur une instrumentiste-compositrice de l’époque romantique, Emilia Giuliani (1813-1850), fille du grand musicien-compositeur Mauro Guiliani. Elle pourrait appartenir à la catégorie des enfants prodiges, puisqu’elle se produisit très jeune sur scène : sa technique guitaristique est louée par tous les critiques de l’époque. Morte précocement (37 ans), elle a cependant eu le temps de laisser une série d’œuvres pour guitare seule, que ce disque donne à entendre.

Emilia G. est une compositrice romantique italienne. La plupart des morceaux sont des variations autour d’airs d’opéras de Bellini (une seule autour de Rossini). La variation était un genre très en vogue au XIXème siècle, car il plaisait au public qui reconnaissait des airs à succès (il s’agit d’un premier pas vers l’improvisation libre sur des standards que pratiquera le jazz au XXème siècle). Emilia G. maîtrise parfaitement ce genre. Elle sait alterner les lignes mélodiques entre grave-médium et aigu, mêler séquences en accords et arpèges. Selon son modèle Bellini, les lignes sont très chantantes. Son vrai travail de compositrice est à découvrir dans les 6 préludes op. 46. S’inscrivant dans la lignée des grands auteurs du genre, notamment Bach, elle y apporte cependant des touches étonnantes de modernité (écouter le prélude n°6, qui sonne très contemporain).

L’interprétation de Federica Artuso est tout à fait remarquable, elle fait vraiment corps avec cette musique. Ma seule réserve vient du choix d’une guitare René Lacote de 1830, que je trouve, personnellement un peu mate, manquant de coffre. La prise de son est très claire.

Une grande partie des oeuvres de la compositrice a été perdue. Ce qui est ici reproduit en constitue qu’une production fort incomplète de la créatrice.

Cependant, ce double album permet à Emilia Giuliani de prendre place parme les grands compositeurs pour guitare seule.

J.M. Dauriac (pour le magazine Clic.Musique!)

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La joue droite a déjà été tendue…

Sur La déferlante – Cette crise qui a révélé les évangélique

Samuel Peterschmitt avec Kévin Boucaud-Victoire

Mulhouse – Editions Première Partie  / Philadelphie –  2020

La crise sanitaire du Covid19 a commencé par la désignation d’un bouc émissaire très pratique : l’Eglise de la Porte Ouverte Chrétienne de Mulhouse. En effet celle-ci avait tenu son rassemblement de prière annuel du 17 au 21 février, lequel avait rassemblé 2 000 personnes. D retour dans leurs lieux de vie respectifs, de nombreux participants se sont avérés être infectés par ce virus que l’on découvrit début mars. Il n’en fallut pas plus pour en faire le foyer initial de diffusion du virus ! Alors que l’on sait maintenant que la source première est sur une base militaire de l’Oise. Peu importe : Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !

Ce sont ces circonstances qui ont amené le pasteur Peterschmitt à publier ce livre, qui est un long entretien en quatre chapitres. Non seulement, l’accusation portée contre son église est fausse, mais elle est stupide : en effet, à cette date, aucune précaution n’était demandée, puisque le gouvernement croyait à une « grippette » et que dans le même créneau, Monsieur Macron prenait un bain de foule à Mulhouse justement. Mais on comprend bien que les évangéliques, ces chiens galeux du domaine religieux français (juste avant les islamistes radicaux dans la hiérarchie), faisaient des coupables idéaux.

Je ne vais pas développer la contre-argumentations, très solide, que le pasteur développe dans le premier chapitre, il faut le lire. Disons simplement qu’il rappelle que sa communauté a payé un très lourd tribut au Covid19, avec 26 décès. 18 membres de sa famille, dont lui-même, ont été malades.  IL ressort de cet épisode qu’il ya effectivement un climat anti-religieux de plus en plus net en France et que les évangéliques, accusés d’être des suppôts des Américains et des dangereux sectaires sont des cibles récurrentes de journalistes totalement incultes en sciences religieuses et qui ne prennent même pas la peine de combler leurs lacunes abyssales et de rencontrer les intéressés. Ils découvriraient alors que les évangéliques sont d’abord des protestants, mais sur une autre ligne de vie et de lecture de la Bibles que les luthéro-réformés historiques de France. N’est-ce pas le propre du protestantisme d’être cette galaxie de foi qui ignore hérésie et pape ?

Le premier chapitre du livre est donc consacré à un retour sur la crise et ses contre-vérités. Toute personne intelligente qui se tient vraiment au courant d e l’actualité sait qu’il y a eu emballement et mensonge, intentionnel ou pas. Samuel Peterschmitt remet les pendules à l’heure de manière très claire et sans aucune animosité.

Le chapitre 2 fait un historique de cette église bien française, que les médias appellent « mégachurch » par emprunt au contexte américain, alors que personne en songe à nommer ainsi Notre dame de Paris quand elle contenait une telle foule de fidèles. Il y a donc bien intention de nuire et de déconsidérer. Face à cela, le pasteur raconte une histoire familiale, cette église ayant été créée par son père et sa mère. Ce qu’il narre est le destin classique des communautés protestantes indépendantes depuis au moins deux siècles en France (disons depuis Napoléon et le Concordat de 1805). Son récit établit le caractère français, et même alsacien, de cette communauté, qui a grandi au fil des années ; Ceci en grande partie par l’adaptation de ses dirigeants à la mentalité et aux techniques modernes – les évangéliques sont les plus pointus en technique mise au service de la diffusion de l’Evangile. Il rappelle qu’aucun euro n’est d‘origine étrangère et que la règle des évangéliques est l’autofinancement, par une consécration matérielle plus forte que les Eglises historiques.

Le chapitre 3 est peut-être le plus important, au point de vue de l’histoire des religions et de la théologie. Il s’agit en effet d’un exposé très vivant de ce qu’est la théologie évangélique, dont le point d’ancrage principal est une lecture très fidèle des textes –parfois littérale, ce qui pose alors problème – , avec une foi dans l’inspiration totale des Ecritures, selon le principe herméneutique de non-contradiction interne de la Bible. Il serait dangereux de ne voir que les points de divergence, alors que la part la plus importante des croyances est d’origine calviniste. Les évangéliques sont d’abord des protestants, mais qu’il faudrait rattacher plutôt aux anabaptistes et aux hussites qu’aux luthériens. Je recommande cette lecture à tous ceux qui veulent dépasser les fausses informations et les approximations.

Le dernier chapitre élargit le propos à la place des évangéliques dans la cité.  Là encore, les propos battront en brèche des clichés répétés ad nauseam. Il est courant de répéter que les évangéliques sont des sectaires qui vivent en circuit fermé, ne se préoccupant ni de la vie politique ni de la vie sociale non-chrétienne. En décrivant simplement ce qui est fait dans le cadre de cette paroisse, l’auteur coupe l’herbe sous le pied à ce type de discours mensonger. Il faut oser affirmer que le monde – et singulièrement la France ! – irait beaucoup plus mal si les chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes…) cessaient de faire tout ce qu’ils accomplissent d ans le domaine social. Et cela dure au moins depuis la chrétienté médiévale, pour en pas remonter à l’Eglise Primitive.

Le livre se termine par une déclaration circonstancié de Jonathan Peterschmitt, le fils de Samuel, médecin, qui revient sur l’épisode du Covid19.

Voici donc un livre fort utile et très opportun, qui vient à point nommé détruire toute une série de contre-vérités (pour ne pas dire de mensonges et calomnies divers) par la force du témoignage. Nul besoin d‘être un fan de La Porte Ouverte Chrétienne pour l’apprécier (ce n’est pas du tout mon cas personnel) ni même d’être croyant pour y saisir l’information authentique sur le mouvement religieux qui croît le plus dans le monde depuis des décennies. Le succès fait forcément des jaloux et suscite des haines. Mais être chrétien évangélique ne signifie pas se laisser calomnier sans rien dire, en supportant au nom du Christ. Le combat pour la vérité est essentiel au christianisme.

J’ajouterai enfin, que ce livre, écrit avec la collaboration d’un journaliste professionnel appartenant à la rédaction de l’hebdomadaire Marianne, se lit très facilement, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.

Jean-Michel Dauriac

Théologien protestant

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