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Catégorie : les livres: littérature

La maison du retour (J.P. Kauffmann)

La maison du retour

J.P Kauffmann Nil éditions 2006 296 p

Peut-on dire d’un livre qu’il est gracieux sans que cela soit immédiatement compris comme une minoration ? Ce livre a de la grâce. Le contraire de la lourdeur, de la mécanique et de l’écriture au kilomètre.

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Il ne s’agit nullement d’un roman, comme le titre pourrait le laisser croire. Je n’ai pas lu les autres livres de Kauffmann (mais je vais sans doute revenir sur mes pas en la matière), et cependant j’ai l’impression que de puis « Le bordeaux retrouvé », son premier livre après sa captivité, dont il nous livre la genèse et le décor d’écriture, il ne fait que creuser le même sillon, comme tout « auteur » tel que les « Cahiers du cinéma » ou « Télérama » les définissaient en leur temps. Mais fait-on autre chose qu’arriver ? comme le chantait si bien Jacques Brel ? Ce n’est donc pas un roman. Ce n’est pas un essai non plus, il n’y a la aucune place pour un raisonnement et une démonstration thématique. Et pourtant elle y est, solide mais tacite. Peut-être est des mémoires ? Je dirais plutôt que c’est un récit de reconstruction, tout à la première personne. Les écrits que je préfère sont ceux-là : les auteurs ne se dérobent pas derrière ce vous impersonnel de l’université ou ce « on qui est un con » comme le rappelle Kauffmann au détour d’une page. Tu écris, alors signe de ton nom, à la pointe de ton bic ou de ton Mont-Blanc, les mots que tu faits naître.

J.P Kauffmann raconte un récit en trois ou quatre mouvements. J’appellerais d’ailleurs assez volontiers ce livre « Concerto pour survivan, maison de campagne et personnages classiques ». J’ai en effet été sensible à la construction musicale de l’ouvrage, à ces échanges permanents entre lui et les autres, réunis en orchestre complet ou en duo, triplette… Thème de l’œuvre résumé parfaitement par le titre. Au retour de ces trois années de captivité au Liban, dont toute la France se souvient encore, il lui est impossible de recommencer comme avant. Il est convalescent comme il l’écrit et doit gérer ce retour. Il cherche alors la maison qui va être ce lieu de retour au monde, faute de ne jamais pouvoir être un retour à la normale. Et il la cherche finalement dans l’endroit le plus improbable apparemment : les Landes de Gascogne.

Le premier mouvement est la quête de la maison. Exposé du motif et échange mélodique à trois voix : Jean-Paul, sa femme Joëlle et le marchand de biens local, Lapouyade. Une partie très british par son humour pince-sans-rire. Le personnage de Lapouyade évolue au fil des reprises du thème, prend de l’épaisseur, du mystère et finit par devenir un des leitmotfs du livre. Et comme dans les bons drames, c’est au moment le plus inattendu, alors que nous n’espérons plus que LA maison choisit son nouveau propriétaire. « Les Tilleuls », une ancienne maison de maître inhabitée depuis la seconde guerre mondiale où elle a servi de lupanar de luxe à l’armée allemande. Pourquoi elle ? Parce que c’était elle simplement… évidence spirituelle et magnétique.

Le second mouvement pourrait être titré à la Berlioz : « Castor et Pollux refondent Les Tilleuls ». C’est la période originelle, fondatrice, celle dont on sent bien qu’elle fut la préférée et la meilleure de l’auteur. Il s’installe dans cette maison en chantier et «surveille » les deux ouvriers portugo-landais qui retapent le lieu sous la conduite d’un ami architecte, Urbain, un autre des leitmotifs du livre, qui sera d’ailleurs croisé à la fin avec Lapouyade dans une sorte de choral polyphonique conclusif ouvert. L’homme blessé se réconcilie avec cette nature landaise et avec ses semblables fréquentés à dose homéopathique. Un beau mouvement où Haydn et Virgile sont les refrains onsédants du rite quotidien. Et puis un jour la nouvelle tombe : les travaux sont terminés.

Troisième mouvement : «Et la maison devint familiale… ». Ce qui aurait pu être le énième discours sur le retour au vert d’un bourgeois cultivé urbain est transcendé. Et c’est là qu’est atteint le style « gracieux » qui fait effectivement songer autant à Haydn qu’à Mozart. A aucun moemnt il n’est question d’une « résidence secondaire », de fiestas entre copains, de « décompresser de la vie trépidante de la ville ». Grâces soient rendues à Jean-Paul Kauffmann de nous éviter cela. Par contre il sait comme je l’ai rarement lu traduire les états d’âme de l’homme mûr face à son passé, aux livres, aux lieux et aux autres hominiens. Le repas de crémaillère peut devenir un texte à étudier en classe, si l’on étudiait encore vraiment la littérature au lycée ! Il y a du Stendhal dans ces pages ! Corrosion du propos habillé de mots si légers et de phrases si ciselées que l’on peut passer à côté sans la voir, un peu comme le reste de blockhaus qui jouxte « Les Tilleuls ». On peut investir un lieu, lui prêter son âme, mais il garde avant tout la sienne. Il faut savoir trouver les mots, les images pour traduire cela. Kauffmann l’a fait et réussi.

Quatrième mouvement : « Et l’homme se retourna sur les années passées aux Tilleuls ». Seize années plus tard il entame le final. Il est plus grave, une sorte d’adagio que je qualifierais de « mahlérien ». Les thèmes des autres mouvements sont repris, tissés, enrichis. Les voix du chœur entrent en jeu. La cathédrale résonne de la vie retrouvée, mais pas la même. Magnifique exercice de pudeur et de dévoilement mêlés. Lapouyade et Urbain reviennent, enrichis des Voisins ; un petit rappel du second mouvement fait entendre finement et brièvement les hautbois de Castor et Pollux. Et tout s’embrasse doucement dans l’air final que j’ai envie d’appeler « le chant du métier de vivre ». Quel beau texte ! Je me permets de le reproduire ci-après. S’il ne devait rester que cela de ce livre ce serait une grande réussite déjà ! Mais déjà la note dernière meurt doucement dans un murmure.

On sort de ce livre en appesanteur, comme séparé du monde, exactement comme l’auteur se définit lui-même, spectateur reculé mais non absent. Les livres gracieux sont rares, raison de plus pour se les conseiller dans un bouche à oreille gourmand. De plus, c’est une évidence mais il faut la formuler : les Landes sont le support principal de ce concerto intimsite. Et pas les Landes des stakhanovistes du kilométrage qui n’y voient efffectivement que pins ennuyeux et maïs aquavores. Non, les Landes d’Arnaudin, Manciet et Fénié, celles qui ne livrent qu’après de longs préliminaires et une cour patiente, les Landes secrètes que Lapouyade et Urbain personnifient à merveille dans ce récit.

Un bien beau livre, comme dirait ma concierge qui écrit des critiques dans « Gala » !

J.M. Dauriac

Quelques extraits :

Il est beaucoup question des livres et de la lecture dans cet ouvrage, car J.P. Kauffmann a tenu le coup lors de sa détention grâce aux quelques livres qu’il a pu obtenir. Mais son rapport à la lecture est ensuite devenu beaucoup plus distant pour ne pas dire faible.. Il écrit :

« L’épineuse question des livres, jamais résolue se pose à tout Occidental alphabète autour de la cinquantaine qui pendant toute une vie accumule des bouquins et répugne à s’en séparer. Les résidences secondaires sont justement faites pour cela : desserrer la pression de cette force qui menace et rassure. Un moyen élégant de les mettre en maison de retraite. On leur fait de temps à autre une visite, on se persuade qu’on garde le contact. » page 113

Un aphorisme élégant :

« Ce qu’on espère est toujours plus beau que ce que l’on conquiert. » page 201

Une belle explication culturelle référentielle :

« Je me souviens de ce passage de « Rhizome » [de Gilles Deleuze et Félix Guattari] montrant que « l’arbre a dominé la réalité occidentale et toute la pensée occidentale » et que le rhizome, système auquel obéit le bambou, s’oppose à ce modèle. Voilà peut-être l’explication : je suis un Occidental indécrottable, incapable de concevoir la richesses et la complexité de la structure rhizomique, propre à l’Orient. Chaque matin, armé d’une cisaille, je m’attaque aux bambous. » page 209

A propos de la propriété et de la richesse, alors qu’il vient d’acquérir une parcelle de plus pour protéger sa maison des constructions potentielles :

« Ce qui est souvent déplaisant chez les gens riches, c’est la présomption possessive. Ils sont convaincus que tout est réglé, qu’ils jouissent pleinement de leurs richesses, que leur bonheur dépend de ce qu’ils possèdent. D’avoir du bien les persuade qu’ils sont bien. A trop pratiquer l’auto-suggestion, ils deviennent pathétiques ou odieux. » page 243.

Et pour finir, le choral évoqué plus haut sur le métier de vivre :

« En dépit des menaces, mon existence est portée plus que jamais par le désir de vivre, de sentir, de regarder. Surtout de regarder car je suis devenu un spectateur irrassasiable du monde. Cette disposition, je la dois à la maison dans la clairière. Aux Tilleuls, j’ai pris conscience de cette évidence : être vivant suscitait en moi une joie invincible. Maintenant la course des jours s’accélère, la carcasse geint, l’esprit se dégrise, la parole rabâche, mais l’âme garde intacts son ardeur et son élan vital. Rien ne peut résister à une telle alacrité.

La vie est-elle un métier ? J’ai lu avec passion le journal de Pavese, « Le métier de vivre » qui s’interrompt le 27 août 1950 avec le suicide de m’écrivain dans une chambre de l’hôtel Roma à Turin. Me livre se termine ainsi : « Pas de paroles. Un geste. Je n’écrirai plus. »

Pourtant il a inscrit cette phrase : « L’unique joie au monde c’est de commencer. » Ce monologue sans faits, sans anecdotes, presque sans noms de personne est admirable.


Vivre. A l’évidence, Pavese n’avait jamais eu la vocation (n’a-t-il pas écrit un recueil de poèmes intitulé « Travailler fatigue » ?). J’aime ce métier. Malgré la violence et la vulgarité de ces « sombres temps », le principe vital est plus ardent que jamais. Le métier de vivre est pourtant pénible. On s’y éreinte. C’est souvent répétitif. Mais pour rien au monde je ne renoncerai au charme douloureux de ma condition d’homme.

Un regret cependant : à peine a-t-on acquis quelque compétence qu’il faut partir. L’emploi est beaucoup trop provisoire, c’est vrai, mais il me procure souvent de l’allégresse. Pas l’allégresse du travail bien fait car il estimpossible d’exercer ce métier avec compétence. Ce sont néanmoins ces moments-là que je désire retenir.

Je sais qu’il ne faut pas trop s’attacher : « Celui qui aime sa vie la perdra » assure l’apôtre Jean. » pages 277-278.

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Voyage aux pays du coton – petit précis de mondialisation – Erik Orsenna – Fayard- 2006

Ce livre sort quasi-simultanément avec un film diffusé sur Arte sous le titre “Les routes du coton??, dont Erik Orsenna est l’auteur, assisté d’un cinéaste pour les prises de vue.

L’idée de ce livre est lumineuse et extrêmement simple, pour ne pas dire évidente Et comme beaucoup d’idées simples , elle est extrêmement efficace. Si j’avais 18 ans, je dirais « méga géniale », mais je ne crois pas que Monsieur Orsenna, de l’Académie Française, apprécierait cette hyperbole galvaudée.

Donc l’idée : pour comprendre la mondialisation et les problèmes qu’elle engendre, rien de tel que de s’attacher à un de ses produits de base et en suivre les sinueux chemins sur un globe maintenant totalement interconnecté à tous les niveaux. Deux élèments importants : bien choisir le produit pour que tout le monde puisse se sentir concerné, et savoir établir un périple démonstratif sans être pesamment didactique (version IUFM, tout à fait par hasard).

Bingo pour les deux choix ! Le coton est une fibre universellement portée dans le monde et depuis des lustres, bien avant l’invention de la « mondialisation ». On ne peut donc accuser l’auteur d’avoir succombé à la tendance moderniste en choisissant Apple ou Mac Donald’s. Un produit utile et vital, une plante qui fait vivre des centaines de millions de paysans dans le monde. Mais aussi un enjeu de pouvoir dans le contexte actuel de domination des marchés par les pays de la Triade.

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Le périple effectué est vraiment mondial, entraînant le lecteur sur tous les continents, l’amenant à côtoyer des gens de toutes conditions, confessions et langues. Pas de hiérarchisation spatiale, pas de jugement européocentriste. Juste un voyageur curieux qui cherche à comprendre. Qui nous amène avec lui et nous aide ainsi aussi à comprendre.

Car ce livre est d’abord un bon représentant de ce que les libraires rangent aux rayons « littéraures de voyage » ; il faut aujourd’hui que votre livre puisse rentrer dans un des rayonnages, sinon, il est immédiatement voué à l’oubli dans les sables mouvants des « divers » où personne n’ira jamais exhumer son corps. Les étapes nous font ainsi découvrir le Mali, les Etats-Unis, le Brésil, l’Egypte, l’Ouzbékistan et la Chine. Pour s’achever dans nos Vosges. Chaque étape permet à l’auteur de brosser un rapide portrait des lieux et des hommes. Rapide, mais pas superficiel. Un angle de vue assumé, en liaison avec le thème traité sur chaque lieu. Mais, à côté du coton, on pourra glaner de belles images. Ainsi va la description de la mer d’Aral par notre enquêteur. Ou celles des campagnes chinoises de l’est emportées dans la surchauffe économique.

L’enquête sur le coton est donc traité thématiquement à chaque pays visité. Toute visite commence par une petite carte de géographie. Merci monsieur Orsenna de rappeler que l’espace n’est pas aboli. Le Mali montre bien le risque très proche d’une privatisation de la filière cotonnière, tout comme l’importance de cette culture pour ceux qui la pratiquent. On mesure aussi dans ce pays que l’apparente exclusion des fruits de la mondialisation ne protège nullement de ses coups. Aux Etats-Unis surgit l’énorme contraste entre une fibre qui est tout sauf naturelle, sans qualité remarquable, et le poids du lobby cotonnier. Nulle part ailleurs dans le monde ne semble être plus appropriée l’expression « guerre économique ». Au Brésil Erik Orsenna est vraiment impressionné par la puissance de l’agriculture du pays, par sa recherche en la matière, par le libéralisme total qui imprègne les acteurs de la filière. L’Egypte, fière de produire le meilleur coton du monde (mais les Maliens disent la même chose !) assiste sans défense à la conquête des terres par la péri-urbanisation. Le passage en Ouzbékistan fait bien prendre conscience de l’enjeu écologique dans cette région du monde. Un pouvoir totalitaire et populiste monopolise les recettes du coton pour faire tourner l’Etat. Pendant ce temps les sols s’appauvrissent, l’eau est gaspillée, mais le jeu politique continue à primer. La Chine permet de pointer cette incongruité que l’auteur nomme « Un capitalisme communiste » et que les gérontes du PPC ont baptisé « Socialisme de marché », avec cet art de l’oxymore qui n’appartient qu’à eux. On sent Orsenna à la fois fasciné et effrayé par l’empire de la chaussette ou les palais commerciaux. Le retour dans les Vosges met en face de la concurrence sans pitié et de ses conséquences à nos portes.

La large production sur la mondialisation nous a habitués à des brulôts pro- ou anti-. Ici pas de ça. La méthode « Orsenna » consiste à jouer les faux-naïfs et à poser de temps en temps quelques questions qui dérangent. Quitte à se faire refouler. Pas de jugement moral, pas de grandes bannières agitées. Juste un état des lieux en forme de tour du monde. L’auteur pense que le lecteur est assez intelligent pour se faire lui-même son opinion. A cet égard le chapitre appelé « Le jardin des retours » est fort intéressant. Pour ou contre la mondialisation, Orsenna ? Eh bien vous ne saurez rien de tel à la fin de votre lecture. En fait, sans doute parce que lui-même ne le sait pas. Cette attitude réflexive est à coup sûr la bonne face à la complexité de la mondialisation. Il serait si facile de prendre la défense du Mali contre les méchants ogres américains. Mais aussi tellement réducteur. Car le Mali a besoin que son coton se vende dans le monde, il veut être de cette mondialisation-là. Mais il n’est rien sans les puissants pays du Nord. Son destin a partie liée avec eux. Voici le nœud gordien de la mondialisation : cette machine parfois si monstrueuse est aussi l’objet de tous les désirs.

Ce livre a, de surcroît, une qualité ultime que j’ai gardée pour la bonne bouche. C’est une livre d’écrivain, et non un livre écrit par un monsieur qui écrit des livres. Tout amateur de beau style comprendra très vite de quoi je parle. Obligé de lire, par raison professionnelle, de très nombreux essais, je suis frappé par la médiocre qualité rédactionnelle de la plupart des auteurs. Comme si la pensée analytique n’avait nul besoin d’une esthétique, ou peut-être parce que ces auteurs ne savent pas mieux écrire. Quel vrai plaisir de gourmandise lectrice que ce livre-là ! non que l’on soit emporté dans un lyrisme déplacé. Mais il est manifeste que l’auteur a travaillé ses phrases, sa construction, ne perdant pas son talent d’écrivain parce qu’il écrivait un livre à caractère documentaire. Il est donc possible d’écrire bien dans un essai ! Qu’on se le dise dans les universités et autres EHESS !

« Voyage aux pays du coton » pourrait devenir une référence, créer un nouveau genre, un peu comme « L’usage du monde » de Bouvier a fait date. Demain les essais documentaires seraient scénarisés et bien écrits, visant à parler de faits majeurs et complexes à un vaste public sans lui faire la morale ou l’abreuver de jargon universitaire débile. On peut toujours rêver !

Jean-Michel Dauriac

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Les gens de Chiusa

Les gens de Chiusa – Andreas Maier – traduction de Florence Tenenbaum – 197 pages – Actes Sud – 2006

Une vallée de montagne dans le Tyrol du Sud ou Haut Adige (selon les points de vue, et cela est capital dans ce roman). Une petite ville appelée Chiusa. Une population germanophone très largement dominante mais italienne, dans un espace qui fut l’enjeu de rivalités guerrières entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Quelques jours de la vie de cette communauté. Le genre choisi : la farce littéraire.

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Voici comment on pourrait situer rapidement ce roman allemand. De l’intrigue, il est difficile de faire un résumé. Car il ne se passe pratiquement rien de réel. Tout le contenu du livre rapporte des rumeurs, propos insipides de taverne ou supputations d’imbéciles. Les personnages sont des ectoplasmes caricaturaux, des sortes de vignettes de BD. Si l’on veut cependant donner un thème au lecteur, il serait le suivant. Il semble que la vallée soit partagée entre partisans d’une croissance économique moderne destructrice de l’environnement spécifique, dont le symbole serait l’autoroute du Brenner et son viaduc, et adversaires de celle-ci, défenseur d’une virginité montagnarde idéalisée. Le clivage est également ethno-linguistique, puisque les « nostalgiques » sont germanophones et se sentent toujours autrichiens alors que les « progressistes » sont italiens ou collaborateurs de ceux-ci. L’acte suprême de l’action sera une tentative ridicule de faire sauter le viaduc autoroutier. Le toute st raconté sous la forme littéraire de la farce. Il est donc légitime que les traits soient grossis à l’excès et que tout soit caricatural.

Ce qui me gêne vraiment dans ce roman réside dans un double défaut, du moins de mon seul point de vue de lecteur assez chevronné.

D’abord, le parti pris formel. Tout le roman est écrit au style indirect, d’une seule traite, sans aucun chapitre. Ce double choix rend la lecture indigeste, ne permet pas de faire des pauses repérables, comme dans un texte chapitré. Mais comme l’essentiel du livre consiste en des échanges de propos, le procédé devient rapidement insupportable. Andreas Maier n’est pas G. Pérec, capable de maîtriser un procédé aussi contraignant que l’absence des « e » dans « La disparition » ; très vite la lecture est pénible. En plus, le style n’est guère alléchant, assez pauvre, peu varié dans ses ressources. Je ne crois d’ailleurs pas ici que ce soit un défaut de la traduction. Plutôt une marque de fabrique et un choix de l’auteur.

Ensuite le contenu du livre . On a bien vite compris que nous sommes à la croisée des chemins entre « Clochemerle » et « La guerre des boutons », mais en beaucoup moins drôle. La répétition incessante des mêmes portraits ridicules lasse très vite. Et j’avoue n’être allé au bout que pour savoir s’il n’y avait pas une rédemption finale de l’auteur. Eh bien non ! Personnages caricaturaux et absence d’intrigue réelle sont certes des éléments de post-modernité, mais que c’est ennuyeux ! Alors vive Flaubert, Blazac ou Tolstoï. La fascination évidente que Kafka exerce sur Maier est hélas ! improductive. On n’écrit pas « Le procès » comme cela ! L’absurde monde de la vallée de Chiusa ne nous interpelle pas ; il est ridicule, il ne suscite aucune peur, aucune réminiscence en nous. On peut légitimement être vite indisposé par ce mépris affiché des discussions banales qui font le quotidien des gens ordinaires. On ne peut pas passer sa vie à disserter au café sur « l’ontologie d’Heidegger », comme aurait pu le faire Zanetti, un des protagonistes italiens du roman.

Au total, si je devais résumer trivialement mon opinion sur ce livre : un roman chiant ! Un bon reflet de la diarrhée éditoriale française. On peut éviter ce roman sans aucun remords.

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