Joseph – Marie-Hélène Lafon
Buchet-Chastel – 2014
140 pages – 13 E
Un grand livre n’est pas forcément un gros livre. Le « Joseph » de Marie-Hélène Lafon le manifeste parfaitement. En effet, il lui suffit de 140 pages pour nous marquer durablement et pour que son ouvrier agricole de Joseph s’installe dans notre mémoire et notre cœur.
Et pourtant, quelle économie de moyens ! L’auteure réussit à écrire comme cet homme simple du Cantal dont elle nous livre un peu comme un puzzle l’existence humble de serviteur des propriétaires terriens locaux. Cet exploit est du même acabit que celui de Marcel Pagnol dans ses quatre volumes de souvenirs d’enfance (« La gloire de mon père » et la suite…), lorsqu’il a réussi de manière absolument bluffante à écrire avec la fraicheur d’un gamin de douze ans. Ici, nous avons vraiment l’impression de lire le récit autobiographique de Joseph. Même le faux désordre narratif est crédible de ce point de vue. Il y a quelques années, Marie-Hélène Lafon a reçu le prix du style – en 2012, pour « Les pays » -, ceci n’étonnera nullement le lecteur de ce livre : il faut effectivement une splendide maîtrise de l’écriture pour arriver à adapter ainsi l’écriture au sujet, au double sens du terme.
L’histoire est plus que vraie, elle est authentique, même si imaginaire. A ceux qui ont connu cette race d’ouvriers agricoles à l’ancienne, elle distille un parfum acidulé de madeleine de Proust. Ce Joseph, plus vrai que nature, je l’ai connu dans mon enfance en terres vigneronnes de l’Entre-Deux-Mers ; cet homme qui se fond dans l’exploitation au point d’en devenir une composante a existé en milliers d’exemplaires, il y a encore quelques décennies. Homme de peine, il ne compte pas ses heures ; seul le dimanche lui appartient vraiment. Il est comme un homme sans origine, ni histoire personnelle, il est le concept vivant de l’ouvrier agricole. L’auteure parvient à nous faire partager son trouble et la manière dont il refoule ses émotions, comme s’il n’y avait pas droit, sauf quand sa concubine s’en va avec un représentant de commerce et emporte même ses pauvres meubles personnels. Là, il entre en alcoolisme, comme son père et son grand-père avant lui. IL ramasse des cuites homériques, mais il n’a pas le vin mauvais. Même les gendarmes du coin le savent et veillent sur lui, jusqu’à ce qu’un nouvel officier ne lui retire définitivement son permis et l’enchaîne encore plus à la glèbe auvergnate. Trois cures de désintoxication plus tard, Joseph est sobre et attend sans surprise la retraite et la maison qui va avec à Riom. Sa famille est lointaine – ce frère jumeau parti réussir sa vie de cafetier à Rouen qui lui enlève même sa mère, qui meurt là-bas -, seul pôle familial qui lui restait. Joseph est seul, il va vieillir et mourir seul. Une petite vie en apparence. Mais une vie quand même, qui cache ses drames et ses joies
J’ai songé au très beau livre d’Emile Guillaumin, « La vie d’un simple », en lisant Joseph. Peu d’écrivains ont su s’intéresser à ces « gens de peu » de la terre, comme disait Pierre Sansot. Marie-Hélène Lafon en fait dorénavant partie et avec brio. Grâce lui soit rendue pour les quelques heures de bonheur qu’elle m’a données. Je relirai « Joseph » quand je voudrai me convaincre de l’humanité profonde de toute personne.
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