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Comment les riches détruisent la planète – Hervé Kempf – Le Seuil

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Ce petit livre (125 pages de texte rédigé) traite en fait d’une seule idée, importante, à laquelle le titre ne rend pas forcément justice. En le lisant, en effet, j’ ai plutôt songé à un ouvrage des Editions Sociales (éditions du PCF) de la grande période Georges Marchais. Il y a comme un relent de lutte des classes dans ce titrage. Or, la lecture de l’ouvrage ne correspond nullement à une quelconque approche nostalgo-marxiste de la question traitée. Le sujet est extrêmement contemporain, mêlant mondialisation et crise de l’environnement mondial. L’ouvrage a le grand mérite d’apporter une pierre au débat qui doit avoir lieu et de mêler de manière indissoluble le social (pour ne pas dire clairement le politique) et l’écologie.

L’idée de ce livre: la croissance est à remettre en question car elle mène à la ruine finale de la planète. Or, ce sont les dirigeants de tous types, l’oligarchie mondiale, qui consomment le plus et fixent les modèles que s’évertuent à copier les strates sociales inférieures de proche en proche. Il faut donc réduire la consommation des hyper-riches et de leurs copieurs pour infléchir le modèle et couper une croissance liée au gaspillage.

Sur l’idée principale, telle que résumée ci-dessus, je n’ai rien à redire: il s’agit d’un constat d’évidence. Revenons un peu sur la démarche et sur le contenu, avant de formuler un avis global sur ce livre.

« Mais on ne peut comprendre la concommitance des crises écologique et sociale si on ne les analyse pas comme deux facettes d’un même désastre. Celui-ci découle d’un système piloté par une couche dominante qui n’a plus aujourd’hui d’autre ressort que l’avidité, d’autre idéal que le conservatisme, d’autre rêve que la technologie » page 9

Il y a effectivement un évident lien entre les menaces diverses et cumulables sur la Terre, notre cadre de vie et la façon dont nous vivons, c’est à dire en sociétés organisées plus ou moins coordonnées. C’est la grande faiblesse, et pour tout dire la vanité, de la démarche de Nicolas Hulot de ne pas vouloir voir ce lien manifeste et de faire croire que tout le monde est responsable également et que l’on va s’en sortir par un effort commun. Le livre de Kempf dynamite le pseudo- consensus de Hulot.

Le premier chapitre déroule le scénario catastrophiste, celui qui hérisse tant les poils hirsutes de Claude Allègre. « La catastrophe. Et alors? » est son titre.Il place cette réflexion sous le double patronage de Michel Loreau, biologiste, et de James Lovelock, physicien et inventeur de l’hypothèse « Gaïa », qui considère la Terre comme un être vivant, avec toutes les conséquences possibles. Suivent ensuite les présentations des diverses composantes de la grande crise que nous sommes en train de fabriquer par notre oeuvre:le réchauffement climatique, la crise de la biodiversité, l’empreinte écologique globale, le choc pétrolier final… Il liste les divers scénarios possibles et montre que les réponses actuelles sont dérisoires, notamment en ce qui concerne cet objet non identifié qu’est le développement durable.

« Car personne ne peut croire que la célébration du « développement durable », qui se traduit par le mitage des paysages par les éoliennes, la relance du nucléaire, la culture des biocarburants, l’ « investissement socialement responsable », et autres démarches des lobbies en quête de nouveaux marchés puisse ne serait-ce qu’infléchir le cours de choses. Le « développement durable » est une arme sémantique pour évacuer le gros mot « écologie ». » page 33.

Et un peu plus bas:

« Le « développement durable n’a pour fonction que de maintenir les profits et d’éviter le changement des habitudes en modifiant, à peine, le cap. » page 33.

Ceci est vérifié par la défense de ce concept mou faite par des pseudo-écologistes comme Al Gore ou Claude Allègre, lesquels n’envisagent pas un instant de remettre en cause la croissance et donc les profits des bénéficiaires du système. Pour cela on minorise la crise par trois type de facteurs. D’abord, une approche économique qui se cache derrière la croissance du PIB, ensuite l’ignorance crasse des élites en écologie scientifique et enfin le mode de vie des décideurs complètement coupés de la nature et des problèmes concrets que rencontrent déjà les masses en lien avec cette crise écologique. Les défenseurs théoriques des masses, les partis de gauche, en l’espèce les socialistes sont également disqualifiés:

« Par ailleurs, le socialisme, devenu le centre de gravité de la gauche, est fondé sur le matérialisme et l’idéologie du progrès du XIXème siècle. Il a été incapable d’intégrer la critique écologiste. Le champ est ainsi libre pour une vision univoque du monde, qui jouit de sa victoire en négligeant les nouveaux défis. » page 36

Conclusion de cette présentation:

« Si rien ne bouge, alors que nous entrons dans une crise écologique d’une gravité historique, c’est parce que les puissants de ce monde le veulent. […] Candides camarades, il y a de méchants hommes sur terre. Si on veut être écologiste, il faut arrêter d’être benêt.

Le social reste l’impensé de l’écologie. Le social, c’est-à-dire, les rapports de pouvoir et de richesses au sein des sociétés. […]

Il faut sortir de ce hiatus. Comprendre que crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre. Et que ce désastre est mis en oeuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes. » pages 36 & 37

Tout à fait d’accord, camarade Kempf, mais pourquoi ne pas employer le bon mot pour désigner « les rapports de pouvoir et de richesses au sein des sociétés », à savoir le mot « politique ». Le problème évoqué est en effet clairement un problème de gouvernement, le social n’en étant que la traduction vécue. Je ne sais pas cette prudence sémantique.

Le chapitre suivant s’attache donc à lier crise sociale et crise écologique à partir de divers exemples vécus par l’auteur dans ses reportages pour « Le Monde ». Il commence par décrire la pauvreté à partir d’un exemple au Guatemala, puis à Paris. Il élargit ensuite cette analyse à l’Europe, en montrant ainsi les différentes facettes de la pauvreté. Puis il établit le constat de la progression inéluctable de la richesse depuis une vingtaine d’années. Autrement dit, le monde devient de plus en plus inégalitaire. Il introduit alors la notion, incontestable d’ « oligarchie mondiale ». Face à ce constat il n’y a donc qu’une seule solution pour atténuer les inégalités, « abaisser les riches ».

« D’abord mécaniquement, en abaissant le revenu médian: si le revenu global des riches diminue, ou si le nombre de riches diminue, le revenu médian s’abaisse. […]Ceci, qui heurte le sens commun, doit se compléter par une autre remarque: une politique visant à réduire l’inégalité chercherait aussi à renforcer les services collectifs qui sont indépendants des revenus de chacun. » page 54

Il fait ensuite le lien entre pauvreté et misère écologique:

« Deuxième constat: la pauvreté est liée à la dégradation écologique. » page 54

En Chine par exemple, le ministre de l’Environnement déclare en 2004, « L’environnement est devenu une question sociale qui stimule les contradictions sociales. »

Les pauvres sont en première ligne des victimes écologiques:

« L’impact du changement climatique s’exercera surtout sur les parties les plus pauvres du monde – par exemple en exacerbant la sécheresse et en réduisant la production agricole des régions les plus sèches – alors que l’émission de gaz à effet de serre provient essentiellement des populations riches. » page 56

Dans le chapitre suivant, Hervé Kempf s’intéresse aux puissants de ce monde, aux membres de cette oligarchie mondiale définie précédemment comme celle qui bloque toute évolution vitale du système-monde. Les grands patrons sont évidemment les premiers visés, avec des chiffres hallucinants d’augmentation de salaires, primes, retraites dorées et stock-options. En 2004 déjà on en était à 15 000€ par jour en moyenne pour les patrons du CAC 40.

« Entre 1995 et 2005, le revenu tiré des dividendes a crû de 52% en France, selon une enquête de l’hebdomadaire Marianne ; dans le même temps, le salaire médian a augmenté de 7,8% soit sept fois moins […] « Ce bénéfice ne résulte d’aucune prise de risque, d’aucun comportement entrepreneurial. C’est bien un enrichissement de rentier qui s’est fait sans effort », commente Robert Rochefort dans La Croix. » page 61.

Il y a même des personnes qui arrivent à gagner plus d’un milliards de dollars par an en revenu : il s’agit des dirigeants des meilleurs fonds spéculatifs américains. Ce phénomène touche tous les pays, y compris la Russie, la Chine, l’Inde. La planète compte actuellement environ 9 millions de millionnaires en dollars et tous les continents sont touchés, certes inégalement, car ils ne sont que 100 000 en Afrique. Cette classe verrouille totalement l’accès à son club, en particulier en rendant les études supérieures de haute qualité intouchables pour les revenus moyens. Elle se lance dans une course ostentatoire aux biens symboliques commes les yachts ou les résidences. On atteint là le ridicule le plus achevé mais dans un gaspillage coupable et scandaleux

Dans le chapitre suivant, l’auteur présente les travaux de Thorstein Veblen, américain né en 1857, professeur et chercheur en sociologie. Il publia en1899 un ouvrage appelé « Théorie de la classes de loisir » qui connut un grand succès, puis son auteur fut oublié. La théorie de Veblen est fondée sur le postulat que toute société humaine voit les classes sociales rivaliser entre elles et créer des besoins purement ostentatoires. Pour Veblen, il n’est nul besoin d’augmenter toujours la production, il faut au contraire fixer les règles de la consommation. La classe supérieure définit un type de comportement social et celui-ci est directement copié par la classe juste au-dessous de celle-ci ; de proche en proche tous les groupes agisssent de même. Sa théorie retrouve aujourd’hui une actualité aigüe et semble avoir été écrite pour notre oligarchie et ses imitateurs. Kempf décrit ensuite les riches du début du XXIème siècle, et plus particulièrement celle des Etats-Unis qui donne le la mondial. Après cela, il en vient à la question-clé :

« Pourquoi, dès lors, les caractéristiques actuelles de la classes dirigeante mondiale sont-elles le facteur essentiel de la crise écologique ? Parce qu’elle s’oppose aux changements radicaux qu’il faudrait mener pour empêcher l’aggravation de la situation. […]

Pour échapper à sa remise en cause, l’oligarchie rabâche l’idéologie dominante selon laquelle la solution à la crise sociale est la croissance de la production. Celle-ci serait l’unique moyen de lutter contre la pauvreté et le chômage. La croissance permettrait d’élever le niveau général de richesse, et donc d’améliorer le sort des pauvres sans –mais cela n’est jamais précisé- qu’il soit besoin de modifier la distribution de la richesse. » page 86

Ce constat est couplé aux dégat dûs à la croissance dans le champ environnemental. L’auteur en vient donc à poser les bonnes questions sur la croissance et la pauvreté.

« Alors ? La croissance réduit-elle l’inégalité ? Non, comme le constatent les économistes pour la dernière décennie.

Réduit-elle la pauvreté ? Dans la structure sociale actuelle, seulement quand elle atteint des taux insupportables durablement, comme en Chine, où même ce progrès atteint ses limites.

Améliore-t-elle la situation écologique ? Non, elle l’aggrave.

Tout être sensé devrait, soit démontrer que ces trois conclusions sont fausses, soit remettre en cause la croissance. Or on ne trouve pas de contestation sérieuse de ces trois conclusions dont conviennent mezzo voce plusieurs organismes internationaux et nombre d’observateurs. Et pourtant, personne parmi les économistes patentés, les responsables politiques, les médias dominants, ne critique la croissance, qui est devenue le grand tabou, l’angle mort de la pensée contemporaine.

Pourquoi ? Parce que la poursuite de la croissance matérielle est pour l’oligarchie le seul moyen de faire accepter aux sociétés des inégalités extrêmes sans remettre en cause celles-ci. La croissance crée en effet un surplus de richesses apparentes qui permet de lubrifier le système sans en modifier la structure. « pages 88-89

Si la croissance se réalisait dans l’immatériel, sans toucher aux ressources et au cadre de vie, elle pourrait alors être défendue, mais ce n’est pas le cas, quoiqu’on en dise, avec le discours sur le tertiaire et la nouvelle économie. Donc :

« Si l’humanité prend au sérieux l’écologie de la planète, elle doit plafonner sa consommation globale de matières, et si possible la diminuer. » page 90

Conclusion on ne peut plus limpide. « Mais les hyper-riches, la nomenklatura, se laisseront-ils faire ? » dit notre auteur. Là est la question.

Le chapitre suivant est sobrement titré « La démocratie en danger ». Dans ce chapitre Kempf démontre ce que des observateurs attentifs ont signalé depuis plus de cinquante ans, notamment Jacques Ellul, Cornelius Castoriadis ou Claude Lefort. Il y a autant à redouter de démocraties dévoyées que de dictatures.

« Plutôt que de dictatures aussi violentes [que celles d’Hitelr ou Staline], la classe dirigeante préfère l’abâtardissement de la démocratie. » page 93

Suit alors, après cette phrase, une longue citation d’Alexis de Tocqueville, d’une formidable clairvoyance sur l’individualisme développé par le capitalisme américain (pages 93-94). Kempf montre comment depuis le début du XXIème siècle, le terrorisme fournit un formiodable alibi à des masses effrayées par les médias au service de l’oligarchie. Les masses en venant elles-mêmes à réclamer ces mesures qui détruisent peu à peu les libertés fondamentales. De nombreux exemples sont cités, dont le Patriot Act des Etats-Unis, mais aussi les lois liberticides françaises depuis une dizaine d’années. La Russie ou l’Allemagne ont également la même démarche, tout comme le Royaume-Uni. La seconde arme des puissants est la prison. Les chiffres cités sont éloquents, que ce soit aux Etats-Unis, en France ou Allemagne. En brandissant le terrorisme comme menace, on en vient donc à criminaliser un peu partout la contestation politique. On élargit ainsi le fichier des prélèvements ADN selon le bon vouloir des autorités. La vidéo-surveillance apparaît alors comme le remède sécuritaire universel et tout le monde renchérit sur le Royaume-Uni et ses millions de caméras. Les diverses puces électroniques, cartes, téléphones portables organisent un gigantesque flicage de la société. Evidemment, Kempf est bien placé, étant journaliste, pour décrire la trahison des médias et leur rôle asservisseur dans cette caricature de démocratie. Il prend les deux exemples de la guerre en Irak et la presse américaine et du référendum sur la Constitution Européenne en France. Dans les deux cas, les médias reproduisaient des avis qui n’avaient rien à voir avec ce que les gens du pays pensaient vraiment. La conclusion de ce chapitre est donc que le capitalisme actuel et l’oligarchie n’ont plus besoin de la démocratie et qu’elle devient même un boulet. Il faut donc détourner l’attention de masses par une actualité catastrophisée, avec la complicité active des dirigeants ; mais pendant ce temps l’enrichissement continue. Or, la crise écologico-sociale (que Kempf traite dans un chapitre politique !) nécessite un processus décisionnaire démocratique pour réussir. Il faut un effort équitable de tous, ce que l’oligarchie ne veut absolument pas. On peut même craindre une forme de dictature volontaire sur la grave question écologique.

Il y donc urgence à agir et en premier lieu à débusquer trois principaux obstacles qui bloquent le chemin :

  1. la croyance en la croissance doit être combattue ;
  2. renoncer à croire que le progrès technologique va résoudre les problèmes écologiques
  3. Il n’y a pas de fatalité du chômage qui est aujourd’hui une variable d’ajustement du capitalisme.

Pour les dégâts mentaux de ces croyances, voir ma critique du livre de Claude Allègre, « Ma vérité sur la planète ».

Pour Kempf il y a un quatrième point à débloquer, la croyance entre une communauté de destin entre Europe et Amérique du Nord, croyance largement créée et soutenue par le lobby économique capitaliste des fMN.

Kempf liste ensuite les forces en présence, l’oligarchie d’abord, qui semble difficile à déstabiliser, puis les médias, leurs vassaux objectifs, vivant de la publicité pour le système, enfin la gauche, qui semble incapable de repenser sa place.. Il termine sur une petite note d’optimisme en mettant en avant la prise de conscience de plus en plus massive de la gravité de la situation écologique dans le monde. Il achève le livre par une parodie des chroniques de Marcel Dassault dans « Jours de France » qui n’apporte rien au propos.

Enfin, une vingtaine dep ages, (127 à 148) sont consacrées à des références, mélangeant articles de presse, livres… C’est confus et mal référencé, on n’a absolument pas envie de chercher à lire cela. Kempf aurait intérêt à revoir cette partie en reprenant les critères bibliographiques classiques dont il a, semble-t-il voulu se détacher à tort.

Un petit livre qui pose une bonne base de discussion, même s’il ne va pas bien loin sur les solutions : comment refaire de la démocratie, comment reprendre de le contrôle du pouvoir politique ? Quels moyens concrets de limiter ou désarticuler les oligarchies ? Quelle échelle de temps ? Pourquoi ne pas dire que c’est d’une révolution socio-politique qu’il s’agit ? Bref, un livre intéressant mais qui ne fera pas date.

Jean-Michel Dauriac – juillet 2007

Published in les critiques les livres: essais

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