Cet opuscule (115 pages) est un écrit qu’il faut lire dans un contexte précis, celui de la discussion autour de la énième loi sur la fin de vie, que le candidat à sa réélection E. Macron a promis de promulguer après une concertation de fond. Tant il sait fort bien que la France est profondément divisée sur ce sujet et que cette division ne recoupe nullement le traditionnel antagonisme droite/gauche, même si on peut en retrouver des traces dans les diverses positions.
Depuis près de 25 ans se livre une guerre d’influence autour de cette question, qui n’est autre que celle de la légalisation de l’euthanasie. Député-médecin, Jean Léonetti, catholique et de droite, a été à la base de deux textes majeurs en la matière, en 2005 et 2016. Ces deux textes créent un cadre légal sur ce qui était jusqu’alors une sorte d’angle mort de notre droit, car angle mort de notre morale commune. On ne voulait pas trop chercher à savoir comment mourraient certains de nos semblables atteints de pathologies incurables et très douloureuses. Le corpus des deux lois permet de définir des conditions claires de fin de vie, en accord avec les parties concernées. Malheureusement, des affaires privées très médiatisées, comme l’affaire Humbert, ont orienté le débat vers la polémique et l’affrontement. Enfin, il faut signaler le rôle de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui a su gagner la bataille des médias en enrôlant des personnalités dans son combat. Elle a largement concouru à « ringardiser » le refus de l’euthanasie en le confondant volontairement et spécieusement avec une position catholique traditionnelle. De plus, sa communication est entièrement axée sur la « dignité », qui consiste pour elle à mettre fin à sa vie selon son désir. Qui ne souhaiterait pas vivre « dignement » jusqu’au bout » ? Je n’entrerai pas ici dans un débat de fond sur les éléments du débat, je me borne à dire que les sondages en la matière ne peuvent en aucun cas être pris en compte, car on sonde un panel habituel, donc de tous les âges, donc des personnes dont un grand nombre n’est absolument pas concerné par ce problème et n’en a qu’une vision simpliste et mécaniste – on coupe le circuit s’il y des risques de pannes sûres. Je signale aussi que le choix de la dignité peut aussi être celui d’aller à sa fin selon le terme naturel, en soulageant la souffrance. Enfin, le clivage ne concerne pas que des « cathos tradis », mais aussi des gens qui pensent la vie et la mort, des philosophes, des médecins, des juristes, des humanistes… Le résultat final de la concertation sera sans surprise à attendre : la loi passera et légalisera le « suicide assisté », puisque, par le miracle de ce néo-puritanisme « woke », l’euthanasie et la mort ont disparu en tant que mots. L’ADMD s’en réjouira bruyamment et parlera d’une liberté fondamentale enfin reconnue, il y aura quelques protestations, sans doute des manifestations, mais on ne verra pas l’Intersyndicale bloquer la France, sur une loi pourtant bien plus importante pour nos concitoyens que la réformette des retraites voulue et aseptisée par Macron. Victoire totale du matérialisme sur l’humanisme. Bien sûr, cette liberté nouvelle n’obligera jamais ceux qui ne veulent pas en user à le faire, mais il faut garder dans un coin de sa mémoire que le problème démographique est totalement occulté de nos jours et que, lorsqu’il deviendra aigu, c’est lorsqu’il sera trop tard pour le régler convenablement et alors, rien ne nous garantit que le suicide assisté des très âgés et très malades ne sera pas institutionnalisé (revoyez Soleil vert de Richard Fleisher et ayez un peu d’esprit prospectif !)
Le docteur Grange, à gauche, et Régis Debray, à droite;
Ce livre s’inscrit donc comme une contribution à la réflexion. Il est, pour l’essentiel, le témoignage du docteur Grange, spécialiste depuis trente ans au sein d‘une USP (unité de soins palliatifs) de région parisienne. Sans discours politique, sans usage d’arguments filandreux, sans même citer l’autre alternative, il raconte ce qu’il connaît d’un accompagnement de fin de vie mené comme il le devrait être. Tout lecteur de bonne foi de ce témoignage ne pourra éviter de s’interroger personnellement sur sa position. Seuls les idéologues ne seront pas remués. Mais, depuis Lénine et Goebbels, on sait que l’idéologie et la propagande sont là pour tuer le recul critique. Fi donc des idéologues et place aux gens de bonne foi, souvent indécis, comme je le suis en tant que citoyen d‘une démocratie, même vacillante (j’ai dit citoyen, et non en tant que penseur, où ma position est nette). Lisez ce petit livre, entendez la voix, venue d’outre-tombe, de ces patients soulagés qui ont renoncé à la demande de mort parce qu’ils ne souffraient plus et pouvaient jouir de leurs derniers jours en toute lucidité. Ecoutez comment ce médecin raconte son propre parcours[1], allant de l’ignorance et indifférence à l’implication totale envers ces patients qu’on ne peut guérir, mais qu’on peut soulager, ce qui reste une œuvre médicale, alors que le suicide assisté ne peut pas, déontologiquement, être accompli par quelqu’un qui a prêté le serment d’Hippocrate. A chacun ensuite de prendre sa position.
La liberté est mon bien humain le plus précieux. Qu’une loi autorise l’avortement ne m’oblige nullement à approuver l’avortement, qu’elle autorise le suicide assisté ne fera pas de moi un de ses usagers. Ma perplexité est dans le corollaire de la liberté qui est la responsabilité, immense quand on touche à la vie. Une loi déresponsabilise totalement les esprits faibles : c’est autorisé donc c’est bien ! Légalisons les drogues et, demain, toute une partie de la population ne voudra pas savoir quels dégâts elles font dans la vie des addicts.
Bonne lecture et bonne réflexion. Jean-Michel Dauriac – mars 2023.
[1] La couverture porte le nom de Grange et Debray. De fait celui-ci signe seulement une postface, totalement dispensable après ce qui précède.
Simon Charbonneau – Libre et Solidaire, collection 1000 raisons, Paris, 2018.
Depuis pas mal d’années, Simon Charbonneau se dresse contre la pensée dominante. Il publie des livres dénonciateurs et d’avertissement. Celui-ci est le dernier en date. Il faut bien garder en mémoire qu’il a été écrit et publié un an avant la pandémie de Covid19. Celle-ci n’a fait que confirmer ses craintes et réaliser certaines de ses prédictions.
En une dizaine de chapitres thématiques, l’auteur aborde tous les grands thèmes qui sont en train de bouleverser notre société. Au cœur de son raisonnement se trouve la remise en question, par les faits, de la notion de Progrès, qui a structuré l’Occident depuis la fin du XVIIIe siècle et a fini par s’étendre, pour des motifs divers, à l’ensemble de la planète, par le biais, notamment, des colonisations. Il introduit sa démarche par la mise en évidence du grand basculement historique du XXe siècle. Ce moment est celui qui s’étale sur quelques décennies, entre les années 1960 et la fin du siècle. Durant cette période cohabitent deux visions du monde opposées : celle de l’optimisme lié à la croissance de l’après-guerre et celle qui émerge chez quelques scientifiques et économistes qui commencent à tirer la sonnette d’alarme, en vain. Le célèbre rapport Meadows du Club de Rome est le plus souvent cité, mais au même moment des savants comme Jean Rostand ou Jean Dorst publiaient des livres documentés sur les risques éthiques et la destruction de la nature. D’un côté, une vulgate pour répandre une confiance totale dans la science et la technique, capable de dépasser toutes les difficultés, et de l’autre des « prophètes de malheur » qui avertissent de risques graves jusqu’alors soigneusement tus. La candidature de René Dumont, en 1974, fait date, en ce domaine. Peu à peu le doute s’instille que le ver est peut-être déjà dans le fruit. Résultat :
« À l’évidence, il résulte de cette situation historique sans précédent, un sentiment individuel et collectif de perte complète des repères qui fondaient jusqu’à présent la solidité de nos sociétés. » p. 13.
Cette perte de repères n’est pas imaginaire, l’auteur va la décrire dans divers domaines, notamment le droit, qui est sa spécialité. Il argumente ce fait à partir du droit de l’environnement, où la confusion la plus totale règne, par l’empilement de textes contradictoires qui correspondent bien à la guerre d’influence des grands groupes capitalistes à Bruxelles. L’État de droit est, pour lui, une formule brandie, mais qui se vide peu à peu de son sens. C’est ici qu’interviennent les évolutions économiques des dernières décennies. Si Simon Charbonneau prend toute la mesure de la « révolution numérique », il laisse de côté la mondialisation, qui est pourtant le cadre qui a permis cet éclatement des sociétés. Il n’existe plus aujourd’hui aucune société indemne de la mondialisation : même la prison qu’est la Corée du Nord n’y échappe pas, pas plus que le Bouthan, pourtant si isolé et prudent. C’est ce rouleau compresseur qui a accouché de la numérisation et non l’inverse, la chronologie est ici très importante.
Cette situation où les États sont fragilisés et impuissants face à des firmes qui peuvent les mettre à genoux fait apparaître un nouveau totalitarisme, bien plus subtil que celui mis en évidence par Anna Arendt. Car il n’a pas la brutalité des grandes dictatures sanglantes du XXe siècle (URSS, Allemagne Nazie, Chine maoïste…). Il a réussi à asseoir son despotisme sur une servitude volontaire imperceptible à la grande masse des peuples. Et c’est là que le numérique joue son plus grand rôle : il est le bras armé de ce totalitarisme « soft », comme je l’appelle. Il est la quintessence de l’âge technicien dénoncé et annoncé par Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, « vox clamentis in deserto » à leur époque. En mettant en évidence les avantages, réels ou supposés, de ces nouveaux moyens techniques, les firmes du secteur ont pris le pouvoir sur les esprits et fait éclater et basculer des sociétés millénaires dans une vie de clones connectés . Charbonneau montre comment les deux guerres mondiales ont été des formidables accélérateurs de contrôle et de modernisation forcée. Mais, comme il le signale fort justement, ce déferlement technologique porte aussi en lui une pulsion nihiliste se déployant à une échelle jusque là inconnue, car mondiale. Ce nihilisme se manifeste comme un double état de guerre, une guerre économique impitoyable et une guerre, tout aussi impitoyable, contre la nature.
Car la détestation de la nature est un des grands traits du basculement évoqué en début d’ouvrage. Il ne faut pas se laisser leurrer par les proclamations écoresponsables des entreprises mondiales et des dirigeants politiques à leur solde : l’écologie et la responsabilité sociale des entreprises ne sont que des écrans de fumée. Le projet a bien pour finalité de s’affranchir de la nature. Et, ultimement, de la nature humaine. C’est le cœur du projet transhumaniste et de l’idée de « l’homme augmenté », lequel dit l’auteur n’est en fait qu’un homme diminué de ses capacité spirituelles. L’illusion technique a posé en ligne de mire la fin de la mort, mais les esprits lucides, de plus en plus nombreux, voient bien que l’humanité sera morte avant cet horizon chimérique et très indésirable, quand on prend la peine de le penser. L’homme deviendra un des nombreux robots qui travailleront sur la terre. Pour l’heure, on lui supprime peu à peu toutes les tâches répétitives, chez lui ou au travail. On lui invente un univers virtuel de substitution, y compris dans l’activité physique. Le bilan est d’ores et déjà catastrophique : l’obésité progresse à une telle vitesse que l’armée américaine a du mal à recruter des jeunes qui ne soient pas en surpoids, la résistance physique de l’humain décline, en même temps que son QI régresse (tous faits scientifiquement mesurés), l’immunité naturelle acquise dans l’enfance au contact de la nature a disparu… face à tous ces signaux, l’aveuglement technique répond par toujours plus de technique et d’asservissement : des vaccins de toutes sortes, des applications capables de répondre automatiquement à toutes les questions et demandes, l’émergence d’une nouvelle classe d’ilotes (la génération UBER et auto-entrepreneurs) et tout dernièrement la promotion à tout va de l’IA (Intelligence artificielle), cette nouvelle imposture du même calibre que le Développement durable.
C’est donc face à tout cela – je n’ai pas dévoilé l’intégralité du contenu du livre de Simon Charbonneau, car il faut le lire -, il faut donc RÉSISTER. Et une résistance se doit de s’organiser si elle veut connaître le succès. L’auteur écarte derechef les partis écologistes, qui sont la trahison la plus pure des idées de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. Les trente dernières années en France sont assez parlantes, qui nous racontent l’éternelle division intestine de ce courant et ses incohérences. Les écologistes sont tout simplement incapables de gouverner la France, et c’est tant mieux, car ils pourraient être tentés par une « dictature verte » qu’on peut trouver dans leurs propos.
La résistance que promeut Charbonneau est d’abord celle des actions de la base, prise par les gens du peuple, dans tous les domaines de la vie courante. Il y a effectivement un vrai mouvement vers le retour à une alimentation contrôlée et à des produits alimentaires de qualité, vers des circuits courts, des réseaux d’échanges de proximité, vers le troc et la promotion de la gratuité… mais cela ne suffira pas à arrêter le train en folie lancé sur les rails du nihilisme technicien. Il faut aussi agir sur l’esprit et provoquer une prise de conscience massive de la nocivité de ce qui nous est proposé, autant que sur la créativité et la reprise en main de nos vies. S. Charbonneau en appelle donc à un renouveau spirituel laïc, capable de nous détourner du matérialisme totalitaire de notre « civilisation du déchet », comme la nomme le pape François.
La dernière phrase d’un livre est toujours fort intéressante à considérer (comme la première d’ailleurs). Voici celle de celui-ci :
« Il ne s’agit pas ici de rêver, mais d’œuvrer à la renaissance de l’Esprit dans le cœur des hommes. » P.163.
C’est beau comme du Saint Exupéry concluant Terre des Hommes :
« Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme. »
Le chemin est donc tracé. Mais comme souvent dans ce genre de livres, la dénonciation occupe l’essentiel de la démonstration et les solutions ne sont qu’esquissées, souvent au détour d’une phrase. Ainsi, l’auteur propose deux réformes juridiques sur le droit à l’expertise contradictoire ou sur un droit à l’enracinement des hommes (p. 50 & 51). La question que le lecteur de bonne foi que je suis se pose est : quelle est la voie pour faire renaître l’Esprit en l’homme ? De cela, Simon Charbonneau ne dit rien, soit parce qu’il pense que ses lecteurs savent de quoi il est question, et là, il se trompe grandement, soit parce qu’il n’a pas mis au programme l’exposé de la méthode (je n’envisage pas qu’il ne sache pas de quoi il est question, compte tenu de son histoire personnelle). Or, quand je réfléchis à cette démarche, je ne vois que deux chemins, tous deux élaborés dans l’Antiquité.
La première voie correspond à ce que nous appellerions une spiritualité laïque, dans le droit fil de ce que des philosophes contemporains ont présenté dans leurs ouvrages (Michel Onfray, André Comte-Sponville ou Luc Ferry, sans oublier Slavoj Zizek ou Peter Sloterdijk). Il ne s’agit ni plus ni moins des idées platoniciennes ou néo-platoniciennes : pour éduquer au bon et au bien, il faut éduquer à la beauté, car le beau et el bon sont confondus. Cette thèse a été reprise et remaniée dans tous les sens depuis 2 500 ans, mais elle reste la voie, car le travail de la seule raison, dans l’optique kantienne, a fait la preuve de son impossibilité. Éduquer et rendre sensible au beau s’appuie donc à la fois sur la transmission générationnelle et sur un cadre de vie qui en tienne compte. Je ne développe pas plus, mais je renvoie le lecteur au cadre de laideur dans lequel vivent le plus souvent les urbains et la dérive de l’art contemporain, pour lequel le beau est à abattre. Comment, dans ces conditions, espérer en cet éveil spirituel ?
La seconde voie est celle du christianisme, dont les historiens des religions se plaisent à dire qu’il a beaucoup emprunté au néo-platonisme (très discutable selon les moments de son histoire). Le message du Christ est celui d’un chemin spirituel. N’a-t-il pas dit au pharisien Nicodème, qui venait le consulter nuitamment, pour ne pas être rejeté de ses pairs :
« 1, Mais il y eut un homme d’entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs, 2 qui vint, lui, auprès de Jésus, de nuit, et lui dit : Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est avec lui .3 Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. 4 Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? 5 Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit.7 Ne t’étonne pas que je t’aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau. » Jean 3 : 1-7 version Louis Segond 1910.
Il y a donc deux vies humaines qui doivent cohabiter en l’homme : al chair et l’esprit. L’esprit doit advenir, il n’est que potentialité en l’homme, tant qu’il n’est pas vitalisé par la révélation du Christ. Le christianisme n’est pas une religion, mais un chemin spirituel construit sur la foi personnelle.
Hormis ces deux voies, je ne vois pas comment faire advenir l’Esprit et renverser la vapeur de ce monde sans repères.
J’en profite ici pour signaler un de mes points de désaccord avec l’auteur (ils sont très peu nombreux, car j’adhère à son diagnostic), car dans un de ses chapitres il s’appuie sur un lieu commun faux, mais qui est inlassablement répété depuis la Renaissance et a fini par devenir une vérité jamais pensée par sa simple réitération chez tous les penseurs forts (c’est-à-dire libéré de l’obscurantisme religieux). Dans le chapitre V, titré La profanation de la nature, Simon Charbonneau écrit :
« Ce n’est que beaucoup plus tard avec la profanation de la nature inventée par le christianisme et achevée par la science que l’homme moderne a initié une relation pacifiée avec la nature qui est à l’origine du sentiment d’amour pour elle, comme cela s’est exprimé depuis le VIIe siècle à travers la littérature et la peinture. » p. 72.
J’ai mis en gras la proposition fallacieuse devenue un poncif anti-chrétien. Il m’est impossible, en tant que théologien, de laisser passer encore une fois cette fake-new millénaire. Jamais le christianisme n’a prôné la destruction de la nature au nom d’un mandat divin que Dieu lui aurait confié dans les premiers chapitres de la Genèse. Voici les deux textes qui fondent cette interprétation :
« 28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et assujettissez-la ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.29 Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi. Genèse 1 : 28-30
15 L’Eternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder ». Genèse 2 :15. Version Nouvelle Édition de Genève.
Le rôle de l’homme est, d’après la tradition biblique, juive et chrétienne, de disposer des animaux et de la végétation pour la « garder », donc veiller à son maintien. Cela est confirmé par les nombreuses paraboles agraires données par le Christ, qui est un rural arpentant les campagnes de Galilée et de Judée. L’analyse historique ne donne aucune preuve que les Églises aient donné des consignes et saccagé la nature, car c’est tout bonnement incompatible avec la doctrine biblique. Que des hommes poussés par l’appât du gain se soient présentés comme agissant au nom du Christ est tout à fait vrai, mais cela n’a rien à voir avec le christianisme, pas plus que Staline n’a à voir avec la pensée marxiste. Or, si l’on veut chercher des profanateurs de la nature, il faut les chercher chez les communistes et les grands capitalistes, pas chez les chrétiens. J’ose à peine citer François d’Assise, tant son exemple est connu. Il faut donc arrêter de colporter ce mensonge qui n’est nullement accidentel, mais pur produit de la malveillance anti-chrétienne.
Concluons maintenant sur ce livre. Le lecteur de cet article aura compris que je l’apprécie, malgré quelques défauts signalés. Il faut d’ailleurs ajouter que l’édition comporte pas mal de fautes qui n’ont pas été corrigées par l’éditeur ; c’est malheureusement de plus en plus courant, puisqu’on a supprimé ce métier aristocratique des métiers de l’imprimerie qu’était celui de correcteur. L’édition livre donc de plus en plus de livres fautifs.
Sur le fond, cet ouvrage est fort utile. Il dresse un constat accablant de la déshérence de nos sociétés occidentales que la propagande multiforme camoufle au plus grand nombre. Une des conclusions de l’auteur, à laquelle je souscris également, est qu’il est aujourd’hui urgent d’être conservateur, au vrai sens du terme, en face de pseudo-conservateurs, qui ne sont que la version de droite des progressistes. Conserver, c’est en revenir au verset de la Genèse, « garder » la Terre.
Un dernier mot sur le titre, Résister, que je ne peux qu’approuver, car il est dans l’ADN des protestants français. Je renvoie le lecteur désireux de comprendre pourquoi à ce site : https://museeprotestant.org/notice/marie-durand-1712-1776/ .
En attendant, lisez et faites lire ce petit livre qui fait œuvre de salubrité publique.
L’idée est bonne, mais pas vraiment neuve : depuis la Grèce Classique, il y a 2500 ans, la philosophie est associée à la marche, et nombre de philosophes furent aussi de grands marcheurs.
Ce qui est un peu plus original, c’est le renversement de perspective : la marche devient dans cet ouvrage objet philosophique. Il n’y a donc rien à redire à voir publier un tel travail.
Disons-le de suite, si l’idée est assez bonne, la mise en œuvre est assez calamiteuse. En affirmant ainsi un jugement dépréciatif, je ne vise absolument pas le chercheur-marcheur et sa sincérité. Je le crois lui-même victime parfaite d’un système, celui de l’université française et de la philosophie contemporaine. Cet opuscule montre au lecteur avisé comment la recherche universitaire se coupe totalement du grand public non universitaire. Et le plus regrettable est que lorsque l’auteur parle de son sujet et de son livre, il le fait en des termes plutôt alléchants. Le problème n’est donc ni l’idée ni le sujet, mais bien le cadre et la forme.
De quoi traite ce livre ? De la marche, comme œuvre humaine au sein de la ville, avec ses divers aspects et sa signification intellectuelle et symbolique. Les premiers chapitres expliquent le placement théorique du travail, en termes de sensations, de compréhension et d’approche philosophique. L’auteur se réclame d’une approche phénoménologique. Cette démarche philosophique a été initiée au début du XXe siècle par le philosophe allemand Husserl et a connu une belle postérité. Cette école visait à s’éloigner de la métaphysique, très abstraite et conceptuelle, pour faire un retour vers le réel par l’observation des phénomènes concrets. La réalisation est plus complexe et l’école phénoménologique n’a pas toujours su éviter l’obscurantisme langagier. Après ce préambule méthodologique qui occupe les cinq premiers chapitres, l’auteur entre dans le cœur de son sujet.
Jérémie Gaubert en situation de marchabilité urbaine
Il choisit de ne parler que la marche urbaine. Ce qui peut se comprendre, car il est architecte de formation. La construction a donc pour lui un rôle capital. Les chapitres 6 à 16 sont donc consacrés à aborder divers aspects de ce que l’auteur appelle philosophie de la marche. Il évoquera successivement les origines de la marche, l’état d’esprit du marcheur, le rapport au monde du marcheur, soit par les objets, le paysage ou les autres… Je n’ai pas l’intention de rentrer dans le détail du contenu qui, dans l’ensemble, est pertinent par rapport au sujet. Je reviendrai sur la forme ci-après.
Le livre se conclut par un chapitre intitulé Une seule terre qui est un discours vague d’écologie holistique ou intégrale, où il tente d’enchâsser la marche, avec un succès tout relatif.
La structure du livre est bien pensée, avec des chapitres courts en général et une belle typographie, très lisible. Je regrette cette manie de mettre les notes en fin de volume, qui oblige à un va-et-vient permanent qui use le lecteur (les champions du monde étant évidemment La Pléiade !). Une bibliographie étoffée en fin de volume, avec l’importance nette de quelques auteurs, comme Thierry Paquot ou le philosophe Henri Maldiney.
Je dois cependant émettre une grande réserve sur le fond. L’auteur évoque sans cesse le paysage et la ville. Dans ce domaine, il marche sur les plates-bandes de la géographie, mais pas vraiment en pleine compréhension. Sa référence en l’occurrence étant Augustin Berque, un des géographes les moins concrets et les plus abscons[1], il passe à côté de tout le très beau travail sur les paysages que cette discipline mène depuis plus d’un siècle. C’est le résultat du cloisonnement universitaire et du manque d’ouverture de chaque spécialité envers les autres.
C’est donc un livre plutôt décevant pour un connaisseur de la ville et des paysages urbains ; peut-être parlera-t-il à un lecteur neuf en la matière. Mais celui-ci se heurtera alors à un autre problème : celui de la forme (voir annexe à cet article ci-dessous).
Jean-Michel Dauriac, décembre 2022
PS: Ce texte fait suite à la soirée des Foulées littéraires de Lormont et à la table ronde autour de la marche, du vendredi 25 novembre à 18h30.
Annexe critique: de l’impasse de la langue universitaire
Ce livre offre une image quasi caricaturale de la crise intellectuelle de l’université française actuelle. Notons que cet état de crise n’est pas d’hier, mais a ses racines dans les années 1970-1980. De quoi s’agit-il ?
L’Université a, depuis ses origines médiévales, été le lieu de la recherche et des controverses intellectuelles, lesquelles contribuent incontestablement à l’avancement des connaissances. Mais nous avons également une spécialité bien française, celle de la tempête dans un verre d’eau ou un bénitier, selon les sujets. Nous sommes malheureusement capables de monter en épingle des querelles sans valeur, querelles d’ego et de petits maîtres en mal de notoriété. Avec l’avènement de la société des médias, puis de la communication instantanée, ces querelles minuscules prennent une place disproportionnée. Elles polluent la recherche et contaminent les étudiants, par définition soumis à l’influence de leurs professeurs, pour le meilleur et pour le pire.
De plus, l’apparition des Sciences Humaines et leur montée en puissance (en lieu et place des humanités anciennes) a poussé à une nécessité d’individualiser chaque discipline à outrance (cela même alors qu’on promeut en façade l’interdisciplinarité) et pour ce faire les a conduites à labourer toujours plus profond leur petit arpent de spécialité. Or, nous sommes les héritiers de 2500 ans (pour faire simple) de pensée sur certains domaines (philosophie, géographie, arts, histoire, théologie…), avec des ancêtres géniaux qui ont balisé le terrain et presque tout inventé.
Que reste-t-il donc à l’intellectuel d’aujourd’hui ? L’engagement social ou politique (ce furent Sartre ou Bourdieu) comme terrain de praxis. On sait que les résultats furent plus que mitigés. Il y a cependant des héritiers qui poursuivent dans cette voie, qui a le grand avantage d’être médiatisée à outrance et donc d’offrir un chemin de célébrité, fût-elle éphémère. Ce qui fait que les gens les plus connus comme représentant de la sociologie, de la philosophie ou de l’histoire ne sont pas souvent les meilleurs, mais les plus opportunistes. Or, ce sont ceux dont la voix et les idées infusent dans le grand public.
La seconde voie est la recherche d’une niche universitaire et un rôle de petit gourou. Et c’est ici que nous revenons au livre chroniqué plus haut. Le petit gourou, en général, est directeur de thèse, poste dit stratégique dans le microcosme universitaire. Car celui qui va diriger nombre de doctorants durant sa carrière pèsera sur la recherche des générations suivantes et peut donc « faire école ». Comment faire école ? En s’individualisant au maximum et en proposant une ou deux idées qui deviendront les marqueurs de ce petit maître. On pourrait ici aisément railler cette position qui vire souvent au ridicule : à quoi sert-il d’être le grand spécialiste de l’étude des fêtes de vaches landaises ou des confréries viticoles ? Nous sommes là dans ce qu’il faut bien appeler les escroqueries intellectuelles. Elles permettent à ces professeurs d’être entourés d’une petite cour de jeunes chercheurs qu’ils enferment dans des voies sans issue,mais ce n’est que plus tard qu’ils le découvrent. Pendant ce temps, les grands champs de savoir traditionnels sont « ringardisés » et dépérissent, alors mêmes qu’ils se sont avérés d’une grande utilité historique. L’intitulé des postes à pourvoir à l’université en Sciences Humaines est un véritable inventaire à la Prévert et ne peut qu’effrayer l’esprit rationnel. Tous ces petits maîtres participent très activement à ce que j’appelle la « fabrique du concept » et à son corolaire logique, celle du néologisme. C’est donc à ce point que je voulais aboutir à propos de notre Philosophie du marcheur.
Je dois dire que j’ai dû faire un très gros effort pour le lire en entier. Car tout l’intérêt du sujet est anéanti par la langue utilisée et par les concepts mis en œuvre. L’auteur use d’une langue d’airain, qui est la parfaite illustration de ce que je viens de décrire ci-dessus. Les phrases sont volontairement alambiquées, de telle sorte qu’il faut parfois s’y reprendre à deux ou trois fois pour en saisir la signification. Mais surtout, l’auteur fait un usage immodéré de tous ces néologismes inutiles que des auteurs de plus en plus nombreux disséminent dans leurs articles et livres. Je citerais simplement deux titres de chapitres qui me semblent parler d’eux-mêmes : Hodologie, proxémie et affordance, puis Walkscapes, walkability et marchabilité. Les trois premiers termes sont empruntés à des auteurs anglo-saxons ; ils pourraient évidemment être aisément ramenés à des périphrases en langue française et seulement évoqués en notes ou parenthèses. Mais l’auteur fait le choix d’un hermétisme inaugural, sans aucun doute pour complaire au jury qui a présidé à la soutenance de thèse dont est tiré l’ouvrage. Les trois autres termes sont également importés des Etats-Unis. Ils donnent lieu à des explications sémantiques parfaitement vaines qui auraient pu être évitées par une bonne maîtrise de notre langue. Voici donc une des conséquences de la ghettoïsation des disciplines universitaires.
Un autre abus, imputable à une influence germanique très forte en philosophie, est celui des mots composés avec tirets, pour traduire les fameux mots agglutinés de l’allemand. Ainsi le dasein se traduit par l’être-au-monde. Sur ce modèle, notre auteur nous offre constamment ses propres trouvailles, du style faire-paysage ou prendre-avec. Ce qui donne des phrases qui sonnent très mal si on prend la peine de les lire à haute voix, comme si elles étaient inachevées. On me rétorquera que c’est là une critique d’ignorant et de non-philosophe. Ce qui est faux, je connais fort bien ces termes en allemand, dont Heidegger a été le grand pourvoyeur devant le Führer. On peut et on doit se débrouiller pour être capable d’écrire de la bonne philosophie en langue française et non avec cette langue lourde et maladroite que ces germanismes composent.
Bref, ce livre est extrêmement pénible à lire, et ce inutilement. Il découle de cette forme d’enfermement des Sciences Humaines dans un langage abscons qui donne l’illusion du savoir, mais qui n’est que du pédantisme de tâcheron. La véritable grandeur intellectuelle est, non de refuser la difficulté conceptuelle de la philosophie, mais de travailler la langue pour la rendre compréhensible dans une belle langue de chez nous. Les vrais grands auteurs y parviennent assez souvent, les autres pataugent dans ce gloubi-boulga indigeste. Laissez-donc, malheureusement ce livre de côté si vous voulez une lecture simple et allez relire ou découvrir le livre de Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, qui évite ce piège ridicule.
Jean-Michel Dauriac
Deux cursus complets d’Université en poche
[1] Berque est l’exemple-type de cette dérive langagière que je fustige dans l’annexe qui suit.