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Catégorie : les livres: essais

Se souvenir de Lanza Del Vasto

Lanza del Vasto

Ou l’expérimentation communautaire

Frédéric Rognon

Collection Les précurseurs de la décroissance

Le passager clandestin – 2013

Il fut une époque, pas si lointaine pour moi, mais préhistorique pour les millenials, où le nom de Lanza del Vasto sonnait comme un étendard de contestation : c’était le temps de la Guerre du Vietnam, de la Guerre Froide et du Larzac. Il existait des ennemis de la paix et du bonheur très clairement identifiés : les Russes, les Américains, les Militaires… Un homme à la longue chevelure blanche animait ces foyers de sa présence bienveillante et prônait la non-violence, sur les principes de son maître Gandhi. On l’invitait à la radio et à la télévision, il publiait des livres. ? Ô tempora, ô mores, comme on disait chez les Romains ! Il suffit de regarder la télévision et d’écouter la radio pour mesurer le poids de l’absence de telles personnes. Le vide sidéral qui s’épanche partout est le miroir d’une époque sans combats autres que contre le gluten, les vaccins ou la 5G (mais on veut bien avoir la 4G quand même !) C’est peu dire que nous avons le droit, dans ce cas précis d’être un peu nostalgiques.

Frédéric Rognon, philosophe et auteur de ce livre

Le petit livre de Frédéric Rognon s’inscrit dans une collection qui entend présenter des « précurseurs de la décroissance ».  Objectif vraiment légitime tant cette génération a tendance à ignorer tout ce qui ne twitte pas et ne passe pas sur You Tune. Eh oui, il y eut des hommes qui, bien avant l’orgie consommatrice de notre temps ont entrevu l’avenir et son risque et l’ont dénoncé, voire combattu. Le mot « décroissance » n’existait pas, à peine dans le grand public le mot « croissance » était-il en usage. On parlait alors de progrès , de développement ou autre mot-valise. Mais derrière ces mots se cache toujours la même chose : le toujours plus. Lanza del Vasto , dès la fin des années 1930 forme, en Inde, lors de son séjour chez Gandhi, le projet d’une communauté fondée sur les principes gandhiens, mais en Europe. Il lui faudra une dizaine d’années avant de pouvoir lancer la première de ces communautés, qui prendra le nom de l’Arche (à ne pas confondre avec le mouvement de Jean Vannier qui porte le même nom, et qui est postérieur). Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur raconte, en une cinquantaine de pages, la vie et l’œuvre de Lanza del Vasto, personnage de roman. Ce n’était nullement un traine-savate, mais un intellectuel de haute volée, philosophe de formation, né dans une famille aristocratique cosmopolite européenne. Lui qui aurait pu connaître une vie oisive de nanti a choisi de vivre et de faire l’apologie du travail manuel et de l’agriculture naturelle. Il  a écrit énormément et laisse une œuvre importante, mais aujourd’hui tombée dans l’oubli.

Lanza Del Vasto et son épouse, Chanterelle

On trouve, dans la seconde partie de ce petit livre, des extraits choisis dans cette œuvre imposante. La sélection, très intelligente, car faite par quelqu’un qui a vécu à l’Arche et en connaît toute la philosophie, permet de découvrir des perles et donne envie d’aller directement à la source : la lecture finie, je me suis rué sur les sites de  livres d’occasion et j’ai commandé plusieurs ouvrages, tous indisponibles ou presque aujourd’hui.

Lanza del Vasto a pensé une société sans pouvoirs, sans violence et sans excès. Il a fait l’apologie de l’auto-suffisance agricole, de la frugalité heureuse et de la culture festive. Ses principes, il ne els a pas inventés mais puisées dans deux sources, dont il ne cite d’ailleurs qu’une : Gandhi et Tolstoï. Si Gandhi est revendiqué comme maître, la pensée de LDV est marquée, jusque dans ses expressions, par Tolstoï, mais celui-ci est, très bizarrement absent de ce que j’ai pu lire. Sans doute, déjà dans les années 1930, quand il découvre la non-violence, c’est à travers Gandhi car la chape soviétique et marxiste est tombée sur la pensée de Tolstoï. Mais Gandhi lui-même doit la base de ses idées au prophète russe. IL faut donc rétablir l’arbre généalogique de cette famille de penseurs.

Lanza Del Vasto, comme Tolstoï ou Gandhi, revendique d’être un croyant ; dans son cas un catholique fervent. Toute son œuvre est habitée par une spiritualité chrétienne et il ne faut surtout pas l’ôter de la pensée de Del Vasto, sinon il ne reste rien qu’une pratique un peu niaise. Ce livre permet de ne pas tomber dans ce piège et de saisir l’ensemble de la vision de l’auteur. Pour finir, je vous offre une des citations cueillies dans cette lecture :

« Ne perds pas ton temps à gagner ta vie.

Gagne ton temps, sauve ta vie. […]

Ne proteste pas contre ce que tu désapprouves. Passe-t-en. »

Les plus anciens auront reconnu la base d’un des slogans muraux de mai 68, « Ne pas perdre sa vie à la gagner ». Mais la pensée de Lanza del Vasto vaut beaucoup plus que ce qu’on appelé la « pensée 68 ». Découvrez-là en lisant ce livre réussi.

Jean-Michel Dauriac

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Grandeur du petit peuple : quand Michel Onfray écrit à l’encre sympathique jaune

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S’il est un auteur et un homme qui ne laissent pas indifférent, c’est bien Michel Onfray ! Depuis maintenant trois décennies, il inonde les étals des libraires de titres tous plus originaux les uns que les autres, sur des sujets les plus divers, avec un seul point commun : exercer son droit à une pensée libre et philosophique. Que tous ces livres ne soient pas des réussite durables, l’auteur lui-même le sait et l’a dit, mais il a besoin, du moins est-ce ce que je crois, de l’écriture comme d’autres de la cigarette. Ici, il nous livre une réflexion sur le mouvement des Gilets Jaunes (MGJ).

 

La castagne (pour faire référence au chef d’œuvre de Nougaro, « Toulouse ») commence avant même le premier mot du texte , par la dédicace, qui mérite d’être citée :

« A la mémoire de mon père Gaston

qui était ouvrier agricole

A ma mère Hélène

Qui fut femme de ménage

A mon frère Alain

Qui est mécanicien dans une carrière

A sa femme Nathalie

Qui est cantinière

A mon neveu Ludovic

Qui, après une formation de bûcheron,

Est apprenti plombier

A ma nièce Virginie

Qui est aide-soignante. »

Le ton est donné, l’auteur a défini son camp : celui des humbles et des sans-grades. Il faut lui reconnaître qu’il n’a jamais oublié d’où il venait, même si aujourd’hui par son talent et son travail, il appartient à la petite confrérie des auteurs qui vivent bien de leur plume. Je le rejoins dans cette origine et dans cette fidélité.

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Voici donc un livre qui est un livre placé sous le signe de l’immédiateté. Onfray abandonne les Camus ou Nietzsche pour parler d’un présent brûlant (voir la photo de couverture du livre). Il introduit sa réflexion par un chapitre qui donne le ton, « Le retour du refoulé mastrichtien ». Il s’y livre à des considérations historiques sur les révolutions et émeutes françaises et étrangères et leurs conséquences. Il y définit le peuple, ce qui est central pour son ouvrage :

« ..le peuple – que je définis comme l’ensemble de ceux sur lesquels s’exerce le pouvoir et qui ne l’exercent jamais -, les petits, les sans-grades, les modestes, les gens de peu. » (p. 12-13).

Après quoi, il précise pourquoi il a choisi de parler des GJ.

« C’est le peuple qui s‘est soulevé dès les premières heures des Gilets Jaunes. » (p. 13).

Ceci ne pouvait que plaire à un libertaire proudhonien comme lui, égaré dans un siècle libéral capitaliste sans vergogne. C’est d’ailleurs aussi ce qui m’a fait apprécier ce mouvement avant même son début. Enfin, il précise  que ce livre prend la forme d’un journal, sur le modèle de grands prédécesseurs, comme le Hugo de Choses vues  ou le Tocqueville de Souvenirs.

 

Son parti-pris est donc de nous livrer dans l’ordre chronologique les textes qu’il a écrit au fur et à mesure que se lançait, puis se structurait, puis changeait le MGJ. Il prévient qu’il y aura donc des redites. Faute avouée n’est qu’à moitié pardonnée : il y a effectivement beaucoup trop de répétitions et je me suis habitué à les sauter, dès que j’identifiais le début d‘un refrain, que ce soit pour flinguer Macron ou ses séides ou pour montrer en quoi les GJ ont été caricaturés. Je pense qu’un tel sujet méritait une travail de relecture, non pour améliorer, mais pour sortir toutes ces  redondances qui risquent de décourager le lecteur moyen.

Que dit Onfray ?

D’abord, il essaie de rendre justice aux revendications des GJ, qui ont si souvent été caricaturées par une presse aux ordres du pouvoir et un pouvoir aux ordres du capital et de l’ « enfant-roi », comme il surnomme fort justement notre bien-aimé Président à la pensée complexe. S’appuyant à la foi sur des informations officielles parues dans ladite presse, des tracs et des messages qui lui ont été envoyés par les GJ eux-mêmes, il montre qu’il s’agit bel et bien d’une revendication légitime de ceux qui sont écrasés. Le peuple a une pensée ; elle est simple, mais pas simpliste, et elle s’est polie sur les ronds-points au fil des semaines.

Ensuite, il montre comment a été pratiqué à une échelle industrielle l’amalgame pour discréditer les GJ. Comment à partir d’un propos, on le généralise et on l’essentialise, pour arriver à une formule sans cesse répétée du type : « Les Gilets Jaunes pensent que… » ou plutôt, vu de Paris, « ne pensent pas du tout ». Ainsi ont été lancées et appuyées les accusations d’antisémitisme, homophobie, de fascisme, de racisme et tant d’autres « ismes » dont se régale la petit coterie qui fait l’opinion dans les médias des nababs qui la contrôlent. Il ne nie pas, et ce serait absurde de le faire, que des propos de cette nature aient pu être dits ou écrits ici et là, mais ils ne représentent en rien la nature de ce mouvement. C’est comme si ‘l’on déduisait du fait que Castaner est un fantoche que tous les ministres sont des fantoches ! (il tape particulièrement sur le ministre de l’Intérieur en mettant en relief à la fois sa personnalité et ses actes souvent stupides).

Il montre encore comment le pouvoir, et Macron en premier, a choisi de réprimer très violemment les manifestations pacifiques des GJ. Pas de maintien de l’ordre, mais de la baston, où les policiers se savaient couverts. Le nombre des victimes et la nature des blessures ne laissent aucun doute là-dessus, même les observateurs étrangers du plus haut niveau l’ont signalé. La seule limite posée par le Président et ses acolytes (le Premier Ministre et le Ministre de l’Intérieur) était qu’ils puissent dire et répéter en boucle qu’il n’y avait eu aucun mort du fait des forces de l’ordre et de pouvoir suggérer que les morts bien réels étaient du fait des GJ, ce qui est absolument faux.

Corrélativement à ce choix de la violence, il dénonce le rôle des médias et la propagande par l’image qui en est découlé. Il signale comment ils ont choisi les GJ qu’ils invitaient, pour les isoler, les ridiculiser ou les récupérer. Le sommet de ce mensonge transformé en information est le fameux Grand Débat, dont Onfray retrace la généalogie et les trucages. La justice a également été mise au pas et a prononcé des peines très sévères à l’encontre des GJ, alors qu’on attend encore les condamnations de policiers mis en cause de manière indubitable : on a sanctionné deux ou trois lampistes pour mieux couvrir les autres.

L’impuissance et les stratégies des partis politiques et des syndicats sont bien analysées, en particulier les revirements de La France Insoumise et de son Conducator. En même temps qu’il montre comment le mouvement se veut farouchement apolitique et loin des partis traditionnels, il établit bien la limite de ce modèle et le fait que le refus de toute organisation signe une forme d’impuissance.

Il signale le paradoxe de ce mouvement : d’un côté des mâles qui se comportent parfois en machos classiques, en beaufs de base, et de l’autre une forte présence féminine fort intéressante. Il en profite pour délivrer un manifeste féministe. Le livre est l’occasion de plusieurs portraits, à charge souvent pour les mâles, et plutôt flatteurs pour les femmes.

Enfin, ce qui arme l’analyse de tout le mouvement des GJ est le refus de l’Etat Mastrichtien, dont Onfray montre qu’il est le véritable pouvoir, dont nos gouvernants sont des hommes-liges . Le combat est à mener d’abord pour abattre ce Moloch qu’on ne peut pas quitter sans son accord (voir le Brexit). L’auteur prend fermement position dans le camp des souverainistes, prouvant s’il en était besoin, que ce n’est évidemment pas une opinion d’extrême-droite, comme le veut faire croire la propagande européiste.

 

Le livre est donc très riche et se présente comme une « défense et illustration des Gilets Jaunes », pour parodier les titres classiques. Il ne manque pas de lucidité sur les manques , les errements ou les faiblesses des GJ. Il se conclut sur la mise en sommeil plus ou moins inévitable du mouvement en tant que phénomène massif. Mais il espère que ce n’est pas la fin, et voici, en ce sens , la dernière phrase du livre :

 

« Je ne souhaite qu’une seule chose : la résurrection du Phénix contre ces vautours-là. » (p. 370)

 

Je partage son désir, mais en y ajoutant le passage à une organisation fédéraliste minimale (ce qu’il dit d’ailleurs à un moment) pour permettre la poursuite du mouvement. S’ils persistent à n’être que des individus isolés qui se retrouvent le samedi, le GJ sont condamnés à disparaître en tant que tels.

 

Ce livre est un beau témoignage pour la mémoire du mouvement, c’est un réquisitoire implacable contre l’équipe de l’enfant-roi et du prince lui-même, contre lequel Onfray n’a pas de mots assez durs. Il faut signaler d’ailleurs que dans ce livre, il se lâche comme jamais et écrit plus comme un militant que comme un observateur. Comme à l’accoutumé, il y en aura pour détester ce livre et son auteur ; c’est leur droit, mais il ne faudrait pas qu’ils en oublient l’absolue sincérité et toute absence de calcul. C’est assez rare pour le signaler.

 

Jean-Michel Dauriac

Le 12 mars 2020.

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Une si jolie musique ! sur Franz Schubert – La musique au cœur Michele-Lhopiteau-Dorfeuille

Franz Schubert – La musique au cœur

Michele-Lhopiteau-Dorfeuille

Lormont, LE BORD DE L’EAU, 2019

206 pages, 33 €

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Une si jolie musique!

 

Franz Schubert est, pour beaucoup, réduit à être l’auteur de La truite, et encore dans sa version adaptée en chanson plus ou moins enfantine. Pour la plupart des mélomanes amateurs, sa musique de chambre en petites formations constitue l’essentiel de son œuvre. Schubert souffre, comme on dirait dans la novlangue de notre merveilleuse époque, d’un « déficit d’image ». Mozart, Bach ou l’incontournable Beethoven de cette année 2020 (année anniversaire !) sont des stars, pour des raisons diverses. Le dernier membre de ce quatuor, lui, est ramené à ce portrait très classique qui orne la couverture de l’essai que lui consacre Michèle Lhopiteau-Dorfeuille : un jeune homme aux cheveux bouclés et à la face sympathique, simplement barrée d’une fine paire de lunettes. De lui, il est retenu qu’il mourut encore plus jeune que Wolfgang et moins sourd que Beethoven. Une des trouvailles de l’auteur est de proposer d’ailleurs comme explication de la mort du compositeur la même piste qu’elle avait explorée pour Mozart : l’empoisonnement aux produits pseudo-médicaux à base de mercure. Alors pourquoi donc Schubert est-il finalement beaucoup moins connu que ses illustres confrères ? Citons l’auteur, dans sa conclusion :

 

« Car Schubert est de toute évidence un homme moderne : Bach avait son Dieu, Mozart et Beethoven, en bons fils des Lumières, leurs utopies et leur foi en l’humanité. Franz, malade et désargenté dans un pays ruiné, prisonnier d’une époque à tous points de vue réactionnaire et dont l’avenir illisible préfigurait singulièrement la nôtre, n’eut rien de tout cela. Et en cela il nous ressemble. » (page 194).

 

A la lecture de cet essai – je préfère ce terme à celui de biographie, en raison des choix de l’auteur -, on découvre pourquoi, effectivement Schubert est notre plus-contemporain, par rapport aux trois autres compositeurs évoqués.  Schubert est contemporain de l’Empire napoléonien et de ses guerres européennes, qui ont saigné une partie majeure de l’Europe, dont l’Autriche. Son époque marque le début de la fin (qui sera merveilleusement évoquée au plan romanesque par le grand écrivain Joseph Roth dans le dyptique La marche de Radetski et La crypte des capucins). Franz est essentiellement Viennois : Michèle Lhopiteau montre combien peu il voyagea, et pas très loin quand il le fit. Sa vie pourrait être sous-titrée « une histoire viennoise du début du XIXème siècle ». Sa vie ne met en évidence aucun fait saillant aucun scandale, aucun coup d’éclat. Il est le fils surdoué musicalement d’un directeur d’école, et lui-même débutera sa vie professionnelle en étant aide-instituteur, un boulot ingrat et mal payé qu’il n’aimait pas et abandonna dès qu’il le put. Voilà pour le portrait social superficiel. Mais  là n’est pas l’important.

 

L’important est que Franz Schubert est un génie de la composition. Ce qui a été clairement compris et dit par ses amis, et reconnu par ceux qui ont pu entendre sa musique. Car le problème principal est là. Schubert, à la différence du trio majeur évoqué plus haut, n’a pas eu      de mécène ou de protecteur , et sa musique n’a pas du tout obtenu l’audience qu’elle aurait mérité. Ajoutons à cela que le doux Franz n’est pas un animal de foire, virtuose dès l’enfance ou compositeur attitré, comme Mozart, Beethoven ou Bach. C’est là un des aspects passionnants de ce livre, de nous faire découvrir cette personnalité introvertie, que l’on qualifierait, aujourd’hui dans le cadre des mythologies de la réussite, de « loser ». Il n’a jamais su s’imposer, se pousser du col, ou simplement se signaler. Le résultat est impressionnant : sa musique, de son vivant ne fut jouée que dans des cercles restreints au sein desquels il évoluait. A l’exception d’un grand concert viennois organisé par ses amis, en 1828, jamais sa musique ne fut offerte au grand public.

Parler de Franz, c’est parler d’un cercle d’amis fidèles, qui l’accompagnèrent jusqu’à sa mort et même au-delà, se battant pour que sa musique soit jouée et reconnue à sa juste valeur.Très judicieusement, notre auteur débute son essai par un chapitre titré « La garde rapprochée » où elle brosse, par extraits de lettres et courtes notules biographiques le portrait de ce cénacle schubertien. On y voit donc que le compositeur a eu la chance d’avoir ces vrais fidèles autour de lui . Il est même assez vraisemblable de penser que s’il avait été seul, Franz Schubert aurait eu une petite vie terne et n’aurait peut-être pas créé tout ce qu’il a composé.  Car nous apprenons, entre autres choses, que Schubert n’eut jamais de domicile vraiment personnel, mais vécut chez autrui selon les circonstances, tantôt chez son père, son frère ou l’un  ou l’autre de ses bons compagnons. Car ceux-ci, bons viennois au fait de la musique de leur époque, avaient compris qu’il était vraiment génial et firent tout leur possible pour qu’il puisse composer et entendre se œuvres. Plusieurs étant de bons musiciens, montèrent des formations à cet effet. Un chanteur et une chanteuse de renom surent reconnaître la valeur de ses lieder et les firent connaître du mieux qu’ils le purent. Mais le bilan global des compositions jamais jouées ou seulement en cercle privé est impressionnant. Tout autant que la couardise (ontologique) des éditeurs qui refusèrent sa musique, soit parce qu’elle était trop complexe – ce qui était objectivement vrai -, soit parce qu’elle n’était pas connue (le serpent qui se mord la queue), soit simplement par paresse.  Bref, si Schubert eut un bel enterrement –que la famille paya longtemps après – suivi par de nombreux amis et connaissances, à l’inverse de Mozart (Michèle Lhopiteau a aussi expliqué pourquoi dans un livre précédent), il mourut comme « inconnu célèbre » au-delà de Vienne.

C’est finalement l’acharnement de ses amis qui permirent d’éviter l’oubli et la foi de certains musiciens, comme Félix Mendelssohn, pour le remettre à sa juste place. Mais même aujourd’hui, le Schubert connu des musiciens et mélomanes reste celui des lieder et de la musique de chambre.   Son œuvre religieuse et symphonique est mésestimée et méconnue. Ses opéras ne sont pas joués : mais là, il y a selon Michèle Lhopiteau, la raison objective de la faiblesse des livrets. Il y a encore une grosse marge de progression pour la reconnaissance de Franz Schubert.

A la lecture de cette chronique aura compris toute la richesse de ce livre, qui s’inscrit dans la continuité des trois autres (Mozart, Bach et Beethoven), que j’ai chroniqués en leur temps. Je dois ici redire le coup de génie qu’est le fait de joindre deux cd d’extraits à cette lecture. Ces extraits sont tous annoncés dans le texte, cela permet d’entendre aussitôt ce que l’auteur explique ou cite. Les plages sont dans l’ordre linéaire du texte. Mais, comme pour les précédents, ces deux disques peuvent s’écouter seuls, comme une sorte de best of de Schubert (ce que j’écris là est un crime pour l’amateur de musique classique !).

Mes remarques critiques porteront sur la forme et non sur le fond, auquel je n’ai rein trouvé à redire, l’information étant très sérieuse et l’expertise de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille reconnue. Pourquoi ne pas mettre le lexique des formes et la chronologie de Schubert en fin de volume, comme cela se fait habituellement. C’est assez aride de débuter ainsi et le risque est soit que ce soit ignoré, soit que cela rebute le lecteur potentiel. Et il en faut peut, aujourd’hui, pour rebuter un lecteur, à l’ère du zapping qui n’épargne rien ni personne.  Quant au chapitre XV « Schubert et le septième art », qui est une excellente idée (celle de montrer l’étonnant succès de Schubert comme « auteur » de musique de films), il aurait sa place en annexe, comme je l’avais indiqué dans l’ouvrage sur Bach, à propos du chapitre sur les « baroqueux ». Il s’agit simplement d’une précaution formelle visant à ne pas rompre l’unité thématique du livre. Tout en préservant ce travail intéressant qui vient en complément du reste. Car, il faut dire cela pour terminer, Schubert, bien plus que Mozart, Bach ou Beethoven, est un génie de la mélodie pure et en a composé un nombre impressionnant (d’où son succès au cinéma), toutes plus belles les unes que les autres, ce que les deux disques permettent amplement de vérifier.

Ce Schubert vient donc enrichir la connaissance des mélomanes et l’oeuvre de Michèle Lhopiteau-Dorfeuille qui, discrètement mais sûrement, s’impose comme un auteur de premier plan en musicologie populaire – secteur déserté par les spécialistes, car le peuple est infâme et ne mérite pas de jouir des trésors de la bourgeoisie éclairée (c’était la phrase Gilets Jaunes du jour) -, comme le démontre aussi le succès de ses conférences de vulgarisation (de vulgus en latin, le peuple, beurk !), notamment à l’Université Populaire des Hauts de Garonne, où elle officie bénévolement depuis des années, pour partager sa passion de la musique avec tous.

 

Jean-Michel Dauriac

Président-Fondateur de l’Université Populaire des Hauts de Garonne et mélomane.

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