« Le devoir de mémoire » est en fait la retranscription d’une longue conversation entre Primo Levi et deux universitaires italiens, Anna Bravo et Federico Cereja. Ceux-ci ont en effet initié un projet qui a consisté à recueillir la parole de 220 déportés survivants en 1982. Primo Levi est sans nul doute le plus célèbre d’entre eux, mais il se livre ici avec son humilité et sa franchise habituelle à l’interview.
Cette discussion mélange deux thèmes. D’abord des faits concrets liés à la déportation, en réponse à des questions précises des intervieweurs. Par exemple, sur les « rites » qui existaient dans les camps. Mais entrecroisé avec ces informations, court le second thème sur la transmission (d’où le titre du livre, que je ne trouve pas très bon, mais ceci parce que je n’aime pas cette formulation – il y aura un de ces jours un texte là-dessus sur mon site -). Et là se trouvent sans nul doute les propos les plus surprenants du livre. Car Primo Levi constate avec lucidité que la déportation n’intéresse plus beaucoup les jeunes italiens et qu’il se sent dépassé.
» J’éprouve, j’avoue que j’éprouve un sentiment d’infériorité par rapport à eux, même si je sais que j’ai dit des choses importantes, si je n’ai aucune hésitation, aucun doute sur la valeur de mes livres, mais j’ai l’impression qu’ils sont vieux, qu’ils ont vieilli. » page 38
Terrible aveu, dont je ne peux m’empêcher de penser qu’il est pour quelque chose dans la décision que prendra plus tard Levi de se suicider, en 1987. Ceci est confirmé par la lecture de son dernier livre « Les naufragés et les rescapés ».
On notera au fil de la lecture, le nombre important de questions très intellectuelles auxquelles Primo Levi ne répond pas, soit parce que la formulation le surprend, soit parce qu’il n’en voit pas l’intérêt. On se trouve ici en présence de deux conceptions du discours, l’un qui veut rendre compte avec la plus grande précision et exactitude, un discours scientifique, et l’autre qui se paie parfois de mots ronflants pour masquer son vide .
Je ne saurais trop recommander la lecture de ce petit livre paru chez « Mille et une nuits », ce qui le met à 2.50€. C’est une très bonne façon de pénétrer dans cette oeuvresi forte, avant de lire « Si c’est un homme » ou « La trêve ».