Skip to content →

Catégorie : les critiques

rassemble tous les écrits critiques

C’est beau, un chanteur populaire!

Que les cuistres élitistes et autres ennemis du peuple passent leur chemin, cet article n’est pas pour eux.

Samedi 20 mai 2006, 21 h 10 La Coupole, à Saint Loubés (la plus belle salle de spectacle de la Rive Droite de la Garonne, la rive prolétarienne). Entrée en scène de Michel Delpech, ex-star des seventies française, soixante ans pétant cette année. Dans la salle, la moyenne d’âge est à peu près celle-ci, je suis donc très jeune ce soir.

delpech1web.jpg

Michel Delpech est ce que l’on appelle un « chanteur populaire ». Pour les fins intellectuels français, c’est une forme de maladie incurable qui consiste à vendre beaucoup de disques minables à un populo de crétins qui ne reconnaît même pas le talent quand il le croise. Le chanteur populaire vend de la « soupe », et eux crachent dedans ! Pour moi, et pour des millions de gens avec, un chanteur populaire est un artiste qui a accompagné assez longtemps leur vie de ses refrains pour faire partie de la famille et cela de manière indéfectible. Peu de chanteurs atteignent ce stade qui est la consécration d’un vrai talent qui dure. Brel y est arrivé ; et une fois installé là-haut, il a eu peur de ce que ça signifiait. Et quoi donc ça signifie, mon bon monsieur ?

Etre un chanteur populaire, c’est posséder le rare privilège de transcender les générations. Les grands-parents l’ont refilé à leurs enfants qui l’ont partagé avec leur progéniture. Résultat : on va les voir en famille.

delpech3web.jpg

Etre un chanteur populaire, c’est réussir une alchimie rare que les impuissants du stylo ne peuvent comprendre. Réussir à écrire en trois strophes, deux refrains, quelques accords simples et un langage commun une histoire qui parle à tout le monde de sa vie réelle ou rêvée. Ainsi nous sont venues « Les feuilles mortes », « La mer », « Mon vieux », « Nuit et brouillard » ou « Ne me quitte pas ». Et, pour notre histoire présente j’ajouterais « Les divorcés » « Wight is Wight », «Chez Laurette » ou « Pour un flirt », toutes chantées par Michel Delpech.

Etre un chanteur populaire, c’est soulever une ferveur quasi-religieuse chez ses fans. Et ce que j’ai vu samedi soir dans cette salle de grande banlieue relevait à la fois de la piété et du respect. Et on comprend que Brel ait eu peur de cette vénération ! Toucher la main du chanteur, lui faire une bise, avoir droit à son regard qui croise le vôtre… tout cela fait partie de la cérémonie, du culte inoffensif où communient une heure et demie durant l’artiste et son public. Et on comprend que les vedettes déchues aient du mal à vivre sans cette admiration !

 Etre un chanteur populaire, c’est se permettre de laisser le public chanter une chanson à sa place : Bruel, Cabrel ou Delpech peuvent le faire, ça fait des décennies que les gens chantent leurs chansons en toutes circonstances.

Etre un chanteur populaire, c’est être invité au mariage des gens, orchestrer leurs rencontres, leurs premiers émois, leurs premiers baisers, endormir leurs enfants, chanson chantonnée à mi-voix ; c’est effacer le gros coup de blues dès qu’on est mis sur la platine. C’est mouiller leurs yeux de grosses larmes le soir où l’on ferme les yeux pour de bon. Et pourquoi serait-il plus honteux de verser de chaudes larmes pour la mort de Brel, Nougaro ou Claude François que pour la mort d’un homme d’Etat ? Lequel a le plus aidé l’homme lambda dans sa difficile existence ?

Etre un chanteur populaire, c’est beau ! et peu importe que certains nous abusent et ne soient que des ersatz, que les médias nous fassent croire qu’ en quelques semaines passées dans un château à Dammarie-Les-Lys on le puisse devenir. Le vrai chanteur populaire gagne sa vénération en tournée, sur toutes les scènes de France et d’ailleurs. Il n’existe que par ce travail de longue haleine. Et quand nous regardons en arrière pour mesurer le chemin fait ensemble, nous sommes tout surpris de compter en dizaines d’années ! A cette échelle, on ne peut faire illusion. Bien sûr nous ne pouvons pas aimer tous les chanteurs populaires, nous avons nos goûts et nos haines. Mais cette formidable diversité fait sans doute de la France le pays qui a la chanson la plus vivante et variée. Les chansons bercent notre vie, les révolutions, les guerres, elles nous accompagnent dans notre dernière demeure… Ces petites bricoles, cette sous-poésie portée par des mélodies de quatre sous sont de ces petits bonheurs vraiment démocratiques.

delpech4web.jpg

Michel Delpech a fait sérieusement son métier d’artisan samedi soir, bien soutenu par trois excellents musiciens de la scène de variété française, dont Gérard Bikialo au clavier et René Lebar à la guitare (j’ai oublié le nom du batteur, ça doit être l’âge.. faut que je pense à mes comprimés.) Il a traité le public à sa dévotion avec gentillesse et respect. Une heure et demie, près de trente chansons et puis s‘en va…

En repartant chercher son automobile endormie non loin de là, chacun fredonnait une chanson, celle qu’il avait préférée, celle qui avait ravivé une jeunesse consumée en même temps que celle du chanteur. La nuit était plus claire et plus douce la séparation. Wight is Wight, Dylan is Dylan, and forever young…

21 mai 2006 ; J.M. Dauriac – Photos C. Dauriac – droits réservés

Leave a Comment

Les gens de Chiusa

Les gens de Chiusa – Andreas Maier – traduction de Florence Tenenbaum – 197 pages – Actes Sud – 2006

Une vallée de montagne dans le Tyrol du Sud ou Haut Adige (selon les points de vue, et cela est capital dans ce roman). Une petite ville appelée Chiusa. Une population germanophone très largement dominante mais italienne, dans un espace qui fut l’enjeu de rivalités guerrières entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie. Quelques jours de la vie de cette communauté. Le genre choisi : la farce littéraire.

gens-de-chiusa-web.jpg

Voici comment on pourrait situer rapidement ce roman allemand. De l’intrigue, il est difficile de faire un résumé. Car il ne se passe pratiquement rien de réel. Tout le contenu du livre rapporte des rumeurs, propos insipides de taverne ou supputations d’imbéciles. Les personnages sont des ectoplasmes caricaturaux, des sortes de vignettes de BD. Si l’on veut cependant donner un thème au lecteur, il serait le suivant. Il semble que la vallée soit partagée entre partisans d’une croissance économique moderne destructrice de l’environnement spécifique, dont le symbole serait l’autoroute du Brenner et son viaduc, et adversaires de celle-ci, défenseur d’une virginité montagnarde idéalisée. Le clivage est également ethno-linguistique, puisque les « nostalgiques » sont germanophones et se sentent toujours autrichiens alors que les « progressistes » sont italiens ou collaborateurs de ceux-ci. L’acte suprême de l’action sera une tentative ridicule de faire sauter le viaduc autoroutier. Le toute st raconté sous la forme littéraire de la farce. Il est donc légitime que les traits soient grossis à l’excès et que tout soit caricatural.

Ce qui me gêne vraiment dans ce roman réside dans un double défaut, du moins de mon seul point de vue de lecteur assez chevronné.

D’abord, le parti pris formel. Tout le roman est écrit au style indirect, d’une seule traite, sans aucun chapitre. Ce double choix rend la lecture indigeste, ne permet pas de faire des pauses repérables, comme dans un texte chapitré. Mais comme l’essentiel du livre consiste en des échanges de propos, le procédé devient rapidement insupportable. Andreas Maier n’est pas G. Pérec, capable de maîtriser un procédé aussi contraignant que l’absence des « e » dans « La disparition » ; très vite la lecture est pénible. En plus, le style n’est guère alléchant, assez pauvre, peu varié dans ses ressources. Je ne crois d’ailleurs pas ici que ce soit un défaut de la traduction. Plutôt une marque de fabrique et un choix de l’auteur.

Ensuite le contenu du livre . On a bien vite compris que nous sommes à la croisée des chemins entre « Clochemerle » et « La guerre des boutons », mais en beaucoup moins drôle. La répétition incessante des mêmes portraits ridicules lasse très vite. Et j’avoue n’être allé au bout que pour savoir s’il n’y avait pas une rédemption finale de l’auteur. Eh bien non ! Personnages caricaturaux et absence d’intrigue réelle sont certes des éléments de post-modernité, mais que c’est ennuyeux ! Alors vive Flaubert, Blazac ou Tolstoï. La fascination évidente que Kafka exerce sur Maier est hélas ! improductive. On n’écrit pas « Le procès » comme cela ! L’absurde monde de la vallée de Chiusa ne nous interpelle pas ; il est ridicule, il ne suscite aucune peur, aucune réminiscence en nous. On peut légitimement être vite indisposé par ce mépris affiché des discussions banales qui font le quotidien des gens ordinaires. On ne peut pas passer sa vie à disserter au café sur « l’ontologie d’Heidegger », comme aurait pu le faire Zanetti, un des protagonistes italiens du roman.

Au total, si je devais résumer trivialement mon opinion sur ce livre : un roman chiant ! Un bon reflet de la diarrhée éditoriale française. On peut éviter ce roman sans aucun remords.

One Comment

Révolte consommée – le mythe de la contre-culture –

Révolte consommée – le mythe de la contre-culture –

Joseph Heath & Andrew Potter – traduction deMichel Saint-Germain et Elise de Bellefeuille

Editions Naïve collection “débats?? – 2006 – 431 pages

Voici d’abord un beau livre, au sens esthétique du terme. Soit un livre que l’on a envie de tenir en mains, que l’on aime feuilleter et qui reste un bel objet une fois qu’on en a achevé la lecture. Trop de livres sont de simples bouquins mal conçus qu’il est légitime de signaler le travail de conception de l’éditeur. J’attire particulièrement l’attention sur la police de caractère et la mise en page, qui permettent une lecture aisée, d’un volume assez épais par sa pagination.

 

revolte-consommeeweb.jpg

C’est aussi un livre tout à fait estimable par son propos. Le choix de la collection, « débats », est ici tout à fait justifié. Ce livre ne devrait pas laisser indifférent tout lecteur de l’âge des auteurs ou plus (soit 35 ans). La postface détaille d’ailleurs clairement les critiques que les auteurs ont reçues, via internet, après la publication leur ouvrage en anglais. Fort instructif pour le lecteur français qui peut ainsi comparer sa perception à la réception de l’autre côté de l’Atlantique, où la contre-culture a pesé socialement beaucoup plus lourd que chez nous. Car le propos est une analyse critique de la notion de contre-culture, notion forgée en Amérique du Nord par l’observation sociale à partir du milieu des années cinquante du précédent siècle.

La thèse semblera iconoclaste à un lectorat non-spécialiste : les contre-culture sont des mythes en tant que révolutions mentales et/ou comportementales. Non seulement elles sont toutes récupérées mais elles sont encore plus de puissants moteurs de la consommation marginale, très lucrative, de leurs emblèmes et produits-phares. Pour un spécialiste aguerri, ce n’est pas du tout un scoop ; de très nombreux travaux publiés depuis une trentaine d’années permettaient assez aisément d’arriver à cette conclusion, sans doute beaucoup plus évidente en France qu’outre-atlantique. Car chez nous les contre-cultures furent beaucoup moins prégnantes que là-bas et parvinrent dans notre pays déjà sous leur forme consommable. L’exemple du rock’n roll ou du mouvement hippy est exemplaire.

La démonstration est assez souvent brillante et menée avec une alacrité moqueuse roborative. Les deux auteurs ont l’art d’appuyer là où ça fait mal et égratignent aussi bien les fans des Coccinelles Volskwagen devenus conducteurs de gros 4×4 que les consommateurs de produits bio, les fans de vêtements de sport comme les supporters des groupes rock les plus inaudibles… En tant que critique de ce qu’on appela jadis le « snobisme », leur livre est parfaitement réussi. Les références à Bourdieu font mouche. La « distinction » est démasquée derrière l’apparente révolte. Le rebelle rentre chez lui manger dans sa vaisselle en porcelaine ! Intéressante aussi la probe démonstration qui vise à fustiger l’alter-consommation ou la réduction volontaire de la consommation comme soi-disant protection de l’environnement et aide au développement durable. J’applaudis très fort quand ils écrivent :

« La compression de vos dépenses ne diminuera la consommation que si cela vous permet de réduire votre revenu » page 193.

On touche là à une des seules idées vraiment révolutionnaires de nos jours (mais pas neuve du tout !) : pour partager les fruits du progrès et faire durer notre « vaisseau Terre » (notion empruntée à Richard Buckminster Fuller : « Piloter le vaisseau spatial Terre » Covivia éditions, Montréal, 2005), il nous faut exclusivement envisager d’accepter de nous appauvrir volontairement afin que les plus pauvres puissent s’enrichir un peu. Ce faisant nous réduirons alors vraiment notre consommation et offriront à nos contemporains des pays pauvres la possibilité de consommer plus.

Le livre fourmille ainsi de bonnes formules et de dévoilements lucides. Mais il a malheureusement tendance à trop se répéter. Il aurait été extrêmement plus percutant en 300 pages maximum.

Au plan négatif, on pourra reprocher aux auteurs d’être devenus tristement réalistes après avoir été punks ! Leurs propositions concrètes sont très rares et consistent à des retouches personnelles d’un système qui leur apparaît comme finalement assez bon puisqu’il répond à la demande de la grande majorité des consommateurs . Acheter un véhicule hybride ou mettre au point un système d’impôt progressif n’est pas vraiment enthousiasmant. Certes c’est tout à fait positif dans le cadre de leur argumentation. Mais je m’autorise la question suivante : le monde et les hommes sont-ils si désenchantés qu’ils renoncent à toute réflexion de fond sur leurs sociétés. Si les auteurs ont des enfants et qu’ils les élèvent selon les principes évoqués dans leur livre, j’ai peur du résultat final. D’anciens punks auront donné naissance à des bobos responsables.

Ce n’est donc pas un chef d’œuvre fondamental, et je le regrette, car il y a la matière pour le faire. Le thème est fort ; le propos est personnel, critique et politiquement incorrect. Mais le tout est trop délayé ; une édition revue et raccourcie musclerait l’ouvrage. Le principal reproche porte sur la finalité réelle de ce livre : a quoi vise-t-il ? J’avoue ne pas le savoir après l’avoir lu très attentivement. Tel quel il ouvre un débat nécessaire mais ne le fait pas avancer. Sa manière cynique de renvoyer dos à dos Ivan Illitch et les « fashion victim » me gêne profondément. Est-ce de la lâcheté intellectuelle ou déjà de la résignation de la part des jeunes auteurs ? Est-ce une posture ? Pour l’heure je n’ai pas la réponse, mais le livre me permet de m’interroger aussi sur les auteurs. Il y a évidemment un autre livre à écrire sur les recherches réelles d’alternatives et ce qu’elles supposent d’efforts, de rigueur et d’honnêteté, voire d’altruisme. Ce livre est déjà écrit, il est dans tous ces livres qui ont tenté la démarche critique et utopique. Peut-on se contenter d’acheter une Toyota Prius ? Je ne puis le croire…

Leave a Comment